Le Divorce (Gagneur)/Appendice/Rapport de M. Odilon Barrot sur le divorce

Librairie de la bibliothèque démocratique (p. 149-178).


RAPPORT
DE M. ODILON BARROT SUR LE DIVORCE


Divorce. — Le mot latin divortium a été formé, s’il faut en croire Justinien, des deux mots diversitas mentium, dont le sens est assez exactement rendu par l’expression l’incompatibilité d’humeur.

Divortium, comme diversitas (divergence), exprime littéralement l’action de deux personnes, qui quittent une route qu’elles suivaient ensemble, pour prendre deux chemins différents, où chaque pas les éloigne l’une de l’autre.

Le mot divorce a en français un double sens : tantôt il exprime l’action même de la rupture du lien qui unissait deux époux, tantôt l’état de deux époux rendus ainsi à la liberté. Dans le premier sens, on dit que le divorce dissout le mariage ; dans le second, que les enfants nés pendant le divorce, n’ont pas pour père le mari divorcé.

Il y a entre la nullité du mariage et sa dissolution par le divorce, cette différence que la nullité n’est jamais prononcée que pour une cause antérieure au mariage, le divorce, au contraire, pour une cause postérieure ; que le mariage déclaré nul est censé n’avoir jamais existé, tandis que sa dissolution par le divorce suppose, jusqu’au moment de cette dissolution, son existence régulière et valable.

Les nullités de mariage ont été admises par toutes les législations, et il n’en pouvait être autrement. Là où la loi civile consacre le mariage par certaines formes solennelles, il est impossible que la violation de ces formes, lorsqu’elle atteint un certain degré de gravite, n’entraîne pas la nullité du mariage comme contrat civil. Là même où le contrat civil n’est parfait que par la consécration religieuse, la loi religieuse admet également des nullités qui vicient le mariage dès l’origine, et la constatation rétablit les époux dans leur liberté première, qu’ils sont censés n’avoir jamais perdue.

Mais la nullité ne peut être invoquée que contre le mariage qui a été vicié dès le principe, et dont l’existence n’a été à aucun moment régulière. Il n’y a là de remède que contre le vice antérieur au contrat, et il restait à prévoir le cas où le lien conjugal, valablement et régulièrement formé, devrait être brisé ou relâché par la loi. Ce cas a été prévu par toutes les législations religieuses ou civiles, et c’était une nécessité ; car quel législateur eût osé dire aux époux :

« Le lien qui vous unit restera toujours aussi étroitement serré qu’à l’instant du contrat, quelques changements qui surviennent dans vos relations réciproques. Alors même que le lit conjugal aura été souillé par les plus sales débauches, alors que le pain de vos enfants aura été prodigué pour alimenter l’adultère, alors que, dans le délire de la passion, l’un de vous aura attenté à la vie de l’autre, et que, saisi dans son crime par les ministres de la loi, il aura été flétri de l’infamie, ne me demandez pas une issue hors du domicile conjugal, je vous la refuserais ! Ne me demandez pas d’allonger au moins votre chaîne pour laisser entre vous et le coupable la place de la haine et du mépris, je serais sans pitié ! Vainement vous me crieriez que votre cœur est flétri, votre vie empoisonnée ; que la misère, le vice, les maladies viennent assiéger votre foyer ! Je serais sourd ! »

Aucune législation, disons-nous, n’a osé pousser jusqu’à cet excès le principe de l’inviolabilité du lien conjugal. Il n’en est pas une seule qui n’ait reculé devant l’idée de refuser tout remède au désordre, toute protection à la victime, et celles-là ont relâché le lien conjugal, qui n’ont pas cru devoir le rompre. De là la séparation de corps, de là le divorce.

Tous les dogmes religieux, toutes les lois civiles, sont d’accord sur ce point, que par cela seul qu’il y a eu de la part d’une des parties violation de ses obligations, il y a nécessité de modifier le contrat primitif, et de relever l’autre partie de tout ou portion des engagements contractés par elle. Le dissentiment ne s’élève que sur la question de savoir si on laissera seulement à l’époux outragé le choix entre les tortures de la cohabitation conjugale et la séparation de corps, ou bien si on lui permettra d’opter entre la cohabitation, la séparation et le divorce. C’est, en effet, dans ces termes que la question du divorce est aujourd’hui posée en France. Il ne s’agit plus d’opter entre deux institutions et de proscrire l’une en accueillant l’autre. Cette nécessité n’existe heureusement pas. Si la loi du 20 septembre 1792 a admis le divorce à l’exclusion de la séparation ; si la loi du 8 mai 1816 a admis la séparation à l’exclusion du divorce, le Code civil, plus tolérant, a su concilier le respect dû à d’honorables scrupules religieux avec les droits de l’individu et les intérêts de la société ; et il a laissé à la conscience de l’époux outragé le choix entre les deux issues qu’il lui ouvrait pour fuir la persécution et l’infamie.

