Le Folk-lore de l’Île-Maurice/Histoire d’un malin drôle

Maisonneuve et Cie, éditeurs (Les Littératures populaires, tome XXVII) ((Texte créole et traduction française)p. 68-75).

VII

HISTOIRE D’UN MALIN DRÔLE

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Il y avait une fois une vieille bonne femme qui avait un fils, mais le pauvre garçon était la bêtise même.

Un jour sa mère l’envoie acheter une hache au bazar. En revenant, il joue tout le long du chemin avec la hache : il frappe, il coupe. Il va rentrer dans la maison quand il voit le petit mouton de sa mère en train de brouter l’herbe dans la cour. Il crie : « Maman, maman ! regardez quelle fameuse hache je vous ai achetée ! » et il abat d’un seul coup la tête du mouton. Sa mère se fâche, lui dit des injures, et lui demande pourquoi il n’a pas mis la hache dans une charrette de paille ; ce malheur-là ne serait pas arrivé. Voilà cette grosse bête qui pleure, qui pleure et qui demande pardon à sa mère.

Une autre fois, la bonne femme l’envoie acheter des aiguilles et lui dit : « Tu te rappelles l’histoire de la hache ! ne va pas me perdre mes aiguilles, au moins ! » Il part et revient. La bonne femme lui demande : « Eh bien ! mes aiguilles ? — N’ayez pas peur, maman, elles ne sont pas perdues ; en revenant, j’ai rencontré la charrette de M. Jean, je les ai éparpillées dans la paille. » La bonne femme crie après lui : « Pourquoi ne les as-tu pas piquées dans ton chapeau ! Voilà mon argent encore perdu. »

Un autre jour, sa mère l’envoie acheter du beurre et lui dit : « Tu te souviens des aiguilles ! ne va pas encore me perdre mon beurre. » Il va, achète le beurre et le met dans son chapeau. Le soleil piquait ; il fait fondre le beurre, le beurre coule sur sa figure, sur ses habits, il rentre à la maison sale comme un cochon. Sa mère lève les bras au ciel : « Pourquoi le bon Dieu t’a-t-il mis sur la terre ! Imbécile, va ! »

Un mois environ se passe. Sa mère lui donne deux poulets à aller vendre. Il ne sait pas acheter, peut-être saura-t-il vendre : « Mais ne va pas donner ces poulets pour le premier prix qu’on t’offrira, attends le second. — Bien sûr, maman, que j’attendrai le second prix ; me prenez-vous pour une bête ? » Il s’en va. Il rencontre un cuisinier, le cuisinier lui demande combien ses pou lets. « Faites votre prix vous-même. » Le cuisinier prend les poulets, les tâte, les soupèse : « Sept livres dix sous, si vous voulez. — C’est là votre premier prix, quel est votre second ? » Le cuisinier veut se moquer de lui et lui dit six livres cinq sous. « Prenez-les pour six livres cinq sous : je ne vends jamais que sur le second prix. » Il revient à la maison et raconte à sa mère. La bonne femme est furieuse ; elle veut le battre, il est obligé de se sauver.

Cette fois-là, la bonne femme lui donne à aller vendre un mouton : « Mais, pour mon mouton, ne fais pas comme pour mes poulets ! Écoute bien ce que je vais te dire. Les gens te feront un prix : laisse-les monter, monter jusqu’à ce que ça ne soit plus possible. Alors seulement tu donneras le mouton. Tu as entendu, n’oublie pas ce que je t’ai dit. » Il s’en va. Il rencontre un boucher ; le boucher lui offre huit roupies. « Impossible ça ; il faut que vous montiez. « Le fils du boucher, qui connaissait le pauvre diable, tire son père par la manche et lui dit : « Papa, ne vous en mêlez pas, laissez-moi, je sais comment faire l’affaire avec lui. » Il y avait près d’eux une échelle dressée contre un mur, le fils du boucher monte ; sur le premier barreau de l’échelle, il crie « sept roupies » ; il monte, il crie « six roupies » ; il monte, il crie « cinq roupies » ; une fois qu’il est tout à fait en haut, sur le dernier échelon, il crie : « deux roupies ! et tu vois que je ne puis monter davantage. — Eh bien ! puisqu’il n’y a plus moyen de monter davantage, qu’y faire ? Prends le mouton, donne les deux roupies. « Il retourne à la maison, donne à sa mère les deux roupies et lui raconte toute l’affaire. La bonne femme saisit un manche à balai, tombe sur lui et lui prend mesure. Le pauvre diable ramasse un coup sur la tête et devient fou.

Depuis ce jour-là, je ne l’ai jamais revu au bazar. [1]



  1. C’est une copie presque servile du français. Nous ne donnons le conte qu’à titre de renseignement sur la façon dont Lindor comprend la traduction littérale.