Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/14
XIV.
Une des prétendues fortes raisons que vous alléguez pour ne point croire à l’infaillibilité pontificale, savantissime et savantifiant M. Dessaulles, c’est qu’un certain nombre de Pères du Concile du Vatican se sont prononcés contre ce dogme.
Les choses, telles que vous les présentez, sont tout-à-fait inexactes. Le sentiment des Pères que vous invoquez n’est pas ce que vous dites. Ces Pères ont combattu l’opportunité de la définition du dogme de l’infaillibilité, mais ils ont toujours protesté qu’ils ne voulaient pas s’attaquer à ce dogme lui-même. Voilà donc déjà une différence très-notable entre les faits tels qu’ils se sont passés et la relation que vous en donnez. Vous en conviendrez, homme juste et véridique, qui vous indignez si fortement contre ceux qui falsifient l’histoire.
Vous ajoutez que les Pères, qui s’opposaient à la définition de l’infaillibilité, étaient, quoiqu’en minorité, ceux chez qui s’étaient réfugiées la vraie science ecclésiastique et la véritable droiture d’intention. Et qu’en savez-vous et que pouvez-vous en dire ? Science ecclésiastique ! droiture d’intention ! En vérité, voilà bien de quoi peut juger celui qui ne sait pas même les premiers éléments de la religion Chrétienne ; celui qui, dominé par mille passions mauvaises, n’a jamais su être autre chose qu’un artisan de mensonges ! Ne tentez pas de vous ranger parmi les purs et les savants ; vous êtes assez ridicule comme cela.
Vous demandez ensuite : « Où sont donc les réponses, je ne dirai pas sérieuses, mais tolérables, aux discours si pleins de modération, de faits, de savoir et de logique des Héfélé, des Strossmayer, des Darboy, des Maret, des Dupanloup, etc. etc. ? Voilà les esprits vraiment éminents du Concile. » De tels brevets de capacité ne mènent pas au temple de la gloire. Ces réponses que vous semblez chercher en vain, existent depuis longtemps ; elles ont été répandues partout et elles sont de tout point irréfutables. Si vous ne les avez pas lues, vous ne pouvez pas conclure, à cause de cela seul, qu’elles n’existent point, et si, les ayant lues, vous ne les avez pas comprises, il ne vous sied point de les apprécier. Vous seriez payé pour jouer l’insensé que vous ne réussiriez pas mieux. Quant aux paroles ineptes que vous mettez dans la bouche de quelques évêques de la majorité, elles sont de votre invention pure. Vous péchez trop visiblement contre la vraisemblance en faisant parler comme vous les honnêtes gens et les hommes d’esprit.
D’après vous toujours, les évêques de la majorité du Concile ont accablé d’injures leurs frères de la minorité, et le Pape lui-même n’a pas reculé devant l’intimidation directe, et les reproches acerbes pour obtenir la proclamation de son infaillibilité. La vérité est qu’il n’y a eu d’injures proférées, à propos de cette question, que par quelques brochuriers et pamphlétaires anonymes, partisans outrés de la minorité et que le Pape a été si loin de jouer le rôle odieux que vous lui attribuez, que tous les Pères, qui ont voulu parler contre l’opportunité de la définition de l’infaillibilité, ont eu pleine liberté de monter à l’ambon, d’y pérorer des heures entières, et que même deux Non placet se sont distinctement fait entendre à la session solennelle du 18 juillet 1870. Si le Pape eut exercé sur ses frères dans l’épiscopat la pression que vous dites, comment tous ces faits auraient-ils pu se produire, faits que vous relatez vous-même, sans avoir l’esprit de comprendre qu’ils anéantissent vos accusations. Tant qu’à mentir, mettez-y donc un peu de savoir-faire.
Je noterai de suite ici que vous vous complaisez à redire, vous faisant l’écho des mazziniens et des garibaldiens, que Pie IX est un insupportable tyran. Ce pape si bon, dites-vous avec une ironie sacrilège, a fait exécuter à peu près trois cents innocents, entr’autres Locatelli, Monti et Tognetti. Le procès de ces derniers, ajoutez-vous, a été une moquerie de toute justice. Et pour achever d’attendrir les cœurs, vous nous apprenez que vous êtes compris dans ce massacre des innocents. On n’a pas pu précisément vous occire, mais, en revanche, on s’est acharné contre l’Annuaire de l’Institut, à qui votre belle dissertation donnait tant de prix.
Pauvre homme ! si vous saviez imiter Pie IX de loin seulement, vous n’auriez pas constamment au cœur cette rage satanique qui vous pousse à vous ruer, comme un Vandale ivre, contre tout ce qui tend à brider vos passions, surtout votre immense orgueil.
Il est curieux de vous voir épouser chaudement la cause de la minorité du Concile du Vatican, et de vous entendre affirmer qu’on aurait dû adopter ses opinions, quand, à propos de n’importe quelle assemblée délibérante, vous soutenez comme vérité indéniable que c’est la majorité qui fait la loi et que tout ce qu’elle décrète est juste, obligatoire et même sacré. Mais si l’opinion de la majorité est infiniment respectable, lorsque cette majorité se compose de laïque, pourquoi n’en serait-il pas de même quand elle est formée des princes de l’Église ? La blouse, surtout la blouse révolutionnaire, communique-t-elle aux votes une vertu que ne possède pas la mitre ? Veuillez, M. Dessaulles, réfléchir là-dessus et nous expliquer ensuite le mystère de vos contradictions.
Comme la majorité ne fait pas le vrai et qu’elle est tout aussi exposée à errer que la minorité dans ses opinions, puisque rien ne lui garantit l’infaillibilité, il en résulte que le véritable Concile et par conséquent l’Église du Christ, ne se trouve pas là où il y a le plus d’Évêques du même sentiment, mais là où sont les Évêques unis au Pape, qu’ils soient en petit nombre ou en grand nombre, peu importe. Jésus-Christ a voulu qu’il en fut ainsi et il faut, quoi qu’en dise l’orgueil, en passer par là. Donc, c’est une question parfaitement oiseuse, au sujet des Conciles, que de parler de majorité ou de minorité. Seulement, quand la majorité des Pères d’un concile œcuménique, et surtout la grande majorité pense comme le Pape, c’est un spectacle plus consolant que quand il se produit de malheureuses scissions. Mais alors, les seuls à plaindre sont ceux qui s’obstinent dans leurs sentiments propres. Pour l’Église du Christ, elle est toujours là où est Pierre, selon la belle parole de Saint Ambroise.
Les Pères de la minorité ne vous donnent pas complète satisfaction cependant : ils ont fini par adhérer au dogme de l’infaillibilité. « C’est triste, dites-vous, que de voir tant d’hommes éminents par leur savoir et leurs vertus préférer abdiquer leur conscience plutôt que de maintenir inflexiblement ce qu’ils ont démontré avec évidence être le vrai : »
Ils n’avaient pas démontré avec évidence qu’ils étaient dans le vrai, puisque l’Église, qu’inspire et dirige l’Esprit-Saint, a prononcé contre eux. Ils ont reconnu qu’ils avaient eu tort, et ils ont eu, en se soumettant consciencieusement aux décisions de l’Église, un esprit de foi et d’humilité que vous n’êtes pas en état de comprendre, car l’Écriture dit que l’homme animal ne peut pas percevoir les choses de Dieu.