Traduction par Théophile Seyrig.
Félix Alcan (p. 76-104).
Atmosphère et constitution des corps stellaires.

CHAPITRE III

ATMOSPHÈRE ET CONSTITUTION DES CORPS STELLAIRES

Ce n’est que dans un certain sens particulier que nous pouvons parler de l’atmosphère des soleils et des étoiles. Ces corps consistent principalement en une masse dense, entourée d’une couche de gaz très dilués. La densité de notre soleil est à peu près 1,4 fois celle de l’eau. D’autres étoiles ont une densité considérablement plus faible, qui parfois n’est plus que quelques centièmes de celle de l’eau. Ceci s’applique principalement à ces étoiles de grandeur variable, du type Céphéide, ainsi appelées d’après leur représentant le plus anciennement et le mieux connu, l’étoile mystérieuse Delta de la constellation Cephée, — puis aussi en général aux étoiles dites « jeunes ». En tout cas ces étoiles sont toutes gazeuses, par suite de leur température élevée. Il faut faire exception pour les nuées de leur périphérie extrême, formées de matières précipitées dans des vapeurs facilement condensables, telles que du carbone gazeux, nuées qui flottent dans les couches enveloppantes extérieures, et qui sont la cause de l’émission de la brillante lumière stellaire. Celle-ci a un spectre continu, avec des raies d’absorption dues aux vapeurs enveloppantes.

Les étoiles que nous venons de mentionner appartiennent au groupe des corps stellaires relativement jeunes, tandis que notre soleil, comme d’autres étoiles jaunes, est beaucoup plus vieux. Dans ces étoiles il est hors de doute que la densité moyenne plus grande est en rapport avec leur âge. Un grand nombre d’étoiles jeunes ont une enveloppe de très grande étendue qui consiste en général en hydrogène, mais aussi en hélium. Tel est le cas, par exemple pour Altaïr, l’étoile principale de la constellation de l’Aigle. Ces vastes enveloppes gazeuses peuvent être regardées comme une sorte d’atmosphère qui entoure les étoiles en question. Leur densité est, sans nul doute, extrêmement faible. Notre propre soleil est entouré, lui aussi, des gaz très raréfiés qui se trouvent au-dessus de ses nuées lumineuses. Ils absorbent la lumière de celles-ci, devenant ainsi la cause des raies noires du spectre solaire, — des raies de Fraunhofer. Le gaz qui s’éloigne le plus de la surface du soleil est l’hydrogène mêlé à une faible quantité d’hélium, et d’un autre gaz encore, inconnu sur la terre, qui a été dénommé coronium, précisément parce qu’il a été découvert dans la couronne solaire. Ce sont ces gaz que nous devons considérer comme formant l’atmosphère du soleil.

Des conditions très analogues existent sans doute autour des planètes les plus importantes, dont la densité ne s’éloigne pas beaucoup de celle du soleil. Elles ont comme autre point de ressemblance, des durées de révolution sur leurs axes, qui se rapprochent beaucoup. Jupiter fait la sienne en 9h.9, Saturne en 10h.3 et Uranus vraisemblablement en 10h.8. Si l’on considère leur densité, on peut admettre qu’ils sont probablement tous gazeux comme le soleil, gazeux dans leur totalité sauf peut-être dans les lourdes couches nuageuses qui semblent en former les enveloppes. Leur intérieur, tout comme celui du soleil, pourrait fort bien contenir des masses visqueuses de gaz. On croit en apercevoir des amas ou points singuliers à leur surface, analogues aux taches solaires, et qui persistent quelquefois longuement, au delà même d’une année. L’exemple le mieux connu de ces manifestations est la tache rouge de Jupiter moins marquée aujourd’hui que lors de son origine (voy. fig. 12). Ce qui caractérise ces planètes, ce sont des bandes bien marquées, qui sont, dans leur ensemble, parallèles à l’équateur (voy. fig. 12 et 13). Elles ont pour cause le mouvement rapide de rotation, la vitesse à la périphérie de Jupiter étant 28 fois plus grande que celle de la terre ; celle de Saturne l’est de 22 fois, celle d’Uranus environ 7,5 fois.

