Le Divorce (Gagneur)/Postface

Librairie de la bibliothèque démocratique (p. 104-136).


POST-FACE


Devant ces drames terribles, ces tentations criminelles, devant les désespoirs, les tortures intimes, souvent plus intolérables que les plus révoltantes brutalités, devant toutes ces souffrances provoquées par l’indissolubilité du nœud conjugal, on comprend la polémique que soulèvent journellement nos journalistes, nos philosophes et nos auteurs dramatiques en faveur du divorce.

Chacun d’eux, selon son caractère, son tempérament ou ses croyances, fait prédominer soit le droit individuel, l’impulsion passionnelle, soit l’intérêt social. Il est bon que la question soit agitée, que les opinions les plus divergentes, les plus monstrueuses même se produisent. Le bon sens public saura prononcer.

On doit, selon nous, pardonner à M. Dumas le dénoûment brutal de son livre : l’Homme-Femme, et sa théorie aussi étrange que mystique du triangle, et ses dissertations comico-bibliques, et ses nombreuses contradictions, en faveur de la façon nette, précise, avec laquelle il réclame le divorce, en démontre la justice et la nécessité.

Peut-être M. de Girardin, dans son ouvrage : l’Homme et la Femme, est-il plus près de la vérité absolue, parce qu’il est plus près de la liberté. Mais tant que la société n’adoptera pas les enfants abandonnés par le père, comme par la mère, et ne pourvoira pas largement à leur éducation et à leur existence, le mariage est une garantie pour la femme et pour l’enfant. Le douaire imaginé par M. de Girardin ne saurait le remplacer. Seulement le divorce doit corriger le mariage, puisque l’observation de chaque jour démontre surabondamment que le lien éternel est contraire à la nature humaine, qu’il est essentiellement oppressif et cause plus de désordres et de démoralisation qu’il n’offre de garanties à la société.

Et, d’ailleurs, que signifient ces conseils de M. de Girardin aux jeunes filles et ces conseils de M. Dumas à son fils ! Chacun n’obéit-il pas à son organisation ? L’âme humaine, sous l’influence de la passion, est-elle bien libre ? On agit alors comme on peut, et non pas comme on veut.

Les sermons sur la montagne, pas plus que les sermons dans la plaine, ne sont guère écoutés. Malgré les sages recommandations de M. de Girardin, la jeune fille qui aime continuera à s’abandonner sans songer plus à s’assurer le douaire qu’elle ne songe toujours, aujourd’hui, à exiger le mariage.

De son côté, le fils de M. Dumas ne tuera pas sa femme, si son tempérament ou son amour le porte à la clémence.

M. Dumas oublie, en outre, de nous dire ce qu’un homme doit savoir, pour avoir le droit de compter sur l’amour et la fidélité éternelle de sa femme.

Ce qui est indiscutable, c’est que tous les êtres en naissant, quelles que soient leurs facultés, leurs natures variées à l’infini, et non parquées dans ces trois catégories définies par M. Dumas, aspirent au bonheur ; qu’ils le cherchent incessamment ; que la première condition du bonheur, c’est la liberté, la satisfaction de nos sentiments naturels et de nos passions, et que les lois de la société ne l’emporteront jamais sur les lois de la nature. Les forces de la nature sont incompressibles ; quand elles rencontrent des obstacles, elles les brisent en produisant le désordre et la souffrance.

Un profond penseur l’a dit : « Ce n’est pas à refréner les passions, mais à les régulariser, à les diriger que doit s’attacher le législateur philosophe. Les institutions qui n’ont pas ce point de départ, ont causé bien plus de crimes qu’elles n’en ont empêché ».

On a donc lieu de s’étonner que, dans un siècle de libre-pensée, dans un siècle où l’autonomie de l’individu se pose aussi impérieusement, la loi qui consacre les liens éternels puisse encore se maintenir et trouver des défenseurs.

Le divorce est-il juste ? demande-t-on. Est-il moral ? ou bien est-il nuisible aux liens de la famille, et, partant, à l’ordre social ? L’indissolubilité n’est-elle pas nécessaire à la dignité du mariage, au bonheur et à l’avenir des enfants ?

