Le Folk-lore de l’Île-Maurice/Histoire de la bonne femme et des voleurs

Maisonneuve et Cie, éditeurs (Les Littératures populaires, tome XXVII) ((Texte créole et traduction française)p. 224-227).

XIX

HISTOIRE DE LA BONNE FEMME
ET DES VOLEURS

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Une fois, sept voleurs allèrent dévaliser la case d’une bonne femme. La vieille, en les entendant venir, ouvrit sa porte et se sauva. Rendue à quelque distance, elle monta sur un grand arbre et se dit : « Quand les voleurs passeront, je verrai où ils iront. »

Les voleurs entrent dans la maison, prennent tout ce qui s’y trouve, argent, linge, meubles, font des paquets de tout leur butin et ressortent. Ils prennent le chemin même qu’avait pris la bonne femme, et arrivent auprès de l’arbre. Un d’eux dit à ses compagnons : « Arrêtons-nous ici, et partageons notre prise. »

Un voleur monte sur l’arbre en sentinelle, pour voir si personne ne vient.

Quand elle le voit monter, la vieille a peur et croit qu’il vient la tuer. Le voleur l’aperçoit et lui demande ce qu’elle fait là. La bonne femme répond et la conversation s’engage. « Mais, lui dit la bonne femme, vous avez la langue trop longue, donc ! vous parlez trop fort ! — Mais non ! répond le voleur ; je n’ai pas la langue trop longue. Ma langue n’est pas plus longue que la vôtre ! — Eh bien, mesurons pour voir ! dit la bonne femme. » Et les voilà qui mettent leurs langues l’une contre l’autre pour mesurer. D’un coup de dents, la vieille coupe la langue du voleur. Le voleur dans sa souffrance lâche la branche, dégringole et tombe sur un paquet de hardes auprès de ses compagnons. Ils lui crient : « Mais qu’as-tu donc ? mais qu’as-tu donc ? Parle ! » Impossible. Il ne peut que lever la main en montrant le haut de l’arbre : « Houhah ! houhahouah ! » La frayeur les prend, et les voilà qui se sauvent à toutes jambes laissant là les nippes, les paquets et tout ce qu’ils ont pris.

Quand ils sont loin, la bonne femme descend, reprend toutes ses affaires et retourne dans sa case en riant. [1]


  1. C’est le plus court de nos contes, et ce n’est pas le moins bête. Lindor dut être quelque peu fier le jour où il inventa ces deux langues qui se mesurent ; bien peu auraient pu faire cette heureuse trouvaille.