Quels sont les gaz que nous pouvons nous attendre à trouver dans l’atmosphère de ces planètes ? D’après l’hypothèse de Kant-Laplace, à laquelle on reconnaît encore aujourd’hui une base solide, les planètes se seraient séparées de la masse solaire au temps où celle-ci était encore diffusée de façon que son étendue comprît les orbites de ces planètes, et qu’elle s’étendît même plus loin. S’il en est ainsi, leurs atmosphères
Fig. 12 : La planète Jupiter, en projection de Mercator (Fr. Le Coultre)
Fig. 12. — La planète Jupiter, dessinée en projection de Mercator, par M. Fr. Le Coultre (Genève 1909). La « tache rouge » se trouve à la longitude 355°, latitude 20°. La bande noire y est infléchie, et les nuages sont dispersés au-dessus. — Le Sud est à la partie supérieure comme dans toutes les représentations astronomiques.
contiendraient naturellement les mêmes gaz que la partie extérieure de celle du soleil, et notamment de l’hydrogène. M. Slipher, qui a pu photographier les spectres des planètes les plus éloignées, croit que certaines bandes d’absorption très fortes des spectres d’Uranus et de Neptune, correspondent aux lignes F et C de l’hydrogène (voy. fig. 14) pour nous servir des notations de Fraunhofer. Seulement la grande largeur même de ces bandes telles que les montre la figure, les rend très difficiles à identifier avec certitude. D’autres gaz aussi, dont la nature reste inconnue, font partie de l’enveloppe extérieure aux nuages, et causent, ainsi que le montre le spectre, une forte absorption de la lumière solaire que réfléchissent les nuages situés plus près du centre. Cette absorption augmente même à raison de l’éloignement de la planète du soleil. Elle est plus forte pour Neptune, et moins forte pour Jupiter.

Mais à coup sûr, les enveloppes gazeuses des planètes que nous venons de considérer présentent une différence essentielle qui les distingue des planètes intérieures, à savoir Mars, la terre, Vénus et Mercure. Dans le soleil et dans les planètes « extérieures », l’atmosphère se confond graduellement avec la masse gazeuse intérieure, en sorte que l’on ne peut reconnaître aucune limite nette entre les couches raréfiées extérieures et celles plus denses qui se trouvent en dessous. Il en est tout autrement sur la terre. Ici la séparation entre les deux couches est nettement tranchée par la croûte solide de notre globe, ou par la surface des océans. C’est seulement dans des conditions semblables que nous pouvons parler d’une véritable atmosphère, telle que nous la définissent nos conceptions courantes. Et ces conditions sont analogues pour tous les corps stellaires qui ont un noyau avec une surface solide ou liquide.

Toutefois il n’est pas du tout certain que toutes les planètes qui offrent ce caractère aient une atmosphère. Si l’on étudie la lune, et qu’on observe l’occultation des étoiles par cette sphère, on reconnaît que son enveloppe gazeuse, si toutefois il en existe, est incapable de causer aucune déviation de la lumière de l’étoile. En d’autres termes, cette atmosphère ne possède pas de pouvoir réfringent sensible. Cette circonstance prouve que sa densité ne peut être qu’excessivement faible, et que sa pression barométrique ne peut dépasser 1 à 2 millimètres. Or nous avons des raisons d’admettre que la lune s’est jadis séparée de la masse terrestre, et que ce faisant, elle a emporté avec elle des parties de sa substance les plus légères. Cette hypothèse est confirmée par le fait que la densité moyenne de la lune, qui est égale à 3,3, n’est que les six dixièmes de celle de la terre, qui est de 5,53 fois celle de l’eau. On pourrait supposer qu’en se détachant, la lune eût emporté une partie des éléments les plus légers de tous ceux de notre globe, c’est-à-dire précisément de son atmosphère. C’est bien ce qui a dû en effet se produire, mais dans le cours des siècles la lune a dû perdre cette atmosphère, sans doute très considérable au début. On en trouve l’explication dans ce fait que les molécules de tout gaz
Fig. 13 : Saturne en septembre 1909 (Fr. Le Coultre)
Fig. 13. — Aspect de Saturne en septembre 1909 d’après M. Fr. Le Coultre, de Genève.

