Traduction par Théophile Seyrig.
Félix Alcan (p. 49-75).
Influence de la vapeur d’eau sur les climats.

CHAPITRE II

INFLUENCE DE LA VAPEUR D’EAU SUR LES CLIMATS

Aristote fut, pendant près de deux mille ans, le savant le plus renommé en ce qui concerne la cosmographie. Quand, il y a environ vingt-trois siècles de cela, il énonça les bases des sciences naturelles, il invoqua comme causes premières les plus importantes, l’humidité, la chaleur, et leurs opposés. Pour lui, les quatre éléments dont tout était issu étaient : la terre, caractérisée par la sécheresse et le froid ; l’eau, humide et froide ; l’air, qui combinait l’humidité avec la chaleur, et enfin le feu, dont la caractéristique était la sécheresse et la chaleur. Sans nul doute il considérait en cela les choses nécessaires à la vie, que nous pouvons grouper comme l’humidité et la chaleur. Nous, modernes, avons admis en gros, que toute vie a trouvé son origine dans la mer, en sorte que nous pouvons admettre que l’humidité est à considérer comme la nécessité primordiale pour son apparition sur le globe. En ce qui concerne la chaleur, nous savons que le froid est destructeur de la vie, tandis qu’elle est accélérée par la chaleur, tout au moins jusqu’à un certain point, environ 35 ou 40 degrés. Cette température est la plus favorable pour le développement de la vie, tandis qu’une chaleur plus forte lui devient nuisible. Déjà bien au dessous du point d’ébullition de l’eau la vie est plus menacée que par les températures inférieures au point de congélation. Les géologues ont reconnu que les époques successives qui ont caractérisé l’évolution de notre globe, sont définies surtout par l’humidité ou par leur sécheresse. Afin d’arriver à une conception nette en cette matière nous allons passer rapidement en revue l’état actuel de nos connaissances, pour en faire ressortir l’importance qu’il convient d’attacher aux périodes humides et sèches, ainsi qu’aux régions où elles se produisent.

Nous sommes tous familiers avec la chaleur lourde imprégnée d’humidité que nous trouvons dans une serre. Elle est particulièrement favorable à la croissance des plantes, et à la vie des animaux inférieurs. Aux animaux supérieurs comme à l’homme, la chaleur humide est moins indispensable. À l’air libre, une atmosphère ainsi chargée n’existe que sous les tropiques. La région du Congo, les contrées du Brésil qui avoisinent le fleuve des Amazones, sont connues à la fois par leur humidité chaude, et par leur végétation fabuleusement puissante. Je transcris ici la description qu’a donnée notre plus grand climatologue d’aujourd’hui, J. Hann, d’un climat de cet ordre.

« Au Congo, les variations de température entre le mois le plus tempéré et le mois le plus chaud de l’année sont très faibles : elles sont d’un 1/2 à 5 degrés, avec une moyenne de 3°,5. La variation diurne atteint trois fois ces chiffres, ou 9°,5. Plus nous approchons de l’équateur, plus la saison sèche devient courte, et à Équateurville, à Bangala, elle devient nulle. Pendant les saisons sèches un brouillard humide intense recouvre les savanes matin et soir. Pendant des semaines entières le soleil reste caché par un rideau de nuages bas, d’épaisseur uniforme. Ce n’est que pendant la saison humide que l’on voit, entre les averses, un ciel pur. Cette saison débute et se termine par de formidables orages venant de l’Est. À Luluaburg, on ne compte pas moins de 106 jours par an, où il survient des orages. Pendant la saison sèche, le vent apporte des nuages de poussière qui tombe à terre. Dans le bassin du Congo la nébulosité du ciel est énorme ; il semble qu’il n’y ait pas réellement, dans cette partie du globe, de mois où le ciel soit pur. À Vivi la proportion des jours couverts est de 74 p. 100 en moyenne, variant de 63 p. 100 en avril, à 83 p. 100 en novembre. L’humidité de l’air est très grande ; elle varie de 70 à 79 p. 100, avec une moyenne de 75, et à Bolebo cette moyenne s’élève à 79 p. 100. En saison pluvieuse, la chaleur est parfois insupportablement oppressive ; des vapeurs suffocantes s’élèvent de la matière végétale qui subit une rapide décomposition dans cette humidité excessive. La chute de la pluie, annuelle, ne donne pas des hauteurs très surprenantes : elle varie de 120 à 180 centimètres. Au Gabon, qui n’est pas loin de ces régions, le ciel est presque continuellement voilé de nuages durant la saison sèche.

