Le Feu-Follet/Chapitre XV

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne (Œuvres, tome 21p. 200-214).


CHAPITRE XV.


« Dors, dors sur la mer, infortuné. Le murmure des eaux t’assoupit à présent ; son bras ne te servira plus d’oreiller, et ta main n’essuiera plus son front. Il n’est pas assez près pour te nuire, ni pour te sauver. La terre est à lui, — la mer doit être ta tombe. »
Dana.



Pendant toute une longue soirée d’été, le corps de don Francesco Caraccioli resta suspendu au bout de la vergue de misaine de la Minerve, spectacle révoltant pour ses concitoyens et pour la plupart des étrangers qui avaient été témoins de sa mort. On le plaça alors dans un canot, ayant des boulets ramés attachés à ses pieds, on le conduisit à une bonne lieue dans la baie, et là on le jeta dans la mer. La manière dont il reparut à la surface, une quinzaine de jours après, comme pour braver ceux qui l’avaient fait périr, peut se lire dans l’histoire ; et c’est une légende que racontent encore aujourd’hui à Naples les esprits ignorants et crédules, ou amis du merveilleux[1]. Quant à Ghita, elle disparut, personne ne sut comment, Vito Viti et ses compagnons étant trop occupés de la scène qui se passait sous leurs yeux pour remarquer l’attention affectueuse avec laquelle Raoul l’éloigna d’un spectacle si horrible pour elle. Cuff resta seulement quelques minutes de plus, et se fit ensuite reconduire sur son gig à bord de la Proserpine. Une demi-heure après l’exécution, on vit cette frégate lever l’ancre, et se mettre en route pour sortir de la baie, sous toutes voiles, et avec un vent favorable. La laissant pour le moment, nous retournerons sur l’esquif de Raoul.

Ni Ghita Caraccioli, — car nous devons continuer à donner ce nom à notre héroïne, quoiqu’il soit beaucoup trop illustre pour être porté par une jeune fille de si humble condition, — ni Ghita Caraccioli, disons-nous, ni Carlo Giuntotardi, n’avaient eu d’autre dessein en se présentant devant le malheureux amiral, que de s’acquitter de ce qu’ils regardaient comme un devoir. Dès que le destin de Caraccioli fut décidé, ils étaient disposés à rentrer dans leur ancienne obscurité ; non qu’ils eussent honte d’avouer leur affinité avec le défunt, mais parce qu’ils n’avaient pas un seul grain de cette ambition mondaine qui rend le rang et la fortune nécessaires au bonheur.

En sortant de la foule des bateaux, Raoul se dirigea vers les rochers qui bordent la côte de la baie, près des jardins de Portici : c’était un point assez éloigné du mouillage ordinaire pour être à l’abri des observations, et cependant assez voisin pour qu’on pût y arriver en moins d’une heure. À mesure que le léger esquif avançait, Ghita reprenait peu à peu son air calme. Elle s’essuya les yeux, et regarda autour d’elle comme si elle eût voulu savoir où on la conduisait.

— Je ne vous demanderai pas, Raoul, dit-elle, pourquoi vous êtes ici dans un pareil moment, mais je puis vous demander où vous nous conduisez. Notre demeure actuelle est à Santa-Agata, sur les hauteurs au-dessus de Sorrento, de l’autre côté de la baie. Nous y allons tous les ans passer un mois chez la sœur de ma mère, qui a droit à beaucoup d’affection de notre part.

— Si je n’avais su tout cela, Ghita, je ne serais pas ici, je n’aurais pas pu y être. — J’ai été ce matin chez votre tante, — je vous ai suivie de là à Naples, — j’y ai appris le jugement et la condamnation de votre aïeul, — je vous ai vue monter à bord du vaisseau amiral anglais, et après avoir réussi à congédier le batelier qui vous avait amenée, je vous ai attendue où vous m’avez trouvé. Tout cela est arrivé aussi naturellement que le sentiment qui m’a porté à me hasarder encore une fois dans la gueule du lion.

— La cruche qui va trop souvent à l’eau finit par se briser, Raoul, dit Ghita d’un ton qui sentait le reproche, mais sans pouvoir déguiser l’accent de tendresse qui s’y mêlait.

— Vous savez tout, Ghita. Après des mois de persévérance, après un amour tel que peu d’hommes en ont jamais ressenti, vous avez froidement et positivement refusé de m’épouser ; vous avez même tout exprès quitté le mont Argentaro, pour vous délivrer de mes importunités, car je pouvais y aller avec mon lougre à chaque instant ; enfin vous êtes venue dans cette baie, remplie d’Anglais et d’autres ennemis de la France, dans la persuasion que je n’oserais vous y suivre. Eh bien, vous voyez comme vous y avez réussi. Nelson, avec ses bâtiments à deux ponts, ses victoires et son expérience, n’est pas en état d’empêcher Raoul Yvard d’aller rejoindre celle qu’il aime.