Fig. 14 : Spectres de la lune et des grandes planètes
Fig. 14. — Spectres des grandes planètes, comparés à celui de la lune. Ce dernier est celui de la lumière solaire, réfléchie par la surface d’un Satellite privé de toute atmosphère absorbante. Photographie de M. Slipher, à l’Observatoire de Lowell.

Fig. 15 : La planète Vénus
Fig. 15. — La planète Vénus, montrant à gauche une atmosphère éclairée par le Soleil. Observation de Langley lors du passage de Vénus, le 6 décembre 1882.
sont douées d’un perpétuel mouvement, et leur vitesse est d’autant plus grande que le gaz est plus léger et la température plus élevée.

Pour l’hydrogène, le gaz le plus léger que nous connaissions, cette vitesse des molécules est de 1 840 mètres par seconde, à la température de zéro. Or les parties de la lune exposées le plus directement à la lumière solaire sont échauffées à 150 degrés environ. À cette température-là, la vitesse des molécules d’hydrogène s’élève jusqu’à 2 290 mètres par seconde. D’autre part, un corps quelconque qui quitterait la surface de la lune avec une vitesse de 2 000 mètres par seconde, ou davantage, ne pourrait plus être retenu dans le voisinage de ce globe par l’attraction de la gravitation, il ne retomberait jamais sur lui, et il continuerait à tout jamais sa course vers l’espace. Le même effet se produirait à la surface de la terre si un boulet de canon était lancé vers l’espace avec une vitesse de 11 200 mètres par seconde, à supposer négligée toutefois la résistance de l’atmosphère. C’est une vitesse, bien entendu, dont l’artillerie la plus puissante de nos jours n’approche même pas de loin, et nous sommes encore très éloignés de pouvoir réaliser les rêves du Voyage à la lune de Jules Verne !

Mais de toute façon les forces de gravitation à la surface de la lune sont trop faibles pour retenir l’hydrogène, là où la température s’élève le plus. Une partie de l’enveloppe gazeuse que nous lui avons supposée s’échappe ; un afflux des parties voisines moins chaudes se produit, et au bout de peu de temps il n’a pu subsister à la surface de la lune aucune parcelle d’hydrogène. Qu’est-il devenu ? Selon toute probabilité il a été attiré et absorbé par le soleil. Là, il faudrait une vitesse d’éloignement de 613 000 mètres par seconde pour vaincre l’attraction vers son centre ! En réalité la vitesse moléculaire ne doit y atteindre que 8 000 mètres tout au plus.

Considérons de même le gaz qui, dans l’échelle des densités, vient après l’hydrogène ; c’est l’hélium. Ce gaz, à la température de 150 degrés a une vitesse moléculaire de 1 620 mètres. Ce chiffre est inférieur à celui de 2 000 mètres qui est nécessaire pour qu’un corps soit soustrait à l’attraction de la lune, et sorte de sa sphère d’influence. Seulement, toutes les molécules d’hélium ne vibrent pas avec la même vitesse. Il y en a de plus rapides, d’autres plus lentes. Celles qui se meuvent à une vitesse supérieure à 2 000 mètres sont en proportion considérable dans l’ensemble, et cette partie s’éloigne définitivement. Puis il s’établira rapidement un équilibre nouveau, de sorte que dans un laps de temps inférieur à une seconde, une nouvelle portion, ayant la même proportion dans l’ensemble qui reste, se trouvera dans les conditions requises pour s’échapper. La lune a donc dû, par les causes que nous venons d’expliquer, perdre très rapidement aussi son atmosphère d’hélium, après que l’hydrogène se fut échappé le premier.

