Le Docteur Gilbert/Chapitre II

Boulé (p. 5-10).


II.


Pendant que Mathilde se livrait à ces désolantes pensées, la femme de chambre rentra.

Mariane avait la figure toute couverte de larmes ; mais avant que sa maîtresse n’eût tourné la tête vers elle, la pauvre fille releva le bord de son tablier de taffetas noir pour s’essuyer les yeux ; toutefois, elle ne put retenir un sanglot, que sa maîtresse entendit.

— Eh bien ! Mariane, demanda vivement madame de Ranval, as-tu vu Anatole ?

— Oui, madame, répondit Mariane d’un accent altéré, j’ai frappé bien long-temps à la porte du cabinet de monsieur sans qu’il m’ouvrît ; enfin, comme j’appelais à travers la porte, il reconnut ma voix et me demanda un peu vivement ce que je voulais… Par bonheur il venait d’arriver une lettre pour M. de Ranval…

— Une lettre ? interrompit Mathilde.

— Je le dis à monsieur, continua Mariane, et presque au même instant ce cher Anatole vint m’ouvrir !… Ah ! madame… madame, si vous l’aviez vu !…

— Grand Dieu ! Mariane, explique-toi ! tu pleures ?…

— C’est plus fort que moi, madame… Ce cher Anatole !

— Il souffrait donc, Mariane ? s’écria Mathilde.

— Oh ! oui, madame, il souffre, j’en suis sûre ; mais il n’a jamais voulu en convenir : il était pâle, et toute sa physionomie exprimait la douleur et l’abattement.

Et Mariane se laissa tomber tout en pleurs dans un fauteuil auprès de sa maîtresse, qui demeura quelques momens silencieuse, et reprit d’une voix profondément émue :

— Mariane ! Mariane !… Il me cache quelque chose !… il a dans l’âme un secret qui le dévore ! Mais à propos, cette lettre, que tu lui as remise, tu ne me dis pas d’où elle vient ?…

— De Fontainebleau, et je crois avoir reconnu l’écriture du père de M. Anatole.

— Mais il n’y a pas deux jours que M. de Ranval nous a écrit, Mariane… Il venait de voir notre petit Charles et l’avait trouvé un peu souffrant !… Dieu ! quelle idée !… S’il était plus malade, ce cher petit !… s’il lui était arrivé quelque chose !… un enfant de cet âge est si frêle !… Je tremble à chaque instant d’apprendre un affreux malheur… Ah ! je cours savoir d’Anatole…

Et déjà Mathilde s’élançait vers la porte.

— Au nom du ciel ! madame, dit Mariane, en la retenant, n’y allez pas !… ce pauvre Anatole est accablé de fatigue… il vient de se jeter sur son lit… laissons-le reposer quelques momens… Mais n’ayez aucune inquiétude au sujet de votre enfant, madame ; j’ai observé très attentivement votre mari pendant qu’il lisait cette lettre, et son visage n’a pas changé d’expression ! D’ailleurs, je lui ai demandé si les nouvelles étaient bonnes, et, sans lever les yeux de dessus le papier, il m’a répondu par un signe de tête affirmatif. J’ai essayé de lui faire encore d’autres questions ; mais alors il m’a regardée fixement sans paraître me comprendre, avec cet air mélancolique et rêveur qui m’a toujours frappée en lui, lorsqu’il est absorbé dans un ouvrage qu’il compose.

Mathilde secoua la tête avec un air d’incrédulité douloureuse, en tirant du fond de sa poitrine un long soupir :

