Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/10

Société des Écrivains Catholiques (p. 41-43).

X.


Saint Bernard aussi cité contre le pouvoir temporel du Pape.


Caracolant toujours de la même triste façon à travers des textes dont vous n’avez aucune intelligence, vous croyez voir le grand Saint Bernard la main levée contre le pouvoir temporel du Pape, et le maudissant avec indignation. Pauvre M. Dessaulles ! Vous allez encore éprouver une déconvenue et obligé de vous mordre les lèvres de dépit. J’allais dire babines, tant vous paraissez avoir horreur de parler bon sens et vérité.

Je me permettrai de vous dire que, à propos de saint Bernard, vous avez là une de ces berlues fréquentes chez ceux que travaille le mal de l’impiété. Il n’est pas difficile de s’en convaincre ; écoutez ce qui suit.

« On a voulu, de nos jours, disent tous les meilleurs historiens, présenter saint Bernard comme hostile au pouvoir temporel des Papes, parce qu’il regrette la ferveur de la primitive Église et le détachement des biens de ce monde que montraient les chrétiens, et leurs pasteurs. Ce n’est pas saisir la pensée du saint abbé, qui n’a jamais conseillé au Pape de renoncer à son pouvoir, mais qui désirait que ce pouvoir fut employé non pour le luxe et pour l’orgueil, mais pour la fin qui l’avait fait naître, c’est-à-dire pour la liberté de l’Église et le salut des âmes. Saint Bernard avait les idées les plus justes et les plus élevées sur la politique ou l’art de gouverner les peuples. Pour lui, Dieu seul est proprement Souverain. Le Fils de Dieu fait homme, le Christ, en naissant, a été investi par son Père de cette puissance souveraine. Parmi les hommes, il n’y a de puissance ou droit de commander, si ce n’est de Dieu et par son Verbe. Le Fils de Dieu fait homme, Jésus-Christ est tout à la fois Souverain Pontife et Roi Souverain ; il réunit dans sa personne, et par là même dans son Église, et le sacerdoce et la royauté. Mais le sacerdoce est un, comme Dieu est un, comme la Foi est une, comme l’Église est une, comme l’humanité est une ; la royauté est multiple comme les nations ; la royauté est fractionnée entre plusieurs rois indépendants les uns des autres, comme l’humanité est fractionnée entre plusieurs nations indépendantes les unes des autres. Mais ces nations si diverses sont ramenées et à l’unité humaine et à l’unité divine par l’unité de la foi chrétienne, par l’unité de l’Église catholique, par l’unité de son sacerdoce. Le devoir, l’honneur, la prérogative du premier roi chrétien, tel qu’était l’Empereur, c’est d’être le bras droit et l’épée de la chrétienté pour défendre tout le corps, principalement la tête, et seconder son influence civilisatrice et au-dedans et au-dehors. Voilà la politique vraiment royale, à la fois humaine et divine, politique dont le moyen-âge entrevit la grandeur, et à laquelle il faudra se rattacher quand on voudra faire de grandes et d’utiles choses. »

Ce n’est donc pas en découpant une bribe quelconque, plus ou moins bien traduite d’un passage de saint Bernard, qu’on peut connaître à quel point de vue cet illustre abbé a parlé du pouvoir temporel du Pape. Il faut ou citer ou analyser exactement tout le passage qui se rapporte à cette importante question. Voilà ce que vous auriez dû faire, mais ce que vous n’avez pas fait par ignorance ou par malice. Je viens de réparer vos torts ou votre gaucherie en pareille matière, et de vous démontrer que saint Bernard n’a jamais dit ce que vous prétendez. Il ne vous reste plus maintenant, si vous êtes capable de voir clair ou d’être impressionné par un sentiment honnête, qu’à avouer, en vous frappant la poitrine ou en produisant des actes d’humilité, que vous êtes un fourbe ou un imbécile.

Veuillez me pardonner si j’use de termes aussi ronds ; mais, que voulez-vous ? Il ne m’est guère possible d’en employer d’autres pour qualifier exactement vos avancés, qui outragent un grand saint en même temps qu’ils blessent profondément la saine doctrine.