Mais si les partisans du divorce sont d’accord aujourd’hui que la séparation de corps doit avoir sa place à côté de lui dans la loi, les partisans de la séparation se montrent plus exclusifs, et ne veulent pas que le législateur laisse à l’époux outragé d’autre refuge que la séparation. Le divorce est-il donc quelque chose d’impie, quelque chose d’impolitique, quelque chose d’immoral ? C’est, en effet, sous ce triple aspect, moral, politique et religieux, que se présente la question du divorce, qui depuis tant de siècles divise les esprits ; et, chose singulière ! dans chacun de ces trois ordres d’idées le divorce a eu ses partisans et ses adversaires ; et il n’y a pas eu plus d’unanimité parmi les théologiens pour lui lancer l’anathème que parmi les philosophes pour le défendre et le préconiser.

Quoique, en droit, les époux séparés puissent se réunir, à la différence des époux divorcés, qui, sous le Code civil, ne le pouvaient pas et qui le pourraient sous toute autre loi, en fait, il y a très-peu d’exemples de ces réunions après séparation ; aussi, la seule différence radicale et profonde qui existe entre la séparation et le divorce, c’est que la séparation interdit aux époux toute nouvelle union, tandis que le divorce leur permet de chercher le bonheur dans un nouveau mariage. On pourrait définir le divorce une séparation avec faculté de se remarier, et réciproquement la séparation un divorce avec interdiction de se remarier. C’est dans cette faculté ou cette interdiction de contracter une nouvelle union qu’est tout l’intérêt de la question du divorce, question dont nous ne sommes ici que les simples rapporteurs. Chez tous les peuples, on trouve dans les commencements de l’histoire du divorce le droit de répudiation de la femme pour le mari : c’est ce principe, fondé sur le droit despotique du mari dans le ménage, qui, chez les Juifs, chez les Grecs, chez les Romains, recèle le germe d’une réforme fondée sur l’idée de l’égalité de l’homme et de la femme. C’est Hérode chez les Juifs, c’est Solon chez les Grecs ; à Rome, c’est Domitien, qui, rendant à l’épouse son rang et sa dignité, lui attribuent le droit de demander la dissolution du mariage contre son mari, comme son mari a ce droit contre elle. Le divorce a été un progrès moral sur la répudiation. Mais il est remarquable que la répudiation est, comme le divorce, une rupture complète du lien conjugal, et que, pour passer de l’une à l’autre, le législateur n’a eu qu’à appeler la femme au partage des droits du mari pendant la durée du mariage, et non à créer à sa dissolution des conséquences que la répudiation entraîne aussi bien que le divorce.

Lorsque le christianisme commence à s’établir, les Pères de l’Église se partagent sur la question de l’indissolubilité du lien conjugal. Saint Épiphane et saint Ambroise admettent le divorce ; saint Augustin le repousse. Quand arrive la grande scission entre les Églises d’Orient et d’Occident, l’Église grecque se déclare tout entière pour l’opinion favorable au divorce, et aujourd’hui encore ses dogmes le reconnaissent et l’admettent. Les décisions de l’Église romaine à cet égard sont longtemps empreintes d’hésitation et d’incertitude. Elle autorise vingt de nos rois à répudier leurs femmes pour en épouser d’autres ; notre histoire nous offre presque autant de reines répudiées que de reines qui sont mortes avec leur couronne. Le dogme se fixe enfin, et interdit la répudiation et le divorce ; mais l’Église alors multiplie les causes de nullité au point de laisser croire qu’elle veut reproduire sous un autre nom cette institution qu’elle proscrit. La réforme accepte le divorce, et il est aujourd’hui consacré par les lois dans tous les pays protestants. Lorsque, après la réforme religieuse accomplie, vient le tour de la réforme politique, la loi du 20 septembre 1793 accorde plus même que le divorce, et donne aux épouses une sorte de droit de répudiation réciproque qu’elle appelle incompatibilité d’humeur ; et, dans sa haine contre le catholicisme, elle proscrit la séparation de corps, seule institution que le dogme catholique avoue. Le Code civil, en réintégrant dans la loi la séparation de corps, place à côté d’elle, non plus la répudiation réciproque de 1792, mais le divorce sévèrement restreint dans ses causes, et entouré des formes les plus lentes et les plus solennelles. Cependant l’institution du divorce, réduite à ces termes, n’a pu trouver grâce devant la réaction religieuse de 1816, et le 8 mai, une loi est rendue qui efface du Code civil le divorce, et cette loi, malgré deux tentatives infructueuses faites en 1831 et 1832 pour l’abolir, est encore aujourd’hui celle qui régit la France.