— Ah ! Mariane, plaise à Dieu que tu ne te trompes pas, et que rien d’autre n’occupe la pensée d’Anatole !… Depuis trois ans que je suis sa femme, j’ai pu, comme toi, remarquer souvent ces distractions rêveuses et tristes qui s’emparent de lui, quand son imagination poétique bouillonne et fermente !… Mais alors son visage, que pâlissait le travail, redevenait rose et calme sous mes baisers !… La préoccupation d’Anatole se dissipait au son de ma voix, et je n’avais qu’à passer une main sur son front… pour aplanir quelques rides légères que la pensée y avait fait naître un instant !… Mais aujourd’hui, Mariane, tout est changé !… ma voix résonne inutilement à son oreille, et quand mes lèvres cherchent les siennes, il détourne la tête !… Mariane, plains ta pauvre maîtresse !… Non, ce n’est pas l’étude et la poésie qui m’ont chassée du cœur d’Anatole ! ce n’est plus d’elles aujourd’hui que je suis jalouse !… Ah ! grand Dieu ! s’il me trompait !… s’il en aimait une autre !…

Mariane ne put retenir un cri : elle eut comme un tressaillement d’épouvante.

— Madame, madame, que dites-vous ?… murmura-t-elle d’une voix étouffée en regardant Mathilde qui, la poitrine haletante, le visage pâle et décomposé, paraissait en proie à une violente agitation.

Elles gardèrent quelque temps l’une et l’autre un profond silence ; enfin Mariane dit à voix basse, en se rapprochant de sa maîtresse comme si elle eût craint d’être entendue :

— Mais il est impossible que vous ayez cette pensée, madame !… Non, rien ne saurait motiver un soupçon qui est indigne de vous !… Lui vous tromper, madame !… Anatole !…

— Oh ! si je le savais !… murmura sourdement madame de Ranval. — S’il en aimait une autre !… Ô Dieu ! quelle effroyable idée !…

— Calmez-vous, madame !…

— C’est que, vois-tu, Mariane, continua Mathilde avec exaltation, je ne suis pas de ces femmes qu’on outrage impunément. J’ai un cœur, et dans ce cœur une âme capable de ressentir l’injure.

— Calmez-vous, ma bonne maîtresse, au nom du ciel !… dit Mariane en prenant les mains de Mathilde et les couvrant de baisers ; que votre mari n’apprenne jamais que vous avez pu douter de son amour un instant… car il en mourrait !

Madame de Ranval sembla réfléchir un moment, et d’une voix moins tremblante, elle dit à Mariane en l’embrassant :

— Pardonne-moi, chère Mariane, je suis folle… Va, je ne pense pas un mot de tout cela… j’ai la tête encore un peu faible… Hélas ! je suis une pauvre convalescente, Mariane, et mille chimères me troublent l’esprit… Mais ne va pas croire au moins que je soupçonne Anatole de me trahir… non, non, je suis sûre de lui comme de moi-même… Je t’en conjure, oublie ce que tu viens d’entendre… Mais je te connais excellente fille, je sais toute la tendresse que tu nous portes… tu es discrète, et mes injustes paroles ne sortiront jamais de tes lèvres.

— Oh ! madame, elles n’en sortiront jamais, s’écria Mariane ; mais dites-moi que vous l’aimez toujours ce cher Anatole ! il est si bon, si plein d’honneur et de générosité !… c’est l’image vivante de sa pauvre mère qui lui a légué toutes tes vertus !… il n’a pas son pareil sur la terre.

— Oui, Mariane, c’est le meilleur des hommes… honneur, probité, délicatesse, il a toutes les vertus avec le génie… Va, je n’oublierai jamais que je suis la première femme qu’il ait aimée… et qu’il m’a prise obscure et sans fortune, lui qui, déjà poète fameux, environné partout d’hommages, aurait pu former une alliance plus avantageuse.

— A-t-on besoin d’être riche pour être heureux ? dit Mariane ; que lui importait la fortune ? il vous aimait, madame. Ce cher enfant, il était encore au collége, qu’il m’avait déjà fait sa confidence. Ah ! je me rappelle comme il était heureux quand il venait passer avec vous le temps des vacances à Fontainebleau !… À peu près du même âge, vous étiez aussi beaux l’un que l’autre, aussi aimans… Et déjà vos pères, qui s’aimaient fraternellement tous deux, se plaisaient à voir grandir avec vous cette innocente et mutuelle affection !… ils vous destinaient déjà l’un à l’autre, et votre amour s’accordait avec leur désir.