Les gaz qui constituent presque en entier notre atmosphère terrestre, l’azote et l’oxygène, se sont dissipés plus lentement encore. Ils ne pouvaient toutefois pas rester retenus par la faible attraction de la masse lunaire. Ce fut également le sort de la vapeur d’eau, qui n’a guère qu’une densité moitié moins grande que celle de l’oxygène. La disparition de l’eau fut toutefois retardée, comme nous le verrons plus loin, en raison de ce que des masses considérables de vapeur durent être lancées au dehors par les volcans lunaires. Il faut nous rappeler en effet que lors de son divorce d’avec la terre, la lune ne pouvait guère être qu’une masse en fusion, fluide, et que cette masse devait ressembler à la lave qui est vomie par nos volcans. Elle a dû conserver cet état jusqu’à ce que la température se fut abaissée jusque vers 1 200° environ. Or à cette température la vitesse des molécules d’oxygène est d’environ 1 kilomètre par seconde, et certainement une partie d’entre elles devaient atteindre 2 kilomètres par seconde, suffisante pour les faire échapper à l’influence lunaire. Ces molécules, appartenant à des gaz de densités moyennes, ont sans doute dû revenir vers la terre, qui, ainsi que nous l’avons dit, a une force de gravité suffisante pour les retenir enchaînées à elle.

Tous les gaz donc, qui se trouvent en quelque abondance dans l’atmosphère terrestre, et qui sans doute se répartirent momentanément entre la terre et la lune lors du détachement de celle-ci, ont de nouveau quitté la lune. Cela doit être également vrai pour d’autres corps célestes de plus ou moins grande importance tels que les petites planètes, et aussi pour les satellites des grandes planètes, ou du moins pour la plus grande partie d’entre eux[1].

Notre précédent raisonnement concernant la lune s’applique également bien à la planète Mercure. Là, il est vrai, la vitesse devra atteindre une et demie fois celle des molécules sur la lune, pour pouvoir s’échapper. Mais d’autre part, la température à la surface de la planète aux endroits que celle-ci tourne invariablement vers le soleil, est beaucoup plus élevée, et atteint environ 400 degrés. Les molécules gazeuses y atteignent des vitesses 1,26 fois supérieures à celles qu’elles ont aux points les plus échauffés de notre lune. Mercure serait donc mieux en état de retenir les gaz à sa surface que la lune, mais cette différence est faible. Des observations directes, sur lesquelles nous reviendrons plus loin, indiquent qu’il n’y a guère de différence entre les deux sous ce rapport. On pourrait supposer peut-être que certains gaz plus lourds, qui, s’ils existent dans la lune, seraient condensés et liquéfiés, ou même solidifiés, resteraient gazeux à la surface de Mercure, en raison de sa température plus élevée, et auraient ainsi la possibilité de constituer une atmosphère. Ce serait cependant une erreur. Les observations de Schiaparelli et de tous ses successeurs conduisent à croire que cette planète, pendant ses révolutions, tourne toujours une même face vers le soleil. Il en résulte que la face opposée, qui ne reçoit jamais aucun rayon solaire, doit avoir une température extrêmement basse, voisine du zéro absolu (−273°). Aucun point de notre lune n’a probablement une aussi basse température. Il en résultera que tout corps qui possède une tension de vapeur appréciable doit s’évaporer, s’échapper vers la partie froide, et s’y condenser en masses solides ou en couches de givre, où il ne restera plus de pression gazeuse sensible. Par cette raison, Mercure ne peut avoir aucune atmosphère appréciable. Il ne reste donc, dans toute la série de planètes et de satellites de notre système solaire, que deux corps, en dehors de la terre, qui soient pourvus d’une atmosphère à proprement parler, savoir : Mars et Vénus.