Si la loi civile devait repousser le divorce par cette seule considération qu’il est proscrit par le dogme catholique, il est évident tout d’abord, que le divorce ne devrait être interdit qu’à ceux-là seuls dont la croyance est incompatible avec lui ; car la loi civile n’aurait aucune raison de se montrer plus sévère pour les non-catholiques que leur loi religieuse. Parmi les catholiques eux-mêmes, ceux-là seulement seraient atteints par la prohibition de la loi religieuse, dont l’union aurait été consacrée par la religion, car le sacrement seul rend le mariage indissoluble. Et si avant 1789, le sacrement était un élément essentiel du mariage, il n’en est pas de même aujourd’hui que le contrat civil est parfait par lui-même, et que la consécration religieuse n’ajoute rien, aux yeux de la loi, à sa force ni à sa sainteté. Et maintenant, cette renonciation au divorce, réduite à ces termes, serait-ce autre chose qu’une question de conscience ? une question de foi religieuse, une loi enfin que chacun peut bien s’imposer à soi-même, mais pour laquelle il ne peut exiger des autres la même obéissance, et que le législateur ne pourrait consacrer sans faire d’un acte de foi un devoir civil, d’une prescription religieuse une contrainte légale, sans violer le grand principe de la séparation du temporel et du spirituel, sans rompre cette belle unité de notre loi civile, qui est la même pour tous les citoyens, quelle que soit leur croyance, parce qu’elle est faite pour tous les membres de l’État, et non pour les sectes religieuses. C’est le Français qui contracte devant l’officier de l’état civil ; c’est le croyant catholique qui demande au prêtre de bénir son union. Si les obligations que ce dernier impose sont plus rigoureuses que les obligations civiles, n’est-ce pas là le rôle le la religion, comme c’est le rôle de la morale ? Leur empire ne se prolonge-t-il pas toujours bien au delà de la limite où s’arrête celui de la loi ? Et puis, il faut le remarquer, dans aucune matière, le dogme catholique et la loi civile ne partent d’un principe plus diamétralement opposé. Pour l’un, le célibat est plus saint et plus parfait que le mariage ; l’autre encourage le mariage et tolère le célibat. L’un exige de l’homme qu’il lutte même contre les besoins de sa nature, et lui tient compte pour le ciel de chacune des privations qu’il s’impose ; l’autre met sa perfection à satisfaire tous les besoins de l’homme, et à mettre le moins souvent possible la passion individuelle aux prises avec l’ordre social. Aussi est-ce une objection à peu près abandonnée contre le divorce, que celle de son incompatibilité avec le dogme catholique ; et a loi de 1816, votée sous l’influence de cette idée, n’est cependant aujourd’hui défendue que par des considérations empruntées, non à la religion, mais à la politique et à la morale. C’est sous ce seul point de vue que la question peut désormais être sérieusement traitée. L’intérêt des mœurs, en général, l’intérêt de la femme, l’intérêt des enfants, tels sont les éléments de la discussion.

Le divorce, par cela seul qu’il offre aux époux l’éventualité d’une dissolution du mariage avec la faculté d’en former un nouveau, est un véritable encouragement aux désordres intérieurs. On ne se plie pas aux exigences d’un état qu’on peut changer, et la loi se rend complice de notre penchant à l’inconstance, quand elle dépouille l’union conjugale du caractère de la perpétuité ; elle fait naître le mal auquel elle veut remédier. Tel est l’argument capital contre le divorce, celui qui se reproduit sous diverses formes dans les discours, les écrits, qui ont eu pour but de le combattre. Cet argument n’est pas resté sans réponse. S’il est vrai, a-t-on dit, que l’époux souffrira moins patiemment le mal auquel il pourra se soustraire ; il faut bien reconnaître aussi que rien ne corrompt comme le pouvoir de faire le mal impunément ; que tel époux qui, certain de conserver sa victime sous la main, se jouera de tous ses engagements, de tous ses devoirs, les respectera davantage s’il sait que cette victime peut invoquer le secours de la loi, et demander à un autre le bonheur légitime qu’il lui avait promis. Si donc, dans certains cas, le divorce doit rendre l’époux plus rebelle à la persécution domestique, dans d’autres aussi, il préviendra cette persécution même. Et puis, à côté de l’inconvénient du divorce, il faut voir le danger de son absence, et se souvenir que notre nature sait toujours se venger du despotisme des lois, soit par le crime, qui est une réaction violente, soit par la corruption, qui est une sourde protestation.