« En Amérique du Sud, les régions similaires sont parfois caractérisées par une humidité plus grande encore. À Iquitos, sur l’Amazone, elle atteint 83 p. 100 de l’état de saturation. La variation annuelle de la température n’est que de 5 degrés. À Para (à 1°,08 de latitude Sud) elle tombe à 1 degré ou 1°,5. La variation diurne est sensiblement plus grande. Dans la saison pluvieuse, le ciel est remarquablement clair entre les averses. À la Guyane, et à l’intérieur du pays, les pluies commencent fin avril, et durent jusque fin août, ou même septembre. Une rosée abondante tombe fréquemment pendant la portion sèche de l’année, maintenant cet état de grande humidité. Le soleil comme la lune ne sont que rarement visibles, et des orages avec des éclairs formidables annoncent le commencement de la saison pluvieuse. »

Il semble que des conditions analogues à celles ainsi décrites, aient régné pendant l’ère carbonifère, qui était, comme on sait, celle d’une végétation luxuriante. Les puissants troncs d’arbre de cette période tombaient dans les marais recouverts d’eau où ils avaient grandi, et leur immersion les protégea contre la pourriture. Au lieu de disparaître, ils se transformèrent en charbon, tout comme le font encore aujourd’hui les mousses de nos tourbières. Ce fait a conduit à penser, pendant longtemps, que la température ne devait pas, alors, être très élevée. Frech l’a estimée à 12 degrés seulement. Mais depuis que Keilhack, en 1914, a découvert et a donné la description de certaines tourbières de l’île de Ceylan, où la température moyenne de l’année est de 26 degrés, on doit revenir plutôt à l’opinion plus ancienne, qui consistait à admettre que les formes végétales de l’époque carbonifère fournissent la preuve d’un climat très chaud.

Si l’on en juge par l’apparence des plantes fossiles, on est conduit à penser que la température a dû être bien près de l’uniformité sur le globe entier.

Carthaus fait observer que l’air n’était agité que par des vents faibles, attendu que les arbres de cette époque, de dimensions énormes, mais dont le système des racines était bien frêle, n’auraient pas pu résister à un vent d’une certaine violence. Le ciel devait être caché par un rideau continu de nuages épais, qui ne laissait filtrer jusqu’au sol qu’une faible lumière. L’air sans mouvement était presque saturé d’humidité. La puissante richesse de la végétation, qui dépassait tout ce qui existe aujourd’hui, est l’indice d’une proportion très élevée d’acide carbonique dans l’air atmosphérique. Ce fait, joint à celui de l’humidité extrême, et à celui de l’existence des nuages denses, fit que la radiation solaire était presque entièrement absorbée par les couches supérieures de l’air, où il devait en résulter une forte circulation atmosphérique. Il devait y avoir par conséquent une répartition très égale de la chaleur entre les pôles et l’équateur, tandis que sous la couche nuageuse une température très égale régnait jour et nuit, été et hiver. L’air humide était au repos, stagnant, et rempli d’épais brouillards dès que se produisait le moindre écart de température. Le manque de lumière était un obstacle au développement des fleurs, et la luxuriance de la végétation se portait sur les fougères et sur les prêles. Les pins, les sapins étaient encore rares. Dans les régions marécageuses, où la vie végétale était plus intense, les conditions offertes aux plantes ressemblaient beaucoup à celles d’une serre devant les vitres de laquelle on aurait étendu un voile épais de façon qu’un crépuscule perpétuel y régnât.

Dans un climat aussi uniforme, la vie végétale devait nécessairement se développer beaucoup plus vigoureusement que la vie animale. Les nuées denses pouvaient emmagasiner des quantités de chaleur dans la zone équatoriale, dans leurs couches supérieures ; par leur évaporation les vents violents qui régnaient au-dessus de la région nuageuse emportaient ces vapeurs aqueuses vers des régions plus froides, où la chaleur était de nouveau libérée par la formation d’autres nuages. Aujourd’hui les courants océaniens pourvoient largement à ce transport de chaleur. Ils donnent, par exemple, à la côte norvégienne, et à vrai dire, à toute l’Europe occidentale son climat si remarquablement doux, propice à la vie et à la civilisation. Mais pendant la période carbonifère, ce sont les courants d’air humide qui remplissaient la même fonction. Leur vitesse était bien supérieure à celle des courants océaniens ; ils n’étaient ni gênés ni déviés par les côtes ou par des îles. De là, la température si extraordinairement uniforme, et l’extension d’un climat marin sur toute la surface du globe. Aujourd’hui une distribution de chaleur très analogue se produit encore à une hauteur d’environ 10 000 mètres, dans ce qu’on est convenu d’appeler la « Stratosphère », seulement la température y est extrêmement basse, environ 60 degrés au-dessous de zéro. La vapeur, dans ces conditions, est à peine sensible, et ne peut donner lieu à aucune forme de nuages. La quantité de chaleur qui existe dans ces régions élevées de l’atmosphère est trop insignifiante pour réagir sur les masses d’air inférieures, dont par conséquent, la température est à peu près exclusivement réglée par la surface ensoleillée de la terre. Seuls les courants océaniens égalisent un peu les conditions, comme par exemple dans les régions situées au sud de 30 degrés de latitude S, qui ne contiennent guère que des océans. Il a existé, bien entendu, pendant la période carbonifère, une certaine différence de température entre le pôle et l’équateur, mais elle semble avoir été faible, peut-être seulement de 10 degrés. Il semble encore que la formation des couches de houille se soit limitée principalement aux régions où le climat était d’une grande uniformité pendant toute l’année.

