Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/15

Société des Écrivains Catholiques (p. 63-69).

XV.


Autres espiègleries et fredaines de M. Dessaulles.


Vous prétendez, M. Dessaulles, que l’ultramontanisme, c’est-à-dire la doctrine de l’Église romaine, enseigne que le Pape est non-seulement infaillible, mais impeccable, parce qu’on le nomme saint. C’est une fausseté que je signale, non pas précisément pour la réfuter, mais pour montrer quel est le nombre et la qualité des niaiseries que vous avez accumulées dans votre Grande guerre. Tout le monde sait parfaitement bien que le Pape est qualifié de saint, non pas en considération de sa sainteté personnelle, mais à cause de l’éminente dignité de sa charge. C’est ainsi que dans le Nouveau Testament tous les fidèles sont appelés saints, à cause de la sublimité de leur vocation.

Vous trouvez exorbitant qu’on dise les saintes congrégations romaines, et, pour jeter du discrédit sur cette très-juste qualification, vous ajoutez : « Tout ce qui touche au Pape est saint, et la population ignorante et fanatisée de Rome dit encore à l’heure qu’il est : le saint cuisinier, et elle va même jusqu’à dire les saintes écuries, les saints carosses ou les saints chevaux, quand elle voit passer les équipages du Pape. » Voilà certes du nouveau. Personne jusqu’ici ne s’était encore douté que les écuries du Pape fussent mobiles, et pussent figurer dans ses équipages. Vous demeurerez célèbre pour avoir fait cette trouvaille.

Et puis, supposons qu’il soit vrai qu’on dise les saintes écuries, les saints carosses, les saints chevaux du Pape ; en quoi cela jurerait-il plus que de dire l’honorable Dessaulles. Vous tolérez cependant cette dernière alliance de mots, et vous l’approuvez même ; alors, ne soyez plus si délicat à propos de qualifications honorifiques.

À la page 87 de votre Grande guerre, vous vous ruez de nouveau contre les bulles dogmatiques des Papes et vous dites : « Ceux qui ont étudié le droit canon et surtout médité sur ces innombrables bulles où les Papes ont proclamé tant de principes faux, à tous les points de vue, et particulièrement faux en morale ; ceux-là, dis-je, sont loin d’être disposés à voir chez eux la source inspirée du juste et du vrai. » Ces paroles sont foncièrement hérétiques et vous mettent sous le coup de l’anathème. Peut-être cependant que la bêtise vous excusera devant Dieu ; mais votre œuvre n’en demeure pas moins criminelle en elle-même. Aussi, voilà pourquoi elle a nécessairement dû être proscrite. Tout ce que vous vous évertuez à mettre à la charge de certains Papes, par de longues citations, afin d’étayer cette odieuse proposition, est réduit en poussière par la définition dogmatique de l’infaillibilité. D’ailleurs, quand même cette définition n’aurait pas eu lieu, vos accusations tomberaient d’elles-mêmes, car elles portent le cachet de l’ignorance et du mensonge.

Vous trouvez étrange que Srionfo ait affirmé que le Pape a droit aux mêmes honneurs que les Saints et les Anges. Si ces paroles sont inexactes, c’est parce qu’elles ne disent pas assez ; car le Pape tient sur la terre la place de Celui qui est infiniment au-dessus des Saints et des Anges, puisqu’il tient la place de Jésus-Christ lui-même. Si donc vous saviez votre petit catéchisme, vous ne feriez pas de ces tirades qui appellent le sourire sur les lèvres d’un petit enfant qu’on prépare à la première communion. Ô savantifié et savantifiant M. Dessaulles ! Que vous avez de choses à apprendre pour qu’on puisse dire que vous possédez vos éléments !

Toujours en vue de discréditer les Papes, de les livrer même au ridicule, vous écrivez ce qui suit : « Il s’est trouvé un canoniste italien pour montrer, par un calcul mathématique en règle, que le Pape était 1744 fois plus grand que l’Empereur. Mais un canoniste français trouva son confrère du Sud beaucoup trop modeste dans son calcul, et il en fit un autre démontrant que la grandeur du Pape équivalait à 6645 fois celle de l’Empereur. Et un mauvais plaisant de l’époque vint à son tour démontrer encore une légère erreur chez ce dernier, et prouva irrésistiblement, par de nouveaux calculs, qu’il s’était trompé de près d’un huitième dans son estimation. »

Ces jeux d’esprit, qui n’ont jamais tiré à conséquence, me rappellent que quelqu’un, faisant des opérations mathématiques sur le nombre 666, qui est celui de la Bête, de l’Apocalypse, a trouvé que votre honorable individualité exprimait une valeur numérique égale à la millième partie de son échine, y comprit un petit bout de la queue. Ces mathématiques ! elles disent de drôles de choses !