D’ailleurs, quels sont les caractères que la perspective d’un nouveau mariage portera à jeter le trouble au sein de la famille ? Ce ne seront pas à coup sûr les caractères religieux et résignés : la passion seule ou l’immoralité pourraient se préoccuper de cet avenir de liberté. La passion ? Mais elle ne sait pas calculer et combiner des chances légales ; elle est aveugle, et, si elle ne l’était pas, elle se souviendrait que l’adultère, aux termes de la loi, sépare les deux complices par une barrière insurmontable, bien loin de les rapprocher. L’immoralité ? Mais quel besoin pour elle du divorce ? La séparation lui offre tous les avantages que le divorce lui offrirait, et de plus, cette sécurité que les enfants qui naîtront pendant sa durée, recevront un père de la loi.

Quant aux droits de la femme, les objections qu’on en tire partent de deux principes opposés. Les résultats du divorce, disent les uns, ne sont pas égaux pour les deux époux : l’homme sort du mariage avec son autorité et sa force, la femme n’en sort pas avec toute sa dignité ; et de tout ce qu’elle y a porté, pureté virginale, jeunesse, beauté, fécondité, fortune, elle ne retrouve que son argent. Est-ce une loi protectrice de l’ordre, disent les autres, que la loi qui, dans un acte aussi important que la dissolution du mariage, donne un droit égal, ou, pour mieux dire, une juridiction à l’épouse, d’où naît inévitablement une prétention habituelle à l’égalité, et par conséquent l’anarchie domestique ? À la première de ces objections, on peut répondre que si c’est la femme qui est exposée à perdre le plus par le divorce, c’est elle aussi qui a le plus besoin de ce secours de la loi. Le divorce ne rend pas à la femme sa virginité, sa pureté, cela est vrai ; il la jette dans le monde dans cette situation fausse qui n’est ni celle de la fille, ni celle de la femme ou de la veuve : eh bien ! c’est une garantie que la femme ne recourra pas à ce moyen extrême sans la plus impérieuse nécessité. À la seconde objection, la réponse est dans ces deux mots : la prééminence du mari sur la femme ne peut jamais être le droit d’oppression du fort sur le faible.

Reste l’intérêt des enfants. Ici, nous devons rappeler que le désordre existe quand il s’agit d’y remédier ; que la famille est troublée ; que la question n’est pas entre la réconciliation et la rupture, mais entre un mode de rupture et un autre. L’intérêt des enfants est compromis dès que le désordre existe, leur intérêt moral par les mauvais exemples qu’ils reçoivent, leur intérêt de fortune par les dissipations que le dérèglement entraîne d’ordinaire après lui. Si vous offrez le choix aux époux entre la séparation et le divorce, ce choix sera dicté par la croyance religieuse de chacun. Celui à qui sa foi défendra de contracter un nouveau mariage pendant la vie de son époux, celui-là seul optera pour la séparation, et c’est alors que la séparation sera vraiment empreinte de plus de piété, de plus de moralité même que le divorce. Car le célibat qu’elle impose sera un célibat volontaire, un sacrifice accepté. Mais si vous faites de la séparation la loi générale, la loi unique et inflexible, alors vous jetez pêle-mêle dans la séparation de corps, et les croyances qui acceptent le sacrifice, et les natures qui s’y refusent. Ne parlez plus de célibat volontaire, c’est d’autre chose qu’il est maintenant question, c’est de l’adultère public et permanent. Ce n’est plus alors la religion qui impose une privation à qui elle promet récompense, c’est la loi qui inflige une peine perpétuelle au malheur ; c’est elle qui légalise en quelque sorte le crime par l’excuse de la nécessité, et qui combine avec les causes générales de corruption les incompatibilités individuelles. Et alors, quels exemples pour les enfants ! quelle influence sur leur éducation et leur avenir ! La loi a voulu empêcher l’introduction d’une marâtre dans la famille, et elle a ouvert la porte à une concubine. Elle a craint que l’éducation des enfants ne fût confiée à une sévérité trop inflexible, et leur met sous les yeux le spectacle de la dépravation et de l’immoralité. Et qu’on ne fasse pas valoir contre le divorce cette scission de la famille qui va séparer les enfants, soit du père, soit de la mère ; qui va répartir des frères et des sœurs autour de deux foyers, où ils ne recevront d’autres enseignements que ceux du ressentiment et de la haine. Ces maux, qui ne sont que trop réels, ce n’est pas le divorce qui les a créés ; ils existent presque tous au cas de secondes noces comme au cas de divorce, et la séparation n’y sait pas plus de remède que lui.