La société a-t-elle le droit d’intervenir dans l’association de l’homme et de la femme ? A-t-elle le droit de leur prescrire des devoirs qui, dans l’ordre naturel, ne relèvent que de l’amour, et d’en punir la violation ? Aux époux seuls n’appartient-il pas de juger ce qui est utile à leur bonheur et à leur progrès moral ? L’autorité sociale peut-elle exercer une pression sur l’âme et le corps des époux, s’immiscer dans leurs rapports intimes, sans porter une grave atteinte à la liberté individuelle ? Est-ce que ce droit qu’elle s’arroge ne constitue pas un abus de pouvoir ?

N’est-il pas admis dans notre législation, comme un principe, que tout contrat d’association, aliénant perpétuellement la liberté des contractants, est nul de droit ? Pourquoi cette exception pour l’association du mariage ?

Mais, d’abord, qu’est-ce que l’autorité sociale ? Et qui lui confère le droit d’intervenir ?

Autrefois, elle reposait sur deux principes reconnus aujourd’hui radicalement faux : la sanction divine et l’inégalité. Elle était un droit pour ceux qui l’exerçaient, qu’ils s’appelassent rois, aristocrates, prêtres. Alors les inférieurs, stigmatisés comme tels, avaient le devoir d’obéir à leurs supérieurs, prétendus élus de Dieu. C’était Dieu qui avait dicté les lois, Dieu qui nommait ses représentants. Telle était l’idée autoritaire du passé.

Mais, dans l’opinion moderne, l’autorité n’est plus qu’une fonction déléguée par les intéressés pour exécuter leur propre volonté.

Or, quelle peut être la volonté de deux êtres qui s’unissent ? Le bonheur, la garantie de ce bonheur, et, pour les enfants, la sécurité de l’avenir.

Ici, comme partout, le droit nouveau est en lutte avec le droit ancien. Nos lois portent encore l’empreinte de l’antique despotisme et de l’arbitraire, d’une croyance et d’une loi morale qui croulent de toutes parts.

Sans doute, la loi essentiellement chrétienne de l’indissolubilité, car ce fut d’abord un dogme avant d’être une loi, eut sa raison d’être… Dans la primitive Église, elle a joué incontestablement un rôle moralisateur.

De plus, elle fut une protection, une garantie pour la femme qui alors pouvait être chassée du toit conjugal par un caprice du mari. Elle a sauvé ainsi la famille qui périssait à Rome par la répudiation trop facile. Elle constitua, par conséquent, un progrès.

Sans doute, dans ces temps à demi barbares, le système de l’indissolubilité fut lié au triomphe de la civilisation elle-même. On ne peut en nier d’ailleurs la grandeur morale.

Certes, l’éternité du lien conjugal serait l’idéal. C’est l’espérance de l’infini déposée dans les cœurs.

Il est impossible de s’aimer profondément, ardemment, sans souhaiter l’éternité de l’amour.

En outre, l’amour a besoin de durée, parce que c’est un élément de perfectionnement et de progrès, et parce que la famille en est le principal but ; or, on ne peut se modifier en quelques mois, ni élever des enfants en quelques années.

Enfin, la polygamie énerve les populations qui la pratiquent. Le changement de relations porte aux excès, et les excès produisent chez l’individu un affaiblissement moral et physique, qui vicie la génération dans son germe.

Quels doivent être, en effet, l’esprit et le but de toute loi morale ou sociale ? Prévenir une souffrance, empêcher un mal. Avant nos moralistes et nos législateurs, la nature a posé son code de morale : elle a mis le châtiment à côté du mal, la souffrance à côté de l’abus.

Mais si, pour prévenir les abus et les dangers réels de la polygamie, on tombe dans un mal pire, celui d’enchaîner pour la vie, comme deux forçats à un boulet, deux êtres qui se haïssent ; si l’on arrive à faire un enfer de cette vie conjugale qu’on a posée comme réalisant l’idéal de l’amour, n’est-il pas évident qu’il faut une loi qui brise le lien que la loi a formé, et qui répare les erreurs involontaires, si communes dans le mariage ?

Nous le répétons, l’intervention sociale ne peut être qu’une délégation des intéressés, et, par conséquent, ne doit pas s’exercer contrairement à leur vœu, à leur liberté intime et à leur bonheur.

