Le Folk-lore de l’Île-Maurice/Histoire d’un oiseau qui pondait des œufs d’or
VI
HISTOIRE D’UN OISEAU
QUI PONDAIT DES ŒUFS D’OR
l y avait une fois un chasseur qui chassait
les oiseaux.
Un jour il prit un oiseau qui avait le plumage doré. Chaque matin cet oiseau-là pondait un œuf, et le chasseur vendait cet œuf au cuisinier du roi. Lorsque le cuisinier cassa le premier œuf pour le cuire, il trouva dedans une boule d’or. Le cuisinier, qui était fin, n’en dit jamais rien à sa maîtresse : « Suis-je une bête, moi ! » Tous les matins il gardait la boule d’or pour lui.
Un jour la reine a besoin d’un œuf pour faire un gâteau. Elle va à la cuisine, le cuisinier n’est pas là. Elle prend un œuf dans le panier et le casse. Me croirez-vous ? Une boule d’or roule à terre. La reine se baisse, ramasse la boule, la soupèse dans sa main… le cuisinier rentre.
— Eh vous, mon garçon, où avez-vous eu cet œuf-là ?
— Cet œuf-là ? C’est un œuf que j’ai acheté d’une bonne femme qui se nomme bonne femme Laurette, et dont le mari est chasseur d’oiseaux.
La reine ne dit rien et s’en va.
La reine avait un fils. Un jour que le jeune prince se promenait, il passe devant la case de bonne femme Laurette et entre. Il aperçoit l’oiseau, il le regarde, le regarde : l’oiseau était joli comme jamais oiseau n’a été joli.
— Eh vous, bonne femme, vendez-moi donc cet oiseau.
— Non, mon prince, mon oiseau n’est pas à vendre.
Le prince prend l’oiseau, joue avec, le tourne, le retourne. Il lève par hasard une de ses ailes ; il y voit des caractères écrits ; le prince lit :
« Celui qui mangera ma tête aura un sac d’argent tous les matins ; celui qui mangera mon cœur aura un sac d’or tous les soirs. »
Le prince ne dit rien, il laisse l’oiseau, retourne chez sa mère et lui raconte tout.
Ils réfléchissent tous les deux.
Bonne femme Laurette avait une fille. La reine dit à son fils :
— Sais-tu ce qu’il faut faire ? Il faut que tu épouses la fille de la bonne femme Laurette, et l’oiseau t’appartiendra.
Le prince court chez Laurette et lui dit :
— Eh vous, bonne femme, je suis amoureux de votre fille : je veux l’épouser ; donnez-la-moi. Qu’en dites-vous ?
— Fi, fi ! Monsieur ! ça n’est pas bien de se moquer des gens ! Vous êtes prince, ma fille est une humble fille ; comment voulez-vous que je croie que votre mère voudra pour bru une fille en robe de goni ?
— Mais, bonne femme, c’est maman elle-même qui m’a envoyé vous demander votre fille en mariage !
La bonne femme rit et secouant la tête :
— Eh vous, Monsieur, vous aimez à plaisanter, oui !
Le prince retourne chez sa mère et lui dit que la bonne femme Laurette se figure qu’on veut se moquer d’elle, qu’il faut qu’ils y aillent tous deux ensemble.
La reine saisit son châle, prend son chapeau, met ses bottines, et ils retournent chez Laurette. La reine demande à la bonne femme la main de sa fille pour son garçon ; la bonne femme est toute joyeuse et remercie le bon Dieu.
Alors le prince prenant la parole :
— Mais j’y mets une condition : « Le jour de notre mariage, on tuera l’oiseau aux plumes dorées, et l’on mettra à part son cœur et sa tête pour que je les mange. »
Le jour du mariage arrivé, le prince donne l’oiseau au cuisinier et lui dit : « Mets de côté la tête et le cœur ; fais-les-moi cuire, mais sans massala, je ne l’aime pas. »
Il faut que vous sachiez que la bonne femme Laurette avait deux garçons, et ces deux garçons-là savaient lire parce qu’ils étaient allés à l’école du Gouvernement. Eux aussi ils avaient lu sous les ailes de l’oiseau. Ils étaient à l’affût auprès de la cuisine. Le cuisinier sort. Ils entrent, volent dans la marmite le cœur et la tête de l’oiseau, et ils se sauvent.
Lorsque le cuisinier met l’oiseau sur la table, le cœur n’y est pas, la tête non plus.
Voilà le prince, vous dis-je, dans une colère terrible. Il cherche les fils de bonne femme Laurette pour les tuer.
Mais les deux voleurs, dans leur fuite, entrent dans la maison d’un loup. Le loup saute dessus, et les mange. [1]
- ↑ Le conte est-il tout entier d’invention créole ? Du moins certains
détails sont de notre crû ; la reine, par exemple, n’a guère
pu régner qu’à la Villebague ou aux Trois-Îlots.
Le conte s’arrête plutôt qu’il ne finit ; c’est un de ceux — et ils sont nombreux — que nous avons laissés à plat sur le chemin où le conteur les a oubliés sans prendre la peine de se baisser pour les relever.