Traduction par Théophile Seyrig.
Félix Alcan (p. 1-48).
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L’énigme de la Voie lactée

CHAPITRE PREMIER

L’ÉNIGME DE LA VOIE LACTÉE

Les nuits étoilées, mais sombres, nous montrent que la glorieuse étendue du ciel est traversée par une bande irrégulière de lumière qui décrit des sinuosités à travers le firmament. Cette bande se prolonge dans les parties de la voûte céleste qui nous sont cachées et l’on peut dire qu’elle encercle cette voûte comme une ceinture. Elle a cependant son plus grand éclat dans l’hémisphère Nord. Son nom universellement adopté est celui de « Voie lactée ». Le plan qui contient cette ceinture forme avec celui de notre équateur un angle d’environ 60 degrés, et il divise le ciel en deux parties à peu près égales : celle du Nord est toutefois légèrement plus grande que l’autre.

Autant que d’autres phénomènes célestes, la Voie lactée a attiré de bonne heure l’attention des hommes. La tribu des Dieris, du centre de l’Australie, affirme qu’elle est la rivière du ciel, et les Mexicains la considèrent comme la source d’où tout procède. La tradition ancienne essayait d’en expliquer l’origine. Déjà chez les Romains, son apparence lui fit donner le nom de « Via lactea », nom qui a passé dans presque toutes les langues modernes. Cette appellation se relie à la légende de l’enfant Hercule, qui, nourri au sein de Junon, en fut éloigné par elle dans un mouvement de colère, et répandit ainsi à travers le ciel le lait divin.

Toutefois, jusqu’à il y a deux cents ans environ, les hommes ne comprirent rien à l’importance capitale de la Voie lactée. Anaxagore et Démocrite soupçonnèrent qu’elle pourrait bien être formée d’un amas considérable d’étoiles très petites et fortement rapprochées, dont chacune serait d’une nature approchant de celle de notre Soleil. Ptolémée fixa, il y a déjà 2000 ans de cela, sa position dans le ciel, et ses précisions ont encore aujourd’hui leur valeur, pour autant qu’il ne s’agit que d’observations à l’œil nu.

L’invention du télescope par Galilée confirma l’hypothèse de sa constitution au moyen d’un nombre immense d’étoiles distinctes ; Swedenborg, il y a 200 ans environ, affirma dans ses spéculations cosmologiques que notre système solaire en faisait partie. Wright, Kant et Lambert élargirent ces mêmes théories.

Le premier réel pas en avant fut fait par le grand astronome William Herschel dans ses recherches statistiques. Il fit remarquer et montra que les étoiles sont plus nombreuses, plus rapprochées, à mesure qu’on se rapproche de la Voie lactée. Cela est plus particulièrement vrai des étoiles faibles, invisibles à l’œil nu, tandis que les étoiles qui nous paraissent plus belles sont plus également distribuées dans le ciel. Mais dans la Voie même, il y a des points où les étoiles sont cent fois, et au delà, plus rapprochées qu’elles ne le sont à ses pôles, c’est-à-dire aux points les plus éloignés d’elle. Struve continua et étendit les recherches d’Herschel comme le firent plus tard d’autres observateurs encore en grand nombre.

Ces recherches ont établi que la Voie lactée est en quelque sorte le fondement sur lequel notre univers stellaire visible se trouve construit. Un nombre immense de corps ou d’entités célestes ont été maintenant étudiés et leur distribution s’est trouvée sensiblement symétrique au plan galactique. La plus grande partie d’entre eux est groupée dans son voisinage. Parmi eux aussi se trouvent les étoiles nouvelles qui de temps en temps font leur apparition, comme celle bien connue qui en 1901 se montra tout à coup dans la constellation de Persée[1]. Toutes, ou presque toutes, apparaissent dans, ou tout près de la Voie lactée.

C’est là aussi que nous reconnaissons les nébuleuses irrégulières, qui sont d’énormes volumes de gaz, formidablement diffusés, dont une des mieux connues est la grande nébuleuse d’Orion, et qui semble nous présenter la matière primitive d’où l’univers des étoiles est né. Nous pouvons encore mentionner les amas d’étoiles, agglomérations denses, en forme de boules, puis encore les nébuleuses dites planétaires, qui tout au moins dans leur enveloppe extérieure visible, sont aussi formées d’une accumulation de gaz de forme sphérique ou ellipsoïdale.

D’autre part cependant, les nébuleuses spirales sur lesquelles nous aurons à revenir, sont incomparablement plus nombreuses dans les régions voisines des pôles galactiques que dans le reste du ciel.

Beaucoup d’astronomes ont considéré la Voie lactée dans son ensemble comme une nébuleuse. La théorie la plus courante est sans doute celle qu’elle ressemble étroitement à une nébuleuse spirale, et cette opinion a été particulièrement soutenue par un astronome hollandais, Easton. (voy. fig. 1). Il y a quelques années le professeur Bohlin fit remarquer qu’elle se rapproche surtout de la forme d’une nébuleuse planétaire, ou plus exactement de celle d’une nébuleuse annulaire qui serait en voie de développement en partant d’un ellipsoïde planétaire, sa matière constituante étant chassée de ses pôles vers son équateur. Il n’est pas sans intérêt de remarquer que cette théorie vient à l’appui de celle de Swedenborg, — si improbable que soit celle-ci, — théorie qui concerne les origines des planètes de notre système solaire. Nous verrons que la conception de M. Easton a de meilleurs arguments en sa faveur.

Prenant en considération l’âge des différentes étoiles, la Voie lactée fournit aussi un point de repère. Si nous portons notre attention sur
Fig. 1 : La Voie lactée, par Easton.

Fig. 1. — La Voie lactée représentée par Easton comme
une nébuleuse spirale.
l’évolution stellaire, nous verrons que la science est parvenue aujourd’hui par l’ensemble de ses recherches, aux résultats suivants. Nous pouvons faire partir cette évolution de l’état où la matière constitutive des corps célestes affectait la forme nébuleuse. Elle émettait à ce moment la lumière qui est propre à certains gaz incandescents, en particulier aux deux gaz les plus légers, l’hydrogène et l’hélium, puis encore celle d’un autre gaz qui nous reste inconnu, mais que nous appelons le nébulium, — de ce qu’il est supposé être la matière constituante principale des nébuleuses. Tous ces gaz se condensèrent par la suite et commencèrent à donner les raies noires du spectre, en même temps que les lignes brillantes des mêmes gaz, que nous montre aujourd’hui le spectroscope. Les étoiles qui présentent aujourd’hui ces caractères, appelées du nom de leurs premiers observateurs, étoiles Wolf-Rayet, ne se rencontrent que dans le voisinage immédiat de la Voie lactée.

Un état d’évolution plus avancée nous est présenté par les étoiles dites à hélium, dans le spectre desquels les raies noires de l’hélium sont prépondérantes. Elles aussi se trouvent principalement concentrées dans les régions galactiques. Un peu plus largement distribuées dans le ciel, toutefois encore plus nettement fréquentes dans le voisinage de la Voie lactée, sont les étoiles à hydrogène, qui sont caractérisées par les raies de l’hydrogène fortement marquées, et par des raies de l’hélium diminuant d’importance. Ces étoiles-là sont plus développées que les étoiles à hélium, et elles forment avec elles le groupe des étoiles dites blanches, à cause de leur apparence générale.

Si nous suivons encore l’évolution, nous trouverons ensuite les étoiles dites jaunes, parmi lesquelles se place notre soleil. On trouve dans leurs spectres des lignes noires, provenant de la présence des métaux. Ces lignes sont plus régulièrement distribuées que dans les étoiles précédemment mentionnées. Cela est plus accentué encore dans les étoiles rouges dont les spectres contiennent des raies caractéristiques de combinaisons chimiques, et qui témoignent par conséquent d’un refroidissement relativement avancé. Elles sont assez uniformément répandues dans le ciel, mais sont quand même un peu plus fréquentes dans le voisinage de la Voie lactée qu’au loin.

Ces faits résultent de la statistique qu’a dressée M. E. C. Pickering[2], directeur de l’observatoire de l’Université d’Harvard à Boston. Il a partagé la voûte céleste en quatre zones d’égale importance, dont la première est proche de la Voie lactée, et qui la comprend. La quatrième est celle dans laquelle se trouvent les pôles galactiques, Sa table donne le pourcentage des étoiles que nous venons de définir, dans chacune de ces quatre zones.

La différence, comme on le voit, est la plus prononcée du premier au second groupe : entre les trois derniers elle est moins marquée, mais néanmoins très sensible. Notons qu’une distribution uniforme serait indiquée par le chiffre de 25 comme pourcentage moyen dans toutes les zones.