— Mon pauvre père… dit Mathilde en soupirant, oui, je me rappelle encore de quelle joie rayonnait sa belle et noble figure quand il parlait de cette union si désirée. Hélas ! il n’a pas vu sa fille heureuse et mariée à l’homme qu’il aimait tant… Heureuse ! ah ! qu’ai-je dit ? le suis-je encore ?… Lui, qui aimait si tendrement sa fille, peut-être a-t-il bien fait de mourir, car maintenant… Non, Mariane, non, je ne puis retenir mes larmes… mon bonheur est détruit ; je n’en veux accuser personne… Anatole est toujours pour moi plein d’égards et de douceur… et s’il ne m’aime plus comme au premier jour, ce n’est pas sa faute… Au moins j’ai la conviction qu’il n’en aime pas une autre que moi… Mariane, souviens-toi comme j’étais heureuse… et compare, si tu peux, les deux premières années de mon mariage avec celle-ci… Quel changement !… Il n’y avait pas alors de félicité égale à la mienne… j’étais à l’homme que j’adorais… et notre vie s’écoulait pure et calme dans une intimité délicieuse !… Nous voyions peu de monde, mais nous savions nous suffire à nous-même : qu’avions-nous besoin, pour être heureux, de spectacles et de bals ?… nous préférions à tous ces bruyans plaisirs nos tranquilles promenades dans la campagne au coucher du soleil… Nous vivions d’amour, de poésie et de religion… Alors, je n’avais plus qu’une seule chose à demander au ciel, — un fils ! — non pour resserrer les liens de notre amour… c’eût été impossible… mais pour répandre sur un être adoré le trop plein de nos cœurs !… Eh bien ! Dieu écouta ma prière… je mis au monde un fils !… Pourquoi ne suis-je pas morte alors ?… je n’aurais pas vu la ruine de mon bonheur ! Combien de maux Dieu m’aurait épargnés en me rappelant à lui… je n’aurais pas vu s’éteindre l’amour d’Anatole… on ne m’eût pas séparée de mon fils. — Ah ! Mariane, n’est-ce pas que c’est bien cruel de priver une mère de son enfant ?…

— Mais vous n’aviez pas la force de le nourrir, madame, répondit Mariane d’un air triste ; on n’aurait pu, sans exposer vos jours, le laisser davantage auprès de vous !… et cette innocente et frêle créature n’aurait puisé qu’un lait malsain… tandis qu’à la campagne il respire un bon air, il tette une bonne nourrice, et son grand-père a pour lui les soins les plus tendres. Le docteur Gilbert a sagement fait…

— Ne me parle pas de cet homme ! interrompit Mathilde avec vivacité ; ne m’en parle pas. Je ne puis t’exprimer l’aversion qu’il m’inspire… Il semble avoir apporté le malheur dans cette maison !

Mariane regarda sa maîtresse avec étonnement : elle connaissait déjà les préventions de Mathilde contre le docteur Gilbert, mais elle ne l’avait jamais entendue les manifester avec autant de violence.

— Je crois, madame, que vous n’êtes pas juste à l’égard de M. Gilbert, dit-elle avec un accent de reproche amical ; il vous a toujours témoigné le plus vif attachement, et votre mari n’a pas au monde un ami plus dévoué.

— Ah ! qui peut le savoir, ma pauvre fille !… Tiens, par momens, je serais tentée de croire qu’il ne nous aime pas… qu’il n’est pas franc…

