Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/13

Société des Écrivains Catholiques (p. 54-60).

XIII.


M. Dessaulles nie l’infaillibilité pontificale. — Comment, en conséquence, il qualifie les bulles des Papes. — Choses immorales enseignées par les Papes.


Si vous malmenez l’Église, en digne fils de Voltaire que vous êtes, vous ne faites grâce à la Papauté d’aucun de vos crachats. Vous vous acharnez contre les Pontifes romains avec la rage qu’y mettrait un mandarin chinois. Vous niez carrément tout d’abord leur infaillibilité doctrinale, et vous taxez de folie leurs actes et leurs paroles. Ayant raison, comme vous prétendez l’avoir, contre l’Église et contre les Papes, et ayant toujours raison, il en résulte que vous êtes le seul infaillible. Et la voilà bien nichée, cette sainte infaillibilité ! Ô bêtise humaine ! Vous ne voulez pas reconnaître l’infaillibilité là où Dieu l’a évidemment mise, et, de fait, vous vous en affublez vous-même.

Il est très-peu question de vous cependant, dans la Sainte Écriture, comme docteur universel, et vous finirez, bien sûr, par faire un procès à Dieu à cause de cette lacune ; mais en revanche, il y est beaucoup parlé de Pierre et de ses successeurs légitimes comme devant être les précepteurs infaillibles du monde, après la descente du Saint-Esprit. Si vous avez, M. Dessaulles, des promesses divines qui vous autorisent à parler comme vous le faites, exhibez-les. Le cas présent est tel que vous ne devez pas en faire mystère.

À l’heure qu’il est, l’on ne saurait reconnaître dans votre chétif individu qu’un pauvre sire, travaillé d’une maladie de cervelle et qui grignotte, pour se consoler, de l’Institut-Canadien qu’ont flétri les plus solennelles comme les plus justes condamnations. Tant que vous n’aurez que ces titres à la confiance publique, vous pouvez être sûr qu’on préférera toujours la religion, telle que l’a établie Jésus-Christ, à celle que vient nous révéler votre fringante raison laïque.

Nier l’Église et son infaillibilité, c’est, comme je vous l’ai démontré, nier Jésus-Christ et Dieu lui-même. Vous ne prétendez pas, quoiqu’en cela vous ne soyez point logique, aller aussi loin. Or, l’Église, dans ses dernières assises solennelles, tenues au Concile du Vatican, a proclamé que l’Évêque de Rome, le Pape, successeur de Saint-Pierre, est infaillible quand, s’adressant aux fidèles et aux pasteurs, il décrète quelque chose concernant la foi et les mœurs. Elle affirme, de plus, que cette vérité est contenue dans le dépôt de la révélation et qu’il faut y adhérer de cœur et d’esprit pour continuer de vivre dans son sein, et par suite, mériter d’arriver à la béatitude éternelle. Donc, l’infaillibilité personnelle du Pontife romain est dogme de foi, étant une vérité révélée de Dieu et proclamée comme telle par l’Église ; donc, il faut nécessairement y croire.

Cela dérange un peu, beaucoup même votre théologie Dessaullienne et aussi certains vôtres petits calculs. C’est malheureux que Dieu n’ait pas compté avec vos mécomptes ; mais, encore une fois, vous lui intenterez une action en dommage. Pour vous tirer d’affaire, vous prétendez que le dogme de l’infaillibilité pontificale n’est contenue ni dans l’Écriture, ni dans la tradition, et que, par conséquent, l’Église a erré en le proclamant.

Mais c’est l’Église, et non vous, M. Dessaulles, que Jésus-Christ a chargé de garder intact le dépôt de la foi et d’enseigner tous les hommes ; c’est l’Église, et non vous, qui, d’après les garanties divines les plus expresses, ne peut pas être sujette à l’erreur ; donc, puisque l’Église a déclaré que le dogme de l’infaillibilité pontificale est révélé, il l’est certainement, et il faut de toute nécessité qu’il soit consigné dans l’Écriture Sainte ou dans la tradition. C’est aussi ce qui est hors de tout conteste.

En effet, on lit, dans saint Luc, les paroles suivantes que Notre Seigneur Jésus-Christ a adressé à Pierre, et, dans sa personne, à tous ses successeurs ; Simon, Simon, voici que Satan a demandé de te cribler comme on crible le froment ; mais j’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point, et, lorsque tu seras converti, confirme tes frères.

