Michel Lévy frères (p. 295-306).

xxxi

La nuit était bien avancée lorsqu’elle se pencha pour la lire.

« Madame,

« Puisque vous paraissez tenir, par l’effet d’une curiosité dont je ne m’explique pas la cause, à vous assurer de mon retour à la vie, j’emploierai les premiers instants de ma convalescence à répondre aux lettres que vous m’avez écrites. Je me croyais deux fois mort pour vous cependant ; mais je cède à vos instances, j’obéis aux cris de votre inquiétude. Je vous rends la pitié que vous m’avez montrée. Ma générosité répond à la vôtre : »

— Quel langage ! murmura la marquise ; est-ce bien lui qui parle ? Il n’a vu que la générosité de ma conduite ? Il ne comprend pas, dit-il, la cause de l’intérêt que je lui porte. Mais que dit-il ? Une explication ! mon Dieu ! une explication.

« Vous avez pleuré sur ma mort, dites-vous ; mais que vous importait ma vie puisque vous savez l’avoir à jamais troublée par une action dont j’aurais emporté le secret au tribunal de Dieu, si Dieu eût daigné m’appeler à lui. »

— Une action ! Quelle action ai-je commise ? Ah ! cette nuit est fatale. Haletante, la marquise reprit :

« Le dernier objet que j’ai vu dans ce monde, au moment où je paraissais devoir le quitter pour toujours, — c’est votre portrait dans les mains de M. Raoul de Marescreux. »

— Mon portrait ! s’écria la marquise, mon portrait ! Ah ! oui, mon portrait !… Mon père ! ajouta-t-elle en s’adressant à la pâle effigie de son père. C’était bien mon portrait qu’il a vu dans les mains de ce Raoul de Marescreux.

Puis, reprenant encore sa lecture :

« Et la dernière parole que j’ai entendue de la bouche de mon heureux adversaire est que vous lui aviez donné vous-même ce portrait. »

— Oh ! l’infâme ! s’écria la marquise. En sorte qu’il aurait été, qu’il serait mon amant, n’est-ce pas ?

La marquise lut enfin cette demi-ligne.

« Vous aimez cet homme.

« Adieu, madame.
« Commandeur de Courtenay. »

— Moi ! je l’aime ! Moi ! Ah ! cet homme se venge trop, mon père ! Est-ce qu’il ne lui arrivera pas malheur comme à vous, mon père ?

— Moi, je l’aime ! répéta-t-elle, et il le lui a dit le pistolet sur le cœur ! Et si le commandeur était mort, ses yeux, sa bouche se seraient fermés pour toujours sur cette calomnie. Quelle épouvantable mort ! Il lui a dit cela ! Mais, j’y pense, il le lui a dit devant des témoins, devant mon mari ! Ah ! tout se dévoile ! Je suis, à cette heure, la fable de Paris, la moquerie des salons ; et je ne savais rien ! Je devine à présent, je prévois à présent, je sais tout à présent. Ce jeune homme, ce Marescreux m’a déshonorée en un jour, il m’a enlevé en un jour l’amour du commandeur. Mon père ! mon père ! vous m’avez laissé sur les bras un terrible héritage.

Moi, vous avoir trahi ! revint la marquise, et comme si elle eût parlé au commandeur ; et vous avez pu le croire ? De tous mes maux celui-là est bien le plus horrible. Quelle affreuse agonie il me doit ! quel affreux retour à la vie ! Je connais la susceptibilité de son âme : cette conviction l’a mortellement frappé. Il se plaint à peine ; il ne m’accable pas, il ne me maudit pas. Je sais ce qu’il aura souffert, ce qu’il souffre encore. Mourir pour moi, et apprendre au moment de mourir que je ne l’aimais pas, que j’en aimais un autre, celui qui va le tuer ; et ne rien dire, et mourir ! Cette résignation est sublime ! mon Dieu ! je ne vaux pas cela, non, je ne vaux pas cela. Quelle femme mérite tant d’amour et tant de dévouement ? Cependant vous le savez, mon Dieu, j’ai pleuré sur lui toutes les larmes que j’avais dans le cœur, et je le pleure encore. Pourquoi mes enfants ne sont-ils plus là ? Que je suis malheureuse ! Personne, personne pour me consoler.