LATITUDE
galactique.
ÉTOILES A
Hélium. Hydrogène. Blanc-
jaunâtres.
Jaunes. Rouges.
± 39°,8 8°,1 51,2 37,4 29,7 29,4 26,7
± 21°,6 31,7 28,6 27,9 26,7 27,6
± 39°,8 11,9 18,3 21,1 31,9 23,6
± 62°,3 05,2 15,7 21,3 22,0 22,1
Nombre des étoiles étudiées
1716 1885 1329 1719 1457

Cette statistique si étendue puisqu’elle s’applique à 6 106 étoiles, semble indiquer que dans leur premier état, les étoiles se trouveraient toutes comprises dans la région de la Voie lactée, mais qu’avançant dans leur évolution elles se sont subséquemment éloignées. Ceci nous amène à penser qu’elles auraient dû leur naissance aux accumulations nébuleuses informes, irrégulières, qui se trouvent dans la Voie lactée et dans son voisinage, ou plus correctement, à des formations analogues qui jadis existaient dans cette région étendue, mais qui aujourd’hui se sont condensées à l’état d’étoiles. Ceci s’accorde d’ailleurs bien avec un autre fait d’observation. Le spectroscope a permis de connaître les mouvements des différentes étoiles par rapport au point qu’occupe aujourd’hui notre soleil. Ces vitesses se trouvent être d’autant plus grandes que les étoiles sont à un état d’âge plus avancé, ainsi que cela résulte de l’examen du petit tableau suivant, dû à M. Campbell, l’éminent directeur de l’observatoire de Lick, en Californie.

VITESSE MOYENNE
VITESSE MOYENNE
Nébuleuse d’Orion (irrégulière)
Nulle.
Étoiles Wolf-Rayet
24,5 kil. par seconde.
Étoiles à hélium
26,5
Étoiles à hydrogène
11,0
Étoiles jaunes
15.0
Étoiles rouges
17.0
Nébuleuses planétaires
25.0

On peut ajouter à ces chiffres quelques remarques fondées sur des observations récentes. La distance qui nous sépare des étoiles de chacun des groupes mentionnés, varie, et les étoiles jaunes parmi lesquelles il faut ranger notre soleil, sont celles qui se trouvent être les plus voisines de nous. Elles sont par conséquent plus faciles à étudier que les étoiles des autres groupes. C’est pour cette raison que les statistiques de Campbell comprennent de plus petites étoiles de ce groupe que les autres. On peut concevoir, et l’astronome Halm estimait que la vitesse moyenne des étoiles est plus grande pour les petites que pour les grandes. Tel est le cas des molécules qui se trouvent dans un mélange de gaz différents, et Henri Poincaré, l’éminent savant français, comparait fréquemment l’ensemble des étoiles du firmament à un assemblage gazeux, faisant remarquer que les molécules les plus pesantes sont douées du mouvement le plus faible.

On peut donc supposer que la grande vitesse des étoiles jaunes ait pour cause leur masse plus faible. Pour étudier la confirmation de ce fait, M. W. S. Adams, de l’observatoire Carnegie du Mont Wilson, a comparé des étoiles ayant une égale vitesse orbitaire. Ces étoiles sont supposées en moyenne également éloignées de nous. Ses travaux confirment la théorie de Halm. La vitesse des étoiles à hydrogène se trouva réduite de 11 kilomètres par seconde, à 7kil,5. Celle des étoiles jaunes se réduisit de 15 kilomètres à 9kil,20, et celle des étoiles rouges de 17 kilomètres à 14. Celle des étoiles à hélium ne changea pas. Remarquons que le classement des étoiles d’après leur vitesse radiale n’est en aucune façon modifié par ces considérations.

Les mouvements des nébuleuses planétaires ont été étudiés aussi, et il faut mentionner ici que M. Campbell a fait un grand nombre d’observations nouvelles à ce sujet. Il en est résulté que la vitesse moyenne radiale de ces grands corps doit être estimée à 42 kilomètres au moins par seconde.

Nous résumons comme suit les vitesses radiales bien déterminées aujourd’hui, d’un certain nombre de corps célestes.

Nébuleuse d’Orion, et autres nébuleuses irrégulières faisant partie de la Voie lactée
0 kil. par seconde.

Autres nébuleuses irrégulières
10 kil. par seconde
Nébuleuses planétaires, discoïdes ou annulaires
29 kil. par seconde
Nébuleuses planétaires dites stellaires (diam. 5″)
50 kil. par seconde
Nébuleuses spirales
630 kil. par seconde
Amas globulaires d’étoiles
 144 kil. par seconde

La nature des nébuleuses planétaires a été considérablement élucidée par les travaux récents de M. Campbell. Nous donnons ici la description qu’il fait de la nébuleuse N. G. C. 7009[3] qui a un intérêt rare par les indications qu’elle fournit sur la formation des corps planétaires. Il semble, à la suite de ces remarquables études, que la théorie de Laplace doive être modifiée en certains détails, pour la rendre conforme aux plus récentes découvertes. (voy. fig. 2).

« Des mesures de la vitesse de rotation de cette nébuleuse nous permettent d’énoncer certaines conclusions intéressantes concernant sa masse. En faisant une hypothèse aussi plausible que possible sur la position qu’occupe son axe de rotation on a trouvé que la vitesse tangentielle de ses parties constituantes, qui sont à 9 secondes d’arc du centre, est d’environ 6 kilomètres par seconde. Admettons pour un instant que la masse du noyau central soit égale à celle de notre soleil, nous trouverons que, d’après la loi de Kepler qui lie la durée de rotation à la distance du noyau, cette nébuleuse serait éloignée de nous d’environ 8,9 années-lumière. Il faut considérer ce chiffre comme probablement trop petit en regard d’autres faits qui ont trait au même sujet. Nous avons en effet des raisons de croire que l’ordre probable de distances de corps nébuleux est plutôt voisin de 100 et même de 1 000 années-lumière. Dans ce cas la masse de la nébuleuse serait aux environs de 11,3 ou de 113 fois celle du soleil, les périodes de rotation seraient alors de 1 371 (ou de 13 710) années. Ces considérations semblent devoir faire admettre que la nébuleuse N. G. C. 7009, au lieu d’être égale à notre soleil, a une masse plusieurs fois supérieure. Et dans ce cas, en raison de son importante masse, elle pourrait donner par son évolution un système bien plus important que notre système solaire.

« Quelques réflexions concernant cette nébuleuse peuvent présenter un certain intérêt, et quelque importance.

« Les prolongements lumineux faibles vers l’est et l’ouest de l’amas principal elliptique suggèrent l’existence d’un anneau de matière, entourant le centre, dont le plan, traversant le noyau, passerait aussi dans notre voisinage assez immédiat. Ces prolongements se terminent par d’apparents points de condensation à des distances égales du point central, et diamétralement opposés par rapport au noyau. Ces faibles prolongements et condensations peuvent être et sont sans doute causés par la projection par la tranche, de quelque anneau analogue à celle de l’anneau de Saturne quand nous nous trouvons dans le plan de celui-ci. L’apparence des deux condensations terminales et particulièrement de celle qui a un aileron partant de l’extrémité est, font penser que nous ne nous trouvons pas exactement dans le plan de cet anneau supposé.

« La forme du corps central semble d’ailleurs être ellipsoïde.

« L’espace qui entoure de près le noyau semble être relativement vide. À part de ce noyau, la masse visible la plus importante paraît réunie dans l’anneau central brillant, dont les bords intérieur et extérieur semblent elliptiques, au moins très approximativement. Cet anneau occupe l’espace situé à peu près à égale distance entre le noyau et le bord extérieur de l’ensemble nébuleux. L’anneau brillant est probablement en réalité une enveloppe ellipsoïde, dont la projection sur un plan perpendiculaire au rayon visuel montrerait une région centrale naturellement plus foncée. Seulement les arguments de projection visuelle peuvent n’être pas seuls en jeu.

« Si donc cette nébuleuse est en voie d’évolution vers un système solaire, les indices que nous recueillons semblent dire que ce système aurait bien des ressemblances avec le nôtre. Chez nous les quatre planètes extérieures ont une masse totale 225 fois plus grande que les quatre planètes intérieures. De même, dans la nébuleuse N. G. C. 7009 il y a apparemment un manque de matière dans le voisinage du noyau, pour former des planètes, tandis qu’il y aurait abondance de matière susceptible d’en former à une plus grande distance du centre. »
Fig. 2 : La nébuleuse planétaire NGC 7009
Fig. 2. — La nébuleuse planétaire N. G. C. 7009, dessinée d’après une photographie faite à l’aide du réflecteur Crossley. L’unité de l’échelle est la seconde d’arc.
To red = Vers le rouge. — To violet = Vers le violet.
 Proc. Nat. Acad. of Sciences of U. S. A.

La grande nébuleuse d’Orion, la plus grande d’entre les nébuleuses irrégulières, a été, ces temps derniers, le sujet de fort intéressantes observations. Trois astronomes de Marseille, MM. Bourget, Fabry et Buisson ont reconnu que cette nébuleuse, dans le voisinage du « trapèze » bien connu, avait des parties très rapprochées l’une de l’autre, dont les vitesses sont fort différentes. Ces différences peuvent aller jusqu’à 10 kilomètres par seconde. La partie sud-est s’approche de nous ; la partie nord-est s’éloigne. Il semble donc probable qu’un violent mouvement rotatoire ou tourbillonnaire agite cette région. M. Prost, l’astronome bien connu de Chicago, a vérifié ce fait, en employant une méthode de recherche entièrement différente de celle de ses devanciers. Les différences de vitesse qu’il a déduites de ses observations atteignent 11 kilomètres à la seconde, entre deux points situés à moins de deux secondes d’arc du trapèze.

Des observations récentes de M. Van Maanen ont confirmé ces faits. (Proc. Nat. Acad. of Sciences. Juillet, 1919) Les astronomes français ont indiqué comme mouvement de la nébuleuse voisine du trapèze une rotation autour d’un axe dirigé du N.-W. au S.-E. Les étoiles comprises dans la nébuleuse doivent donc avoir un mouvement prépondérant dans la direction S.-W.–N.-E. puisque la partie S.-W. se rapproche de nous. C’est ce que M. Van Maanen a confirmé. Les étoiles situées du côté opposé de la nébuleuse, qui doivent avoir une vitesse opposée, sont malheureusement pour la plupart oblitérées par elle.