Les mêmes conclusions s’imposent à nous par l’étude de la faculté qu’ont les planètes de réfléchir la lumière solaire qui les éclaire. Là où il existe une atmosphère, il existe aussi, répandus en elle, des nuages de vapeur ou de glace, des poussières, soulevées par l’agitation gazeuse. Les particules de ces corps en suspension réfléchissent la lumière bien plus efficacement que la surface solide ou fluide de la planète elle-même. Or la lune réfléchit 7,3 p. 100 de la lumière qu’elle reçoit. Mercure, 6,9 p. 100[2]. Ces deux chiffres sont si rapprochés qu’ils peuvent être considérés comme ne différant que de l’erreur inévitable d’observation.

Il est donc fort probable que ni Mercure, ni la lune, n’ont d’atmosphère appréciable. Par contre, Vénus nous présente des conditions entièrement opposées. Sa surface renvoie 59 p. 100 de la lumière solaire qu’elle reçoit. D’après M. Abbot, nos nuages terrestres, qui sont formés de vapeur d’eau ou de cristaux de glace, réfléchissent environ 65 p. 100 de la lumière qu’ils reçoivent. On pense que toute la surface de la planète Vénus est recouverte d’un voile épais de vapeurs, totalement impénétrable pour nous. La faible différence entre 0,65 et 0,59 peut fort bien tenir à des erreurs d’observation, mais aussi à quelque faible absorption supplémentaire de lumière dans la partie de l’atmosphère qui est au-dessus des nuages.

Saturne et Jupiter présentent des conditions fort analogues à celles de Vénus, en ce que leurs surfaces renvoient 63 p. 100 et 56 p. 100 respectivement de la lumière reçue. On peut reconnaître, aux spectres de ces planètes, que la lumière renvoyée par les nuages est considérablement affaiblie par les gaz qui les recouvrent. (Comp. fig. 14). Il semblerait donc que le chiffre de 0,63, donné par Russell pour Saturne est un peu trop fort. En ce qui concerne Jupiter, on a cru constater que sa lumière rouge change suivant le nombre des taches solaires : il serait plus rouge quand les taches sont nombreuses, plus blanc quand elles sont rares. On a cru reconnaître encore que les mêmes taches solaires favorisent dans notre atmosphère terrestre, la formation des nuages élevés, du genre des cirrus : Il se peut que cela soit également vrai pour Jupiter ; quand les taches abondent, les nuages sont élevés, les couches absorbantes extérieures moins épaisses, et la lumière de l’ensemble de la planète sera plus blanche. Le rouge habituel de la surface s’atténuera.

Les deux dernières planètes extérieures, Uranus et Neptune, renvoient, d’après Russell, 0,67 et 0,73 de la lumière qu’elles reçoivent. Ces chiffres sont extrêmement élevés, et sans doute trop grands. Ils ne s’accordent pas bien avec les spectres obtenus par M. Slipher (fig. 14).

Arrivons maintenant à la planète Mars. Celui-ci ne renvoie que 15,4 p. 100 de la lumière reçue, ce qui est le double, à peu près, du chiffre relatif à la lune. À en juger par ce fait et par d’autres encore, l’atmosphère de la planète serait extrêmement ténue. Lowell l’estime à 22 p. 100 environ de celle qui pèse sur chaque mètre carré de la surface terrestre.

Quelle est la quantité de lumière que notre propre globe terrestre renvoie vers l’espace, après l’avoir reçue du soleil. Il nous est impossible de la mesurer attendu que nous ne pouvons pas transporter nos instruments en dehors du globe et de la couche atmosphérique. Nous ne pouvons établir que des calculs d’approximation. Il semble que l’on puisse évaluer à 52 p. 100 de la surface totale du globe la partie recouverte par des nuages. Or l’albedo de ceux-ci est de 0,65. La portion de lumière renvoyée serait donc les 0,52 × 0,65 = 0,338 de celle reçue. Une certaine proportion de ce chiffre, disons 5 p. 100, peut être perdue, comme pour Vénus, dans les couches supérieures de l’atmosphère. Il reste ainsi 0,32 pour la lumière renvoyée au dehors. Dans la partie du globe non encombrée de nuages, soit 0,48 de sa surface, les poussières et l’atmosphère absorbent environ 60 p. 100 de la lumière solaire. La moitié c’est-à-dire les 0,144 en est réfléchie vers les espaces stellaires, l’autre moitié (encore 0,144) nous parvient à la surface du globe comme lumière du firmament. Enfin, la lumière solaire qui arrive directement à la surface de la terre, soit 40 p. 100, des 0,48 indiqués ci-dessus, envoie 6 p. 100 réfléchis par les parties où elle tombe sur l’océan ou sur des parties humides, et à peu près le double par les parties rocheuses ou désertiques, mais elles sont peu importantes, et il en reste, somme toute, fort peu. De ces 6 p. 100, environ 0,7 arrive à traverser l’atmosphère et parvient au delà. Nous arrivons ainsi à la fraction suivante :