Le but et la mission de la loi, c’est d’empêcher qu’on use de sa liberté pour faire tort à autrui. Son rôle dans le mariage doit être principalement de garantir l’exécution du contrat, de veiller à ce que les époux respectent leurs intérêts réciproques, et à ce qu’ils remplissent les charges et les devoirs de la paternité. Elle doit encore s’attacher à prévenir la démoralisation, la souffrance, l’appauvrissement social autant qu’individuel.

« Or, dans l’état de notre société, dit un de nos écrivains les plus autorisés, M. Legouvé, la théorie absolue, sans exception, de l’indissolubilité ne ruine-t-elle pas le ménage mille fois plus que ne le ferait le divorce enfermé dans des règles sévères ? Pour qui interroge les faits, il n’y a point de doute.

« Qui crée parmi le peuple tant de bigamies de fait ?

« L’indissolubilité.

« Qui fait que trois ouvriers sur huit ont deux ménages ?

« L’indissolubilité.

« Qui fut cause qu’en 1830, la commission des récompenses, lorsqu’elle s’occupa de secourir les veuves des combattants de Juillet, vit arriver deux ou trois veuves pour chaque mort ?

« L’indissolubilité.

« Qui multiplie les enfants illégitimes hors de la famille ?

« L’indissolubilité.

« Qui multiplie les enfants adultérins dans la famille ?

« L’indissolubilité.

« Qui alimente la haine entre les époux ?

« L’indissolubilité.

« Qui amène les révélations scandaleuses et corruptrices étalées par la justice aux yeux du monde ?

« L’indissolubilité.

« Qui inspire des pensées de meurtre, et parfois de meurtre allant jusqu’au massacre ?

« L’indissolubilité.

« Or, quand un principe produit de tels effets dans une société, c’est qu’il est ou radicalement mauvais ou en désaccord avec les lois et les mœurs de cette société. »

Voici encore le raisonnement mesuré et très-solide que formulait sur cette grave question un magistrat éminent :

« Oui, sans doute, disait ce juge, qui connaissait à fond l’intérieur des familles, oui, le divorce est essentiellement contraire à l’idéal du mariage. Mais pour le repousser par cette raison, il faut d’abord que le mariage lui-même ne soit pas contraire à son idéal. Or, les unions actuelles ont-elles généralement rien de commun avec un contrat consenti par deux créatures libres et bénies par Dieu ? Qu’on en juge par le début. La jeune fille connaît à peine le jeune homme qu’elle épouse, ne comprend pas le contrat qu’elle signe, et ne sait pas les règles légales de la position qu’elle accepte.

« Est-ce là le mariage, cette prétendue association où l’un des deux associés n’a pouvoir ni sur ses biens, ni sur sa personne ? Est-ce le mariage, cette union appelée moralisatrice où l’adultère d’un des deux conjoints n’est pas puni par la loi ? Est-ce le mariage, cette société pour l’éducation des enfants, où la mère n’a aucune autorité légale sur ceux qu’elle a créés ? Est-ce le mariage, cette société de capitaux où la fiancée n’entre et ne compte que comme un chiffre ?

« Est-ce le mariage, cette union de vanité où l’on vend une enfant de seize ans pour un titre ou une alliance ? Il y a là contrat des corps et des fortunes, mais non pas fusion des âmes et des pensées. Non, ce n’est pas le mariage ; et l’institution du divorce, du divorce sévèrement restreint, est la conséquence forcée de l’organisation incomplète du mariage. »

Tous les légistes et les philosophes vraiment sensés et libéraux se sont montrés favorables au divorce. Déjà Montesquieu s’exprimait ainsi :

« Le divorce était permis dans la religion païenne, et il fut défendu aux chrétiens. Ce changement, qui parut d’abord de si petite importance, eut insensiblement des suites terribles, et telles qu’on peut à peine les croire.

« On ôta non-seulement toute la douceur du mariage, mais encore on donna atteinte à sa foi ; en voulant resserrer ses nœuds, on les relâcha, et au lieu d’unir les cœurs, comme on le prétendait, on les sépara pour jamais.

