Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/11

Société des Écrivains Catholiques (p. 43-47).

XI.


Liberté de l’Église. — Fausse décrétales.


L’orgueil abêtit et démonifie. Le roi de la création, amoindri dans ses plus nobles facultés à cause de sa révolte contre Dieu, sortit de l’Eden et se couvrit de peaux de bêtes, et avant cette chute, le ciel avait vu Lucifer, le plus beau des esprits angéliques, devenir le hideux prince des ténèbres pour avoir prononcé le non serviam.

Sous aucun rapport, M. Desaulles, vous n’avez été un privilégié de la beauté, soit intellectuelle, soit physique. C’est assez dire que cet immense orgueil, qui vous pousse à prodiguer les outrages à l’Église, épouse du Christ, colonne de la vérité et gardienne infaillible de la morale, tandis que vous n’avez que les plus grands égards pour toute association de mécréants, imprime sur le front rétréci de votre chétive petite personne un caractère ignominieux de laideur, de malice et de sottise cultivée qui provoque un immense et indéfinissable dégoût. Aux stupides expressions de haine voltairienne que vous exhalez contre l’Église, on deviné aisément que vous vous grattez le front pour en faire disparaître le seul ornement qui vous tient, comme malgré vous, la tête tournée vers le ciel ; le signe sacré du baptême.

Je n’exagère rien et, pour le prouver, je vous remettrai sous les yeux vos inqualifiables paroles.

« Que l’Église soit libre comme elle l’entend, dites vous à la page 100 de votre Grande Guerre ecclésiastique, et la liberté du Législateur et celle du Juge seront détruites, car celui-là ne pourra voter les lois, ni celui-ci les appliquer, sans donner en tout et partout le pas sur la loi civile au droit canon, cette prodigieuse compilation de principes faux et de contradictions étonnantes. Sans doute le droit canon contient aussi de très-belles dispositions, mais trop souvent l’esprit arriéré de la Curie Romaine y a faussé toutes les notions du droit, et on ne pourrait l’appliquer aujourd’hui comme règle de la vie politique et sociale, sans bouleverser le monde, parcequ’il est resté saturé en quelque sorte de l’esprit des fausses décrétales, la plus impudente fraude et le plus honteux mensonge dont l’histoire fasse mention, et où pourtant un si grand nombre de Papes sont allés puiser tout leur arsenal de prétentions insoutenables. Que l’Église soit libre comme elle l’entend, et l’on devra fermer tous les établissements d’éducation où son esprit étroit et exclusif n’aura pu pénétrer ; et l’on verra enlever les jeunes enfants aux parents sous divers prétextes ; et on la verra accaparer en moins d’un siècle une portion notable de la fortune publique… On la verra aussi pratiquer la captation testamentaire sur la plus large échelle… »

L’Église a l’esprit étroit, dites-vous, M. Dessaulles. Vous ne pouviez certes dire autre chose en prenant le vôtre comme mesure ; mais comme le procédé est mauvais, la conclusion ne vaut absolument rien.

L’Église, dites-vous encore, enlève les jeunes enfants à leurs parents sous divers prétextes. On ne vous croira point, car vous a-t-elle enlevé, vous le bijou des bijoux ?

Je vous ai démontré brièvement, quoique irréfutablement, que la sainte Église catholique ne saurait errer, assurée qu’elle est, de par la promesse de Jésus-Christ même, de l’assistance perpétuelle de l’Esprit Saint. Si elle enseignait l’erreur ou si elle prescrivait des choses immorales, il faudrait nécessairement en conclure que Dieu est le mal, ce qui est le plus abominable des blasphèmes. C’est cependant ce que vous dites, car vous prétendez que les lois de l’Église, c’est-à-dire le droit canon, ne sont qu’une prodigieuse compilation de principes faux et de contradictions étonnantes.

Du droit canonique, vous ne connaissez très-certainement que le nom et pas davantage. Vous êtes si ignorant que vous n’avez pas même le triste et honteux mérite de tirer de votre propre fonds les énormes bêtises dont vous émaillez chaque paragraphe de votre Grande Guerre ; vous copiez servilement, sans vous occuper de contrôler leurs avancés, les auteurs impies qui servent de pâture aux intelligences étiques et dévoyées que l’on voit fréquenter l’Institut-Canadien. Si le droit canonique est ce que vous affirmez, pourquoi ne le faites-vous pas honnêtement voir ?