Le climat désertique et sec, qui est l’extrême opposé de celui que nous venons de décrire, est beaucoup plus fréquent à l’époque où nous vivons. Il est bien connu dans presque toutes les contrées du globe sauf en Europe, où nous ne pouvons pas dire qu’il existe un désert, mais seulement des steppes, dont la végétation, abondante après les pluies du printemps, disparaît rapidement aussitôt qu’arrivent les chaleurs estivales. Des plantes d’un type tout spécial se sont accommodées à cette variation périodique, allant de la pluie à la sécheresse, du froid aigu de l’hiver, à la chaleur écrasante de l’été. Les plantes vivaces, et tout particulièrement les arbres, ne résistent que rarement aux rigueurs de tels extrêmes de climats. La vie animale, par contre, semble pouvoir s’y adapter sans trop de peine, et s’y montre d’une véritable richesse.

Ce climat des steppes n’est qu’une étape intermédiaire vers le climat désertique proprement dit, qui, lui, est ennemi de toute vie. La température y subit des variations énormes soit pendant la journée, soit au décours de l’année. Les écarts annuels sont moins prononcés dans le voisinage de l’équateur et les écarts journaliers sont plus faibles dans le voisinage des pôles, conséquence des faibles différences dans la variation solaire aux périodes correspondantes. Dans le Sahara, la différence entre le jour et la nuit est souvent de 30 et même de 40 degrés. La mission Foureau-Lamy, en 1898-1899, a constaté un minimum de 20 degrés au-dessous de zéro ! presque celui des côtes scandinaves. La température la plus élevée qu’elle put constater fut de 48 degrés, soit un écart de près de 70 degrés.

Dans la Haute Égypte la température moyenne varie de 16°,3 en janvier, à 34 degrés en juillet ; plus près encore de l’équateur, dans l’Afrique Centrale, la différence n’est plus que de 6°,9, la moyenne étant de 22°,7 en décembre et 29°,6 en avril.

À Kiachta en Sibérie par contre, la variation annuelle atteint 45 degrés, de −26°,6 en janvier à +19 degrés, en juillet.

Les variations journalières sont, en moyenne, aux stations continentales, d’environ 12 degrés. Mais tout ceci se rapporte à la température atmosphérique, tandis que celle du sol peut varier, en vingt-quatre heures, de 50 degrés, et de plus encore au désert.

Au Sahara le gel se manifeste parfois aussi tard que le mois de mai, quand déjà la température du jour peut s’élever à 50 degrés. En Scandinavie, au contraire, la différence entre les maxima et minima du jour ne s’élève qu’à 6 ou 7 degrés, les plus grands écarts se produisent en juillet : 10°,4, et les plus faibles en novembre, soit 4 degrés.

Dans son voyage au Tibet en 1899–1902, Sven Hedin constate une variation journalière de 19 degrés, sans que l’altitude à laquelle il voyageait parût influer d’une façon sensible sur ces différences.

Les conséquences des grandes variations journalières de la température se marquent aisément par l’éclatement fréquent des roches qui, par la suite, et lentement, se réduisent à l’état de poussière fine, emportée par les vents, partout où le sol n’est pas protégé et lié par une végétation normale. C’est ainsi que se forment les déserts sablonneux. Les vastes étendues désertiques de l’Asie ont été lumineusement décrites par Sven Hedin. Les montagnes soumises à l’érosion des tempêtes de sable ressemblent à des ruines dilapidées, qui subsisteraient comme les témoins des alpes de jadis. Mais aujourd’hui la poussière des steppes du Turkestan oriental est réduite à un état de finesse tel, qu’elle reste souvent suspendue dans l’air pendant plusieurs jours, après quelque tempête, révélant sa présence dans la haute atmosphère, par des couchers de soleil d’une splendeur exceptionnelle. De longues dunes sont formées par le vent, et ces dunes se déplacent dans la direction où il souffle. Le sable est ferrugineux, il est rouge, et devient jaune rougeâtre parla pulvérisation. Mouillé, il devient brun ou noirâtre. À la suite des pluies, l’eau coule vers les vallées, entraînant avec elle ces sables sous forme de boues, l’évaporation de l’eau en fait à son tour une pâte noirâtre plastique, qui glisse comme un glacier sur les pentes, et vient enfin s’arrêter dans quelque creux, qu’elle remplit peu à peu. Ces agglomérations de boues portent en Perse le nom de « Kevirs ». Leur surface se dessèche, leur fond reste humide. À mesure que l’évaporation superficielle continue, la masse s’enrichit de plus en plus en sel, et l’on voit se former, pendant les périodes sèches, de véritables croûtes salines qui les recouvrent.

D’autres districts du même genre, comme par exemple dans la vallée du Tarim, laissent apparaître parfois de l’eau dans leurs parties basses. C’est ce qu’on appelle des « bayirs », qui sont assez semblables aux Kevirs, ou encore qui consistent en petits lacs salés, enclavés entre des
Fig. 10 : La rivière Tarim, les lacs et les bayirs avoisinants.
Fig. 10. — La rivière Tarim et les lacs et les bayirs avoisinants.
Plan dressé par Sven Hedin
———Direction du déplacement de la rivièredes vents régnants
 – – – –Direction du déplacement de la rivière
Parties fertiles. Parties fertiles.Sables.  Parties fertiles.Lacs.  Parties fertiles.Bayirs.
Parties fertiles.En blanc.  Parties fertiles.Pointillé.  Parties fertiles.Hachures  Parties fertiles.Hachures
Parties fertiles.   Parties fertiles.   Parties fertiles.horizontales.  Parties fertiles.verticales
dunes de sable. Les vents, qui amènent les sables, remplissent rapidement ces petits étangs, de sorte qu’eux aussi semblent se déplacer dans le sens des vents régnants. Topographiquement, ils sont allongés, parallèlement l’un à l’autre, et perpendiculairement à la rivière Tarim.