Le jeune marin avait cessé de ramer, pour exprimer ainsi ses sentiments, et la présence du pieux et savant Giuntotardi n’imposait aucune contrainte aux deux jeunes interlocuteurs, car ils savaient qu’il était toujours trop plongé dans ses idées abstraites pour donner la moindre attention à un objet aussi futile que la conversation de deux jeunes amants. Ghita ne fut surprise ni des reproches ni de la persévérance de Raoul, car sa conscience l’assurait qu’il n’avait dit que la vérité en lui attribuant les motifs qu’elle avait réellement eus pour s’engager son oncle à un changement temporaire de demeure ; et tandis qu’un sentiment de devoir l’avait portée à s’éloigner momentanément des tours d’Argentaro, elle n’avait pas été assez politique pour songer qu’elle devait chercher une autre retraite que la maison de la parente où elle allait passer un mois tous les ans, et que Raoul connaissait, d’après ses relations ingénues, presque aussi bien qu’elle-même.

— Je ne puis dire que ce que je vous ai déjà dit, répondit-elle d’un air pensif quand Raoul se fut remis à ramer. Il vaut mieux, sous tous les rapports, que nous nous séparions. Je ne puis changer de pays, et vous ne pouvez abandonner votre glorieuse république, dont vous êtes si fier. — Je suis Italienne, et vous êtes Français ; et par-dessus tout j’adore Dieu, et vous, vous êtes imbu des nouvelles opinions de votre nation. Ce sont des causes de séparation bien suffisantes, quoique nous puissions avoir l’un de l’autre une opinion favorable.

— Ne me parlez donc plus du cœur d’une jeune Italienne, et de sa disposition à suivre au bout du monde l’homme dont elle a fait choix ! s’écria Raoul avec amertume. Je puis trouver en Languedoc mille filles qui feraient tous les ans le tour du monde plutôt que d’être séparées un seul jour des marins qu’elles ont pris pour maris.

— Eh bien, cherchez une femme parmi les filles du Languedoc, répliqua Ghita avec un sourire si mélancolique qu’il donnait un démenti à ses paroles. Il vaut mieux prendre une femme qui soit de votre nation et qui professe les mêmes opinions que vous, que de risquer votre bonheur avec une étrangère qui pourrait ne pas répondre à tout ce que vous espérez d’elle, quand vous viendrez à la mieux connaître.

— Nous n’en parlerons pas davantage à présent, chère Ghita ; mon premier soin doit être de vous reconduire chez votre tante, — à moins que vous ne vouliez monter sur le Feu-Follet, et retourner aux tours.

Le Feu-Follet ! — J’espère qu’il n’est pas ici, au milieu de tant d’escadres ennemies ? — Songez, Raoul, que votre équipage finira par se plaindre, si vous l’exposez souvent à de pareils risques uniquement pour satisfaire vos désirs.

— Peste ! je le maintiens en bonne humeur en lui faisant faire de bonnes prises. — Nous avons en du succès, et ce qui rend Nelson populaire et un grand homme dans son pays, rend Raoul Yvard populaire et en fait un grand homme, en miniature, aux yeux de son équipage. Les hommes qui le composent ressemblent à leur capitaine : ils aiment les aventures et le succès.

— Je n’ai pas vu le lougre. J’ai examiné plus de cent bâtiments ; et je n’ai pas aperçu le vôtre.

— La baie de Naples est grande, Ghita, répondit Raoul en souriant, et le Feu-Follet n’occupe que peu de place. — Voyez ces vaisseaux de digne, ce sont des coquilles de noix sur ce vaste golfe, auprès de ces nobles montagnes. Vous ne pouvez attendre de mon petit lougre qu’il y fasse grande figure. Nous sommes petits, Ghita mia, si nous ne sommes pas tout à fait insignifiants.

— Cependant, quand il y a des yeux si vigilants et en si grand nombre, Raoul, il y a toujours du danger. D’ailleurs un lougre est un genre de bâtiment peu ordinaire, comme vous me l’avez avoué vous-même.

— Non pas ici, au milieu de tous ces navires de l’Orient. — J’ai toujours trouvé que lorsqu’on ne veut pas être remarqué, il faut se mettre dans la foule. Celui qui vit dans un village est exposé à la clarté du grand jour. — Mais nous parlerons de tout cela une autre fois, Ghita ; voici un pêcheur qui se prépare à nous recevoir.