0,06 (0,144 + 0,192) 0,7 = 0,014.

L’ensemble de ces chiffres qui expriment la partie de lumière renvoyée dans l’espace par notre globe est le suivant : 0,321 + 0,144 + 0,014 = 0,479

Russell calcule ce même chiffre de quatre façons différentes en partant de données astronomiques diverses. La moyenne de ses résultats est égale à 0,445 ce qui concorde d’une façon très satisfaisante avec notre chiffre.

Si l’air était exempt de nuages, le chiffre qui exprime la réflexion, — ce que nous appelons l’albedo, serait encore de 0,37, ce qui est néanmoins considérablement plus que pour Mars. Mais si la moitié (ou un peu plus : 0,52) de la surface terrestre est recouverte de nuages, elle se rapproche de la blancheur de Vénus ; le chiffre ci-dessus trouvé de 0,479 pour le globe entier est assez voisin de 0,59, qui est l’albedo de Vénus. Celui de Mars étant de 15,4, le chiffre 0,479 est trois fois plus près de celui de Vénus que de celui de Mars.

Nous pouvons encore comparer le chiffre de 37 p. 100 qui s’applique aux parties de la terre exemptes de nuages, avec celui de 15,4 relatif à Mars, — où il n’y en a pour ainsi dire pas, — puis encore avec celui de 7,3 qui se rapporte à la lune, où il n’y a ni nuages ni poussières, vu qu’il n’y a point d’atmosphère. Nous pouvons en conclure que notre propre atmosphère contient presque trois fois plus de poussières en suspension par unité de surface que celle de Mars et cela malgré la très faible force de la pesanteur sur cette planète, qui n’est que les 0,375 de celle à la surface de notre globe.

Si nous tenons compte de la température très réduite qui existe à la surface de Mars, nous trouverons à l’aide d’une formule due à M. Stokes, qu’un grain de poussière tombera 1,3 fois moins vite qu’a la surface de la terre. Mais si, malgré des brouillards fréquents, quoique légers, il y a si peu de parcelles poussiéreuses flottantes dans son atmosphère, nous sommes conduits à penser que cet air doit être excessivement raréfié, et que les souffles de vent doivent y avoir fort peu de force pour soulever la poussière. Lowell a évalué la pression barométrique existant à la surface de Mars à 64 millimètres. Procter est arrivé à peu près au double. Les deux chiffres sont très peu certains, et je suis porté à croire que le premier, le plus faible des deux, est encore trop élevé. Si nous acceptons celui de Lowell, nous trouverons que chaque mètre carré de la surface de la planète supporte une colonne d’air dont la masse n’est qu’un cinquième de celle qui pèse sur la surface de nos océans.

Les nuages épais qui enveloppent Vénus ont depuis longtemps fait penser que la profondeur de cette atmosphère devait dépasser considérablement celle de la terre. Cette croyance a été renforcée par son grand pouvoir de réfraction. Quand Vénus se présente près du disque solaire, sa silhouette noire est entourée d’un anneau blanc lumineux (voy. fig. 15). Mais on a reconnu que ce phénomène n’exige pas une densité atmosphérique plus grande que la nôtre. Remarquons à ce sujet que ce que nous voyons ainsi, comme bord intérieur apparent de l’atmosphère lumineuse, n’est pas la surface du globe solide de Vénus, mais bien la surface extérieure de la sphère de nuages. Et ces nuages, comme nous avons de fortes raisons pour le supposer, flottent à une altitude extrêmement élevée, par suite de la grande chaleur qui y règne, altitude telle qu’ils forment une masse compacte, impénétrable, là où dans notre atmosphère n’apparaissent que des cirrus. Si ce point de vue est juste, l’anneau lumineux que nous voyons, et qui est très clair dans la figure, n’aurait pour épaisseur que le quart environ des masses atmosphériques ; l’enveloppe aérienne totale doit être beaucoup plus profonde que celle de la terre.

