Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 180-187).


CHAPITRE VIII

(142)

Comment Dieu exerce sa providence sur l’âme, en lui donnant son sacrement. Comment il pourvoit aux désirs de ses serviteurs affamés du sacrement du corps du Christ. Comment il pourvut maintes fois, par une intervention merveilleuse, au besoin d’une âme qui désirait ardemment l’Eucharistie.

Sais-tu, très chère fille, comment je pourvois aux besoins de mes serviteurs qui espèrent en moi ? De deux manières. Ma providence, à l’égard de mes créatures raisonnables, s’exerce à la fois sur l’âme et sur le corps, et toutes les dispositions de ma providence vis-à-vis du corps, sont ordonnées au service de l’âme ; elles ont pour but de la faire pénétrer plus avant dans la lumière de la foi, d’accroître son espérance en moi, en la dépouillant de plus en plus de la confiance qu’elle pourrait avoir en elle-même. C’est ainsi, qu’elle en arrive à voir et à reconnaître que je suis celui qui est, celui qui peut, celui qui veut, celui qui sait subvenir à ses besoins et pourvoir à son salut.

Pour ce qui est proprement de l’âme et de sa vie, je lui ai donné, tu le sais, ]es sacrements de la sainte Église. Voilà sa nourriture, à elle ! Ce n’est pas le pain matériel, la nourriture grossière qui convient au corps et que j’ai donnée au corps ; car l’âme est immatérielle, il lui faut une nourriture immatérielle et c’est de ma parole qu’elle doit vivre. C’est pourquoi ma Vérité a dit, dans le saint évangile, que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole venue de moi (Mt 4, 4). Elle doit donc suivre spirituellement, du fond du cœur, la doctrine de ma Parole incarnée, qui par la vertu de son sang dans les sacrements lui donne la vie ; car ces sacrements sont spirituels, et c’est à l’âme qu’ils sont donnés, bien qu’ils soient faits et administrés par l’intermédiaire du corps. Cet acte matériel ne communiquerait pas la vie à l’âme, si elle ne s’y disposait à le recevoir spirituellement par un vrai et saint désir, et ce n’est pas dans le corps, mais dans l’âme, qu’est ce désir. Voilà pourquoi je t’ai dit que les sacrements sont spirituels et que c’est a l’âme immatérielle qu’ils sont donnés. C’est bien sur le corps que s’exerce le rite extérieur, mais c’est au désir de l’âme qu’il appartient d’en recevoir l’effet.

Pour accroître cette faim, ce saint désir de l’âme, parfois je lui inspirerai ce vœu du sacrement, sans qu’elle puisse le satisfaire. Cette privation ne fait qu’attiser son ardeur, et lui apprend à se connaître elle-même, en l’amenant à se juger indigne par humilité. C’est moi qui l’en rend digne par divers moyens ménagés par ma providence pour lui procurer ce sacrement. Tu le sais bien, pour l’avoir entendu raconter et pour l’avoir éprouvé toi-même, si tu ne l’as pas oublié. La clémence de mon Esprit-Saint, que ma bonté lui a donné pour la servir, suggère alors à quelque prêtre la pensée qu’il doit administrer cette nourriture. L’Esprit-Saint le presse par l’ardeur de ma charité, et stimule sa conscience. Sous cette poussée intérieure, le prêtre est amené à apaiser la faim de cette âme et à combler ses vœux. Parfois je la ferai attendre ainsi jusqu’au dernier moment, et quand elle aura perdu tout espoir, c’est alors qu’elle obtiendra ce qu’elle désire.

N’aurais-je pu pourvoir à lui procurer, dès le commencement, la satisfaction que je lui ai l’ait attendre ? Oui, en vérité, mais si j’ai différé, c’était pour accroître en elle la lumière de la foi et l’habituer à ne jamais se lasser d’espérer en ma bonté, en même temps que je la rendais plus circonspecte et plus prudente en lui apprenant à ne pas retourner en arrière, en se relâchant de l’intensité de son désir.