L’esquif était alors près du rivage, dans un endroit où une petite yole, contenant un pêcheur solitaire, était à l’ancre. Cet homme les examina avec attention, et ayant reconnu Raoul il retira ses lignes de l’eau et se prépara à lever son grappin. Au bout de quelques minutes les deux esquifs étaient bord à bord ; et alors, mais non sans difficulté attendu qu’il s’était déguisé avec grand soin, Ghita reconnut Ithuel Bolt. Quelques mots suffirent pour mettre l’Américain au fait de tout ce qu’il était nécessaire qu’il sût, et les préparatifs du départ se firent sur-le-champ. Raoul amarra au rivage le petit esquif qu’il y avait trouvé, et dont il s’était momentanément emparé, sans permission, espérant que celui à qui il appartenait l’y retrouverait un jour ou l’autre, et il passa avec ses compagnons sur la petite yole, qui était une des embarcations de son lougre. C’était un léger canot, admirablement construit, et propre à naviguer sur mer sans autre aide que deux bons avirons, dont Raoul prit l’un, et dont Ithuel tenait déjà l’autre. Cinq minutes après, ils s’éloignaient de la terre, traversant la baie en ligne droite, et se dirigeant vers le promontoire du Sud, avec l’adresse et l’activité de rameurs expérimentés.

Il y a peu d’endroits sur la mer où un canot et même un bâtiment seul attirent si peu l’attention que dans la baie de Naples. Cela est vrai dans tous les temps et dans toutes les saisons ; l’échelle magnifique sur laquelle la nature a dessiné ce panorama splendide rendant tous les objets ordinaires comparativement insignifiants, tandis qu’un mouvement constant, résultat de l’activité d’un million d’âmes qui en habitent les côtes populeuses, le couvre de bateaux qui le parcourent dans tous les sens, presque comme les rues d’une grande ville sont remplies de piétons. En approchant du môle, ou du mouillage ordinaire, ils eurent naturellement à traverser une foule flottante ; mais une fois qu’ils en furent dehors, ils trouvèrent facile d’éviter toute collision désagréable sans avoir l’air de le chercher, et la marche d’un canot, dans quelque direction que ce fût, était un événement trop commun pour exciter la moindre méfiance. On ne penserait pas plus à questionner un esquif rencontré même au centre de cette vaste baie, qu’à demander à un étranger pourquoi il se trouve sur la place du marché de la ville. Raoul et Ithuel savaient parfaitement tout cela ; et une fois en route sur leur yole, ils éprouvèrent un sentiment de sécurité qu’ils n’avaient pas toujours connu pendant les quatre à cinq heures précédentes.

Le soleil était déjà très-bas, quoique Raoul vît qu’il était encore possible de distinguer un point noir suspendu à la vergue de misaine de la Minerve, ce qu’il se garda bien de faire remarquer à Ghita et même à ses compagnons. La Proserpine était en marche depuis quelque temps, sous toutes voiles, mais avec un vent assez léger pour permettre au petit esquif de prendre l’avance sur elle, quoique le cap de l’une et de l’autre fussent placés dans la même direction : ils firent ainsi plusieurs milles, et enfin l’obscurité arriva. La lune, qui se leva alors rendit, il est vrai, les rives moins distinctes, mais sans rendre la baie plus mystérieuse que pendant les heures de grand jour. Ce golfe, à la vérité, forme à cet égard une exception à la règle générale, par l’étendue de ses côtes, la hauteur de ses montagnes, la beauté de son eau, qui à la teinte foncée de l’Océan hors des sondes, et la douceur de l’atmosphère ; avantages qui lui prêtent, pendant le jour, les charmes que d’autres scènes empruntent aux illusions de la nuit et à l’éclat plus doux des astres secondaires. Raoul, assis sur l’arrière, ne faisait pas de grands efforts pour ramer, et Ithuel était obligé de suivre le mouvement de son compagnon. Yvard trouvait si agréable d’avoir Ghita près de lui sur son propre élément, qu’il n’était jamais pressé de terminer un voyage quand il jouissait de sa compagnie. On croira aisément que la conversation n’était pas gaie ; mais le ton mélancolique de la voix de Ghita, quand elle hasardait une remarque ou répondait à une question, plaisait à ses oreilles cent fois plus que les sons de la musique qu’on entendait alors à bord de tous les vaisseaux.

À mesure que la soirée avançait, la brise de terre prenait de la force, et la frégate, à son tour, gagna quelque distance sur le canot. Quand celui-ci fut aux deux tiers de la largeur de la baie, la Proserpine rencontra le courant d’air qui vient à travers de la campagne entre le Vésuve et les montagnes qui s’élèvent derrière Castellamare, et marcha rapidement en avant. Ses voiles, comme le disent les marins, étaient endormies, c’est-à-dire, étaient pleines, mais sans mouvement, la brise étant assez forte pour les empêcher de battre les mâts, et sa vitesse était de cinq à six milles par heure. Cette circonstance lui fit bientôt franchir la distance qui la séparait du canot. Raoul dit à Ghita de mettre la barre tout d’un côté, afin de s’écarter de la route du grand bâtiment qui s’approchait. Il sentit que la frégate avait quelque dessein en venant si près du petit esquif, car elle fit une embardée vers lui, de manière à effrayer la timide timonière, dont la main laissa échapper la barre.

— Ne craignez rien ! s’écria Griffin en italien, nous voulons seulement vous offrir de vous prendre à la remorque. Attention, et attrapez la ligne. — Jetez la ligne !

