Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 322-324).


CHAPITRE V

(92)

Comment de ces cinq sortes de larmes, quatre sont d’une infinie variété. Et que Dieu veut être Servi comme Être infini.

Ces cinq sortes de larmes dont je viens de te parler sont comme des canaux principaux. Il en est quatre qui en contiennent une infinie variété, et toutes donnent la vie, si elles sont répandues selon la vertu. Quand je parle d’infini, je ne veux pas dire que les pleurs que vous versez, soient eux-mêmes infinis, mais je les appelle infinis, parce que infini est le désir de l’âme qui les fait répandre.

Je t’ai expliqué précédemment comment les larmes procèdent du cœur et comment le cœur les transmet aux yeux, après les avoir recueillies dans un ardent désir. Quand le bois est jeté au feu encore vert, la chaleur du feu le fait pleurer, parce qu’il est vert ; s’il était sec, on ne l’entendrait pas gémir. Le cœur, lui, reverdit sous l’action de la grâce retrouvée, qui te tire de l’aridité de l’amour-propre qui dessèche l’âme. Les larmes sont aussi provoquées par le feu, c’est-à-dire par l’ardeur du désir. Comme le désir, ne finit jamais, il ne peut être rassasié en cette vie ; mais plus l’âme aime, moins il lui semble aimer. Elle produit donc sans cesse ce désir saint, fondé sur la charité, qui est pour les yeux une source de larmes.

Quand l’âme est séparée du corps, et unie à Moi sa fin, elle ne cesse pas de me désirer ; elle n’a pas laissé sur terre son désir ni la charité du prochain. La charité est entrée au ciel, comme une Reine portant avec elle le fruit de toutes les autres vertus. C’est fini, il est vrai, de tout ce qu’il y avait de souffrance dans ce désir, car, je te l’ai dit, si l’âme me désire, elle me possède en toute vérité, sans aucune crainte de perdre ce qu’elle a si longtemps désiré. De cette manière, sa faim s’avive toujours, mais si elle a faim, elle est aussi rassasiée, et tout en étant rassasiée elle a toujours faim. Elle n’éprouve ni le dégoût de la satiété, ni la peine de la faim, parce qu’aucune perfection ne lui manque.

Tu le vois donc bien, votre désir est infini. Et il le faut bien.

Aucune vertu n’aurait de prix pour la vie éternelle, Si vous aviez seulement pour me servir quelque chose de fini. Parce que je suis le Dieu infini, je ne veux rien d’autre que l’amour et le désir de l’âme.

C’est en ce sens que j’ai dit qu’il y a une infinie variété de larmes. Rien de plus vrai, à cause du désir infini, qui est en union avec elles. Après que l’âme a quitté le corps, les larmes restent sur terre, mais l’amour de la charité a absorbé le fruit des larmes et l’a consumé en elle, comme l’eau qui est en dehors de la fournaise est absorbée par le feu et attirée dans le brasier. Ainsi donc, l’âme qui est parvenue à éprouver le feu de la divine charité et est sortie de cette vie, avec l’amour de Moi et du prochain, avec cet amour d’union qui lui faisait verser des larmes, ne cesse jamais d’offrir ses désirs bienheureux. Toujours elle pleure, mais sans affliction, non les larmes des yeux, qui ont été consumées dans le brasier, mais les larmes de feu de l’Esprit-Saint.

Tu as vu comme ces larmes sont infinies. En cette vie, la langue ne saurait raconter toutes les diversités de pleurs que l’on répand en cet état. J’ai voulu seulement t’exposer quelle pouvait être la variété de ces quatre sortes de larmes.