La carte que nous empruntons à l’ouvrage de Sven Hedin (fig. 10) montre bien ces bayirs allongés l’un à côté de l’autre presque avec la régularité d’un dessin de tapisserie. Ce cloisonnement du paysage est le résultat de la formation des dunes. Les principales d’entre elles, qui ont des parois escarpées du côté Ouest, suivent en général la direction N. N. E.S. S. W., qui est à angle droit avec les vents régnants. De plus petites dunes sont formées par les vents moins fréquents mais dont la direction diffère, et ces dunes secondaires sont presque perpendiculaires aux principales. L’ensemble de ces formes rappelle ce que nous appelons le ciel moutonné, qui n’est qu’une formation de nuages due à des vents venant de deux directions perpendiculaires entre elles dans les hautes régions de l’atmosphère. Les petits amas de nuages correspondent aux petites crêtes des vagues, aux « moutons » d’une mer agitée. Le plan des « Bayirs » fait penser à un damier qui aurait des cases irrégulières et un peu allongées.

Reprenons notre étude de la plus grande des deux régions très particulières dont nous venons de parler, du grand Kevir de la Perse. Ce lac de boue, dont la surface est asséchée, a une longueur de 500 kilomètres, et sa largeur est de 200 kilomètres dans ses plus grandes dimensions. Sa surface est évaluée par Sven Hedin à 55 000 kilomètres carrés. C’est la superficie du grand lac Michigan dans l’Amérique du Nord. Grâce à la salure continuellement croissante de la masse, par suite de la venue des eaux, puis de l’évaporation superficielle, il se forme une croûte de sel d’épaisseur très variable, qui se dépose près de la surface. Dans cette croûte Sven Hedin fit un sondage, à l’aide d’une barre de fer. Il trouva, à la surface même, une couche d’argile pâteuse de 0m,10. Au-dessous de celle-ci venait une croûte de 7 centimètres de sel, qui reposait sur une nouvelle couche d’argile à moitié séchée, dont l’épaisseur était de 15 centimètres. Au-dessous de celle-ci d’autres couches argileuses suivirent, mais qui devenaient de plus en plus molles à mesure qu’on s’enfonçait. L’outil aurait bientôt disparu dans cette boue liquide.

Un autre voyageur, Buhse, a fait l’examen de cette croûte, qui, lorsqu’elle est séchée, est passablement solide et de couleur jaune grisâtre. La moitié en était sableuse, probablement de sable quartzeux. La sixième partie en était calcaire ; il y avait 6,1 p. 100 d’oxyde de fer, cause de la couleur jaune, 5,3 p. 100 de sel ordinaire, 2,5 p. 100 de sulfate de soude, et 2,1 p. 100 d’argile. La pluie transforme cette couche superficielle en une masse plastique qui se fixe d’une façon étonnante aux habits de celui qui tombe, ou au corps des chameaux qui parfois glissent et s’effondrent dans la boue. La région n’offre pas la moindre trace de végétation, ni d’aucune espèce de vie. Vers les bords de ce lac de boue on rencontre de petites bosses ou des dépressions ; autrement, et dans toute l’étendue, la surface est aussi plate que celle d’un lac.

Le Kevir est obligé de se défendre contre les sables mouvants comme le fait l’eau dans le Turkestan oriental. Mais le sable paraît devoir gagner. À la suite des tempêtes, de larges étendues du Kevir sont recouvertes de sable jaune désertique. Sven Hedin embrasse dans ses observations des laps de temps très importants, car selon lui il n’y aurait pas eu de modifications topographiques de quelque importance depuis le temps d’Alexandre le Grand. Voici ce qu’il dit a ce sujet : « Si les changements du climat de la Perse continuent à évoluer dans le même sens, il faut admettre que la fondrière du Kevir perdra de son humidité, que l’afflux d’eau diminuera, et qu’avec le temps il se solidifiera de plus en plus ; le sable y trouvera un terrain plus propice pour prendre pied et pour envahir des espaces. La fin finale des transformations physiques et géographiques qui sont en cours actuellement sera sans doute la transformation totale du Kevir en un désert de sable, du genre de celui du Turkestan oriental. Et inversement il est permis de croire que ce désert, qui a fait partie jadis d’une mer méditerranéenne asiatique, a été, dans le cours des temps, comblé par les produits de la désintégration tels que ceux que nous montre aujourd’hui le Kevir. Son étendue de boue aqueuse et d’argile a fini par se dessécher à un point suffisant pour supporter le sable qui arrivait en envahisseur. Le sable n’a occupé jadis qu’une surface moins grande, cela est démontré par les découvertes archéologiques faites dans la partie orientale du désert, par divers voyageurs et par moi-même. Le fond dur et consolidé que l’on trouve à la base des Bayirs du désert de Cherchen rappelle fortement le sol actuel du Kevir. C’est la même poussière fine, noire qui forme une surface presque horizontale. Dans les deux cas cette matière trempée d’eau se transforme en une vase dans laquelle on s’enfonce sans rémission. Mais au Turkestan l’eau s’est perdue plus bas, et, les pluies étant infiniment plus rares, on peut se risquer partout sur le terrain des Bayirs sans courir le moindre risque. »