On jeta une ligne de la frégate sur le canot, et comme elle tomba sur la tête d’Ithuel, il ne put faire moins que de la saisir. Malgré toute sa détestation des Anglais, et surtout de ce bâtiment, Ithuel avait le penchant de ses compatriotes à se fatiguer le moins possible, et il crut jouer un excellent tour en faisant aider un corsaire français par une frégate anglaise. Il accepta donc l’offre du lieutenant, et se servant de la ligne avec dextérité, le canot fut bientôt à la remorque par la hanche de la Proserpine, Raoul ayant pris la barre, et gouvernant sa yole de manière à ne pas accoster la frégate. Ce changement fut si soudain et si inattendu, que Ghita ne put s’empêcher d’exprimer à demi-voix sa crainte qu’il ne fît découvrir quels étaient ses deux compagnons.

— Ne craignez rien, chère Ghita, répondit Raoul ; ils ne peuvent soupçonner qui nous sommes, et, en étant ici, nous pouvons apprendre quelque chose d’utile. Dans tous les cas, le Feu-Follet n’a rien à craindre d’eux en ce moment.

— Êtes-vous des bateliers de l’île de Capri ? demanda Griffin, qui était sur la lisse de couronnement de la frégate avec Cuff et les deux Italiens ; le capitaine dictant en anglais à son lieutenant les questions que celui-ci faisait en italien.

— Signor, répondit Raoul, prenant le patois du pays aussi bien qu’il le pouvait, et déguisant sa voix mâle et sonore sous un ton aigre et perçant. Nous sommes des bateliers de Capri qui avons apporté du vin à Naples, mais nous sommes en retard parce que nous avons voulu voir ce qui se passait à bord de la Minerve. — Cospetto ! ces signori ne s’inquiètent pas plus de la vie d’un prince que nous ne nous inquiétons dans notre île de celle d’une caille, pendant la saison. — Pardon, chère Ghita, ajouta-t-il tout bas, mais il faut leur jeter de la poudre aux yeux.

— Quelque bâtiment étranger a-t-il passé en vue de votre île depuis vingt-quatre heures ?

— La baie en est pleine, Signor ; les Turcs même viennent nous voir depuis leur dernière brouille avec les Français.

— Oui, mais les Turcs sont maintenant vos alliés comme nous le sommes, nous autres Anglais. — Avez-vous des bâtiments de quelque autre nation ?

— On dit qu’il s’y trouve aussi des bâtiments venant de bien loin du côté du nord, des Russes, je crois qu’on les appelle.

— Ce sont aussi des alliés, et je veux parler de bâtiments ennemis. N’a-t-on pas vu un lougre à la hauteur de votre île depuis un jour ou deux, — un lougre français ?

Si, si. — Je comprends à présent ce que vous voulez dire, Signor. — Si, si ; il y a eu un bâtiment comme celui dont vous parlez, qui a passé près de notre île ; j’en suis sûr, car je l’ai vu de mes propres yeux. C’était hier soir vers la vingt-troisième heure ; et à l’air méchant de son équipage, nous disions tous qu’il devait être français.

— Raoul ! dit Ghita comme pour lui reprocher son imprudence.

— C’est le vrai moyen de leur en faire accroire, dit Raoul à voix basse, ils ont certainement appris de nos nouvelles, et en ayant l’air de leur dire franchement un peu de vérité, je trouverai l’occasion de leur débiter plus de mensonges.

— Ah, Raoul ! c’est une triste vie que celle qui rend le mensonge nécessaire.

— C’est l’art de la guerre, chère Ghita, sans cela ces coquins d’Anglais nous dameraient, le pion. — Si, si, Signori ; c’est ce que nous avons dit tous en voyant son gréement et son équipage.

— Voulez-vous nous accoster et monter à bord, l’ami ? dit Griffin ; nous avons ici un ducat qui a besoin d’un maître, et j’ai dans l’idée qu’il conviendra à votre poche aussi bien qu’à celle d’un autre. Nous vous halerons jusque par le travers du passe-avant.

— Gardez-vous bien d’être si téméraire, Raoul ! s’écria Ghita à voix basse ; le vice-gouverneur et le podestat vous reconnaîtraient, et tout serait perdu.

— Ne craignez rien, Ghita, une bonne cause et un esprit qui ne manque pas de ressources me tireront d’affaires, au lieu que la moindre hésitation pourrait me perdre. Ces Anglais commencent par demander, et prennent ensuite sans permission, si vous répondez non. — Corpo di Bacco ! qui a jamais vu un lazzarone refuser un ducat ?