Sous ce rapport, notre globe occupe probablement une situation intermédiaire entre Mars dont l’atmosphère est peu épaisse et diluée, et Vénus où elle est relativement dense. S’il en est ainsi, nous devrions nous attendre à ce que celle de Mercure fut plus dense encore, tandis que nous avons vu qu’elle manque presque absolument. La cause s’en découvre dans ce fait que Mercure n’a plus de rotation propre autour de son axe, et qu’il présente par conséquent toujours la même face au soleil, exactement comme le fait la lune à notre égard ; il est de même probable que tous les satellites regardent perpétuellement du même côté leurs corps centraux. Il en résulte que le côté opposé de Mercure est devenu tellement froid que tous les gaz y sont forcément condensés à l’état fluide ou solide, à l’exception des deux les plus volatils, l’hydrogène et l’hélium. Ces mêmes gaz ne peuvent que fuir la surface de la planète du côté échauffé. Si donc Vénus aussi, comme l’ont cru Schiaparelli et Lowell, tournait toujours un même hémisphère vers le soleil, cette planète ne pourrait avoir aucune enveloppe atmosphérique sensible. Or des observations faites par Bielopolsky sur le spectre de Vénus, il résulterait que cette planète aurait une durée de rotation de 29 heures environ. Ce chiffre est toutefois encore très incertain, et il est en désaccord complet avec certaines observations de Slipher. Il serait extrêmement désirable que de nouvelles mesures fussent exécutées.

Pour bien comprendre les atmosphères des planètes, il est d’un très haut intérêt de connaître exactement la composition de l’atmosphère terrestre. Nous avons appris beaucoup de choses nouvelles sur ce sujet, dans les temps récents.

Nous savons maintenant avec une très grande précision quels sont les gaz qui forment l’enveloppe aérienne de notre globe. En outre des gaz anciennement connus, l’azote à raison de 78,1 p. 100 et l’oxygène, 20,9 p. 100, en volume, nous y trouvons de la vapeur d’eau en proportion variable, suivant les localités et suivant le temps. À cause de cette variabilité, nous la négligerons quand nous indiquerons des chiffres. D’autres gaz constituants sont les suivants : l’acide carbonique 0,03 p. 100, puis les gaz dits « rares » découverts par Rayleigh et Ramsay qui sont : l’argon, dont il y a 0,937 p. 100, le néon 0,0015 p. 100, l’hélium 0,0005 p. 100, le krypton, 0,0001 p. 100 et enfin le xénon, dont il n’y a que 0,000 005 p. 100.

Chacun de ces gaz constituants diminue, à proportion que l’on s’élève dans l’atmosphère, suivant les indications de la formule barométrique, et cette diminution est d’autant plus marquée que le gaz est plus dense. Il s’ensuit que le krypton et le xénon qui sont, l’un deux fois et demi, l’autre quatre fois plus denses que l’oxygène se trouvent principalement dans les couches inférieures. D’autre part, l’hélium, huit fois plus léger que l’oxygène, devrait augmenter rapidement avec la hauteur. Si l’air ne consistait qu’en un mélange d’oxygène et d’hélium, le premier des deux diminuerait, à une température de zéro degré et à 5 kilomètres de hauteur, à la moitié de sa densité. L’autre, l’hélium, ne perdrait la moitié de la sienne qu’à une altitude de 40 kilomètres, huit fois plus que pour l’oxygène, les poids spécifiques étant dans le rapport de un à huit. À cette hauteur-là, l’oxygène aurait diminué dans la proportion de 1 à 28 = 256. Si donc il y a 50 000 fois plus d’oxygène que d’hélium à la surface de notre terre, la proportion n’est plus que de 128 à une hauteur de 40 000 mètres. À 90 kilomètres du sol l’hélium est prédominant sur l’oxygène, et continue à prédominer de plus en plus à mesure que l’on s’élève. Ce fait reste constant, à condition que le mélange des deux gaz ne soit point agité par des courants ascendants.