Vous êtes scandalisé de ce que la Civiltà rappelle cette vérité que le Pape est juge souverain des lois civiles. Rien de plus vrai, néanmoins ; car, s’il en était autrement, il y aurait une morale qui ne serait pas dépendante de la loi divine, ce qui répugne évidemment. Le pouvoir civil a le droit de législater dans la sphère qui lui est propre et de la manière qu’il l’entendra, pourvu cependant qu’il ne blesse en rien le dogme ou la morale. Sitôt que l’un ou l’autre est mis en cause, le Pape a le droit et le devoir d’intervenir.

Je sais bien que cette théorie ne vous va guère, à cause de vos passions politiques ; mais la loi divine ne saurait être modifié par cela seul qu’elle vous déplaît. Ce que vous dites des loi ecclésiastiques, à ce propos, est le sempiternel refrain que vous rebâchez : les Papes et l’Église exercent un pouvoir qu’ils n’ont pas. Ce refrain est une protestation de l’hérésie, et voilà pourquoi vous n’êtes plus catholique, quoique vous prétendiez l’être.

Vous parlez de la sévérité de Nicolas v, relativement à Étienne Porcaro. S’il faut accuser ce Pape, à l’occasion d’un tel mécréant, c’est assurément de trop d’indulgence, et non pas de sévérité. Porcaro était un révolutionnaire de la pire espèce. Voici ce que dit de lui le protestant Gibbon, non suspect de partialité à l’égard des Papes :

« Porcaro se fit des partisans et ourdit une conspiration. Son neveu, audacieux jeune homme, réunit une bande de volontaires, et, à un soir marqué, prépara une fête dans sa maison pour les amis de la république. Le chef des conjurés qui était parvenu à s’échapper de Bologne, se présenta au milieu d’eux en habit de pourpre et d’or. Sa voix, sa contenance, ses gestes, tout révéla l’homme qui avait donné sa vie à la glorieuse cause. Il déroula, dans une harangue soigneusement préparée, les motifs et les ressources de l’entreprise, le nom et les libertés de Rome, la fainéantise et l’orgueil des tyrans ecclésiastiques et surtout du pape Nicolas ; l’assentiment probable et le concours actif des Romains ; trois cents soldats et quatre cents exilés exercés à manier les armes ; le plaisir de la vengeance, et de l’or pour payer la victoire. « Il sera facile demain, fête de l’Épiphanie, ajouta-t-il, de saisir le Pape et les cardinaux devant les portes ou à l’autel de Saint-Pierre, de les conduire enchaînés au château Saint-Ange, de monter au Capitole, de sonner la cloche d’alarme et de rétablir la république romaine. » Mais, au moment où il croyait toucher au triomphe, il était déjà trahi par un de ses complices. Le sénateur investit la maison où se trouvaient les conjurés. Le neveu de Porcaro parvint à s’échapper. Étienne Porcaro fut saisi et pendu avec neuf de ses complices. Après tant de révoltes répétées, c’est toujours le protestant Gibbon qui parle, la clémence de Nicolas v devait se taire. »

Vous ajoutez, M. Dessaulles, qu’on refusa l’absolution à Porcaro au moment de la mort, et vous déclarez qu’un tel refus est abominable. Vous croyez donc aux sacrements de l’Église et par conséquent à l’Église elle-même. Alors, pourquoi vous ingéniez-vous à la vilipender ? En vérité, vous donnez dans d’étranges contradictions ! Si l’on a refusé l’absolution à Porcaro au solennel moment de la mort, c’est qu’il n’était pas repentant, et, en pareil cas, eusse été Jésus-Christ lui-même qui l’eut assisté à ses derniers moments, il ne lui aurait pas plus donné l’absolution de ses péchés qu’il ne l’a donnée à Judas et au mauvais larron, crucifié avec lui sur le mont du Calvaire.

Autre étrange contradiction ! Plein de compassion pour Porcaro, devant qui vous voyez s’ouvrir les portes du Ciel, vous êtes sans entrailles à l’endroit de Desforges et de Marie Crispin, condamnés à mort et exécutés pour assassinat. Le prêtre, qui les a assistés à leurs derniers moments, les voyant accepter, plein de repentir, la peine capitale avec une résignation parfaite, en expiation de leur crime, leur a dit que de l’échafaud ils allaient monter au ciel. Ces paroles vous scandalisent à tel point que vous les qualifiez de blasphématoires. Vous avez de singuliers scrupules parfois, et il serait à désirer qu’ils portassent sur d’autres matières.

