Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne (Œuvres, tome 21p. 1-2).


PRÉFACE.


La question de savoir quelle partie de la légende qui va suivre est strictement vraie, et quelle partie n’est qu’une fiction, est laissée douteuse dans l’intention expresse que les historiens qui n’ont rien de mieux à faire puissent employer leur temps à tracer cette ligne de séparation.

Quant à la scène choisie pour cette histoire, nulle apologie n’est jugée nécessaire. Inventer des excuses pour transporter un homme, soit en réalité, soit en imagination, sur une mer comme la Méditerranée, et sur une côte comme celle de l’Italie, ce serait une affectation dont nous n’avons pas la moindre idée de nous rendre coupable. Il est vrai, — il est même probable — que l’exécution pourra être au-dessous du dessein ; mais il ne peut y avoir grand mal à oser faire une noble tentative, ou du moins il ne peut en résulter que pour celui qui échoue en l’entreprenant. Nous espérons que ceux qui ont vu les lieux que nous avons si simplement et si imparfaitement décrits, pardonneront nos défauts par égard pour le service que nous avons voulu leur rendre, et que ceux qui n’ont jamais eu ce bonheur trouveront nos faibles tableaux si supérieurs aux réalités qu’ils ont vues ailleurs, qu’ils croiront que nous avons réussi.

Nous n’avons rien de plus à dire de Raoul Yvart, de Ghita Caracioli et du petit Feu-Follet, que ce qui se trouve dans le corps de l’ouvrage. Comme Sancho le disait au chevalier, ceux qui nous ont fourni les faits qui ont rapport à tous les trois, — car nous classons un navire dans l’ordre animal, — nous ont dit qu’ils en étaient si certains, que nous pouvions en sûreté de conscience jurer qu’ils étaient vrais. Si nous sommes dans l’erreur, c’est donc une infortune que nous partageons avec l’honnête Pança, et cela sur un sujet presque aussi important que celui sur lequel il s’est mépris.

Après tout, le monde entend peu parler de cette multitude de détails qui forment l’ensemble des incidents sur mer, et il les connaît encore moins. Les historiens glanent quelques circonstances principales se rattachant peut-être à des batailles, à des traités, à des naufrages ou à des chasses, et tout le surplus reste en blanc pour la grande masse de la race humaine. On a dit avec raison que la vie de chaque homme, si elle était racontée simplement et avec clarté, se trouverait contenir une foule de leçons aussi utiles qu’amusantes ; et il est également vrai que chaque journée à bord d’un bâtiment fournirait quelque chose d’intéressant à rapporter, si les notes sèches de la table de loch pouvaient être données dans le style, graphique d’un observateur capable. Un bâtiment, isolé dans la solitude de l’océan, est un objet de réflexions et une source de sentiments poétiques aussi bien que moraux ; et comme nous nous lassons rarement d’écrire sur ce sujet, nous désirons que, par une sorte de sympathie, ceux qui nous font l’honneur de nous former une sorte de clientèle littéraire, ne se lassent jamais de nous lire.

Notre principal intérêt, dans le cas dont il s’agit, se porte sur le contraste que nous avons essayé d’établir entre une croyance profonde et une infidélité fondée sur la légèreté du cœur. Nous croyons les deux tableaux vrais, eu égard à l’époque et aux pays respectifs, et nous avons tâché de les mettre convenablement en relief, et sans la moindre exagération. L’expérience de chaque jour prouve qu’il peut exister une forte sympathie naturelle entre des êtres qui sont en dissentiment complet sur un tel sujet, et qu’il est possible d’en trouver chez qui les principes sont plus forts que la plus insinuante et la plus trompeuse de toutes nos passions ; c’est non seulement ce que nous espérons, mais ce que nous croyons. Nous avons cherché à assigner la qualité la plus élevée et la plus durable à cette portion de la race humaine dans laquelle nous sommes persuadé qu’il est le plus probable qu’elle se trouve.

Cet ouvrage est le septième roman maritime que nous nous sommes hasardé à offrir au public. Lorsque nous eûmes achevé le premier, nos amis nous prédirent avec confiance que nous éprouverions un échec, à cause de la maigreur du sujet et de ses accompagnements désagréables. Non seulement leur prédiction ne s’est pas vérifiée, quant à nos humbles efforts, mais le goût du public pour ce genre d’ouvrages a duré assez longtemps pour qu’il reçût de plusieurs autres côtés un nombre assez considérable de rejetons de la même souche. Nous espérons seulement qu’en cette occasion il pourra trouver dans ce nouvel enfant une ressemblance de famille assez forte pour lui permettre de passer dans la foule, comme faisant partie de la même liguée.