Si donc nous disons qu’en général les nébuleuses irrégulières faisant partie de la Voie lactée n’ont point de mouvements propres, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas par-ci par-là, des exceptions notables à la règle, tout au moins à l’intérieur de ces corps, mouvements qui semblent indiquer des transformations conduisant à la concentration de la matière vers quelque centre.

Laissons de côté, pour un instant, les nébuleuses planétaires. Il semble que, pour le reste, la matière primitive des étoiles se tienne immobile dans l’espace ; que ces étoiles une fois formées, ont des vitesses augmentant progressivement avec leur âge, et qui semblent avoir une limite d’environ 18 kilomètres par seconde, ce qui est à peu près mille fois la vitesse d’un train ordinaire de chemin de fer. Notre Soleil en particulier se meut à la vitesse de 20 kilomètres par seconde, vers un point situé dans la constellation d’Hercule, ayant pour déclinaison nord, environ 30 degrés.

Que savons-nous, et que dire de la force qui doit être la cause de ce mouvement ? Pour autant que nous sachions il n’en existe point d’autre que la gravité. Il semblerait presque que les corps gazeux, dans leur état primordial, immobiles et nébuleux, ne soient pas soumis à cette force. Il serait fort hasardeux cependant, de faire une hypothèse semblable, attendu que les gaz ont leur poids, et que les couches même les plus ténues, les plus raréfiées de l’atmosphère terrestre exercent une pression barométrique, par suite de leur attraction par la masse du globe. L’immobilité des nébuleuses provient plutôt des continuelles rencontres et chocs des molécules qui se produisent dans toute masse gazeuse, même aussi diluée qu’est certainement celle des nébuleuses. Il semblerait que ces molécules s’entrechoquent en annulant leurs mouvements réciproques, de façon que les diverses portions de la masse gazeuse arrivent à un repos réciproque relatif. C’est ainsi que les brouillards des environs de la Voie lactée forment un tout continu.

Il en est autrement pour les corps stellaires plus condensés, tels que les étoiles proprement dites. Elles peuvent former des nuées extrêmement denses pendant des milliards d’années sans arriver à se rencontrer. Mais elles rencontreraient plus facilement de grosses masses nébuleuses, dans lesquelles elles pénétreraient et où elles subiraient des retards de mouvement. Nous parlons maintenant d’étoiles qui se meuvent en dehors des nuages de vapeurs. Elles sont sans restriction aucune dans leurs mouvements, et plus elles ont de durée, d’existence, sans avoir eu de collision avec aucune masse nébuleuse, plus elles ont subi l’influence de la gravité depuis le moment où elles se sont transformées d’accumulations gazeuses en matière condensée, plus leur vitesse est devenue grande. Cette vitesse ne peut, naturellement, dépasser une certaine limite, qui, pour nos régions de l’univers semble être celle de 18 kilomètres par seconde. Les mesures qui ont été exécutées par M. Campbell font voir que les étoiles les plus « jeunes » de la Voie lactée ont leur vitesse la plus grande dans le plan même de la Voie. (Les étoiles rouges seules feraient exception.) Et cet état de choses est assez naturellement explicable, en raison de l’accumulation de la matière dans le même plan.

La vitesse des nébuleuses planétaires est plus grande, bien que, ne consistant qu’en vapeurs gazeuses elles ne soient encore que dans la première phase de leur évolution. De plus récentes études de Slipher et Campbell, comme aussi de Max Wolf (de Heidelberg), ont fait reconnaître que les nébuleuses planétaires, aussi bien que les spiraliformes, ont des vitesses qui vont jusqu’à des centaines de kilomètres par seconde ! Elles dépassent de beaucoup celles indiquées ci-dessus pour les nébuleuses planétaires.

Elles sont donc d’une nature bien différente des nébuleuses irrégulières, qui forment la masse de la Voie lactée. Un examen plus serré de treize nébuleuses planétaires fait par l’astronome américain Keeler m’a convaincu qu’elles sont en mouvement vers la Voie lactée, attirées vers celle-ci, et venant des environs de ses pôles avec une vitesse modérée. Elles courbent leurs orbites sous l’influence de cette attraction, augmentent de vitesse, et finalement, animées d’une grande vitesse, tomberont dans la Galaxie.

Un grand nombre d’entre elles seront sans doute captées dans les brouillards ou les amas d’étoiles de la Voie lactée, non cependant sans avoir été exposées à de nombreuses collisions, et après avoir emporté avec elles toute matière qui se sera trouvée sur leur route. De telles régions balayées sont très fréquentes dans l’étendue de la Voie lactée. Un des exemples les plus beaux
Fig. 3 : La nébuleuse du Cocon, dans le Cygne.

Fig. 3. — La nébuleuse du Cocon, dans le Cygne. Elle se trouve à l’extrémité d’un « chemin » noir, venant de l’ouest. Photographie de M. Wolf, de Heidelberg.
et les plus frappants se trouve dans la nébuleuse dite du Cocon (voy. fig. 3), dans la constellation du Cygne. Il y subsiste comme une vaste déchirure noire au fond de laquelle toutefois, il reste de très petites et très faibles étoiles, comme l’a fait remarquer l’astronome allemand Wolf[4] ; elles sont sans aucun doute à un très grand éloignement.

La grande vitesse générale des nébuleuses planétaires est un indice que, primitivement, elles ne devaient pas appartenir au système galactique. M. Bohlin est arrivé à cette même conclusion par d’autres raisonnements. Elles abondent néanmoins dans le voisinage de la Voie lactée plus que dans d’autres régions du ciel. On pourrait conclure de ce fait, si on le considérait superficiellement ; qu’elles sont indigènes dans le système galactique, mais leur agglomération dans cette région s’explique fort bien par leur gravitation vers la masse lactée.

La distance qui nous sépare de ces intéressants corps célestes a été déterminée récemment pour l’un d’eux par M. Van Maanen. En 1917 il a mesuré notre éloignement de la nébuleuse no 7662 du N. G. C ; (ou Nouveau Catalogue général). Cette distance est d’environ 140 années-lumière. Cela représente à peu près seize fois la distance de Sirius, soit encore la distance moyenne d’une étoile de cinquième grandeur. Ce fait s’accorderait assez bien avec l’idée que cette nébuleuse a été capturée, absorbée par le système galactique vers lequel elle s’est avancée en venant des espaces qui lui sont extérieurs.

Une des découvertes astronomiques les plus frappantes des temps récents a été faite par M. Kapteyn, découverte qui l’a mis au rang des premiers astronomes de nos jours. Il a montré que les étoiles qui se meuvent dans le voisinage de notre système solaire appartiennent à l’un de deux grands groupes ou courants stellaires. L’un vient de la constellation d’Orion vers nous, et l’autre suit une direction différente, presque à angle droit (100°) de la première, s’éloignant du Scorpion. Le premier groupe contient presque toutes les étoiles à hélium qui ont été étudiées jusqu’à l’heure actuelle. Nous avons dit plus haut que ces étoiles sont d’une immobilité relative par rapport à la Voie lactée, tandis que les nébuleuses irrégulières qui en font partie n’ont point de mouvement de déplacement du tout par rapport au même système. Or la masse galactique est en quelque sorte un système d’axes pour toutes les mesures astronomiques. Cela revient donc à dire que les mouvements du premier groupe vers le soleil sont principalement le résultat du mouvement du soleil même. Ce groupe, selon Kapteyn, obéit mieux à la loi des vitesses relatives des étoiles que même l’ensemble de l’univers étoilé. Ainsi par exemple, par rapport au soleil, les étoiles à hélium ont la marche la plus lente, les étoiles jaunes sont les plus rapides, tandis que les étoiles à hydrogène ont des vitesses moyennes. Et cet ensemble est une conséquence évidente de leur propre vitesse par rapport à la Voie lactée, qui va en augmentant des étoiles à hélium vers les étoiles jaunes.

Kapteyn a mis en évidence encore un autre phénomène de régularité, facilement expliqué d’ailleurs. Nous avons fait remarquer plus haut que les étoiles jaunes sont les plus éloignées de leur lieu d’origine dans la voie lactée ; les étoiles à hélium sont au contraire les moins éloignées. Il en résulte qu’en moyenne les étoiles jaunes semblent venir d’un point plus éloigné de cette voie que le point d’origine des étoiles à hydrogène, et plus lointain encore que celui des étoiles à hélium. Par suite de la vitesse relativement élevée des étoiles jaunes suivant des directions variées leur courant semble plus divergent que celui des étoiles hydrogénées. Les étoiles à hélium se meuvent au contraire dans des conditions presque parallèles, et à peu près directement opposées au mouvement vrai du soleil par rapport à la Galaxie.

Des lois de régularité analogues ont été reconnues par Kapteyn dans le deuxième courant étoilé, ce qui nous porterait à croire comme il l’admet lui-même, que ces étoiles auraient leur origine dans une masse nébuleuse qui serait arrivée dans notre voisinage, venant de l’inconnu lointain, mais qui maintenant se trouverait résolue en étoiles. Ici encore les étoiles jaunes auraient dû s’écarter plus de leur nébulosité originaire que les étoiles blanches, leur vitesse étant plus grande, et leurs directions variées. Dans ce courant les étoiles à hélium sont très rares, et il n’a pas été possible encore de dresser pour elles une statistique satisfaisante.