Je vais lui écrire, il faut que je lui écrive… Je vais écrire au commandeur que ce que lui a dit ce Raoul de Marescreux est une abominable invention à laquelle il a eu recours pour se venger de ce que je lui ai refusé la main de ma fille. Je vais lui dire que ce portrait fut envoyé à son frère, M. de Marescreux aîné, lorsque mon père eut la fatale pensée de m’unir à lui, afin de lui prouver qu’il liait indissolublement sa destinée à celle de sa famille, lors de la conspiration contre le régent. Mais l’hommage que je lui faisais moi-même de ce portrait ? eh bien ! je dirai la vérité ; je dirai que mon père me força à écrire de ma main les mots tracés au bas de ce portrait. Me croira-t-il ? Oh ! en suis-je arrivée à ce que lui aussi n’ait aucun respect pour ma parole ? Mais je le lui jurerai. Croira-t-il à mes serments ? On ne croit à rien dans le monde où j’ai vécu et duquel il a voulu cent fois m’arracher, et où je suis restée, et où je suis encore. Il m’a vue si souvent m’exercer à dissimuler avec adresse ma pensée, à revêtir de formes si subtiles mes opinions et mes réponses, qu’il sourira à ma justification et qu’il me prendra en pitié après m’avoir eue en mépris. — Non ! je n’écrirai pas. Il sortira de la retraite où il se cache, et il m’entendra ; oui, il m’entendra ! Je mourrai à ses pieds ou il ne me relèvera que comprise, justifiée et pardonnée. Je veux qu’il ait sa grâce : c’est bien le moins qu’on accorde la grâce de celui qu’on a cru mort. Tout Paris, toute la France se soulèverait s’il était un tribunal assez inique, assez cruel, pour frapper la victime quand le meurtrier est libre. Il me faut sa grâce. C’est la mienne que je vais demander.

À qui m’adresser ? se dit la marquise, arrêtée tout à coup par la réflexion. Le duc de Bourbon n’est plus ministre. Il est dans l’exil.

C’est alors que la marquise mesura toute l’immensité de la perte qu’elle avait faite par la chute du duc de Bourbon. La source de son crédit s’était tarie. Le rival du duc de Bourbon, son ennemi, l’avait enfin renversé : l’abbé Fleury gouvernait la France. Est-ce à ce ministre hypocrite qu’elle irait mendier la grâce du commandeur de Courtenay, à celui dont les plus redoutables adversaires se réunissaient deux fois par semaine chez elle, dans ses salons ? Quelle faiblesse d’y recourir ! quel abaissement d’y compter ! quelle illusion d’en espérer un résultat heureux ! L’abbé Fleury était la dernière personne de France à laquelle il fallait penser pour avoir la grâce et la liberté du commandeur, et, la première, à coup sûr, qu’il fallait redouter de voir s’opposer à cet acte de la clémence royale.

La marquise n’avait pas beaucoup d’autres protecteurs à invoquer au-dessus d’elle : quand les grands chênes tombent, rien n’est assez fort autour d’eux pour arrêter ou suspendre leur chute. Elle pensa naturellement à s’adresser au jeune roi, Louis XV, ainsi qu’elle l’avait déjà projeté, si l’on se souvient de sa dernière lettre au commandeur. Elle était, disait-elle alors, sûre de la grâce. Maintenant la marquise était un peu moins sûre quoique le mariage du roi fut fixé au lendemain, et qu’elle comptât beaucoup sur ce jour solennel où un roi ne refuse rien. C’est qu’elle s’avouait et se démontrait, avec la brutale conviction de l’intérêt personnel, si lucide et si net lorsqu’il agit sur lui-même, que la disgrâce de son protecteur, le duc de Bourbon, était aussi une disgrâce pour elle, et qu’à la cour les gens tombés sont morts. La cour ne fait pas de prisonniers. Elle ne s’abusait pas sur ce point ; mais elle exceptait le roi du nombre de ses ennemis : un roi de France n’est l’ennemi de personne. Plusieurs fois le roi avait daigné parler d’elle avec une haute bienveillance ; il n’ignorait pas l’ascendant qu’elle avait sur l’esprit du duc de Bourbon dans le maniement des affaires ; il n’avait jamais manqué de l’inviter à ses brillantes fêtes de Versailles et de Marly. Aucune raison sérieuse ne pouvait donc faire entrevoir à la marquise un refus possible de la part du roi.