Au reste, une considération puissante domine toute cette question du divorce. Le divorce ne sera jamais réclamé que dans les pays où il aura un intérêt, et il n’a d’intérêt que là où le mariage est respecté. Dans les pays où le dogme religieux, constituant la loi elle-même, a établi de la manière la plus absolue l’indissolubilité du mariage, le mariage, par une réaction forcée de la nature contre le despotisme de la loi, est devenu à peu près purement nominal, et des unions illégitimes se sont emparées de ce que le mariage a de réel et de sérieux. Là, quel serait l’intérêt du divorce ? C’est le concubinage qui est devenu le véritable mariage, c’est-à-dire l’union des affections et des existences. On peut dire de ces pays ce qu’on a dit de la France du seizième siècle : ils ont traversé le divorce comme elle a traversé la réforme ; ils restent dans les liens indissolubles parce qu’ils ne pratiquent plus la sainteté du mariage, comme la France est restée nominalement catholique parce qu’elle n’a plus même assez de foi religieuse pour être protestante.

Ce qui serait déplorable, c’est que les mœurs pussent se façonner à cet état de chose de telle manière qu’il n’y aurait plus dans les cœurs ni indignation ni réaction contre un tel désordre, tandis que si la loi, moins absolue, eût offert aux époux la possibilité d’échapper aux conséquences d’une union mal assortie, par le divorce et par de nouveaux mariages, le mariage eût peut-être recouvré la sainteté et le respect qui lui appartiennent, en recevant un peu de liberté. Le désordre que le divorce eût fait sortir du mariage y a été refoulé par son abolition. On a bien essayé, en France, de faire disparaître un des abus les plus révoltants des séparations, en abrogeant pour ce cas, la présomption de paternité. Mais cette présomption de paternité est une conséquence inséparable de l’existence légale du mariage. Elle intéresse d’ailleurs le mari à surveiller la conduite de la femme séparée, et comme il a seul l’initiative de l’action en adultère, si la loi le désintéressait dans cette action, le désordre de la femme séparée serait toujours impuni, ce qui n’existe déjà que trop de fait, sans le consacrer par la loi.

Il nous reste à dire un mot des causes du divorce. Ces causes étaient multipliées jusqu’à l’excès dans la loi de 1792. Outre l’incompatibilité d’humeur, sur laquelle nous nous sommes déjà expliqué, elle reconnaissait encore de plus que le Code civil, comme causes du divorce, la démence du conjoint, le déréglement de mœurs notoire, l’abandon pendant deux ans, l’absence pendant cinq ans, et l’émigration. De toutes ces causes, le Code civil n’a retenu que les sévices et injures graves, l’adultère, la condamnation infamante, et le consentement mutuel, qu’il ne faut pas confondre avec la répudiation exercée par un seul des deux époux, et qui même, dans la plupart des cas, cachera une cause déterminée que l’époux outragé n’aura pas voulu livrer au scandale de la publicité. Au reste, le Code civil a entouré de précautions, de lenteurs et de sacrifices, la prononciation du divorce par consentement mutuel. Une persévérance de plus d’un an dans leur résolution, le sacrifice de la moitié de leur fortune à leurs enfants, l’ajournement à plus de quatre ans de tout espoir d’un nouveau mariage, sont de sûres garanties, non-seulement que toute affection est détruite, mais encore qu’il y a dans la vie commune tant de souffrances ou de dangers que la réconciliation est impossible et l’aversion irrémédiable. C’est entouré de toutes ces restrictions, c’est étayé de l’expérience qui a démenti les prophéties dont on avait cherché à effrayer l’opinion, c’est enfin avec l’appui d’hommes purs et éclairés que le divorce demande aujourd’hui sa réintégration dans nos lois. Plusieurs fois il a échoué ; mais la question intéresse trop de souffrances pour n’être pas soulevée de nouveau.