Te souviens-tu de cette âme, qui était venue au saint temple, avec un grand désir de la communion ? Comme le prêtre montait à l’autel, elle lui demanda le corps du Christ, vrai Dieu et vrai homme, il lui répondit qu’il ne voulait pas le lui donner. Le gémissement et l’ardeur de cette âme s’en accrurent d’autant. Le prêtre en éprouva du trouble dans sa conscience, et à l’élévation du calice, le remords devint si violent, qu’il dit au clerc qui l’assistait : Demande-lui si elle veut la communion, je la lui donnerai volontiers. C’était l’Esprit-Saint, le serviteur attaché par ma providence au service de cette âme, qui travaillait ainsi le cœur de ce prêtre, pour l’amener à satisfaire à son désir.

Et quel profit pour cette âme dans ce refus ! Ce qui n’était en elle qu’une étincelle de foi et d’amour devenait un grand feu, et ce désir embrasait tellement son cœur qu’il lui semblait que la vie allait quitter son corps. Je n’avais permis ce délai que pour détruire en elle tout amour-propre, toute hésitation, toute espérance qu’elle aurait pu avoir en elle-même. Ma providence fit concourir à ce dessein l’action d’une créature, mais en d’autres circonstances, le bon serviteur qu’est l’Esprit-Saint y pourvoira seul, sans aucun intermédiaire, comme il est arrivé maintes fois à plusieurs personnes, et comme l’éprouvent tous les jours ceux qui me servent. Je t’en citerai, entre autres, deux exemples admirables, pour fortifier ta foi et l’attacher davantage encore à ma providence.

Rappelle-toi, — tu dois en avoir conservé le souvenir pour l’avoir appris de cette âme elle-même — que le jour de la conversion de mon glorieux apôtre Paul, mon cher héraut, il y avait dans une église, une âme si désireuse de recevoir ce sacrement, le pain de vie, nourriture des anges qui vous a été donné à vous mes créatures humaines, qu’elle le demanda à presque tous les prêtres qui vinrent célébrer ce jour-là. Par une disposition de ma providence, de tous elle essuya un refus. Je voulais ainsi lui apprendre que si les hommes la rebutaient, je lui restais fidèle, moi son créateur. Pour le lui prouver, j’usai d’un doux stratagème, afin de la mieux enivrer de ma providence.

La dernière messe allait être dite. Elle avait averti celui qui servait à l’autel, qu’elle désirait communier ; mais celui-ci s’abstint de prévenir le prêtre. Cependant, comme elle n’en avait point reçu de réponse négative, elle attendait avec ferveur, le moment où elle pourrait s’approcher de la communion. La messe terminée et se voyant frustrée dans son espérance, elle éprouva une faim si grande de ce pain de vie, un désir si ardent de le recevoir, qu’elle ne savait comment le contenir, en même temps que son humilité la portait à se considérer comme indigne et lui faisait reproche de la présomption qu’elle avait eue, d’oser s’unir à un si grand mystère.

Alors moi, qui exalte les humbles, moi le Dieu de l’éternité, j’attirai à moi le désir et l’ardeur de cette âme et je plongeai son esprit dans l’abîme de ma Trinité. J’inondai de clartés l’œil de son intelligence sur ma puissance à moi le Père éternel, sur la sagesse de mon Fils unique, sur la clémence de l’Esprit-Saint, distincts tous trois dans l’unité d’une même essence. Cette âme s’unit si étroitement à ce divin objet, que son corps en était soulevé de. terre ; car, dans cet état unitif, l’âme, comme je te l’ai expliqué, est plus parfaitement unie à moi par le sentiment de l’amour qu’elle ne l’est à son propre corps. C’est au sein de cet abîme, que, pour satisfaire son désir, je lui donnai moi-même la sainte communion, et en signe de la réalité de cette grâce, pendant plusieurs jours, elle éprouva d’une manière merveilleuse, par ses sens corporels, le goût et l’odeur du sang et du corps du Christ crucifié, ma Vérité. Elle en fut toute renouvelée dans la lumière de ma providence, qu’elle avait goûtée avec tant de douceur.