« Dans une action si libre, et où le cœur doit avoir tant de part, on mit la gêne, la nécessité et la fatalité du destin même.

« Rien ne contribuant plus à l’attachement mutuel que la faculté du divorce, un mari et une femme étaient portés à soutenir patiemment les peines domestiques, sachant qu’ils étaient maîtres de les faire finir ; et ils gardaient souvent ce pouvoir en main toute leur vie sans en user, par cette seule considération qu’ils étaient libres de le faire. »

L’objection principale, la seule spécieuse qu’on oppose au divorce, c’est l’avenir et la fortune des enfants.

Mais est-il juste qu’une génération soit sacrifiée à l’autre ? Les parents ne sont donc pas des êtres humains comme les enfants, ayant droit comme eux au bonheur, à la sollicitude de la loi ? A-t-on le droit de condamner un père et une mère à une vie de douleur ou à un veuvage forcé, afin de conserver à leur enfant quelque argent de plus ? Car il ne s’agit que de la fortune.

Que deux époux vivent dans la désunion, ou qu’ils obtiennent la séparation, la vie de famille n’est-elle pas brisée tout aussi bien que par le divorce ? Quelle éducation reçoit l’enfant ? Constamment tiraillé entre deux pouvoirs contraires, quel respect conçoit-il pour le lien de famille ? Il entend ses parents se charger d’accusations et de récriminations d’autant plus âcres que leur malheur est sans remède. Ainsi constitué juge entre eux, il n’éprouve souvent pour l’un d’eux ou même pour tous deux que mépris et désaffection.

Cette position fausse le rend nécessairement dissimulé, vicieux. Et si les parents divisés se conduisent mal, quels exemples l’enfant a-t-il sous les yeux ? Si, au contraire, ces parents se remariaient légalement, il les verrait contracter, il est vrai, un nouveau lien ; mais ce lien serait honoré de tous.

Toutefois, nous sommes loin de réclamer le divorce facultatif. Il ne devrait être prononcé, comme l’avait établi d’ailleurs le Code Napoléon, qu’à la demande mutuelle et réitérée des époux et dans les cas limités où l’on accorde actuellement la séparation.

Sans doute les enfants d’un premier mariage perdraient une partie de leur fortune ; mais n’en est-il pas ainsi quand un veuf ou une veuve se remarie ? Et les enfants adultérins introduits frauduleusement dans le ménage ne diminuent-ils pas aussi, et d’une façon plus coupable, la fortune des enfants légitimes ? Et ces autres enfants, que le mari qui n’aime plus sa femme procrée en dehors du mariage, n’ont-ils donc aucun droit à la protection de la loi ? Ne constituent-ils pas la plus effroyable plaie sociale, celle qu’il est le plus pressant de guérir ?

Que deviennent, en effet, ces enfants, voués par leur naissance à l’abandon, à une mort prématurée, ou bien à l’ignorance, à la honte, à la misère, et par conséquent au vice ? Ne sont-ce pas ceux-là qui vont peupler les prisons et les bagnes ? La loi ne serait-elle pas plus sage de prévenir le mal que d’y apporter un tardif remède ?

Mais, enfin, lorsqu’il n’y a pas d’enfants, quel motif pour laisser enchaînés deux êtres qui se haïssent et qui sont séparés de fait ?

Les partisans de l’indissolubilité, au seul mot de divorce, crient à la promiscuité, appréhendent un chaos social. Cependant en Angleterre, en Suisse, en Allemagne, en Belgique, en Russie et en Amérique, ou le divorce est établi, les mœurs sont au moins aussi respectées, et la famille aussi solidement assise qu’en France, en Espagne, en Italie, que dans tous les pays catholiques, où règne l’indissolubilité, partant la licence et l’hypocrisie qu’elle engendre.

Pour remédier à notre démoralisation croissante, la mesure la plus urgente, c’est donc le divorce. Qu’il soit établi, et l’on verra, nous osons l’affirmer, les unions non-seulement plus heureuses, mais surtout plus constantes.

En effet, qu’arrive-t-il aujourd’hui ?

Dès que le mariage est conclu, les époux rivés l’un à l’autre, ne craignant plus de se perdre, jugent trop souvent inutiles les égards, les bons procédés. Dans la sécurité même est le germe d’un refroidissement réciproque.