L’explication de l’origine de la Voie lactée a été un des plus difficiles problèmes de la cosmogonie. Nous y voyons presque chaque année naître des étoiles qui s’enflamment pour pâlir ensuite rapidement et pour retourner au bout de peu d’années à leur insignifiance. Elles redeviennent invisibles à l’œil nu, bien qu’à l’aide d’instruments très forts nous puissions en général reconnaître à leur place une étoile très faible. En général nous voyons se former une nébuleuse planétaire dans l’espace de quelques mois. Un peu plus tard, cette nébuleuse se transforme en une étoile Wolf-Rayet. Il peut être intéressant ici de noter que Wright a trouvé que, dans certaines nébuleuses planétaires les noyaux centraux sont de ces mêmes étoiles Wolf-Rayet[5]. Nous avons ainsi de bonnes raisons de croire que cette subite explosion de lumière signifie que deux étoiles très faibles, éteintes peut-être, sont entrées en collision. Les luminaires nouveaux apparaissent toujours dans des régions où la densité des corps célestes est très grande, tout particulièrement dans la Voie lactée ou dans son voisinage immédiat.

Nous avons donc vu plusieurs fois comment les nuages ou nébulosités contenant des noyaux stellaires trouvent leur origine. Ils nous rappellent dans une certaine mesure la Galaxie elle-même avec ses nuages et ses étoiles. Le chemin semble ainsi indiqué pour résoudre son énigmatique constitution. Mais il y a une difficulté dans ce
Fig. 4 : La nébuleuse NGC 4594 (galaxie du sombrero)
Fig. 4. — La nébuleuse N. G. C. 4594, photographiée par M. F. G. Pease, 1916. Elle est dans la constellation de la Vierge. Échelle : 1mm = 6″,0. Durée de pose 132 m. Vitesse radiale 1 180 km.
 (Contributions from Mount Wilson Solar Observatory, no 132.)
fait que les corps dont la collision donnerait des « Novae » sont petits, plus petits peut-être même que notre soleil[6], tandis que la matière qui compose l’ensemble de la Voie lactée est probablement des milliards de fois plus importante que celle du soleil. Il est vrai que nous connaissons un petit nombre d’étoiles, telles qu’Arcturus, qui sont plusieurs dizaines de mille fois plus grosses que lui, mais même deux de ces étoiles ne rendraient pas un compte exact de la Galaxie et de sa masse. Puis encore la probabilité que deux corps stellaires de dimensions aussi exceptionnelles entrent en collision est si minime qu’on peut bien ne pas la prendre en considération.

Les courants stellaires reconnus par Kapteyn, qui comprennent plusieurs milliers, probablement même des millions d’étoiles, semblent indiquer la voie qui conduira à la solution de l’énigme de la Voie lactée. Ces courants ont été jadis d’énormes nuées de gaz, dont la masse était sans doute plusieurs millions de fois celle du soleil. Leur étendue équivalait à l’espace occupé par des milliards d’étoiles. Les probabilités de rencontre de semblables masses sont relativement grandes, et ne sont certainement pas inférieures à celles d’un courant d’étoiles entrant dans la Voie lactée, fait qui s’est certainement produit comme l’a fait voir Kapteyn.

Si une rencontre entre deux nuées gazeuses aussi énormes se produisait, chacune d’elle étant animée d’une vitesse d’environ 20 kilomètres à la seconde, il ne se passerait pas longtemps avant que les molécules gazeuses de la région de contact fussent retardées dans leur mouvement primitif. Il se produirait une concentration et un accroissement de température extrêmes dans la région qu’elles occupent. Cette région serait entourée par les masses comparativement froides et denses non affectées par la rencontre. Entre les deux il se produirait naturellement une certaine égalisation, et les masses mêlées prendraient probablement un mouvement de rotation violent autour d’un axe perpendiculaire au plan contenant les deux directions primitives.

Les parties les plus éloignées de l’axe de rotation peuvent continuer de suivre leur chemin primitif dans l’immensité de l’espace. Les parties chaudes au contraire, voisines de l’axe, prennent des mouvements en dépendance réciproque. La grande viscosité des gaz contribue encore à ce résultat. Il en résultera la formation d’un disque de matière gazeuse. Ce disque aurait sa plus grande épaisseur vers le centre et s’amincirait vers les bords, où la force centrifuge exercerait plus fortement ses effets.

Une nébuleuse ayant cette forme de disque a été étudiée par M. F. G. Pease, astronome à l’observatoire Carnegie du Mont Wilson. C’est la nébuleuse no 4594 du N. G. C. qu’il a ainsi examinée à l’aide du spectroscope (voy. fig. 4). On soupçonne ce corps céleste d’être une nébuleuse spirale, analogue à celles des figures 5 et 6, mais qui se présenterait à nous par sa tranche, de sorte que les spirales nous apparaîtraient presque comme des lignes. Ainsi qu’on peut le remarquer sur la figure, cette ligne ou bande est traversée par une ligne sombre assez large, causée, croit-on, par un nuage extérieur, froid et obscur. La ligne brillante est plus large au centre. La courbure de la ligne obscure médiane qui a la forme d’un arc dont la convexité regarde le bas, jointe au fait que la majeure partie de la lumière se trouve au-dessus, semble indiquer que nous ne voyons pas la nébuleuse exactement par sa tranche, mais un peu par-dessus, du côté du nord d’un plan passant par les bras du système.

Le noyau de ce corps s’éloigne de nous à la vitesse absolument fabuleuse de 1 180 kilomètres par seconde ! Le bord Est, — celui qui se trouve à la gauche de la figure, — s’éloigne à la vitesse plus grande encore de 1 630 kilomètres par seconde, tandis que l’autre bord Ouest (à droite), ne se retire de nous qu’à raison de 800 kilomètres par seconde. D’après M. Pease, la nébuleuse aurait une rotation comme celle d’un disque plein, en sorte que la différence entre la vitesse d’un point quelconque et celle du centre, serait exactement proportionnelle à la distance entre les deux. Il est probable que nous sommes empêchés d’apercevoir les parties les plus extérieures, qui correspondent aux bras détachés de la nébuleuse, par l’anneau dépoussiérés qui entoure le tout. La partie visible occupe un espace égal à un arc de 2′,25 de chaque côté du centre. Le spectre correspond à celui de la classe d’étoiles F.5, dans la classification d’Harvard. Ce n’est donc pas la lumière du gaz continu dans la nébuleuse qui prédomine, mais celle des étoiles qui s’y trouvent, et qui correspondent aux étoiles répandues dans la Voie lactée. Cette lumière est par son ensemble suffisamment intense pour supprimer ou éclipser les rayons émis par le nuage gazeux proprement dit.

Dans une rencontre de masses gazeuses comme celles que nous avons supposées, les parties les plus éloignées du point de choc continueront sans doute leur course à travers l’infini, sans être beaucoup affectées par l’attraction exercée par la masse centrale, et cela par suite de leur énorme éloignement. Les portions plus voisines du point de choc seront entraînées dans des orbites déterminées par cette même attraction, et dont la courbure sera d’autant plus grande qu’elles sont plus voisines de l’axe de rotation. Un des résultats de cette attraction réciproque entre la masse centrale et les éléments extérieurs de la nébuleuse sera encore que la vitesse dans les bras de la spirale diminuera d’autant plus que la partie en question est plus éloignée du centre, tout comme les comètes de notre système ont une vitesse moindre, à mesure qu’elles s’éloignent du soleil. Mais dans toutes les parties situées en dehors de la région centrale, la force d’attraction est trop faible pour imprimer un mouvement rotatoire à la masse gazeuse. Toute matière appartenant à ces régions s’éloignera par conséquent indéfiniment du centre. À mesure que les bras de la spirale s’étendent en lignes droites
Fig. 5 : La Voie lactée, par Easton.
Fig. 5. — La nébuleuse Messier 101. Les petites flèches indiquent le sens et la grandeur du mouvement moyen annuel à l’endroit où elles se trouvent. — L’échelle portée sur la figure représente 0″,1. — L’échelle de la nébuleuse est de 1mm = 14″,5. Les étoiles de comparaison sont indiquées par de petits cercles.
 Proc. Nat. Acad. of Sciences of U. S. A., 1916

Fig. 6 : La Voie lactée, par Easton.
Fig. 6. — La nébuleuse Messier 51 dans les Chiens de chasse. Photographie de l’Observatoire du Mont Wilson, 7 et 8 février 1910. — Echelle 1mm = 5″.
leur matière s’échappera définitivement, loin du disque central. Peut-être que dans la nébuleuse étudiée par M. Pease, le disque seul subsiste.

Un autre observateur encore, du Mont Wilson, M. A. Van Maanen[7] a étudié la nébuleuse no 101 du catalogue Messier (fig. 5). Celle-ci semble occuper un plan presque perpendiculaire à la ligne visuelle. Cette ligne coïncide donc presque exactement avec l’axe de rotation. Les mouvements de la nébuleuse ont été étudiés à l’aide de photographies prises en 1899, 1908 et 1914. Cela a permis de déterminer son déplacement par rapport aux étoiles avoisinantes. De 87 points observés dans les spirales, 9 seulement se meuvent dans le sens des aiguilles d’une montre, les 78 autres ont des mouvements rétrogrades. La vitesse angulaire moyenne est de 0,022 seconde d’arc par année, ce qui correspond à une révolution entière en 85 000 ans, à une distance de 5 minutes d’arc du centre. La vitesse absolue d’un point situé à 2 minutes d’arc du centre est une fois et demie plus grande qu’à la distance de 7′,5 de ce même centre.