La marquise n’avait plus qu’un jour à attendre pour tenter l’ouverture, plus que deux jours au plus, par conséquent, à patienter pour confondre aux yeux du commandeur l’imposture de Raoul de Marescreux. Les preuves seraient complètes, irrécusables, éclatantes. Que dirait le commandeur ? Le commandeur se rendrait à la lumière, à la vérité. Il n’était ni de ceux qui accusent vite ni de ceux qui reviennent lentement. Quel beau retour à la vie on lui préparait ! Mais c’était deux jours à attendre.

Ainsi ballottée, que la marquise était bien l’image de tous ceux qui, comme elle, ont aventuré leur pauvre vie sur cette mer sans rives ni fond qu’on appelle la politique ! Une vague lui avait arraché deux enfants, une autre vague avait démâté sa fortune à la cour en emportant dans ses plis son protecteur, le duc de Bourbon. Elle allait poser le pied sur un appui, sur ce commandeur qu’elle semblait avoir ressuscité de son propre souille, et le commandeur croulait sous elle. Ce rocher était un banc de sable. Toujours la grande mer. Enfin elle apercevait un phare à l’horizon. Son salut dépendait de cette dernière lueur. Il lui restait le roi, mais rien que le roi.

La nuit que la marquise venait de passer entre les regrets donnés à ses enfants et les reproches qu’elle avait endurés du commandeur allait finir. Avant de prendre un repos qu’elle avait mérité, elle fit appeler Marine pour lui ordonner de consacrer sa journée aux préparatifs de sa grande toilette de cour. Elle avait à lui dire sur quelle parure de diamants elle avait fixé son choix, et mille autres choses de cette importance. Un domestique vint lui apprendre que, malade depuis la veille d’une fluxion de poitrine, Marine s’était mise au lit. Il fallait donc que la marquise remît ses ordres à une autre dame de compagnie, contre-temps qui affligea doublement la marquise parce que personne ne savait aussi adroitement l’habiller que Marine, et parce que, d’année en année, elle avait aimé davantage cette excellente créature, dont elle avait fini par faire, à force de confidence et d’affection, quelque chose de grave et de familier entre la mère et l’amie.

La marquise ne sortit du sommeil faible et agité auquel elle s’était livrée pendant quelques heures que pour goûter du bout des lèvres au dîner et se livrer ensuite au long et tortueux poème de sa grande toilette. Il serait faux de dire qu’elle chercha à être belle de sa simplicité, qu’elle voulut se distinguer par son élégante simplicité ; on n’était pas reçu avec de la simplicité seule à la cour de Louis XV, le jour de son mariage. Tout était neuf et magnifique chez la marquise, l’équipage et les chevaux, la livrée et la toilette, la soie et les diamants. Par un bonheur inouï, elle échappait au supplice de la description, en lui opposant une monotonie de somptuosité à émousser la tentative. Autant vaudrait entreprendre de décrire le fond de la mer ou la voie lactée. Quand elle entra dans sa voiture, à huit heures, le soir, aux rouges lueurs des torches résineuses portées par ses gens à cheval, et qu’elle s’assit sur le satin aurore de sa voiture à quatre chevaux, elle ressembla à ces apothéoses de Rubens, où les reines sont des déesses, où les déesses sont des reines. Elle souriait sur son passage. Pourtant son cœur saignait. Ses enfants étaient partis de la veille, et que ne lui avait pas dit le commandeur !

La marquise avait déjà franchi le grand escalier du château, traversé les premiers salons ; elle mettait le pied sur le seuil de la longue galerie où étaient le roi, la cour, les ambassadeurs, lorsque le maître des cérémonies, arrêtant par le bras le valet qui allait annoncer, salua la marquise, et la força, par ses saluts mêmes, à reculer de quelques pas.

Surprise de cette démonstration inusitée, la marquise le fut plus encore en entendant le maître des cérémonies lui dire, avec la politesse impertinente de sa profession, qu’il la suppliait de ne pas lui demander les motifs qu’il était chargé de faire valoir auprès d’elle pour la dispenser d’aller plus loin.