Raoul dit quelques mots tout bas à Ithuel, et le canot étant alors assez halé de l’avant, et embardé sur la frégate, il saisit une tire-veille, et monta avec l’agilité d’un chat par les taquets de l’échelle du bord. Il est certain que personne à bord de la frégate ne se doutait quel était l’individu qui marchait en ce moment avec tant de confiance sur son gaillard d’arrière. Le jeune marin lui-même trouvait dans cette aventure quelque chose d’excitant qui ne lui déplaisait pas, et il était d’autant moins inquiet des suites que pouvait avoir sa témérité, qu’il n’y avait sur le pont aucune autre lumière que celle de la lune ; que les voiles en interceptaient en partie la clarté, et qu’il savait par expérience qu’aucun des deux Italiens n’était assez sorcier pour découvrir une imposture.

La bordée de premier quart venait de monter ; et Winchester, guéri de sa blessure, tenait en main le porte-voix, tandis que Griffin n’avait plus d’autre chose à faire que de servir d’interprète. Deux ou trois midshipmen se promenaient indolemment sur le gaillard d’arrière ; çà et là un marin était en vigie près des drisses ou sur un bossoir ; vingt à trente vieux loups de mer se promenaient sur le passe-avant ou sur le gaillard d’avant, les bras derrière le dos, ou les mains passées dans leur jaquette : et un vieux aide-timonier, dont les yeux actifs étaient toujours aux aguets, était à côté de l’homme qui était à la roue, et faisait gouverner le bâtiment. Les autres hommes de quart s’étaient étendus entre les canons ou sur les dromes, paraissant prêts à agir, mais, de fait, sommeillant. Cuff, Griffin et les deux Italiens quittèrent le couronnement, et s’approchèrent du gaillard d’arrière pour y attendre l’arrivée du prétendu lazzarone, ou batelier de Capri, comme on le supposait. Par un nouvel arrangement, Vito Viti fut alors chargé de faire les questions, que Griffin traduisait au capitaine à mesure qu’elles étaient faites, ainsi que les réponses.

— Approchez, l’ami, dit le podestat avec un air de protection, mais d’un ton un peu hautain. Le noble et généreux capitaine anglais sir Kuff m’a chargé de vous remettre ce ducat, pour vous prouver qu’il ne vous demande rien qu’il ne soit disposé à payer. Un ducat, c’est beaucoup d’argent, comme vous le savez ; et une bonne paie mérite de bons services.

— Votre Excellence le dit avec vérité : un ducat mérite de bons services.

Bene. Maintenant dites à ces signori tout ce que vous savez de ce lougre dont vous venez de parler ; ou vous l’avez vu, quand vous l’avez vu, et ce qu’il faisait. — Mettez de l’ordre dans vos idées, et ne répondez qu’à une chose à la fois.

— Signor, si ; je mettrai tout en bon ordre, et je ne vous dirai qu’une chose à la fois. Je crois que je dois commencer par vous dire où je l’ai vu, ensuite quand je l’ai vu, et enfin ce qu’il faisait alors. Je crois que c’est ce que vous m’avez demandé, Excellence ?

— C’est cela même. Répondez dans cet ordre, et vous vous ferez bien comprendre. — Mais, dites-moi d’abord, tous les naturels de Capri parlent-ils la même sorte d’italien que vous ?

— Signor, si. — Cependant, ma mère étant française, on dit que j’ai un peu de son accent, Nous tenons tous quelque chose de nos mères, Excellence, et c’est dommage que nous n’en tenions pas davantage.

— Cela est vrai. Mais à présent, l’ami, parlons du lougre ; songez que d’honorables signori entendront ce que vous allez me dire ; ainsi donc, ayez soin, pour votre honneur, d’aller droit au fait ; et pour l’amour de Dieu, ne nous dites que la vérité.

— Fort bien, Signor, je dois donc dire d’abord ou j’ai vu le lougre. Mais Votre Excellence désire-t-elle savoir où était le lougre quand je l’ai vu, ou bien où j’étais moi-même en ce moment ?

— Où le lougre était, drôle. Crois-tu que sir Kuff s’inquiète de savoir ou tu as passé la journée ?

— Eh bien, Excellence, le lougre était près de Capri, du côté qui fait face à la Méditerranée, et qui, comme vous le savez, est le côté opposé à la baie ; et presque par le travers de la maison de Giacomo Alberti. — Votre Excellence connaît-elle cette maison ?

— Pas le moins du monde ; mais continuez votre histoire comme si je la connaissais. Ce sont ces détails qui donnent de la valeur à un récit. — À quelle distance était-il de la terre ? Mentionnez ce fait, si vous vous le rappelez.

— Si l’on pouvait mesurer la distance, je crois qu’on trouverait que c’était à peu près… — je dis à peu près, Signor, non tout à fait, mais je veux dire environ la même distance qu’il y a du plus gros figuier du jardin de Giacomo au vignoble de Giovanni, le cousin de sa femme. — Si, je crois que c’est presque la même distance.

— Mais quelle peut être cette distance ? — Soyez exact, car bien des choses peuvent en dépendre.

— Signor, je crois qu’elle est un peu plus longue que celle qu’il y a de l’église au haut de l’escalier par où l’on va à Ana Capri.