La figure 5 reproduit l’original de la photographie de M. Van Maanen. Elle montre nettement, par ses indications complémentaires, la régularité dans le mouvement d’ensemble des différentes parties, ainsi que les exceptions assez nombreuses à cette régularité. Ces exceptions peuvent être produites par des perturbations dues à des masses envahissantes venues du dehors, qui communiqueraient leur propre mouvement à des masses gazeuses environnantes. Il est probable que ces corps adventifs sont entourés de vapeurs condensées, ce qui a pu donner lieu aux points lumineux qui émaillent les nébuleuses spirales. Le mouvement radial de l’ensemble est de 0′007 par an. Pendant que les points de condensation effectuent une rotation d’un demi-cercle autour du centre, ils s’en éloignent conséquemment d’environ deux fois leur distance primitive. Il faudrait donc un million d’années avant que les portions extérieures de la nébuleuse se soient assez éloignées de l’axe pour que la forme spirale ne soit plus apparente. Encore cette durée semble-t-elle trop faible, et sera-t-elle sans doute augmentée par des études plus complètes.

Il est clair que la Voie lactée peut avoir été créée par la rencontre de deux gigantesques accumulations gazeuses, de la façon qui vient d’être décrite. Subséquemment, et par suite de l’immensité de la Galaxie, une quantité considérable de matière cosmique errante, comme aussi de petits corps stellaires s’y sont agglomérés, et, de plus, certains autres groupements plus importants, tels que les nébuleuses planétaires dont nous venons de parler, peuvent y avoir été retenues.

La figure 6, fait voir combien nous avons raison de considérer la Voie lactée comme formant une nébuleuse spirale. Elle reproduit une photographie de la nébuleuse bien connue des Chiens de chasse (Messier 51). On y trouve une foule de détails qui n’avaient pas pendant longtemps, été soupçonnés. C’est une véritable prouesse qui a été accomplie par l’observatoire Carnegie du Mont Wilson (Californie du Sud) à l’aide de ressources optiques plus grandes que toutes les antérieures. On avait bien comparé déjà la Voie lactée à cette nébuleuse, mais la ressemblance frappante n’avait pas jusqu’alors été aussi clairement montrée.

Si nous supposons, pour un instant, le soleil placé au point marqué S dans la photographie, et un peu en avant du plan de la figure, la nébuleuse, vue de ce point, apparaîtrait comme la Voie lactée nous apparaît maintenant. Au centre, on verrait le noyau central compact, et à sa gauche, une fissure entre les deux branches intérieures de la spirale. Plus à gauche, on ne verrait que la branche extérieure, s’élargissant d’abord vers la gauche où elle se rapproche de S, puis se rétrécissant de nouveau par suite de l’agglomération qui se produit dans la partie inférieure droite de la spirale. L’axe de la nébuleuse correspondrait à la partie la plus dense de la Galaxie vers la constellation du Cygne ; la boucle dans la volute intérieure correspond à l’espace vide qui existe entre Céphée et Cassiopée. La partie étroite de la branche extérieure de la spirale ressemble à l’étranglement voisin d’Algenib (γ de Pégase) et la partie plus diffusée qui vient ensuite correspond à la partie élargie du Cocher et de la Licorne. La partie suivante, plus rétrécie, nous montre l’amas nébuleux antérieur (en bas de la figure) correspondant à certains égards aux nuées Magellaniques, bien que celles-ci soient plus éloignées, et qu’elles ne semblent pas appartenir réellement à la Voie lactée. Puis vient, dans la nébuleuse considérée, une partie dense, représentée, dans notre système, par l’étendue moins compacte, mais très lumineuse, qui contient la Croix du Sud.

En ce point, — à partir de l’étoile α du Centaure, — l’étoile fixe la plus voisine de notre soleil[8],
Fig. 7 : La Voie lactée entre Cassiopée et Cygne (photographie M. Wolf)
Fig. 7. — La Voie lactée entre Cassiopée et Cygne d’après une photographie de M. M. Wolf, de Heidelberg. Un peu à gauche du Centre on voit la superbe nébuleuse « Amérique ».
commence une coupure et bifurcation de la spirale, et, chose assez étonnante, la nébuleuse est bifurquée de la même façon. L’étoile n’est distante de nous que de 4,5 années-lumière ou 40 millions de millions de kilomètres. Or la branche extérieure de la spirale, qui s’allonge en une ligne faible vers le haut, à partir de l’amas, montre d’abord une bande peu brillante, tandis que la spirale intérieure se détache fortement au-dessus de S, — ce qui répond à la partie fort brillante de la Voie lactée dans l’Écu et dans l’Aigle. — La séparation qu’on voit dans la nébuleuse entre les deux branches est la contre-partie de la fente de la Voie lactée, longue de 100 degrés, s’étendant de Norma jusqu’à la Lyre. De nombreux « ponts » ou bandes transversales joignent ces deux bras dans la nébuleuse, tout comme dans la Galaxie, à ce que remarque M. Wolf.

Cette correspondance est donc, en effet, surprenante et très bonne. Les proportions des deux objets diffèrent naturellement dans une certaine mesure. Dans la Voie lactée le noyau central ne semble pas avoir une prédominance aussi absolue, fait qui d’ailleurs a passablement gêné les partisans de la théorie nébulaire. On peut croire que ce noyau fut à l’origine plus dense qu’il n’est aujourd’hui, mais qu’il s’est atténué par suite de la formation d’étoiles, ce qui expliquerait, par exemple, le grand vide que nous apercevons entre les constellations de la Lyre et du Petit Renard.

Pour rendre plus claire la structure de la Voie lactée, nous reproduisons ici deux photographies qui ont été prises par M. Wolf, à Heidelberg, qui a fait sur ce sujet, des études particulièrement approfondies. La première (fig. 7.) montre une portion de la Galaxie située dans la constellation du Cygne, ayant l’étoile Deneb au centre, et sur la gauche la nébuleuse dite « Nord-Amérique », par suite de sa forme générale. Au-dessus de Deneb se trouve le « trou noir » dans le Cygne, et au-dessous, un autre vide un peu moins noir. À gauche du « trou » se trouve le canal sinueux qui comprend la nébuleuse dite du Cocon[9]. La figure suivante (fig. 8.) montre en haut et à gauche, la brillante étoile Altaïr, dans la constellation de l’Aigle. Elle se trouve tout près du puissant bras de la Voie lactée qui traverse cette constellation. Plus à droite est le bras moins lumineux dans Ophiuchus. La partie inférieure est la partie la plus lumineuse de toute la Voie lactée, dans la constellation de l’Écu et du Sagittaire. Les étoiles très brillantes y sont peu nombreuses, mais il y en a d’innombrables de moindre grandeur. « Elles sont agglomérées en masses denses, et entre elles la poussière « stellaire la plus délicate est largement répandue ». — « Nous voyons se résoudre le ruban étoilé en groupes détachés qui s’entremêlent dans les dessins les plus variés. Ces nuées d’étoiles atteignent leur plus grande splendeur dans la partie inférieure du tableau. »

Nous reproduisons encore dans la figure 9 d’après une photographie de M. Wolf[10], mais à plus grande échelle, la région environnant l’étoile Gamma de l’Aigle, qui se trouve dans la partie inférieure de la figure 8. Elle comprend le trou du « Trident » ainsi désigné par sa forme très particulière, et dans le voisinage duquel se trouvent nombre de nuages et de groupes étoilés. Cette image est une contre-partie plus compliquée de la photographie plus uniforme que M. Wolf a faite de la nébuleuse du Cocon. Il semblerait que trois ou quatre corps stellaires aient pénétré ici, venant du dehors, qu’ils aient balayé les étoiles rencontrées et qu’ils aient laissé des « rues » libres. Il est possible que d’autres emplacements noirs ou vides aient été formés de même. — Une autre théorie très différente a été formulée par le célèbre astronome Barnard. Elle suppose que de semblables emplacements noirs sont causés par des formations nuageuses obscures, qui empêcheraient la lumière des étoiles placées au delà, de parvenir jusqu’à nous.