Pourquoi ne tentez-vous pas non plus d’établir par des preuves, qui aient au moins une apparence de valeur, les autres accusations calomnieuses que vous lancez à la face de la sainte Église ? Selon vous, parangon de justice et d’honnêteté, elle vit de fraudes et d’injustices ; elle veut bouleverser le monde en substituant la rapine au droit ; elle entrave le libre développement de l’intelligence dans les maisons d’éducation soumises à son contrôle ; elle enlève les enfants à leurs parents ; elle accapare la fortune publique et veille au chevet des mourants pour s’approprier leurs dépouilles ; que ne démontrez-vous par des faits concluants et bien attestés que vos affirmations ont un fondement quelconque ? Ah ! c’est que vous sentez bien que la tâche est de tout point impossible. Mais, disciple de Voltaire, imprégné de son esprit satanique, vous accumulez mensonges sur mensonges, sûr qu’il en restera toujours quelque chose dans l’esprit de quelques-uns de vos lecteurs, et ce résultat satisfait la haine qui vous tourmente. Vous bâtissez une Église imaginaire et vous la faites à l’image de votre cœur, cloaque où grouillent toutes les basses convoitises, et puis ensuite vous jetez les hauts cris, vous feignez l’indignation et l’épouvante. Si vous aviez le moindre sentiment d’honneur, vous ne pourriez supporter la lumière du soleil, après vous être abandonné à ces débauches de l’intelligence.

Vous pestez encore contre la liberté telle que l’entend l’Église ; c’est cependant la seule et véritable liberté, et je vous l’ai clairement prouvé. Vous maudissez cette liberté et n’en voulez point, parcequ’elle suppose nécessairement l’ordre et que vous et vos pareils, qui aimez à pêcher en eau trouble, êtes des hommes de désordre. Vous accusez l’Église de mille infamies, pour exercer contre elle vos vengeances, parce qu’elle ne tolère pas ces infamies. Qu’elle vous les permette, et l’on vous entendra vous proclamer vertueux en même temps que vous vous vautrerez dans cette fange. Voilà ce que vous êtes et l’on vous connaît de vieille date.

Enfin, à bout d’arguments contre les droits que font valoir l’Église et son bienheureux Chef, vous prétendez que ces droits ont pour origine les fausses décrétales, la plus impudente fraude, dites-vous, et le plus honteux mensonge dont l’histoire fasse mention. C’est rond et bientôt dit.

Homme pudique et scrupuleux ! De quelle admirable délicatesse de conscience je vous vois pris en ce moment ! Pour tout au monde, s’il faut en croire vos protestations, vous ne voudriez pas blesser, même légèrement, la vérité historique, et cependant je constate que vous êtes toujours à l’école de Voltaire, le plus infâme et le plus effronté menteur qui se soit rencontré dans la suite des âges, et dont tout le travail à peu près a consisté à falsifier l’histoire. Je vous vois toujours à cette école, à celle de ses enfants spirituels, et je ne puis m’empêcher de reconnaître que vous y faites chaque jour de grands progrès. Cessez donc, je vous prie, de crier si fort contre la plus importante fraude et le plus honteux mensonge dont l’histoire fasse mention. Cette fraude et ce mensonge ne sont que bagatelle, comparés à vos péchés quotidiens en pareille matière. D’ailleurs, vous parlez des fausses décrétales comme de tout le reste, c’est-à-dire sans savoir de quoi vous parlez. Vous n’êtes que l’écho inintelligent des impies du dernier siècle.

Pour moi, puisque vous avez porté la question sur ce terrain, je vous en dirai un mot, mais avec parfaite connaissance de cause. Je m’appuie sur l’histoire véritable et je vous défie d’infirmer mes avancés.

Les fausses décrétales, compilation dont l’auteur est un Espagnol du nom d’Isidore Mercator, qui vivait au viiime siècle, ne sont fausses que dans la forme, c’est-à-dire qu’Isidore Mercator en a attribué à des Papes de qui elles ne venaient pas, et qu’il en a composé qui n’existaient pas comme telles, mais qui cependant existaient équivalemment dans des canons et des coutumes réellement en vigueur.

« Les décrétales d’Isidore, disent tous les auteurs qui ont sérieusement étudié la question, sont fausses quant au nom et à la date qu’elles portent ; elles sont vraies et authentiques quant aux choses quelles contiennent. »

Que faut-il de plus ? Pourvu que les Papes, qui ont la plénitude du pouvoir législatif, ne prescrivent que des choses justes, quelles que soient les sources où ils puisent, personne n’est admis à réclamer. Si, en quelque matière, il n’y a pas de droit fixe préexistant, ils le font par leurs prescriptions mêmes. Or, les Papes ne se sont jamais appuyés sur ce qu’on appelle les fausses décrétales pour faire valoir des prétentions exorbitantes ou injustes ; loin de là, ils n’ont réclamé et exercé que leurs droits. Remarquons, en outre, qu’ils n’ont jamais dit que ces décrétales étaient authentiques ; mais, comme elles étaient, pour le fond, de tout point conformes avec le droit partout reconnu, quand ils les ont citées dans la suite, ils n’ont cité que des choses vraies au fond et par conséquent obligatoires.

Ce n’était pas la peine, pauvre M. Dessaulles, de vous mettre bruyamment en campagne pour faire une excursion dans le droit canonique et en revenir avec la piteuse mine que vous avez. Nouveau chevalier de la Triste Figure, vous reproduisez avec assez d’exactitude votre réjouissant modèle.