Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/16
XVI.
Vous dites, M. Dessaulles, page 51 de votre Grande guerre : « La Papauté n’a-t-elle pas condamné toutes les constitutions découlant du principe de la souveraineté du peuple, et consacrant la liberté de conscience et des cultes ? Donc, il faut détruire les institutions populaires et tous les établissements d’éducation que le clergé ne contrôle pas. »
Si vous aviez assez d’intelligence pour ne pas tout confondre et tout embrouiller, vous sauriez que les papes n’ont condamné aucune forme de gouvernement. Ce qu’ils ont condamné et ce qu’ils condamneront toujours, en s’appuyât sur l’autorité de Dieu même, ce sont les faux principes sur lesquels on prétend faire reposer ces formes de gouvernement. Lorsqu’on n’est pas toqué, on voit cela comme par intuition. La vraie démocratie, la démocratie chrétienne, est, on peut dire, en pleine vigueur dans l’Église, car tout s’y fait pour le p]us grand bien des administrés ; mais, de là à dire que le peuple est souverain, il y a un abîme.
La souveraineté du peuple est un non-sens, une absurdité. Quelques considérations suffisent pour établir cette proposition. Si le peuple est souverain, il commande : il n’est pas possible qu’il en soit autrement. Mais à qui peut-il commander, en vertu de sa prétendue souveraineté ? À nul autre qu’à lui-même, c’est évident. Le voilà donc en même temps souverain et sujet ; souverain et sujet de lui-même, ce qui répugne au plus haut degré. Il faut être ignorant, comme on l’est à notre époque, pour avoir inventé cette bêtise de la souveraineté du peuple. Ce ne sont pas les nations du moyen-âge qui auraient consenti à s’humilier jusques là.
Quelles que soient les paroles flatteuses dont on régale le peuple pour le tromper et l’exploiter, une chose reste toujours vraie en théorie comme en pratique : c’est que le peuple n’exerce et n’exercera jamais le moindre acte de souveraineté. Il dépend toujours d’un pouvoir qui le domine. Au temps des élections, le peuple est un simple et vil instrument, un instrument intelligent qui désigne les personnages aux mains de qui sera confié l’exercice du pouvoir ; en accomplissant ce rôle, il est soumis à des lois nombreuses qu’il n’a nullement confectionnées et qui lui rappellent qu’il est loin, bien loin d’être souverain. Donc, mensonge, et mensonge de la pire espèce que ce prétendu principe de la souveraineté du peuple.
Je ne dis rien ici de la liberté de conscience et des cultes, car je vous en ai longuement parlé ailleurs, et je vous ai démontré que ces libertés sont fausses et que leur vrai nom est la licence.
Quant aux établissements d’éducation que le clergé ne contrôle pas, il est dans l’ordre qu’ils disparaissent, puisque tout enseignement, d’après la volonté bien formelle de Dieu, doit venir de l’Église ou être surveillé par elle. Les impies de votre trempe ne veulent pas qu’il en soit ainsi, car, sachant que l’éducation fait l’homme, ils n’ont rien tant à cœur que d’endoctriner la jeunesse, afin de lui inoculer la haine dont ils sont animés contre Dieu et son Église, et par suite de s’en servir pour réaliser leurs criminels desseins. Partout où vos pareils ont réussi à se rendre maître de l’éducation de la jeunesse, il s’est échappé des flancs maudits de leurs institutions une engeance stupide et féroce qui n’a su que se gorger de sang et se vautrer dans la plus hideuse de toutes les fanges. Vos derniers élèves sont les Communeux et l’on n’ignore pas ce que valaient leurs doyens.
Voyant vos réclamations inefficaces et vos écoles désertes, vous plaignez cette pauvre jeunesse que façonne le clergé, lequel, par des souplesses infinies, les plus gracieuses mines, travaille à ne la faire penser que par lui, et l’empêche de se livrer à des études approfondies, à examiner le pour et le contre. Triste et déplorable lacune dans l’éducation, en vérité, que d’ignorer ce que disent les sots et les impies ! Lorsqu’on sait que vous, M. Dessaulles, êtes un des plus brillante nourrissons du système que vous préconisez, on se sent peu de goût pour en essayer. Il vous faut nécessairement changer d’allures, si vous désirez devenir populaire.
Les immunités ecclésiastiques, immunités personnelles, réelles et mixtes vous mettent en fureur. Mais rappelez vous donc, pacifique et charitable M. Dessaulles, que l’Église se gouverne par elle-même, indépendamment de tout autre pouvoir, et que conséquemment elle peut établir les immunités qu’elle jugera convenables, et que ces immunités valent, malgré vos protestations. D’ailleurs, pourquoi tant parler contre les immunités ecclésiastiques lorsque tous les gouvernements, même les gouvernements démocratiques, si chers à votre cœur, se montrent très libéraux en fait d’immunités ? Pour ne pas vous fatiguer par une longue énumération, qu’il me suffise de vous remettre en mémoire que les hommes de profession sont, de par la loi civile, exempts du service militaire, et que les gages des salariés du gouvernement ne tombent pas sous le coup de la saisie judiciaire, au moins dans leur majeure partie, immunités qui vous vont à merveille et contre lesquelles vous ne trouvez rien à dire, puisque vous en profitez.