Cospetto ! — Tu gagneras ton ducat aisément de cette manière. Ne peux-tu calculer la distance en milles ? Le lougre était-il à un, à deux, à six, ou à vingt milles de ton île quand tu l’as vu ?

— Excellence, nous n’en sommes pas encore au quand ; vous m’aviez dit de commencer par le où. — Au surplus, je désire faire tout ce qui vous plaira, Signor.

— Voisin Viti, dit le vice-gouverneur, il peut-être à propos de vous rappeler qu’il ne faut pas agir ici comme si vous interrogiez un voleur et que vous vouliez prendre acte de ses aveux. Je pense que nous ferions mieux de laisser cet honnête batelier nous raconter son histoire à sa manière.

— Oui, oui, dit Cuff en anglais à Griffin ; à présent que le vitché prend l’affaire en main, j’espère que nous aurons la monnaie de notre ducat.

— Signor, dit Raoul au vice-gouverneur, ce sera tout comme il vous plaira. Le lougre dont vous parlez était hier au soir à la hauteur de notre île, gouvernant vers Ischia, où il doit être arrivé pendant la nuit, car il y a eu un bon vent de terre depuis la vingt-troisième heure du jour, jusqu’à la cinquième de la matinée suivante.

— Cela s’accorde, quant au lieu et au temps, avec ce que nous avons appris, dit Griffin ; mais il n’en est pas de même de la route que faisait le corsaire. On nous a fait rapport qu’il cherchait à doubler le cap méridional de l’île pour entrer dans le golfe de Salerne.

Un tressaillement presque imperceptible échappa à Raoul, et il se félicita d’être monté à bord de la Proserpine ; car ce qu’il venait d’entendre lui apprenait que ses ennemis n’avaient que de trop bons renseignements sur ses récents mouvements. Il se flatta pourtant de pouvoir changer leurs intentions et de les mettre sur une fausse piste :

— Je voudrais bien savoir, dit-il, qui peut prendre le sud-est pour le nord-ouest. Pas un de nos pilotes ou de nos bateliers ne ferait une pareille bévue. — Vous êtes officier, Signor, et vous vous entendez à de pareilles choses ; or je vous demande si Ischia n’est pas au nord-ouest de Capri.

— Il n’y a nul doute, et il est également vrai que le golfe de Salerne est au sud-est de ces deux îles.

— Voyez-vous ? s’écria Raoul avec un air de vulgaire triomphe très-bien joué ; j’étais sûr, Votre Excellence, que lorsque vous y réfléchiriez, vous verriez que c’est une folie de dire qu’un bâtiment qui va de Capri à Ischia peut gouverner autrement qu’au nord-ouest.

— Mais ce n’est point là la question, amico. Nous connaissons tous le gisement de ces deux îles, qui est le même que celui de toute cette côte ; mais la question est de savoir de quel côté le lougre gouvernait.

— Je croyais vous avoir dit, Excellence, qu’il portait le cap vers Ischia, dit Raoul avec un air d’innocence et de vérité.

— En ce cas, le compte que vous rendez se trouve en contradiction complète avec celui qui a été envoyé à l’amiral par le bon évêque de votre île. Puissé-je ne jamais manger une autre de ses cailles, si je le crois capable d’avoir voulu nous tromper, et il n’est pas facile de supposer qu’un homme comme lui ne soit pas en état de distinguer le nord du sud.

Raoul murmura intérieurement une malédiction contre tous les prêtres, jurant que français, italiens et autres, ils étaient tous ligués contre la France. Mais le rôle qu’il jouait ne lui permettait pas de s’exprimer ainsi, et il affecta d’écouter le fait qui venait d’être énoncé, avec tout le respect qu’un homme de sa classe a naturellement pour son père spirituel.

— Le nord du sud, Excellence ! répéta-t-il, monsignore en sait trop pour cela. — Mais je suppose que les nobles signori ne connaissent pas la fâcheuse infirmité de notre très-révérend père en Dieu ?

— Non. — Je ne crois pas qu’aucun de nous ait jamais eu l’honneur de le voir. Mais sûrement votre évêque est un homme ami de la vérité ?

— Ami de la vérité, Excellence ! oui, sans doute, et à un tel point, que s’il me disait que quelque chose que j’ai vu n’existe pas et ne peut exister, je me regarderais comme devant le croire de préférence à mes propres yeux. Les yeux sont pourtant quelque chose, Signor, et comme notre très-révérend évêque n’en a plus, ou du moins n’en a que de si mauvais, que c’est comme s’il n’en avait pas, il peut ne pas toujours voir ce qu’il croit voir, et se tromper en regardant un bâtiment qui est à un demi-mille de la côte. Quand monsignore nous dit que ceci ou cela se trouve dans l’Évangile, nous le croyons tous, parce que nous savons qu’il fut un temps où il pouvait le lire ; mais nous ne penserions jamais à lui demander de quel côté gouverne un bâtiment quand nous avons l’usage de nos sens.