Mais si le lien est dissoluble, tout change aussitôt.

L’époux despote, vicieux, infidèle, réprime ses mauvais penchants, parce qu’il sait que sa compagne pourrait le quitter et porter à un autre son amour et ses soins.

Une femme acariâtre n’oserait plus faire souffrir son mari ; une coquette, le tromper ou le désoler.

L’homme qui voudrait n’épouser qu’une dot ne ferait pas ce honteux calcul, parce qu’il saurait qu’une fois désillusionnée, sa femme romprait une union mal assortie.

Et l’on ne verrait plus ces sortes de vols au mariage où l’on se trompe réciproquement sur le chiffre de la dot, sur la situation pécuniaire des parents ; car ces mariages frauduleux seraient promptement rompus.

Mais on nous répond : la séparation remédie aux abus que vous signalez. — Nous prétendons qu’elle les aggrave, au contraire.

En effet, la séparation désunit sans délivrer, sépare les biens et laisse la femme en tutelle du mari ; sépare les personnes, et laisse au mari la responsabilité des fautes de sa femme, qui peut encore déshonorer son nom. « En un mot, la séparation brise le mariage comme lien, et le maintient comme chaîne[1]. » C’est le divorce avec mille contradictions, mille douleurs, mille immoralités de plus.

Que deviennent, par exemple, les époux séparés, s’ils sont encore jeunes, et c’est presque toujours dans la jeunesse qu’on se sépare ? Le concubinage est nécessairement leur refuge. Cette position, fausse pour l’homme, est horrible pour la femme ; horrible aussi pour les enfants qui naissent de ces unions illégales.

À supposer que la femme reste honnête, quelle est sa situation dans le monde ? Personne ne croit à sa vertu.

Si elle n’a pas d’enfants, quelle est son existence ? Quand descendant dans son triste cœur, si jeune encore, si plein de tendresse, elle ne rencontre que l’isolement, un isolement éternel, à quelles révoltes ne s’abandonne-t-elle pas ? Quel ressentiment n’éprouve-t-elle pas pour celui qui cause son malheur, et quels désirs monstrueux peuvent germer dans son esprit ?

Ah ! tout ce qu’il y a dans l’âme humaine de dignité et de sentiment de justice se soulève contre ce demi-divorce si cruel, si plein de souffrance et de haine, qu’il altère jusqu’à l’amour maternel lui-même.

Mais encore, en dehors de ces généralités, il est certaines natures que le mariage ne peut enserrer, ne peut assouplir, des natures impatientes de toute contrainte, que tout lien irrite, exaspère, natures essentiellement mobiles, pour lesquelles le mariage est un supplice si intolérable, qu’elles s’y soustraient de mille façons, mais non sans faire souffrir l’être auquel elles sont rivées.

Natures incomplètes selon les uns, trop riches selon les autres, en tous cas exubérantes, avides d’émotions, altérées d’idéal : natures d’artistes souvent séduisantes, qui, libres, auraient peut-être à remplir un rôle utile dans notre mécanisme social ; mais qui, comprimées dans le moule uniforme du mariage, produisent toutes sortes de chocs, de douleurs, de désastres.

Le vice de nos conceptions morales, c’est de vouloir ramener tous les caractères au même type, de vouloir rendre fidèles les êtres inconstants par nature, imposer les paisibles affections familiales à ceux que tourmentent la fièvre d’amour, la passion de l’inconnu.

La vraie loi morale, la vraie loi de justice, de liberté et de progrès, ce n’est pas, nous le répétons, de comprimer, mais de diriger les activités et les aspirations humaines.

Quel plus grand malheur pour un être constant que d’avoir donné sa foi et son cœur, que de se trouver uni éternellement à un être qui ne répond pas, qui ne peut répondre à son affection et qui poursuit incessamment d’autres amours ?

À quelle extrémité le désespoir poussera-t-il les victimes enchaînées dans les liens de fer du mariage ? N’entendez-vous pas ces cris étouffés de colère qui s’élèvent contre le nœud conjugal ; et songez-vous que vous n’avez laissé qu’un seul moyen de le rompre, la mort ?

FIN
  1. Legouvé.