— Oh ! madame !…

— Non, je ne puis concevoir qu’il ait pris un pareil ascendant sur Anatole… Anatole est crédule et confiant, je le sais… jamais il ne soupçonne le mal dans les autres !… Mais enfin, Mariane, il est impossible de voir deux caractères plus opposés ; je n’aperçois pas entre eux le moindre rapport, la moindre analogie de goût et de mœurs : Anatole est un homme rangé, d’une vie douce et régulière, encore plein d’illusions, et qui n’a jamais compris le bonheur qu’au sein du devoir et de la vertu ; tandis que M. Gilbert, lui, est sans religion, sans principe ; il n’a jamais voulu contracter une honnête et paisible union : les délices pures de la famille et du foyer domestique, il ne les comprend pas, ou il les méprise !… et c’est toujours le rire à la bouche qu’il parle du mariage et de la fidélité conjugale !… Et puis, Mariane, tu sais qu’il fréquente les mauvaises compagnies, les coulisses de théâtre, les maisons de jeu, peut-être… Il a toujours à conter quelque histoire scandaleuse, et toujours il donne raison au crime, à l’adultère… Non, Mariane, je te le répète, je ne puis comprendre quels charmes peut trouver Anatole, qui est un homme grave, dans la société d’un homme futile et corrompu.

— Mais songez, madame, qu’ils se connaissent depuis leur enfance, répondit Mariane ; ils sont camarades de collège, et M. Gilbert m’a toujours paru très attaché à votre mari. Je crois comme vous, madame, que le docteur ne mène pas une vie exemplaire et qu’il aime un peu trop le plaisir, mais il est jeune, madame, et, comme dit le proverbe : Il faut que jeunesse se passe. Tous les jeunes gens ne sont guère plus sages : ce cher Anatole est peut-être le seul qui ait toujours préféré l’étude à une vie mondaine et dissipée.

— Oui, Mariane, je sais qu’Anatole, bien différent des hommes de son âge, a toujours fui le monde et les plaisirs ; et c’est peut-être à son goût pour la solitude et le recueillement qu’il doit cette brillante réputation qu’il s’est acquise de si bonne heure, et dont je suis fière. Pendant que ses camarades d’études, frivoles et dissolus, oubliaient dans la débauche ce qu’ils avaient appris au collége avec tant de peine, lui, au contraire, il refaisait, pour ainsi dire, son éducation : il amassait chaque jour de nouvelles connaissances et travaillait sans relâche pour se faire un nom ; car, en m’épousant, il voulait m’apporter la gloire avec la fortune… Mais il m’aimait alors !… une seule pensée, un seul amour remplissait le cœur d’Anatole, et c’était moi ! Mais qui peut savoir, hélas ! tout ce qu’il y a d’inconstance et de mobilité dans le cœur de l’homme… Ce qu’il adore aujourd’hui, demain il le foulera aux pieds… Mariane, autrefois Anatole n’aimait que deux choses au monde, la poésie et moi… Maintenant la poésie le fatigue, et semble même lui inspirer du dégoût… il suppose en vain quelques travaux littéraires pour donner un prétexte à ses continuelles préoccupations, mais il ne peut m’abuser… je sais qu’il ne travaille pas… Voilà bien long-temps qu’il n’a touché une plume, Mariane… Je te le dis à toi, ma pauvre fille… oui, par momens j’ai peur d’avoir deviné la véritable cause de sa mélancolie… j’ai peur qu’il ne se repente d’avoir épousé une femme sans fortune et sans naissance, maintenant qu’il est illustre… Enfin, si tu veux que je te parle sans détours, je tremble que ce Gilbert ne profite de l’empire qu’il a sur Anatole peur lui donner de mauvais conseils, et le détacher peu à peu de moi.

— Le détacher de vous ! interrompit Mariane avec feu, bien au contraire, madame. Depuis que le docteur Gilbert vous connaît, il n’a pas manqué un seul jour de faire votre éloge. Il faut l’entendre parler de vous à M. de Ranval… Hier soir encore il s’exprimait sur votre compte en des termes qui prouvent l’estime profonde et l’inaltérable affection qu’il a pour vous. Et dernièrement, madame, quand vous étiez si malade et que nous tremblions à chaque instant de vous perdre, vous ne pouvez vous imaginer avec quelle sollicitude et quel dévoûment de frère il vous soignait : il a passé plusieurs nuits de suite auprès de vous, fondant en larmes, et vous auriez été touchée de sa douleur, si, presque mourante, vous aviez pu la voir !