Ces photographies nous permettent de nous représenter, dans une certaine mesure, comment les étoiles de la Voie lactée se sont dégagées du chaos nébuleux de temps infiniment lointains. Nous ne pouvons guère nous empêcher, en observant la Galaxie, de constater certaine ressemblance avec les grumeaux qui se forment dans le lait aigrissant. M. Duclaux, le savant français, dit dans sa microbiologie : « Dans le lait qui commence à aigrir, mais qui est encore parfaitement liquide, le microscope nous révèle un précipité de particules très fines. On les voit tout d’abord avec grande difficulté, et on ne les découvre qu’en déplaçant légèrement le plan visuel. Plus tard elles forment des grains distincts, que caractérisent des mouvements Browniens, comme de minimes parcelles d’argile… Plus tard, le phénomène se montre comme une agglomération moléculaire. Les petites parcelles ont la même tendance que celle de l’argile fine à se grouper et à se précipiter. »

Les premiers points de condensation dans les nuages nébuleux sont sans doute les poussières cosmiques qui viennent du dehors ; peut-être aussi des noyaux plus importants, tels que dès météorites ou des comètes. À la très basse température qui règne, les gaz environnants doivent se condenser à l’état fluide sur les parcelles de poussière, et par l’effet de cette humidité enveloppante elles se soudent et acquièrent des dimensions telles que les forces de gravitation dépassent les forces répulsives de la radiation. La gravité, jointe à l’effet des vapeurs ralentissantes, continue à agglomérer ces agrégats, et ce processus de groupement s’accompagne d’une
Fig. 8 : La Voie lactée dans l’Aigle et le Sagittaire (photographie M. Wolf)

Fig. 8. — La Voie lactée dans la constellation de l’Aigle (en haut) et du Sagittaire (en bas). À gauche, en haut, la belle étoile Altaïr. Photographie de M. Wolf, de Heidelberg

Fig. 9 : La déchirure du Trident dans la Voie lactée (photographie M. Wolf)

Fig. 9. — La déchirure « trifide » (ou du trident) de la Voie lactée, dans l’Aigle. Photographie Max Wolf, de Heidelberg.
production de chaleur. Puis de petites étoiles se trouvent formées et enfin des groupes de ces étoiles, tandis que les espaces qui les séparent apparaissent comme vidées de toute matière comme les flots de petit lait entre les petites masses de caillé. À ce moment les petits corps stellaires sont encore entourés de beaucoup de poussières, ainsi que de gaz que la condensation continue tend cependant à raréfier de plus en plus. Même les étoiles des Pléiades, très grandes, et qui sont des étoiles à hélium, se montrent sur les photographies comme entourées de grandes plaques ou masses de nuées poussiéreuses. Elles sont cependant dès maintenant si faibles, si atténuées qu’elles ne peuvent plus offrir de résistance au mouvement de la progression des puissantes étoiles. Il se peut encore que la condensation soit grandement accrue par une invasion de nébuleuses gazeuses, telles que celle du Cocon. Finalement tous les gaz de la nouvelle étoile sont condensés, c’est-à-dire que son enveloppe de vapeurs ténues et de poussières se contracte pour devenir une matière trop faible pour être encore visible, sinon à proximité immédiate. De petits corps captés par le frottement dans le voisinage de l’enveloppe primitive circulent comme des planètes autour du nouveau soleil, en balayant les dernières traces de particules libres. Cette condensation laisse un « trou » dans la nébulosité transformée en étoiles et en satellites, qui sortent du brouillard et se répandent dans le ciel.

La Voie lactée semble être dans un état assez avancé de cette évolution.

L’infiniment petit a souvent des ressemblances étranges avec l’infiniment grand.

Nous pouvons, de la façon qui précède, nous faire une idée de l’accroissement du merveilleux ensemble qui a produit les corps stellaires que nous pouvons voir. Les nébuleuses spirales voisines des pôles galactiques sont des agglomérations analogues, mais qui semblent de dimensions beaucoup plus modestes. On peut les comparer à la Voie lactée, comme nous comparons les planètes au Soleil. Il semblerait, d’après les plus récentes découvertes, que ces nébuleuses spirales soient animées de vitesses énormes, et qu’elles aient envahi la Voie lactée en venant du dehors.

Nous reparlerons dans le chapitre où il s’agira de la mesure du temps, d’une explication très remarquable que les anciens Mexicains donnaient de la Voie lactée. Pour eux, elle était la matière originaire, et elle aurait donné naissance à toutes les étoiles dont les plus importantes sont le Soleil, la Lune, et Vénus. Il est très remarquable combien cette idée concorde avec les découvertes de ces dernières années.

Il convient de dire ici quelques mots des dimensions de ce que nous comprenons sous le nom de Voie lactée. Jusqu’à ces temps derniers on en savait fort peu de chose, les difficultés de mesure étant considérables. Les étoiles les plus éloignées ont en effet des parallaxes si minimes que leur mesure est impossible à nos moyens. Certaines évaluations ont été faites, et Max Wolf a estimé le diamètre de l’amas galactique — ou la distance entre les bras extérieurs de la spirale, à travers le soleil, — à 40 000 années-lumière, ce qui représente 400 000 trillions (4 × 1017) de kilomètres, ou encore 9 000 fois la distance qui nous sépare de l’étoile α du Centaure, considérée jusqu’à maintenant comme l’étoile fixe la plus proche de nous.

De son côté Lord Kelvin a fait une estimation différente, qui semblait plus vraisemblable et qui n’est que de 6 000 années-lumière, environ 1/7e de l’évaluation de M. Wolf.

Une autre appréciation plus récente, mise en avant par M. Seeliger, donne à l’ensemble du système galactique la forme d’une lentille ; son diamètre serait d’environ 50 000 années-lumière ; son épaisseur de 15 000.

Il était naturel qu’on cherchât à faire l’évaluation de ces grandeurs sur des bases plus satisfaisantes que des mesures impossibles, et l’on a essayé d’autres méthodes, peut-être moins directes.

Un des premiers, M. le professeur Charlier, de l’observatoire de Lund (Suède), a procédé à une étude de nature toute particulière des étoiles dites à hélium, cherchant à déterminer l’étendue du système d’ensemble de ces étoiles. Elles correspondent au groupe B de la classification de Harvard, aujourd’hui très généralement acceptée. On peut admettre que ces étoiles à spectre identique ont des luminosités très sensiblement égales, ou du moins très peu différentes. Or, un grand nombre d’entre elles ont été étudiées par cette même Université d’Harvard, qui en a publié les grandeurs connues, les mouvements propres et les vitesses radiales. L’examen de ces documents a fait reconnaître à M. Charlier[11] qu’il convient de partager ce groupe en deux sous-groupes, l’un comprenant les étoiles désignées par B1 et B2 à Harvard, l’autre comprenant B0, B3 et B5. Toutes les étoiles de ces sous-groupes sont très semblables entre elles. Si l’on connaît, au moyen de la parallaxe mesurable, la distance de l’une ou de plusieurs d’entre elles dans chaque sous-groupe, on peut, par la comparaison de leurs grandeurs lumineuses, connaître la distance de toutes. C’est ainsi que M. Charlier est arrivé à conclure que leur ensemble, à 5 p. 100 près, se trouve groupé en un amas discoïde, bien défini, dont le diamètre maximum, soit 3 300 années-lumière est d’environ trois fois l’épaisseur. Notre soleil se trouverait à une distance d’environ 290 années-lumière du centre de ce groupe, qui, toujours d’après M. Charlier, correspond à ce que nous avons jusqu’ici appelé la Voie lactée.

Un autre astronome, dont nous allons rappeler aussi les travaux, M. Shapley, donne à cet ensemble le nom de « système local ». Son diamètre, soit 3 300 années-lumière correspond assez bien à l’estimation qu’avait faite Lord Kelvin, soit 6 000 années-lumière. Mais les chiffres qui vont jusqu’à 100 fois plus, se rapportent à d’autres agglomérations dont nous allons maintenant parler.

Les études de M. Charlier, que nous venons de mentionner, avaient pour base une conception qui semble aujourd’hui assez généralement admise par la plupart des astronomes. C’est celle de l’uniformité moyenne de l’univers dans ce qu’il nous est possible d’en étudier. La constitution physique des étoiles, leurs qualités optiques, leurs formes, leurs grandeurs ne s’éloignent pas beaucoup de certains types, de quelques valeurs moyennes. S’il y a des exceptions, elles sont peu nombreuses et ne sont pas extrêmes. Le classement en groupes dont les éléments ont une ressemblance plus étroite permet de les rassembler autour de types plus précis, et ces types conduisent à des analogies et à des inductions qui n’offrent plus que des chances d’erreur très limitées.

Partant de ces idées générales, M. Shapley, le distingué directeur de l’observatoire du Mont Wilson (Californie), a employé la méthode de M. Charlier pour l’étude d’une série d’amas globulaires, qui sont parmi les objets les plus remarquables de la voûte céleste. Ces amas ont été tous soumis à des investigations du même ordre. Dans chacun d’eux il a été possible de reconnaître un certain nombre d’étoiles variables de l’espèce nommées Céphéides[12]. Dans chaque amas elles présentent une luminosité sensiblement la même. On eut soin de ne pas comprendre parmi elles les étoiles ayant une période de plus de 24 heures. Dès lors on put admettre que dans tous les amas stellaires de cette nature, c’est-à-dire globulaires, les dites Céphéides avaient la même intensité lumineuse absolue[13], quoiqu’elles se présentent à nous comme assez différentes. Les différences résultent du fait qu’elles sont à des distances très variées de nous. En partant de ces considérations, on est parvenu à évaluer leurs distances relatives au soleil.

Le nombre des amas qui comprennent de ces variables n’est cependant pas très grand. Pour ceux qui n’en ont pas, il a fallu recourir à une méthode différente. On a été conduit à reconnaître que pour les étoiles les plus brillantes de ces amas, les intensités lumineuses sont dans un rapport bien défini, bien déterminé à celui des Céphéides. Elles leur sont supérieures en éclat de 1,35 grandeur. S’il en est ainsi, on peut déduire de l’intensité des plus brillantes, leur distance relative à notre terre.

