Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 319-321).


CHAPITRE IV

(91)

Comment ceux qui désirent les larmes des yeux et ne les peuvent obtenir, ont les larmes de feu ; et pourquoi Dieu retire les larmes corporelles.

Je t’ai parlé des larmes parfaites et imparfaites, et je t’ai dit comment toutes viennent du cœur. C’est de cette source que sortent toutes les larmes, quelles qu’elles soient, et toutes par conséquent peuvent être appelées larmes du cœur. Elles se différencient seulement par le sentiment d’où elles procèdent. Amour réglé ou déréglé, amour parfait ou imparfait, comme je te l’ai expliqué. Il me reste a t’entretenir maintenant, pour répondre à ton désir, de quelques-uns qui souhaitent la perfection des larmes et semblent ne pouvoir l’obtenir.

Y a-t-il donc des larmes, d’une autre espèce que celles qui coulent des yeux ? Oui vraiment.

Il y a chez quelques-uns un pleur de feu ; je veux dire, un vrai et saint désir qui les fait se consumer d’amour. Ils voudraient fondre leur vie en pleurs, par haine d’eux-mêmes et pour le salut des âmes, et il ne leur semble pas pouvoir y réussir. Ceux-là, oui, ont des larmes de feu, que pleure l’Esprit-Saint devant Moi, pour eux et pour leur prochain. Je dis que ma Charité, avec sa flamme, embrase le cœur qui offre, en ma présence, des désirs ardents, sans une larme dans les yeux. Je dis que ce sont là des larmes de feu, et je répète que ces larmes, c’est l’Esprit-Saint qui les pleure. Ceux-là, ne pouvant pleurer des yeux, m’offrent les désirs que la volonté a formés pour l’amour de moi. S’ils ouvrent l’œil de l’intelligence, ils verront que, chaque fois que mes serviteurs exhalent devant moi le parfum d’un saint désir, dans leurs humbles et continuelles prières, par eux c’est l’Esprit-Saint qui pleure. N’est-ce pas ce que voulait faire entendre le glorieux apôtre Paul, quand il disait que l’Esprit-Saint m’implorait moi le Père, pour vous, par des gémissements inénarrables (Rm 8, 26).

Tu le vois donc bien, le fruit des larmes de feu n’est pas moindre que celui des larmes d’eau. Souvent même il est plus grand, suivant la mesure de l’amour. L’âme ne doit donc pas avoir l’esprit troublé, ni craindre d’être privée de ma présence, parce que les larmes qu’elle désire, elle ne les peut avoir de la manière qu’elle voudrait. Elle ne les doit souhaiter qu’avec une volonté en accord avec la mienne, soumise au Oui et au Non, suivant qu’il plaît à ma divine Bonté. Parfois, je ne consens pas à lui accorder ces larmes corporelles pour qu’elle se tienne sans cesse devant moi, en humilité et en continuelle prière avec le désir de me goûter, moi. Obtenir ce qu’elle demande ne lui serait pas d’une si grande utilité qu’elle le pense. Elle se tiendrait pour satisfaite de posséder ce qu’elle a désiré, et elle se relâcherait du sentiment et du désir qui le lui faisaient demander. Cette privation n’est pas pour elle un amoindrissement : c’est pour son avancement, que je m’impose à moi-même, de ne pas la favoriser de ces larmes extérieures que ses yeux voudraient verser. Je lui accorde seulement les larmes intérieures, que répand un cœur tout embrasé du feu de ma divine charité. C’est moi le médecin, vous êtes les malades C’est à moi de vous distribuer à chacun, suivant vos besoins, ce qui est nécessaire à votre salut et à l’accroissement de la perfection dans vos âmes.

Voilà la vérité. Tel est l’exposé des états des larmes fait par moi, Vérité éternelle, à toi, ma très douce fille. Baigne-toi donc dans le sang du Christ crucifié, de l’Agneau immaculé si humble, si souffrant ! et avance toujours dans la vertu, pour alimenter en toi le feu de ma divine charité.