— Est-il possible que le drôle nous dise la vérité, Griffin ? demanda Cuff, ébranlé par le stratagème de Raoul et par son air de simplicité. Si cela est, nous suivrons une fausse piste en doublant Campanella et en entrant dans le golfe de Salerne. Les Français sont encore maîtres de Gaëte, et il est probable que maître Yvard veut se conserver un port ami sous le vent.

— Vous oubliez, capitaine, que l’amiral a déjà chargé un bâtiment léger de croiser de ce côté ; et le Feu-Follet oserait à peine se montrer près d’un de nos croiseurs réguliers.

— Umph ! je n’en sais trop rien, monsieur Griffin ; j’en doute même un peu. La Proserpine est un croiseur régulier, dans un sens du moins ; et le Fiou-Folly a osé se montrer près d’elle. — Le Jack à la lanterne[2] Du diable si je ne crois pas à présent qu’il a été bien nommé. J’aimerais mieux donner la chasse à un Jack à la lanterne dans la Sicile, que d’avoir à chasser ici un pareil bâtiment. D’abord il est ici, puis il est là, et ensuite il n’est plus nulle part. Quant à la corvette, je crois qu’elle est allée vers le sud, pour jeter un coup d’œil dans toutes les baies qui se trouvent le long des côtes de la Calabre. J’avais dit à Nelson qu’il me fallait deux bâtiments ; car, aussi sûr que ce Roule — Raw owl… comment diable nommez-vous ce pirate, Griffin ?

— Raoul, capitaine ; Raoul Yvard. C’est un nom tout à fait français. Raoul signifie Rodolph.

— Eh bien ! je dis à Nelson que si ce drôle se met à tourner sans cesse autour d’une île, autant vaudrait jouer aux quatre coins toute la journée que d’essayer de lui faire prendre le large pour lui donner la chasse. Il manœuvre son lougre comme un conducteur de diligence fait tourner sa voiture dans la cour d’une auberge.

— Je suis surpris que Sa Seigneurie n’y ait pas fait attention, et ne nous ait pas donné une corvette ou deux pour nous aider.

— Oui, comptez là-dessus de la part de Nelson ! il pourrait envoyer un bâtiment anglais à la poursuite de deux français ; mais du diable s’il songe jamais à faire donner la chasse à un bâtiment français par deux anglais.

— Mais il ne s’agit pas d’un combat, capitaine ; ce n’est qu’une chasse, et un français courra toujours plus vite que deux anglais.

Raoul proféra de dépit, entre ses dents, un gros jurement qui ne fut entendu que du vice-gouverneur, qui, de tous les interlocuteurs, était celui qui se trouvait le plus près du jeune corsaire.

— Cela est vrai, répondit Cuff, mais ce que je dis ne l’est pas moins. On nous a fait partir seuls, et si ce Fiou-Folly se jette entre Ischia et Procida, il serait plus facile de faire sortir un renard de son terrier que de l’en chasser sans aide. — Quant à une attaque par des canots, je pense que vous en avez tous eu assez.

— Je crois réellement, capitaine, que notre équipage est un peu découragé, répondit Griffin avec la franchise et la simplicité d’un homme vraiment brave. Il faut lui donner le temps d’oublier la dernière escarmouche, avant d’en exiger un nouveau service du même genre.

— Bon ! murmura Raoul ne faisant pas attention qu’on pouvait l’entendre.

— Et pourtant, Griffin, il faut que nous le prenions, quand nous devrions user nos souliers à cette chasse.

Pendant tout ce temps, Andréa Barrofaldi et Vito Viti ne comprenaient pas un mot de l’entretien des deux officiers anglais ; mais Raoul les écoutait avec soin et entendait parfaitement tout ce qu’ils disaient. Jusqu’à ce moment, le vice-gouverneur avait été assez indifférent et inattentif à tout ce qui se passait ; mais les deux exclamations de Raoul avaient éveillé dans son esprit quelques soupçons vagues, qui, sans avoir encore d’objet déterminé, menaçaient pourtant d’avoir des suites sérieuses pour le jeune marin. Profondément mortifiés de la manière dont ils s’étaient laissé prendre pour dupes par ce célèbre corsaire, le vice-gouverneur et le podestat n’étaient alors à bord de la Proserpine que parce qu’ils avaient désiré quitter momentanément leur île pour se soustraire au ridicule qu’ils sentaient qu’ils avaient mérité, attendre que tous les sarcasmes fussent usés, et chercher à recouvrer leur réputation de sagacité, en trouvant peut-être les moyens de coopérer à la prise du corsaire. Cuff, dans un moment de confiance, leur avait offert deux cadres dans sa chambre et place à sa table, et cette offre avait été acceptée : Andréa n’avait pas été vingt-quatre heures à bord, sans être convaincu qu’il ne pouvait y être utile à rien, et cette idée avait ajouté aux autres désagréments de sa situation. Comme tous les hommes joignant de bonnes intentions à un esprit simple, il désirait vivement se rendre bon à quelque chose, et il réfléchissait jour et nuit à ce qu’il pouvait faire pour cela, ou discutait cette question avec son ami Vito Viti quand ils étaient en tête-à-tête. Le podestat lui conseillait de mettre sa confiance dans le ciel, et ajoutait qu’il pouvait se passer dans le cours de la croisière des choses qui la rendraient mémorable. Quant à lui, il avait l’habitude, dans toutes les circonstances embarrassantes, de dire un Ave ou deux, et ensuite de s’en rapporter à Dieu.