Les terrains que nous venons de décrire sont d’un intérêt très grand en ce qu’ils nous font voir les changements qui surviennent à la surface d’une planète en voie de lente dessiccation. Ils furent l’objet d’une expédition qu’organisa en 1858 la Société Géographique de Petrograd, et qui, sous la direction de Khanikoff parcourut ces régions. L’ouvrage de Sven Hedin : Par terre aux Indes, auquel nous avons emprunté les citations qui précèdent, nous donne encore la description très impressionnante qu’en fait Khanikoff : « Nous atteignons enfin le 4 avril au matin Bala-haus. En cet endroit on peut voir des restes d’un réservoir ruiné, privé depuis longtemps de son eau. Le désert y avait revêtu le caractère parfait du « pays maudit » que lui donnent les indigènes. Pas la moindre touffe d’herbe, pas le moindre signe de vie animale pour réjouir l’œil, aucun son n’y interrompt le terrible silence de mort, sinon le bruit de la caravane en marche.

« Par suite de l’avance très lente des chameaux, et du retard causé par la perte de notre route, nous n’avons fait que 25 kilomètres pendant notre étape de nuit. Après quatre heures de repos nous reprenons notre marche, et nous dirigeons nos pas vers les collines appelées Kellehper, qui sont à 20 kilomètres de Bala-haus. On les voyait fort bien, mais elles semblaient fuir à notre approche. Je me trouvais en tête de la caravane, et je m’assis au pied de cet amas de sable. Jamais je ne saurais décrire l’impression d’abattement et d’écrasement qu’il m’était impossible de secouer, en portant le regard dans la solitude fantastique qui m’entourait. Quelques nuages isolés interceptaient les rayons du soleil, mais l’air était chaud et lourd, la lumière diffuse donnait un ton uniforme et attristant à la surface grise et brûlante du désert. À peine une faible nuance variait-elle la couleur pour donner un peu de relief aux espaces immenses qu’embrassait l’œil. L’immobilité absolue de tout point de ce funèbre paysage, jointe à l’absence totale de tout bruit produisait une dépression accablante de l’esprit. On avait le sentiment de se trouver en un endroit frappé de mort à jamais, un endroit où jamais la vie ne renaîtrait sinon par quelque terrible catastrophe de la nature. On pouvait se croire témoin du commencement de l’agonie de mort de notre planète. »

Une observation de Sven Hedin permet de croire qu’un certain lac du Tibet, — le lac Lakker-tso, — avait jadis son niveau à 133 mètres plus haut qu’aujourd’hui. Si cela indique que la sécheresse a produit son effet dans ces régions-là, le fait n’est pourtant pas aussi évident que pour les grands lacs salés intérieurs aux continents : la mer Morte, le Grand Lac salé d’Utah, la mer Caspienne, où partout le sel s’est amassé par suite d’évaporation. Nous savons pertinemment que le Grand Lac salé d’Utah avait, à une époque relativement récente, une étendue beaucoup plus grande qu’aujourd’hui. Son eau contient encore 22 p. 100 de sel ordinaire, sans parler de quelques autres ingrédients. La mer Morte en contient 25 p. 100. Dans la Caspienne la proportion varie beaucoup. Près de l’embouchure de la Volga elle est très faible, environ 0,15 p. 100. Elle augmente à mesure qu’on s’avance vers le Sud, et atteint 1,32 p. 100 au droit de la presqu’île d’Apcheron, puis 5,63 dans la baie de Kaidak. Du côté d’Asie, dans la baie de Karaboghaz, la teneur en sel s’élève à 28,5 p. 100. On a calculé que les « graus » ou rivières qui se jettent de la mer Caspienne dans cette baie de Karaboghaz, lui apportent annuellement 350 000 tonnes de sel, qui se dépose en partie sur ses rives, et en partie aussi sur son fond.

Cette dessiccation, cependant, n’est encore rien comparée au phénomène qui a assuré la formation des puissants dépôts de sel de l’Europe centrale. Nous pensons que ce dépôt a dû se faire dans une baie peu profonde qui s’étendait vers le sud en partant de l’Océan Arctique. À mesure que les sels contenus dans l’eau se déposèrent successivement, le gypse d’abord, le sel marin ensuite, puis enfin les sels plus solubles de potasse et de magnésie, des masses d’eau de mer continuaient d’entrer dans la baie, venant de la mer. En même temps le fond du golfe semble avoir reculé lentement en s’approfondissant, créant ainsi des vides pour de nouvelles masses soumises à l’évaporation. Il y a des endroits où l’on a reconnu de ces masses de sel dont l’épaisseur est de plus de mille mètres ! Cela nous donne une idée de l’immensité des masses d’eau évaporée, et du laps énorme de temps qu’il a fallu pour créer ces dépôts. Ils auraient sans doute été emportés de nouveau de leur emplacement s’ils n’avaient pas, en dernier lieu, été recouverts d’une couche de limon, presque impénétrable à l’eau. Toutefois on peut remarquer que les sels les plus solubles, tels ceux de magnésie, ont été enlevés déjà en grande partie.