— J’insiste, dit-elle en se relevant superbement, quoique plus pâle que le velours blanc de son corsage, pour que vous me disiez pourquoi vous me parlez ainsi.

— Madame la marquise, reprit alors le maître des cérémonies, j’aurai le regret de vous l’apprendre.

— Parlez, monsieur, et dispensez-moi des regrets.

— Une triste aventure, qui s’est passée ces jours derniers à la Comédie-Italienne, a fourni aux propos de la cour un sujet de scandale.

— De scandale !

— Vous avez tout voulu savoir, madame la marquise.

— Oui, monsieur, tout, jusqu’au mensonge, jusqu’à la calomnie. Poursuivez !

— On a cité votre nom à côté de celui d’un certain jeune homme, d’un dragon, d’une façon de duelliste…

— Assez, monsieur, interrompit la marquise. On me chasse de la cour. Je me retire. Ah ! l’on me chasse ! Elle envoya au visage du maître des cérémonies un de ces inqualifiables sourires qui s’échappent des lèvres et du regard de ceux qui ne doivent plus jamais sourire. Elle sortit.

La marquise se fit ramener chez elle : elle étouffait de colère, de douleur ; elle arrachait un à un tous les diamants de sa toilette pour donner un passage à cette mortelle colère qui bouillonnait dans ses veines, qui tordait ses lèvres, agitait ses mains, flamboyait dans ses regards.

Enfin elle arriva chez elle, en répétant, sans pouvoir contenir cette exclamation : — Chassée de la cour, chassée de la cour ! Moi ! chassée !

— Que voulez-vous ? demanda-t-elle au domestique qui la suivait de salon en salon. Pourquoi me suivez-vous ainsi ?

— C’est que…

— Qu’y a-t-il ?

— Marine est malade.

— Je le sais.

— Très-malade.

— Que veut-on que j’y fasse ? Qu’y puis-je ?

— Elle va mourir.

— Mourir !

La marquise s’arrêta.

— Son mal a augmenté depuis votre départ. Le médecin a dit qu’il n’y avait plus d’espoir.

La colère de la marquise tomba tout à coup en apprenant la position désespérée de sa nourrice.

— Conduisez-moi sur-le-champ auprès d’elle, dit-elle.

— Ah ! vous lui ferez bien plaisir, madame la marquise, car elle n’a cessé de vous demander dans son agonie.

— Venez ! venez !

Encore toute parée, tout étincelante, la marquise entra dans la chambre de Marine, s’assit près de son lit, et, lui prenant la main, elle lui dit :

— Me voilà, ma bonne Marine.

— Te voilà, murmura faiblement Marine, en s’efforçant de tourner la tête du côté où était la marquise. Je suis contente que tu sois venue. Je craignais…

— Que craignais-tu ?

— De ne plus te voir. Dieu m’a fait la grâce que je lui demandais.

— Ne t’exagère pas ton mal, ma bonne Marine.

— Tu sais si je suis dure au mal et s’il me fait peur… Je ne passerai pas la nuit. La mort me galope.

— Quelle pensée ! Mais non… tu ne mourras pas ! que deviendrais-je, moi ?

— Pauvre enfant ! J’y songeais. Tes enfants sont partis…

— Hier au soir.

— Moi, je m’en vais aussi.

— Tu vois bien que je ne puis rester seule.

— C’est ce que je me disais, et pourtant, mignonne, je me sens tirer les draps par la Faucheuse.

— Ne me désespère pas. Je vais appeler les meilleurs médecins de Paris ; nous aurons cette nuit même une consultation. Nous te sauverons, puisque tu crois être en danger. Tu seras du moins plus rassurée quand tu connaîtras ton mal.

La marquise se leva.

— Reste. C’est le moins pressé ; encore une fois je n’ai pas peur, et mon mal, je le connais. C’est une fluxion avec point de côté, fièvre au cerveau. Ça me bat dans la tête comme le bourdon de Notre-Dame.

— On en revient souvent, toujours…

— Soit ! mais laissons mon corps. Je te le donnerai tout à l’heure, et tu en feras tout ce que tu voudras. Je suis bien plus inquiète, bien plus tourmentée pour mon âme.

— Toi ! ma bonne Marine ? Mais tu es une sainte.