— Oui, Mariane, je sais qu’il m’a sauvé la vie, dit Mathilde, et je lui en conserverai toujours de la reconnaissance ; mais je t’avoue que, malgré moi, j’éprouve une espèce d’antipathie et d’éloignement pour M. Gilbert. Quoique je lui sois redevable d’un si grand service, je ne puis l’aimer. Je crois que c’est un cœur vicieux, dont le contact ne peut qu’être nuisible aux sentimens délicats d’Anatole. Mon mari se laisse trop influencer par cet homme ; il le voit trop souvent : un jour ne se passe pas sans que nous ayons la visite de M. Gilbert ; jusqu’à présent mon état maladif pouvait en être le prétexte ; mais actuellement que je suis rétablie, j’espère que nous le verrons moins fréquemment,

— Mais vous avez dû remarquer, madame, qu’il vient la plupart du temps moins à titre de médecin que d’ami. Il fait aussi des vers, et votre mari qui le regarde comme un excellent juge en matière de poésie, lui lit ordinairement tous ses ouvrages, et le consulte avant de rien imprimer.

— Mais ils sont toujours ensemble, Mariane ; Anatole s’enferme avec lui des journées entières dans son cabinet, ou bien ils sortent, et je ne revois plus Anatole avant minuit… Non, Mariane, je ne puis plus vivre dans une pareille incertitude !… je veux savoir la vérité, je veux savoir mon sort. Il faut qu’aujourd’hui même je m’explique avec mon mari ; M. Gilbert n’est pas le seul qui ait droit à la confiance d’Anatole… je suis sa femme ! et s’il m’aime encore…

Madame de Ranval n’acheva point d’exprimer sa pensée ; Mariane l’avait comprise, et d’une voix pleine de douceur, elle dit après un instant de silence :

— Madame, vous seriez cruelle d’exiger que votre mari cessât de voir le docteur Gilbert, qui, malgré sa conduite peu régulière, est un homme d’honneur, et de plus un véritable ami, madame… un ami d’enfance !

Mathilde soupira profondément.

— Et moi aussi, dit-elle, moi aussi j’avais une amie d’enfance… Je t’ai parlé souvent, Mariane, de Victorine Darbois… Nous sommes entrées toutes deux le même jour dans la même pension ; et pendant plusieurs années nous fûmes deux compagnes inséparables… Jolie, spirituelle, aimante, elle était bien digne d’être heureuse… Mais elle avait une mère dépravée qui lui donna de mauvais exemples, dans un âge où le cœur est une cire molle qui prend également l’empreinte du bien ou du mal, suivant les mains qui le façonnent ; et quelques années après être sortie de pension, Victorine n’était plus qu’une femme sans mœurs, perdue de réputation, et qu’enfin je ne pouvais plus voir sans exposer la mienne. Tu ne m’accuseras pas d’insensibilité, Mariane, car tu sais que je fis tous mes efforts pour ramener cette pauvre fille à la vertu, mais inutilement… Il fallut donc abandonner Victorine à son malheureux sort… il fallut rompre avec elle à tout jamais ; et pourtant, Mariane, elle m’était chère… mais la réputation d’une femme appartient plus encore à son mari qu’à elle-même… Je n’aurais pu, sans crime, sans outrager Anatole, entretenir clandestinement une plus longue correspondance avec une femme déshonorée !… Fréquenter le vice, Mariane, c’est l’approuver… et, tôt ou tard, on finit par se corrompre dans la société des gens vicieux.

Alors madame de Ranval, toute pleine d’un amer souvenir, laissa tomber dans ses mains sa figure mouillée de larmes ; Mariane aussi pencha sa tête pour pleurer : elles demeurèrent long-temps silencieuses ; et l’on n’entendit plus, à travers leurs soupirs et leurs sanglots, que le bruit monotone de la flamme qui tourbillonnait dans la cheminée, et les plaintes du vent qui gémissait dans les arbres.

Tout à coup on entend quelqu’un descendre précipitamment l’escalier. Mariane relève la tête.

— Madame, dit-elle vivement, c’est votre mari.

Une seconde après la porte s’ouvrit. Anatole entra.