Depuis les temps historiques, d’une durée relativement si minime, le globe n’a pas ressenti les extrêmes de sécheresse ou d’humidité. Ce qui est intéressant, c’est de pouvoir nous rendre compte quelle est maintenant la tendance vers le changement de nos climats. Or Huntington a appelé l’attention d’une façon très vive sur le fait que selon lui, notre globe passe en ce moment par une période de rapide dessiccation.

Si l’on fait appel au témoignage de la géologie, il semble hors de doute qu’une période humide prédominait pendant ce que nous appelons les périodes glaciaires du nord de l’Europe. Et il en était ainsi dans bien des parties du globe, presque partout même, sauf en Australie. On le reconnaît clairement aux niveaux qu’atteignaient les lacs à cette époque, et à leur étendue conséquemment beaucoup plus grande dans les temps d’autrefois. Nous avons déjà fait allusion plus haut à cette circonstance en parlant des lacs du Tibet et de l’Asie Centrale. Mais l’existence de cette période humide a été plus marquée encore en Afrique et en Amérique. Le Grand Lac salé a occupé jadis un espace plusieurs fois plus étendu qu’aujourd’hui. Les terrasses si pittoresques de ses environs en sont la preuve évidente (voy. fig. 11). Des recherches dues à Passarge, il résulte que cette période a été fortement accusée particulièrement en Afrique. Le bassin du Congo a été rempli par une vaste étendue d’eau, le lac Tsad a eu une surface infiniment supérieure à celle d’aujourd’hui, et de puissantes rivières ont coulé dans ce qui est aujourd’hui le Sahara.

On admet souvent que l’Afrique a eu un climat beaucoup plus humide qu’aujourd’hui, même dans les temps historiques. Leo Berg, un géographe de Russie, s’oppose cependant fortement à cette théorie. Il fait remarquer que les auteurs anciens, Diodore, Polybe et Pausanias ont laissé des descriptions des rivières de la côte septentrionale de l’Afrique qui pourraient presque s’appliquer aux conditions actuelles. On affirme que jadis, vers l’an 500 avant Jésus-Christ, les bords du Chott-el-Djerid, en Tunisie, — le Lacus Tritonis d’autrefois — se trouvaient à un niveau beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui. Et
Fig. 11 : Étendue ancienne du Lac Bonneville dans l’Utah
Fig. 11. — Étendue ancienne du Lac Bonneville dans l’Utah dont le Great Salt Lake (Grand lac salé) est aujourd’hui le reste.
cependant les emplacements de deux villes anciennes manifestent par leurs restes que la ligne côtière d’alors passait bien près de la ligne actuelle. Ceux qui étudient l’Égypte ancienne ne peuvent reconnaître aucune différence importante entre le climat des temps les plus reculés et celui de nos jours. Il est vrai que les marais du delta du Nil ont été transformés en prairies fertiles, mais c’est là l’œuvre de l’homme. La période humide doit avoir pris fin longtemps avant que les temps historiques aient commencé. Quelques auteurs anciens, tels que Hérodote, Aristophane et Philon affirment qu’il ne tombe jamais de pluie en Égypte, mais ceci ne doit être considéré que comme une exagération, car il y a contraste très net avec les affirmations d’autres écrivains qui parlent de pluies, de neiges et de grêle, tels que Plutarque, Pline et Aélien. Il semble cependant bien établi que les chutes d’eau de pluie étaient aussi rares du temps des Pharaons que dans l’Égypte d’aujourd’hui.

Huntington a cru pouvoir dire que le climat de la Palestine est devenu beaucoup plus brûlant pendant la durée des temps historiques. Mais Hilderscheid, qui a fait une étude très approfondie de ce sujet, conteste qu’il y ait un argument sérieux quelconque en faveur d’une semblable conclusion.

Cette question prend, pour nous, un très grand intérêt quand il s’agit de la Grèce et de l’Italie. Huntington pensait que l’Alphée, rivière qui a inondé la ville d’Olympie et qui la recouvrit d’une couche de sédiments de 4 à 5 mètres d’épaisseur, devait charrier un volume d’eau bien supérieur à celui d’aujourd’hui. Mais on sait que cette inondation désastreuse fut causée par un tremblement de terre, qui eut pour conséquence un éboulement de rochers formant barrage de la rivière. Il n’y a donc aucun fondement à l’hypothèse d’un débit d’eau plus grand de cette rivière. D’autre part, selon Strabon, les eaux du Képhise et de l’Ilissos entre lesquels est situé la ville d’Athènes, venaient à s’assécher de son temps, comme ils le font encore aujourd’hui. S’il faut en croire Pausanias, les ruisseaux qui parcourent la plaine de l’Argolide se comportaient de même, — ils continuent à le faire toujours. D’après tout ce que nous savons, le climat de la Grèce n’a pas dû changer d’une façon appréciable depuis les temps d’Homère.