Si donc Pierre, c’est-à-dire le Pape, pouvait errer dans la foi, la prière de Jésus-Christ aurait été vaine, et Satan aurait obtenu ce que ce divin Sauveur assure lui avoir été refusé. Jésus-Christ annonce de plus à Pierre qu’il chancellera au moment de sa passion ; mais il lui annonce en même temps que sa conversion sera pleine et entière, et que c’est lui, étant constitué l’infaillible sur la terre, qui aura mission de confirmer les autres dans la foi. Donc, il faut nécessairement admettre que Pierre et ses successeurs légitimes sont infaillibles ; autrement, ils auraient inutilement et même dérisoirement été établis pour confirmer leurs frères dans la foi.

Dans Saint Mathieu, nous lisons ce qui suit : Tu es Pierre, et sur cette Pierre je bâtirai mont Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. La conclusion évidente à tirer de ce texte, c’est que si Pierre et ses successeurs pouvaient errer en fait de doctrine, l’Église, qui doit s’appuyer sur leur autorité et adhérer à leurs enseignements, puisqu’ils en sont les pierres fondamentales, errerait elle aussi, ce qui répugne à ce qu’elle est essentiellement, d’après son institution divine.

Enfin, pour abréger, je me contenterai de vous citer ces autres paroles que Notre Seigneur adresse à Saint Pierre et à ses successeurs, et que rapporte l’apôtre Saint Jean : Pais mes agneaux, pais mes brebis. D’après ces paroles, il est clair comme le jour que si l’Église ou quelqu’autre pouvait réformer les décrets pontificaux, ce ne serait plus le Pasteur qui aurait soin des brebis, mais bien les brebis qui prendraient soin du Pasteur.

Vous avouerez, M. Dessaulles, si toutefois il y a dans votre cerveau quelque fissure qui permette au bon sens d’y pénétrer, que l’Église a eu mille fois raison de s’appuyer sur l’Écriture sainte pour promulguer, comme dogme de foi, l’infaillibilité pontificale.

La tradition d’ailleurs, quoique vous en disiez, suffit à elle seule pour bannir tout doute relativement à l’existence de ce dogme, car toujours les Papes ont enseigné la vérité et condamné l’erreur, au nom d’une autorité infaillible et irréformable.

Saint Clément, de son autorité propre, condamna Ebion comme hérésiarque ; Saint Hygin fit de même à l’égard de Cerdon et de Valentin, et Saint Anicet, à l’égard de Marcion qu’il excommunia. Les erreurs de Montan furent proscrites par Saint Éleuthère, et celles des cataphryges par Saint Victor. Saint Corneille condamna l’hérésie de Novation et Saint Denys proscrivit l’erreur de Sabellius. Tous ces papes ont agi et parlé comme docteurs infaillibles et personne n’a réclamé.

Plus tard, quand vint Arius, c’est le pape saint Sylvestre qui ratifia les condamnations portées contre lui par le concile de Nicée. Saint Damase condamna les erreurs d’Apollinaire et de Macédonius, et quand Saint Innocent Ier confirma les deux conciles d’Afrique contre l’hérésiarque Pélage, Saint Augustin s’écria : Rome a parlé, la cause est finie.

Saint Martin Ier condamna l’hérésie Monothélite, Saint Grégoire ii et Saint Adrien Ier, celle des Iconoclastes. Saint Léon IX, Victor ii, Nicolas II ont condamné Bérenger, et les erreurs d’Arnauld de Brescia furent anathématisées par Innocent II,

J’omets, pour abréger, les nombreuses définitions dogmatiques rendues par les Papes et qui ont si bien été reçues sans réclamations par l’Église universelle qu’elles ont été insérées dans le Corps du Droit, à partir d’Alexandre III.

Innocent III détermina par une lettre dogmatique la profession de foi que l’on devait exiger des Vaudois avant de les admettre à la réconciliation, et ces Vaudois hérétiques et hérétiques, scandaleux de la pire espèce, vous osez, vous, M. Dessaulles, homme pudique s’il en fut, les déclarer irréprochables sous tous les rapports. Ils vivaient pourtant de la vie des pourceaux. Est-ce donc à cette haute perfection que vous avez l’ambition de faire tendre vos adeptes, en discréditant l’œuvre de Dieu sur la terre et ceux qu’il a chargés d’en prendre soin ?

Alexandre IV et Clément IV condamnèrent les erreurs de Saint-Amour, et Jean xxii flétrit les extravagances de Marsile de Padoue et d’Ekkard. Pie II condamna, dans la bulle Execrabilis, ceux qui en appellent du jugement du Pape au futur Concile ; Sixte IV déclara scandaleuses et hérétiques les propositions de Pierre d’Osma et Léon x proscrivit les erreurs de Luther.