Cette intervention providentielle ne fut sensible qu’à cette âme seule elle demeura invisible polir les autres créatures.

Quant au second fait, il eut pour témoin le prêtre qui fut acteur dans l’événement, et qui le vit de ses yeux.

Cette âme avait un grand désir d’entendre la messe et d’y communier ; mais, retardée par une infirmité, elle n’avait put se rendre à l’église à l’heure voulue. Elle y vint cependant, mais en retard. Quand elle arriva, le prêtre en était à la consécration. La messe se célébrait à un autel placé au chevet de l’église, mais elle demeura au bas dut temple, à l’autre extrémité, parce que l’obéissance ne lui permettait pas d’entrer plus avant. C’est donc là qu’elle se tint. Elle disait dans ses gémissements : O âme misérable, ne vois-tu pas quelles grâces tu as reçues : tu es dans le temple saint de Dieu, tu vois le prêtre qui célèbre le sacrifice, toi qui mériterais par tes péchés d’être placée en enfer ? Mais ces considérations n’apaisaient point son désir, bien au contraire, plus elle s’abaissait dans les profondeurs de l’humilité, plus elle se sentait élevée au-dessus d’elle-même ; ma grâce la faisait pénétrer davantage, par la foi et l’espérance, dans la connaissance de ma bonté ; et elle y trouvait la confiance que l’Esprit-Saint, son serviteur, contenterait sa faim.

C’est alors que je lui donnai ce qu’elle désirait d’une manière qu’elle naurait pas su prévoir. Avant la communion, au moment où le prêtre divise l’hostie, il s’en détacha une fraction qui tomba sur l’autel. Par une disposition de ma sagesse et un acte de ma puissance, cette parcelle de l’hostie, qui s’en était détachée, quitta l’autel, pour aller à l’autre extrémité de l’église où se tenait cette âme. Celle-ci sentit à ce moment qu’elle était communiée, mais croyant qu’elle l’avait été d’une manière invisible, et que rien n’en avait paru au dehors, elle pensa, dans l’ardeur de son amour, qu’une fois de plus j’avais secrètement satisfait son désir comme il lui était déjà arrivé bien souvent.

Ce n’était pas l’avis du prêtre. Celui-ci ne trouvant pas cette parcelle de l’hostie, en éprouvait une douleur qui eut été intolérable, si dans ma clémence l’Esprit-Saint le serviteur, ne lui eût suggéré l’idée de la personne qui l’avait reçue. Un doute cependant subsistait dans son esprit, jusqu’à ce qu’il s’en fût expliqué avec elle.

N’aurais-je pas pu guérir l’infirmité qui l’empêchait de se rendre à l’église, et lui permettre ainsi d’arriver à l’heure à la messe, pour recevoir le sacrement de la main du prêtre ? Sans doute ; mais je voulais prouver à cette âme, et par sa propre expérience, qu’avec ou sans l’intermédiaire des créatures, dans quelque état, dans quelque temps que ce soit, et quoi qu’elle souhaite, moi, je puis, je sais, je veux satisfaire ses désirs et au delà de ses désirs, et par les moyens les plus merveilleux.

C’est assez, ma très chère fille, pour le faire comprendre les dispositions de ma providence à l’égard des âmes affamées de ce doux sacrement. C’est ainsi qu’en use ma bonté vis-à-vis de tous les autres, suivant leurs besoins.

Je veux te parler maintenant d’un détail, et t’expliquer la conduite de ma providence dans l’intime de l’âme, sans aucune intervention des agents corporels, comme instruments extérieurs. Je t’en ai déjà touché un mot, à propos des états de l’âme, mais je n’en juge pas moins opportun d’y revenir (187).