Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 188-192).

CHAPITRE IX

(143)

De la providence de Dieu à l’égard de ceux qui sont en péché mortel.

L’âme est ou en état de péché mortel ou en état de grâce. En ce second état, quelle demeure encore imparfaite ou elle est parvenue à la perfection. Dans tout ces états, l’âme est l’objet de ma providence, qui en use largement avec elle ; mais divers sont les moyens choisis par ma sagesse infinie, comme divers aussi les besoins auxquels elle doit pourvoir.

Les hommes mondains, plongés dans la mort du péché, ma providence s’emploie à les réveiller par l’aiguillon de la conscience. Je les harcèle sans relâche, et sous toutes les formes, par des moyens si multiples et si variés que ta parole ne les saurait redire, parce qu’au fond de leur cœur, ils sentent toujours cette blessure. Je ne leur permets pas d’échapper à son importunité, et la douleur qu’ils en éprouvent se fait si cuisante, que souvent ils n’y peuvent plus tenir et abandonnent la faute du péché mortel.

Parfois, comme de vos épines j’aime à retirer la rose, lorsque le cœur de l’homme glisse au péché mortel, pour s’être laissé prendre à l’amour de la


créature, en dehors de ma volonté, je fais en sorte que le temps et le lieu lui manquent pour l’exécution de ses mauvais desseins. Son cœur languit et se ronge devant l’obstacle qu’il ne peut vaincre ; il se replie sur lui-même ; il entend le reproche de sa conscience, il comprend que c’est par sa faute qu’il se torture, il en conçoit du repentir, et rejette alors loin de lui son fol amour. Car n’est-ce pas folie en vérité que de placer son affection en une chose qu’on reconnaît ensuite dès qu’on ouvre les yeux, n’être pas même une vétille. Certes la créature qu’il aimait d’un si misérable amour est un bien, elle est quelque chose. Mais ce qu’il attendait d’elle, n’était pas même une bagatelle ; c’était le péché, et le péché n’est pas quelque chose. Sur cette épine qui déchire l’âme, j’ai fait fleurir la rose, comme j’ai dit, de ce néant qu’est la faute, j’ai fait un moyen de salut.

Qui m’a poussé à en agir de la sorte ? Pas le pécheur, assurément, qui ne me cherche pas, qui ne demande point mon assistance, qui n’invoque point ma providence, si ce n’est pour favoriser ses coupables desseins, ou lui ménager les plaisirs, les richesses ou les honneurs du monde. Qui m’y a donc conduit ? L’Amour ! Car avant même que vous ne fussiez, je vous aimais ; et sans même que vous m’aimiez, je vous aime, moi, et ineffablement ! Voilà, oui, voilà la force qui me pousse ; et c’est aussi les prières de ceux qui me servent. A ceux-ci la clémence de mon Esprit-Saint, le bon serviteur, sert toujours comme nourriture, l’honneur de mon nom et l’amour de leur prochain. Aussi toujours occupés du salut de leurs frères, ils s’efforcent d’apaiser ma colère et de lier les mains de ma divine justice, sans cesse provoquée par l’iniquité des hommes qui mériteraient de tomber sous ses coups. Ils me font ainsi violence à moi-même, par leurs larmes, par leurs humbles et continuelles prières. Et qui donc les fait crier vers moi, sinon ma providence qui pourvoit ainsi à la détresse de ce mort ? Car il a été dit que je veux non la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive.

Sois tout amour pour mn providence, ma fille. si tu veux seulement ouvrir les yeux, ceux de ton esprit et ceux de ton corps, tu verras des hommes criminels plongés dans cette affreuse misère. Privés de ma lumière, la corruption de la mort dans leur âme, êtres d’obscurité et de ténèbres, ils vont chantant et riant, prodiguant leur temps dans la vanité, dans les plaisirs, dans la basse débauche. Manger, boire, jouir, voilà toute leur vie : leur Dieu c’est leur ventre. Hors de là ils n’ont que haine, rancœur, orgueil, et mille autres vices dont je t’ai parlé. Et ils n’ont pas conscience de leur état ! S’ils ne changent pas de vie, ils sont dans le chemin, qui mène tout droit a la mort éternelle, et ils y vont en chantant !

N’estimerait-on pas grande sottise, extravagante folie, le fait d’un condamné à mort qui irai ! à l’échafaud, en chantant et dansant, et en donnant des signes d’allégresse ? Oui, assurément. Et c’est la folie de ces malheureux, folie d’autant plus grande que sans comparaison aucune, ils éprouvent plus de dommage incontestablement de la perte de leur âme que ceux-là de la mort de leur corps. Ils perdent la vie de la grâce, ceux-là la vie corporelle ; par l’éternelle damnation ils subissent une peine infinie, ceux-là, une peine finie. Et ils y courent, et ils chantent ! O deux fois aveugles, insensés et fous au-dessus de toute sottise !

Cependant mes serviteurs sont dans les larmes, leur corps est dans l’affliction, leur cœur en souffrance. Veilles, prières incessantes, soupirs, gémissements, macérations, ils acceptent tout, ils affrontent tout, pour le salut de ces pécheurs qui, de leur côté, les tournent en dérision. Mais leurs railleries retombent sur leurs tètes, et le châtiment de la faute revient toujours à celui qui l’a commise, tandis que la récompense de tous les labeurs, supportés pour l’amour de moi, fait retour à celui à qui ma bonté a fait la grâce de la mériter. Car moi votre Dieu, je suis le Dieu juste, je rendrai a chacun selon ses œuvres.

les serviteurs ne se laissent pas décourager par les moqueries, par les persécutions et les ingratitudes de ces malheureux : ils n’en prient pour eux qu’avec plus de zèle et plus de ferveur. Et qui donc les excite ainsi à frapper à la porte de ma miséricorde ? Qui ? sinon encore ma providence, attentive à procurer le salut de ces misérables, et qui, dans ce but, grandit la vertu et attise le feu de la charité dans l’âme de mes serviteurs ? Infinies en vérité, les ressources providentielles ménagées par moi à l’âme du pêcheur, pour le retirer du péché mortel !

Je vais te parler maintenant de la conduite de ma providence à l’égard de ceux qui, sortis de leur faute, demeurent encore imparfaits. Sans revenir sur ce qui a été exposé avec ordre des états de l’âme, j’y toucherai très brièvement.