Après le Concile de Trente, les Pontifes romains ont continué à exercer leur droit d’enseigner l’Église du haut de la Chaire apostolique et de flétrir toutes les erreurs qui blessaient l’orthodoxie. Qu’il me suffise de vous rappeler les condamnations portées par Innocent x, Alexandre vii et Clément XI contre le jansénisme, et par Innocent XI et Pie VI contre le gallicanisme. Grégoire XVI et Pie IX n’ont pas montré moins de rigueur que leurs devanciers ; au nom de la vérité infaillible, ils ont broyé toutes les erreurs modernes dans leurs immortelles encycliques.

Les Papes, ayant toujours, depuis saint Pierre jusqu’à Pie IX, jugé comme docteurs infaillibles en matière de doctrine et de mœurs, et leur jugements ayant toujours été acceptés sans réclamations dans l’Église, et même avec une soumission parfaite, il faut nécessairement admettre que le dogme de l’infaillibilité pontificale est on ne peut plus explicitement enseigné par la tradition.

D’ailleurs, les Pères de l’Église, tels que saint Irénée, Origène, saint Cyprien, saint Grégoire de Nazianze, saint Basile, saint Éphrem, saint Épiphane, saint Jérôme, saint Ambroise, saint Augustin, saint Pierre Chrysologue reconnaissent évidemment l’infaillibilité pontificale, et l’on pourrait citer le témoignage de mille et mille autres saints et savants personnages en faveur de cette vérité.

Donc, en définitive, l’Écriture Sainte, par les textes les plus clairs, la tradition, par une masse de témoignages, aussi imposants et décisifs que nombreux, puis l’Église, réunie en Concile, par une définition des plus explicites, proclament que Pierre, toujours vivant dans ses successeurs, est infaillible quand, du haut de la Chaire apostolique, il décrète quelque chose concernant les mœurs et la doctrine. La conclusion à déduire de là, c’est que nulle vérité n’est plus certainement de foi catholique que l’infaillibilité personnelle du Pontife romain, et que refuser d’y croire est appeler sur sa tête les plus terribles anathémes.

Vous regimbez néanmoins, M. Dessaulles, et, quoique dépourvu des connaissances les plus vulgaires, incapable de parler et d’écrire correctement la langue dont vous vous servez, vous osez dire, page 46 de votre Grande guerre, « que l’infaillibilité pontificale d’un homme sur les questions de mœurs, c’est-à-dire en matière sociale, politique, législative, légale ou scientifique, par conséquent sur tous les sujets de l’ordre temporel est la plus terrible aberration de l’histoire. »

Et cependant, tout balourd fieffé que vous êtes, vous n’hésitez pas, après avoir refusé aux Papes la compétence en pareilles matières, de porter sur les mêmes matières un jugement que vous prétendez bien être sans appel. Peut-on imaginer un orgueil plus stupide et une contradiction plus flagrante ? Ce n’est guère possible.

Parlant ailleurs de certaines bulles pontificales, vous trouvez fort mauvais que les catholiques s’inclinent devant elles avec le plus profond respect et vous dites : « Ce sont les aberrations absolutistes des bulles Unam sanctam, Clericis laicos, In cœna Domini Supernæ dispositionis, Cum ex apostolatus officio et plusieurs autres qu’on nous présente comme les consciences catholiques. » Et, dans un autre endroit, vous dites : « Le Pape, s’affirmant infaillible sur les questions de mœurs, il ne reste clairement au pouvoir civil qu’à plier le genou et obéir sans conteste. C’est précisément ce qu’exigeait la bulle Unam sanctam… suprême expression de l’orgueil ecclésiastique. »

Enfin, à la page 91 de votre abominable pamphlet, après avoir mal rendu et mal interprété ce qu’ont fait et décrété certains Papes, entr’autres Innocent III, que les protestants instruits honorent même de leur admiration et de leur respect, vous laissez couler de votre plume ces paroles grossières, mensongères et boueuses : « Je n’ai cité qu’une petite partie des choses immorales, ou fausses en droit, et en raison, que les papes ont commandées ou permises. Et si les ecclésiastiques étudiaient un peu mieux leur propre histoire, ils casseraient d’affirmer, avec l’arrogance qu’ils y mettent, que ce n’est qu’à Rome que l’on peut trouver la définition certaine du vrai.

Il faut être un étourneau de votre espèce pour parler avec cette outrecuidance. Vous possédez l’histoire ecclésiastique comme vous possédez le français, la grammaire et la syntaxe, c’est-à-dire que vous n’en savez rien du tout. D’une ignorance fabuleuse, vous singez l’érudit et vous croyez avoir fait preuve de savoir en copiant maladroitement des auteurs impies dont les dires ont été cent fois réfutés. Ce qui vous accuse, non seulement d’ignorance, mais d’imbécilité peu commune, c’est que vous ne comprenez pas même toujours les auteurs que vous citez et que vous les faites plus bêtes qu’ils ne sont.