En bien des cas, le prêtre peut juger de la vérité comme de l’intensité du repentir, et, par conséquent, donner l’assurance du pardon à de pauvres malheureux. Si le bon larron, pour avoir laissé échapper quelques mots exprimant un repentir sincère, a entendu sortir de la bouche de Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même ces consolantes paroles : « En vérité, je vous le dis, vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis, » pourquoi d’autres coupables, et, des coupables qui ne le sont pas au même degré que l’a été ce privilégié des miséricordes divines, ne pourraient-ils pas, en vertu de leur contrition parfaite, mériter d’entendre les mêmes consolantes paroles ? Rien ne s’y oppose, car il ne faut pas mettre au nombre des obstacles à la grâce votre volonté bien arrêtée de trouver toujours en défaut les prêtres et l’Église, qu’ils exercent la miséricorde ou qu’ils usent d’une juste sévérité. Vous en conviendrez, puisque vous vous proclamez un des apôtres de la charité.

Théologien comme vous l’avez toujours été, et surtout comme vous l’avez été dans l’automne de 1866, lorsque vous avez écrit sur le défunt Pays tant d’abominations contre la religion et les prêtres, vous dites à Mgr  de Montréal, page 75 de votre Grande guerre : « Votre Grandeur nous informa gravement, comme Évêque, qu’il n’y avait pas d’absolution à la mort pour des catholiques, qui gardaient chez eux un livre à l’index. Le Pape, en pareille cas, dit précisément le contraire et excepte toujours l’article de la mort. »

Le Pape, que vous n’avez cessé de bafouer et dont vous invoquez maintenant l’autorité, ce qui montre combien vous avez de bon sens où de bonne foi, n’a jamais dit ce que vous prétendez. Il y a toujours absolution à la mort, non seulement des péchés, mais même de toutes les censures ecclésiastiques par n’importe quel prêtre, quand le moribond est repentant et satisfait, comme tel, à toutes ses obligations, ou témoigne le désir d’y satisfaire par la suite, s’il ne le peut pas hic et nunc ; mais il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais d’absolution donnée à un moribond qui persiste à aimer le mal et à désobéir à l’Église. Ainsi donc, quoique vous en disiez, celui qui s’acharne à garder chez lui des livres à l’index est indigne d’absolution. Criez tant que vous voudrez, la loi éternelle, qui défend d’aimer le mal, est immuable, et tous les Dessaulles du monde ne sauraient l’abroger.

Puisque j’en suis à glaner dans ce chapitre, je signalerai encore un de vos curieux avancés. Vous prétendez que sur les 1,300,000,000 d’hommes, qui forment la population du globe, les évêques en damnent 1,275,000,000. Ces chiffres, produite dans le dessein de faire sensation, ne prouvent qu’une chose : que vous n’avez pas assez d’esprit, tant la rage vous domine, et je vous ai déjà fait cette remarque, pour donner quelque vraisemblance à vos mensonges.

Les évêques ne damnent personne. Tous ceux qui tombent en enfer y tombent parce qu’ils l’ont bien voulu. Ils ont fait, chacun à leur manière, une grande guerre ecclésiastique.

Rééditant ce que vous avez écrit cent fois au moins, surtout dans le Pays, vous vous attaquez à la confession et vous dites que les prêtres se servent du confessionnal pour dominer le monde. La preuve, que vous en donnez, c’est qu’une respectable mère de famille, très-pieuse, et qui allait à confesse par conséquent, ne cessait de gourmander son fils, parce qu’il appartenait à votre fameux Institut. « C’était le confesseur de cette femme, plus pieuse qu’éclairée, dites-vous, qui était cause que ce pauvre enfant ne pouvait goûter de paix à la maison. Il a été obligé de sortir de l’Institut. »

Encore un manque de jugement, M. Dessaulles. Ce que vous présentez comme un abus du confessionnal, prouve que ç’a été, au contraire, un grand service rendu. Une des âmes, que vous pervertissiez, a été arrachée de vos griffes. On comprend que cette brèche, faite dans vos rangs, est de nature à vous mettre de mauvaise humeur ; mais l’on ne s’explique guère comment il se fait que vous en informiez le public d’une façon très compromettante pour vous.