Il était vraisemblable encore que d’autres Céphéides, non réunies en amas, fussent égales entre elles. Toutes les différentes étoiles de cette catégorie furent étudiées, — on en reconnut environ 140, — et leur distance fut évaluée, mesurée en années-lumière. Cette détermination donna la clef des distances absolues des amas stellaires, et permit de les calculer.

M. Shapley trouva encore que la couleur des Céphéides était intimement liée à leur grandeur lumineuse absolue. Il devint ainsi possible de déterminer leurs distances relatives dès que l’on connaît leur couleur. Enfin la longueur de leur période (de variabilité) peut aussi servir pour déterminer cette même distance relative.

Les Céphéides furent donc réparties par M. Shapley en deux sous-groupes, dont l’un a une période de plus de 24 heures, l’autre une période moindre. Les étoiles de ce deuxième sous-groupe ont une vitesse radiale très grande. Elle est d’environ 50 kilomètres par seconde. Les autres sont des « géants » dont la vitesse radiale est généralement de moins de 10 kilomètres. Les Céphéides à période courte sont d’environ 100 fois plus brillantes que le soleil, et elles sont à peu près uniformément distribuées autour de lui. Au contraire les Céphéides « géants » sont de 2 000 à 10 000 fois plus brillants que le soleil, et se rencontrent de préférence dans les régions galactiques.

Les Céphéides à périodes courtes sont animées de vitesses radiales très grandes, de 52 à 196 kilomètres par seconde. La plupart d’entre elles sont situées à des distances moindres que 3 300 années-lumière de nous. Mais les plus distantes sont éloignées de plus de 20 000 années-lumière.

L’ensemble de ces résultats fit reconnaître à M. Shapley que les distances des amas globulaires étaient beaucoup plus grandes que celles auxquelles nous sommes habitués en considérant les étoiles. D’autre part ils ne se rencontrent jamais ou très rarement dans une région qui serait délimitée par deux plans au-dessus et au-dessous du plan moyen de la Voie lactée, et distants de celui-ci de 5 700 années-lumière environ. Cette zone comprend d’ailleurs la majeure partie, de beaucoup, des corps célestes qui nous sont connus.

M. Slipher a entrepris de mesurer la vitesse dont sont animés les amas globulaires. Il a reconnu que pour la plupart d’entre eux, — sept sur huit de ceux qu’il a étudiés, — ils se rapprochent de nous avec des vitesses énormes. Ils se rapprochent sans doute en même temps du plan galactique. Leur absence de la région indiquée ci-dessus semble donc assez surprenante. Aussi M. Shapley a-t-il énoncé l’hypothèse qu’en se rapprochant de la zone médiane galactique les amas en question se résoudraient en groupes ouverts, comme on en reconnaît en abondance dans cette région. On a suggéré que si l’on ne trouve plus d’amas globulaires à proximité immédiate du plan galactique, c’est qu’ils sont obscurcis par les poussières qui environnent notre système, d’une façon analogue à la nébuleuse N. G. C. 4594, qui a été étudiée par M. Pease, et qui se trouve reproduite dans la figure 4. M. Shapley refuse[14] de se rallier à cette explication de la disparition des amas globulaires. Les amas ouverts qu’on trouve dans le voisinage du plan galactique sont beaucoup plus symétriquement distribués autour du centre de notre système d’étoiles que les globulaires, avec toutefois une certaine prépondérance aux environs de la longitude galactique de 230°. Les amas globulaires sont au contraire largement concentrés aux environs du plan méridien (toujours galactique) de longitude 325°, c’est-à-dire dans la direction des confins entre les constellations du Sagittaire et du Scorpion. Les amas ouverts ou dispersés sont très concentrés à proximité du plan galactique ; le plus éloigné de ce plan, qui est désigné par N. G. C. 2420 se trouve à une distance de 11 000 années-lumière ou 3 380 parsecs, suivant la dénomination récemment introduite[15] au nord et au sud du plan galactique. Le plus proche d’entre eux, les Hyades, est à 130 années-lumière seulement, et le plus lointain connu, N. G. C. 6005 se trouve à environ 55 000 années-lumière de notre système solaire. Les amas globulaires, au contraire, se trouvent tous en dehors de cette zone, et les plus lointains sont à 160 000 années-lumière de nous. Les plus rapprochés sont encore à 30 000 années-lumière environ.

Le mieux connu des groupes ou amas dispersés de la zone galactique est celui des Pléiades. Il contient environ 230 étoiles de 12e grandeur, ou plus grandes. Il n’est distant de nous que de 220 années-lumière environ. Son diamètre est d’environ 2 degrés, ce qui correspond à 7 années-lumière. Les étoiles qui le composent se meuvent vers nous avec une vitesse d’environ 11 kilomètres par seconde.

Les amas ouverts ou dispersés appartiennent sans aucun doute au système galactique, aussi bien que les « nuées d’étoiles » qui sont caractéristiques de cette formation. À l’aide d’une méthode due à M. Lindblad on a déterminé la distance qui nous sépare de ces « nuées ». M. Lundmark a trouvé que celles du Cocher, du Cygne (voy. fig. 7) et celle de l’Aigle (voy. fig. 8) sont à 5 000, à 25 000, et à 16 000 années-lumière de nous. L’ensemble du système des amas dispersés a des dimensions environ 20 fois plus grandes que celui des étoiles à hélium étudié par M. Charlier.

Ce groupe, ou système, dont nous avons déjà parlé plus haut et dont notre soleil fait partie, comprend presque toutes les étoiles connues, à hélium, supérieures à la 7e grandeur. Il comprend encore la plupart des étoiles à hydrogène, et enfin de nombreuses étoiles jaunes et rouges. Le plan moyen de ce groupe « local » n’est pas plus éloigné, il est même vraisemblablement plus rapproché de nous que 60 années-lumière. Ce plan est au sud du soleil. Tout au contraire le plan moyen galactique des amas ouverts se trouve à 175 années-lumière au sud du point milieu de notre groupe « local ». M. Shapley considère ce groupe comme un grand amas dispersé.

Reprenons maintenant les amas fermés, ou globulaires. Le plus proche d’entre eux, Oméga du Centaure, se trouve à 23 000 années-lumière environ de nous. Tous ces amas sont groupés d’une façon relativement serrée en dehors des deux plans limites de la grande zone galactique, dont l’épaisseur est de 11 400 années-lumière ou 3 500 parsecs. Leur ensemble a un centre qui est à une distance de 6 500 années-lumière environ de notre soleil ; il est situé dans la direction entre Sagittaire et Scorpion. Mais le diamètre de l’ensemble que constituent ces amas est de 300 000 années-lumière au moins.

Les recherches les plus récentes de M. Shapley (1918–19) ont donc fait voir que tous les amas stellaires appartiendraient bien au système galactique étendu suffisamment loin, puisque son ensemble a un diamètre de 300 000 années-lumière. Ce que jusqu’à présent nous avons considéré comme le système de la Voie lactée, c’est-à-dire, celui des amas ouverts, n’est qu’une faible portion de cette immense formation sidérale dont les dimensions insaisissables à nos sens ont été révélées par l’étude des amas globulaires. Ceux-ci ont chacun des proportions de masse et des dimensions qui sont comparables à l’ensemble des étoiles à hélium de M. Charlier, auquel appartiennent, comme nous l’avons dit, presque toutes les étoiles visibles à notre vue distincte.

Il convient maintenant de dire quelques mots des nébuleuses spirales. On les considère aujourd’hui comme faisant partie d’une même catégorie d’objets célestes que la Voie lactée, ce qu’ont confirmé et développé déjà les travaux de M. Shapley sur les amas globulaires[16]. M. Lundmark[17], de l’Université d’Upsala, a fait à leur sujet une étude fort remarquable. Il semble que les formations désignées sous le nom de Nuages Magellaniques doivent être comprises parmi ces nébuleuses spirales. Dans l’un d’eux, le Petit Nuage, M. Shapley a reconnu un amas globulaire, et il a pu déterminer sa distance, qui serait de 62 000 années-lumière. Son diamètre, qui est de 4,5 degrés, serait de 5 000 années-lumière. La distance du Grand Nuage serait du même ordre de grandeur.

M. Lundmark a employé un grand nombre de méthodes différentes pour déterminer la distance de ces nébuleuses spirales. La meilleure peut-être d’entre elles se fonde sur l’hypothèse que les étoiles nouvelles apparues et observées dans leur intérieur, — soit treize dans Andromède, sept dans d’autres nébuleuses, — sont de même grandeur absolue moyenne, dans celles-ci, et dans la Voie galactique. Elles sont supposées égales encore aux étoiles Wolf-Rayet, ou aux étoiles de 13e grandeur. Ce procédé donne comme résultat de calcul, une distance de la nébuleuse d’Andromède, de 600 000 années-lumière. Son diamètre serait de 23 000 années-lumière. Elle serait donc beaucoup plus grande que notre groupe « local » des étoiles à hélium, qui a été évalué à 3 300 années-lumière. Mais elle est quand même 13 fois plus petite que le système des amas globulaires pris dans son ensemble.

Dans beaucoup d’autres nébuleuses on a pu également observer des étoiles nouvelles. M. Lundmark leur reconnaît une distance environ 30 fois plus grande que celle de la Nébuleuse d’Andromède. Pourtant ces nébuleuses où apparaissent des « Novae » sont les plus rapprochées de nous ; leur distance à notre coin du ciel est de l’ordre de grandeur de 20 millions d’années-lumière. Jamais jusqu’à présent la science humaine ne s’est trouvée en présence de distances, de grandeurs mesurées d’une semblable valeur. Plus que jamais on a l’impression que nous nous trouvons là en présence de l’infini du temps et de l’espace.