En Sicile, on dit que plusieurs des fleuves ont été navigables même encore au moyen âge, ce qui serait impossible aujourd’hui. Mais ce fait s’explique par la destruction des forêts qui jadis régularisaient l’écoulement des eaux de ces rivières, peut-être aussi par la faible dimension des navires de ce temps-là. Les régions qu’elles traversent sont bien moins cultivées que dans les temps anciens. Le sol meuble, jadis retenu par les racines des plantes de culture a été enlevé par l’eau ; les barrages, les murs de retenue élevés dans le but de réduire la vitesse d’écoulement des eaux, ont disparu. Le pays est devenu de plus en plus aride.

Ailleurs, de grandes villes, comme Palmyre, en Syrie, ont existé dans des régions désertiques, d’où le manque d’eau écarte aujourd’hui toute possibilité d’un établissement humain. Mais on alimentait autrefois ces villes par des aqueducs souvent très longs, et splendides, dont les ruines subsistent aujourd’hui encore comme témoins. Nous avons les meilleures raisons de croire que la décadence de la population, comme de la culture, dont on accuse volontiers la diminution des pluies et de l’humidité générale, sont entièrement la conséquence de l’intervention fâcheuse de l’homme dans la nature.

On a trouvé au Maroc, sur des rochers, des sculptures qui représentent par des procédés essentiellement simples, de grands mammifères, tels que des éléphants, des rhinocéros, des girafes, qui n’y existent plus, et qui n’y sauraient exister, faute d’une nourriture suffisante. Mais ces œuvres d’art rudimentaires, qui ont beaucoup de rapport avec celles des Boschimans d’aujourd’hui, prennent date dans l’âge préhistorique, et remontent à ce qu’on appelle l’ère paléolithique. Et à cette époque-là il n’est plus contesté que le climat fut bien plus humide qu’aujourd’hui.

Les mêmes observations s’appliqueraient, selon Sven Hedin, à l’Asie Centrale et à la Perse. Là aussi, le climat a certainement été plus humide, mais non dans les temps historiques. La campagne d’Alexandre le Grand vers l’Inde eut lieu dans des conditions tout aussi défavorables que celles que l’on trouve aujourd’hui encore dans les régions du Bélouchistan. Les villes de ces contrées étaient alimentées d’eau par des rivières dont quelques-unes leur étaient contiguës, mais dont le cours a été dévié plus tard, ainsi qu’il a été démontré par Leo Berg.

Dans l’Europe occidentale et centrale de nombreux marais ont été drainés et rendus cultivables, mais ceci ne prouve pas que le climat soit devenu plus sec. Il semblerait par contre, résulter d’observations, comme par exemple de celles faites par Tycho Brahe dans l’île de Hven, que la différence de température entre l’été et l’hiver aurait diminué dans les temps historiques. Cela veut dire que notre climat serait devenu moins continental, c’est-à-dire plus humide, qu’autrefois. D’autre part, de nombreux faits prouvent que les étés des temps préhistoriques étaient plus chauds que ceux d’aujourd’hui. Ainsi par exemple, le noisetier et la châtaigne d’eau (macre) étendaient leur habitat bien plus au Nord qu’aujourd’hui. La ligne limite des forêts s’élevait beaucoup plus sur les montagnes qu’elle ne fait maintenant. — En même temps l’été était plus sec. L’étude des gisements lacustres de la Suisse a fait voir que le niveau ancien des lacs ne devait pas être plus élevé que celui d’aujourd’hui, mais qu’il était sensiblement le même. Il semble ainsi prouvé que les chutes d’eau de pluie de ce temps-là ne devaient pas différer sensiblement de celles d’aujourd’hui. Or l’époque de ces constructions lacustres a pu être évaluée approximativement ; elle remonterait à 7 000 ans environ en arrière de nous.

Si des changements climatériques importants se sont produits depuis l’apparition de l’homme sur la terre, vraisemblablement avant la fin des périodes glaciaires, les temps historiques sont trop brefs pour reconnaître aucune modification essentielle. On peut cependant en constater, de tout à fait localisés, comme par exemple la tendance de l’Ouest Européen vers un climat moins continental. On a pu constater une avance dans ce sens même depuis que les observations thermométriques sont devenues fréquentes. Ainsi, à Berlin, les hivers de la période 1746–1847 étaient plus froids, les étés plus brûlants que de 1848 à 1907. Pour janvier, la différence s’est élevée à −1°,5 et pour le mois de mai à +0°,6. Le petit tableau suivant, emprunté à Ekholm, donne les températures moyennes observées à Stockholm, Lund, Londres et Paris, en hiver (décembre-février), au printemps (mars-mai), en été (juin-août), et en automne (septembre-novembre). Les époques sont indiquées en tête des colonnes (voy. p. 72).

Les différences, on le voit, sont très minimes. À Stockholm l’hiver est devenu moins froid, l’automne un peu plus. À Londres, de même pour l’hiver, l’été est légèrement plus chaud. À Paris, l’été est un peu plus chaud, tandis que l’automne est moins chaud que jadis. Lund (dans l’extrême sud de la Suède) nous présente le moins de variation. L’hiver s’est réchauffé de 0°,4 et l’été est moins chaud, dans la même mesure. Les moyennes annuelles restent sensiblement les mêmes, très légèrement augmentées, mais le climat est devenu plus marin. Pour Paris, les chiffres n’indiquent cependant rien en ce sens.