— Il y en a de plus saintes dans le calendrier.

— Est-ce que je ne sais pas, minute par minute, toute ta vie, que tu m’as donnée ?

— Tu ne sais pas tout.

— La fièvre qui t’agite en ce moment te fait exagérer quelques petites fautes. Est-ce cela qui te tourmente ? Nous sommes à deux pas des Carmélites ; veux-tu que j’envoie chercher au cloître le Père Thadée ? Un brave homme.

— Pas de Père Thadée.

— Un autre ?…

— C’est à toi qu’il faut que je confesse la faute qui me pèse sur la poitrine comme une meule de moulin. Écoute-moi. Cela m’étouffe.

L’agitation intérieure éprouvée par Marine raccourcit sa voix au point que la marquise fut obligée de se lever et de se pencher sur le lit pour entendre.

Les diamants effleuraient le visage de la mourante.

— Écoute, répéta Marine.

— J’écoute.

— Tous ces jours derniers tu m’as envoyée porter tes lettres au couvent de Saint-Maur.

— Oui, au commandeur, qui m’a enfin répondu par une lettre hier au soir, par une lettre que j’ai trouvée, dans ma main après le long évanouissement dont je fus frappée au moment du départ de mes enfants.

— Tu te souviens, reprit Marine, dont la sueur coulait par gouttes à ses tempes, que je te dis, d’accord avec tout le monde, que le commandeur avait été tué dans son duel au bois de Vincennes.

— Oui, mais ce n’est pas vrai, répliqua la marquise ; je te convainquis toi-même, et depuis lors tu n’as plus persisté dans ton idée. Nous savons bien maintenant, toi et moi, qu’il est vivant. Voilà d’ailleurs sa lettre, celle d’hier.

La marquise mit la lettre dans la main fiévreuse de Marine.

— Je me tus, c’est vrai, reprit Marine ; je fus de ton avis contre celui de tout le monde.

— Tu continuas à porter mes lettres au couvent de Saint-Maur.

— Oui ! je continuai à porter tes lettres au commandeur.

Ici Marine jeta sur le visage de la marquise un coup d’œil de repentir, comme les mourants seuls en trouvent entre la terre et le ciel.

— Oui, poursuivit Marine, qui recueillait toutes ses forces, oui je lui portais tes lettres ; mais les réponses du commandeur…

— Les trois que j’ai reçues de lui, interrompit soudainement la marquise : celle où était une tache de sang, la première lettre, celle qui ne renfermait que sa signature, et enfin la dernière, celle d’hier soir, m’ont été portées par un moine, par quelque jardinier, par quelque employé du couvent. Je sais qu’elles n’ont pas été portées par toi.

— Mon enfant, ce n’est pas ce que j’ai à te dire et ce que je ne t’aurais jamais dit probablement si je n’avais été, comme ce soir, sur le point de rendre mon âme à Dieu.

Toujours penchée sur le visage de Marine, la marquise brûlait de recueillir le mot suprême de cette confession.

— Je t’ai vue, continua Marine, si désolée de cette mort du commandeur, si obstinée d’un autre côté à ne pas y croire, et puis je t’aime tant…

— Et puis ? demanda la marquise.

— Pardonne-moi, mon enfant, pardonne-moi ; oh ! pardonne-moi !…

— Marine, qu’as-tu fait ?

— J’ai prié un moine de Saint-Maur de m’aider à te tromper. C’est lui, c’est un moine qui a taché avec du sang la première lettre, c’est lui qui a contrefait, dans la seconde lettre, la signature du commandeur ; c’est ce moine qui t’a écrit la lettre que tu as reçue hier au soir. Le commandeur est bien mort.

— Est-ce bien vrai ? s’écria la marquise en soulevant Marine, en la mettant sur son séant, en opposant pâleur à pâleur.

Et, sans attendre la réponse de Marine, la marquise la laissa tomber sur son oreiller, poussa un cri d’aigle blessé à mort, et sortit comme une folle de la chambre qui avait entendu cette étrange, cette épouvantable confession.

Peu d’instants après, la voiture qui avait ramené la marquise du bal de la cour passa encore sous la double porte de l’hôtel et partit au galop.

La marquise de Courtenay avait quitté Paris.