Signalons enfin ce fait qu’aux distances énormes des amas globulaires dont nous venons de nous occuper, correspondent des vitesses de mouvement dans l’espace, non moins considérables. On a reconnu une vitesse moyenne radiale, — c’est-à-dire suivant le rayon visuel qui nous relie à eux, — de 144 kilomètres par seconde. C’est malgré tout encore à peu près 5 fois moins que celle des nébuleuses spirales qui ont permis de faire ces mesures !

Nous avons cru devoir, dans les pages précédentes, exposer ce que les progrès les plus récents de l’astronomie (1915-1919) nous ont appris sur le système galactique dans son ensemble. On trouvera sans doute intéressant d’en avoir un résumé rétrospectif. Nous allons essayer de préciser ici les grandes divisions de ce qui, par rapport au passé, semble presque un univers nouveau, de dimensions qu’on n’imaginait pas jadis. En allant du petit au grand nous reconnaîtrons ainsi :

1o Notre système solaire. Son diamètre actuellement connu n’est que de 0,002 année-lumière. Sa distance aux étoiles fixes les plus proches est de 4 années-lumière environ.

2o Le système ou groupe que M. Shapley a baptisé du nom de « local ». C’est celui des étoiles à hélium. Sa forme est celle d’un vague ellipsoïde, très plat, dont le diamètre est d’environ 3 300 années-lumière. Nous nous trouvons à 60 années-lumière environ au nord de son plan médian.

3o Le système des amas dispersés d’étoiles, qui correspond le mieux à ce qu’autrefois nous appelions la Voie lactée ou système galactique. Ces amas sont très concentrés au voisinage du plan galactique.

Le plan médian de ce groupe est à environ 300 années-lumière au nord du centre des amas globulaires. On peut admettre que ce système comprend comme sous-groupes :

a. Le système des grandes Céphéides isolées, dont la période de variabilité dépasse 24 heures, et qui a un diamètre d’environ 16 000 années-lumière. Ces étoiles sont très ramassées à proximité du plan galactique et appartiennent évidemment à la Voie lactée.

b. Le système des Céphéides dont la période est inférieure à un jour, et qui a un diamètre de 20 000 années-lumière environ. Ces Céphéides sont à peu près uniformément distribuées de tous côtés autour du soleil. Ces deux sous-groupes font probablement partie de l’ensemble des amas ouverts.

4o Le système des amas globulaires, qui se trouvent tous en dehors des plans limitant le système galactique, et dont le diamètre n’est pas inférieur à 300 000 années-lumière.

5o Le système des nébuleuses spirales, encore trop peu connu pour être défini, mais parmi lesquelles il s’en trouvera peut-être qui à elles seules sont aussi grandes que notre système des amas dispersés. Leurs distances de nous seraient en tous cas de l’ordre de 600 000 années-lumière et davantage.

Comme une monstrueuse pieuvre, la Voie lactée semble nager dans la mer sans rivage de l’éther. Ses dimensions sont autant de fois grandes par rapport à notre globe que celui-ci par rapport à un atome. C’est ce fait qui a conduit l’Irlandais Fournier d’Albe, un physicien de génie, à considérer les globes célestes comme des atomes, à l’aide desquels des systèmes de l’ordre de la Voie lactée se sont construits, de la même manière que la terre et d’autres corps célestes se sont construits à l’aide de molécules invisibles à nos yeux, insaisissables à nos sens, et dont cependant nous connaissons les dimensions avec un étonnant degré de précision.

Fournier d’Albe va plus loin encore. Dans un envol poétique il n’hésite pas à doter la Voie lactée d’une vie réelle. On ne peut pas refuser à son évolution une certaine similitude avec les procédés de la vie organique. La grande nébuleuse doit son existence à la confusion de deux entités, deux nébulosités qui se sont rencontrées dans leur course à travers l’immensité de l’espace. Le nouveau-né a flotté là, allongeant ses tentacules sur les flots frigides de l’éther, et gagnant en substance et en force par l’adjonction d’êtres plus petits, que les vagues agitées de ses flots ont amenés à proximité. Il a maintenant atteint le point culminant de son évolution, et il est en train de se résoudre en molécules, en systèmes solaires, ou encore en atomes dans la molécule. Dans l’exubérance de sa puissante jeunesse, ces molécules parcourent l’espace accomplissant leur vie individuelle. Beaucoup d’entre elles se résoudront sans doute en poussières et serviront alors à alimenter quelque nouvelle nébuleuse. D’autres succomberont à une mort glacée, mais pourront reprendre vie par leur choc contre une nébulosité ou contre un autre corps, et donneront naissance à des « Novae » ou à des nuées planétaires. Une fois après l’autre les nuées étoilées traverseront le cycle de l’existence, et après une vie dont la durée sera proportionnée à leurs dimensions, c’est-à-dire qui peut être estimée à des millions de milliards d’années, elles donneront naissance à de nouveaux êtres célestes. Et c’est ainsi que cette vie se perpétuera dans un rythme éternel.

  1. La « nova » de l’Aigle, apparue en juin 1918, se trouve en plein milieu de la Voie lactée. Celle du Cygne (août 1920) également.
  2. Décédé en 1919.
  3. Mémoire de MM. Campbell et Moore, dans les Proceedings of the National Academy of Sciences. Washington 1916.
  4. Voy. L’évolution des Mondes, Ed. 1910, p. 184. Fig. 54.
  5. Voy. p. 5.
  6. M. W. Pickering a récemment émis l’hypothèse que l’un des deux corps ne serait pas plus grand qu’une de nos planètes ; l’autre serait au contraire de l’ordre de grandeur de notre soleil.
  7. Proceedings of the National Academy of Sciences, 1916.
  8. Jusqu’à il y a peu de temps cette étoile Alpha du Centaure était regardée comme l’étoile la plus voisine de notre soleil. Mais en comparant des photographies du ciel déjà anciennes avec de plus récentes, M. Barnard a remarqué une étoile fixe très faible, de grandeur 10,5, et par conséquent invisible à l’œil nu, dans la constellation d’Ophiuchus. (A. D. 17° 58′ 44″ et Décl.4° 27,4′ au 1er janvier 1917). Elle a un mouvement propre très important. Elle parcourt annuellement un arc de 10″,3. C’est le mouvement propre le plus grand connu jusqu’à présent. La distance qui nous sépare de cette étoile a été évaluée depuis lors à 3,3 années-lumière, ou environ les trois quarts de la distance qui nous sépare de α du Centaure. Cela veut dire que sa vitesse, normale au rayon visuel, serait de 49 kilomètres par seconde. D’autre part, l’observation spectroscopique a permis de calculer qu’elle s’approche de nous avec une vitesse de 91 kilomètres par seconde (vitesse radiale). La vitesse résultante (réelle) serait donc de 103 kilomètres.

    La distance de 3,3 années-lumière a été calculée par M. Gounessiat, qui l’a déduite d’anciennes photographies prises en Algérie. Elle correspond à une parallaxe égale à une seconde. Mais des mesures ultérieures, fournies par les Bulletins de l’observatoire Harvard, nos 316 et 317, ont réduit cette parallaxe à 0″,7 ce qui donnerait une distance de 4,7 années-lumière, et une vitesse normale à la ligne visuelle de 70 kilomètres. M. Campbell, de l’observatoire Lick, avait déterminé aussi la vitesse radiale, et il avait trouvé que l’étoile s’approchait du soleil avec une vitesse de 128 kilomètres. D’après ces deux dernières mesures, sa vitesse réelle dans l’espace serait de 146 kilomètres par seconde.

    Plus récemment encore en 1916, M. Innes, de Johannesburg, a signalé une étoile de la Constellation d’Ophiuchus (le Serpentaire) qui serait également plus rapprochée de nous que α du Centaure. Elle n’en est distante que de 2° 13′ et son mouvement propre dans le ciel est de 3″83 (celui de α est de 3″66). Elle serait moins loin de nous d’un dixième de la distance de Alpha. Elle a reçu le nom de Proxima Centauri.

  9. Voy. fig. 3.
  10. M. Wolf. Die Milchstrasse. Leipzig, 1908.
  11. Nova Acta Reg. Soc. Sci.. Ser. 4. Fol. 4. No 7, 1916.
  12. Ces Céphéides sont des étoiles variables de courte période, de quelques heures à quatre ou cinq jours. Elles sont caractérisées par une très brusque augmentation de luminosité, suivie d’un lent retour à l’éclat minimum. C’est l’étoile Delta de la constellation de Céphée qui a donné son nom au groupe.
  13. Pour déterminer la luminosité absolue d’une étoile on se sert de ce qu’on appelle sa magnitude (ou grandeur) absolue qui est la magnitude qu’aurait cette étoile, placée à une distance de 10 parsecs, ou 32,5 années-lumière.
  14. Contributions from the Mount Wilson Observatory, no 191, 1919.
  15. 1 parsec = 3,25 années-lumière.
  16. Contributions from the Mt. Wilson Observatory, No 152. Astrophys. Journal. Vol. 48, 1918.
  17. Astronomische Nachrichten. T. CCIX, p. 369. Oct. 1919. Un mémoire plus complet a récemment été imprimé dans les Mémoires de l’Académie des Sciences de Stockholm, 1920.