— Vous n’avez jamais vu un miracle, vice-gouverneur, disait Vito Viti, un jour qu’ils discutaient ensemble ce sujet, sans qu’un autre miracle marchât sur ses talons ; le premier n’étant qu’un préparatif pour le second, et celui-ci étant toujours le plus remarquable des deux. Lorsque Anina Gotti tomba du haut des rochers, ce fut un miracle qu’elle ne se rompît pas le cou ; mais quand elle roula ensuite dans la mer sans s’y noyer, c’en fut un bien plus grand.

— Il vaut mieux laisser la sainte église s’occuper de pareilles choses, voisin Vito, répondit Barrofaldi ; mais quant à l’affaire qui nous occupe, je ne puis y découvrir aucun miracle.

— Comment ! n’en est-ce donc pas un, signor vice-gouverneur, que deux hommes comme vous et moi nous nous soyons laissé tromper, comme cela nous est indubitablement arrivé, par ce coquin de corsaire français ? Je regarde cela comme un si grand miracle, qu’il aurait dû en suivre un autre, au lieu d’en être le précurseur.

Andréa lui fit une réponse telle que la lui suggérèrent ses connaissances supérieures, et leur conversation tourna, comme de coutume, sur ce qu’ils avaient à faire pour effacer la tache imprimée individuellement ou solidairement sur leur sagacité.

Ce fut probablement par suite de cette espèce de fièvre d’esprit qu’Andréa Barrofaldi, ordinairement si simple et si confiant, devint soupçonneux et clairvoyant. La vue de Ghita et de Carlo Giuntotardi sur un bateau lors de l’exécution du malheureux Caraccioli lui avait paru un incident assez étrange, et quand le canot de Raoul eut été pris à la remorque par la frégate, il crut sur-le-champ y reconnaître ses deux anciennes connaissances, quoique l’éloignement et l’obscurité l’empêchassent de bien distinguer leurs traits. Jamais, jusqu’à ce jour, l’idée de Ghita et de son oncle ne s’était rattachée dans son esprit à celle de Raoul Yvard ; mais il était incontestable que la manière mystérieuse dont ils étaient disparus tous trois le même jour de Porto-Ferrajo était une coïncidence extraordinaire qui avait excité quelques remarques dans cette ville, et il n’était pas étonnant que, dans la situation présente, il entrevît une lueur vague et confuse de la vérité. Cependant, sans les exclamations indiscrètes de Raoul, il est probable que ces idées indistinctes n’auraient eu aucun résultat, et nous devons attribuer tout ce qui suivit à l’imprudence du jeune corsaire, plutôt qu’aux profonds raisonnements du vice-gouverneur de l’île d’Elbe.

À l’instant où Cuff venait de déclarer sa détermination de prendre le Feu-Follet, Andréa s’approcha de l’endroit où le capitaine s’entretenait avec Griffin, et dit quelques mots à l’oreille du lieutenant.

— Diable ! s’écria Griffin, si ce que le vice-gouverneur me dit se trouve vrai, capitaine, notre besogne est à moitié faite.

— Le vitché ne mettra jamais le feu à la baie de Naples, dit le capitaine ; mais il est bon diable au fond. Eh bien ! que vous a-t-il dit ?

Griffin le prit à part, et, après un instant d’entretien, des ordres furent donnés à l’officier de quart, et ils descendirent tous deux sous le pont avec une sorte de précipitation.


  1. Toute singulière que fut cette circonstance, et toute pénible qu’elle doit avoir été pour ceux qui avaient contribué à la mort de Caraccioli, c’est un effet très-simple de causes naturelles. Toute matière animale s’enfle dans l’eau avant de se corrompre. Un corps qui a acquis ainsi le double de son volume, déplace nécessairement une double quantité d eau, quoique le poids de la masse reste le même. La plupart des corps humains flottant, dans leur état naturel, aussi longtemps que l’air gonfle les poumons, il en résulte qu’un corps, dans cette condition, doit faire remonter avec lui un poids en fer égal à la différence entre sa propre gravité et celle de l’eau qu’il a déplacée. Et si le corps de Caraccioli se montra dans une attitude verticale, il faut l’attribuer aux boulets qui avaient été attachés à ses pieds, et dont il est possible que quelques-uns se fussent détachés. (Note de l’auteur.)
  2. Nom anglais du Feu-Follet, ou Feu-Saint-Elme. (Note du traducteur.)