 
  HIVER HIVERPRINTEMPS HIVERÉTÉ HIVERAUTOMNE HIVERMOYENNE
ANNUELLE

Stockholm.
1799-1848
−3,6 3,3 15,6 6,6 5,4
1849-1898
−2,9 3,3 15,6 6,4 5,6
Lund.
1753-1798
−1,0 5,1 16,1 7,7 7,0
1799-1898
−0,6 5,3 15,7 7,7 7,0
Londres.
1799-1848
3,6 9,0 16,6 10,4 9,9
1849-1898
4,0 8,9 16,8 10,3 10,0
Paris.
1806-1848
3,3 10,3 18,1 11,3 10,7
1849-1898
3,3 10,2 18,2 11,0 10,7

Tycho Brahe a laissé une série d’observations sur le nombre de jours où l’endroit qu’occupait son observatoire dans l’île de Hven, à Öresund près de Copenhague, recevait de la neige ou de la pluie. À l’aide de ces données, Ekholm a comparé les températures des années 1582 à 1597 avec celles de 1881-1896. Il a trouvé qu’en février elle était jadis inférieure de 1°,4 à celle d’aujourd’hui, et que celle de mars était inférieure aussi de 1 degré. D’autre part les premières gelées d’automne se manifestaient à la même époque que maintenant. La même chose avait lieu au printemps pour le dernier gel, en sorte qu’on peut admettre qu’à ces dates la température printanière et automnale était la même à la fin du XVIe siècle et maintenant. Ekholm en tire la conclusion que le climat est devenu plus marin.

À cela cependant, Hildebrandson objecte que les observations de Tycho Brahe s’appliquent à une période exceptionnellement froide, si l’on en juge par les tables de Speerschneider, qui relatent la formation de la glace dans les eaux danoises. Neuf d’entre les seize années auxquelles s’appliquent les données de Tycho Brahe étaient remarquables pour avoir eu des hivers exceptionnellement froids, tandis que sur l’ensemble du XVIe siècle tout entier, dix-neuf années seulement étaient ainsi caractérisées par la sévérité des hivers.

Il n’est donc pas établi que les hivers de ce XVIe siècle fussent en moyenne plus froids que ceux du XIXe. Des études ultérieures, faites par Ekholm en 1917 concernant le moment où se produit la débâcle des glaces sur le lac Mälar à Vesteras, sur la Neva à Petrograd, et sur la Dvina à Riga ont conduit aux résultats suivants. Il croit avoir constaté une périodicité de température hivernale formant un cycle de 212 années, résultat qui concorderait bien avec les statistiques de Speerschneider. S’il en est ainsi nous nous trouvons actuellement dans une période d’hivers remarquablement doux, tandis que l’époque de Tycho Brahe était celle d’hivers très sévères. Cette loi produirait aussi ses effets sur la table donnée ci-dessus des températures de Stockholm, Lund, Paris et Londres. Le commencement du XIXe siècle serait en effet le moment où commençait une suite d’hivers sévères, tandis que l’inverse s’est produit vers la fin. D’une façon générale les variations climatériques ont donc été insignifiantes depuis les temps historiques, si même il y en a eu, à supposer qu’on considère toujours l’ensemble de deux ou de plus de siècles. C’est à cela que conclut aussi M. Hildebrandson.

On peut remonter loin et trouver déjà l’idée d’une variation en mal du climat qui serait due au dessèchement de la surface de notre globe ; il semblerait qu’elle se rattache à celle d’un âge d’or disparu. Déjà Aristote, à son époque lointaine, croyait à une diminution d’humidité. De notre temps, cette même idée a été particulièrement propagée par Huntington dans de nombreuses publications, où il cherche à prouver que l’Asie, en particulier, la Palestine, la Syrie et la Perse, — que l’Afrique, que l’Amérique du Nord seraient sujettes à un rapide assèchement, facilement vérifiable depuis les temps historiques. Le contraire serait, il est vrai, évident dans l’Europe occidentale. On a souvent répété, d’autre part, que la Russie du Sud serait soumise actuellement à un graduel dessèchement, qui se manifesterait par la formation de steppes. Cette affirmation a conduit à des études très soignées qui ont trouvé leur conclusion surtout dans l’ouvrage de Leo Berg, et qui ont montré l’erreur de cette opinion. On pourrait reconnaître plutôt une légère différence dans le sens opposé, car la région forestière s’est étendue aux dépens des steppes, d’accord avec les constatations faites sur l’époque de la fin du préhistorique.

En Amérique, le grand astronome le Dr Lowell a partagé l’opinion que l’aridité augmentait dans la région où était situé son observatoire, l’Arizona. Il semble cependant peu douteux que la mort de cette région remonte déjà fort loin, jusqu’aux temps préhistoriques. Quant à la Syrie et à la Mésopotamie, la disparition de la culture si élevée, si étendue de ces régions est due à la destruction guerrière, brutale de leurs travaux d’irrigation. Et aujourd’hui nous voyons se produire des effets exactement inverses, par les grands travaux de récupération des déserts le long du Nil, en Californie, dans ce même Arizona, ainsi que dans beaucoup d’autres régions du globe.