Des lois analogues sont applicables à tous les gaz légers, à condition qu’ils ne soient pas liquéfiables ou même solidifiables aux basses températures. Par contre, la vapeur d’eau, qui par le refroidissement se condense en nuages, diminue en quantité beaucoup plus rapidement que l’oxygène, deux fois plus dense qu’elle. À mesure qu’on s’élève, en effet, la température diminue d’environ 5 degrés par kilomètre, jusqu’à 2 500 mètres et à raison de 8 degrés par kilomètre quand on arrive à 8 500 mètres. La vapeur d’eau n’est plus que moitié à 1 900 mètres du sol.

L’acide carbonique diminue suivant la formule barométrique, déjà appliquée aux autres gaz, car il n’existe qu’en quantité si faible qu’il ne se condense jamais en nuages. C’est la vapeur d’eau seule qui constitue l’exception dont nous venons de parler. Or l’acide carbonique est en moyenne presque une fois et demie plus dense que les autres gaz atmosphériques, il devrait donc diminuer de densité dans la proportion de 1 à 21,5 ou de 1 à 2,8 à la hauteur de 5 000 mètres, pendant que la densité de l’air ne diminue que dans la proportion de 1 à 2. On a pu faire quelques vérifications de la densité de l’acide carbonique en s’élevant jusqu’à 3 800 mètres. On a trouvé que dans la limite des erreurs d’observation sa teneur reste constante. La même chose a été constatée pour les proportions de l’oxygène et de l’azote, tout au moins jusqu’à l’altitude de 7 000 mètres, et bien que nous dussions nous attendre à une différence sensible, l’oxygène ayant une densité plus grande de 14 p. 100 que celle de l’azote. Comment expliquer ce fait qui semble complètement contredire la théorie que nous venons d’exposer ?

L’explication est aisée à trouver. Ce que nous avons dit plus haut s’applique à une masse aérienne qui serait en parfait repos. Si au contraire l’air subit une agitation violente, le brassage de la masse fait que sa composition devient sensiblement uniforme. Or nous savons que les cyclones et les anti-cyclones barométriques font circuler de forts courants ascendants et descendants. Il en résulte que la composition de l’air devient uniforme jusqu’à la hauteur atteinte par ces courants, c’est-à-dire aussi haut que se produit cette action de brassage. Une autre conséquence de ces courants est que la température s’abaisse à mesure qu’on s’élève. En effet, quand un gaz s’élève de la surface, sa pression diminue, ce qui a pour conséquence sa dilatation, et par suite son refroidissement. Tout le monde sait qu’un gaz s’échauffe quand il est rapidement comprimé, propriété jadis utilisée dans le briquet atmosphérique. Il est clair qu’à l’inverse un gaz se refroidira en se dilatant. Si le brassage de l’air sec était très rapide, le thermomètre descendrait de près de 10 degrés par chaque kilomètre d’élévation. Mais si par contre, l’air était en parfait repos, sans mouvements verticaux, la température serait constante en chaque point d’une même verticale. C’est entre ces deux extrêmes que se trouve la réalité. La température atmosphérique diminue dans une mesure variant de 5 à 8 degrés par 1 000 mètres d’élévation, c’est ce qu’ont fait voir de nombreuses ascensions en ballon.

Ce qui précède se trouve en parfait accord avec une des plus remarquables constatations faites dans les temps récents. M. Teisserenc de Bort, en premier lieu, puis M. Assmann ont établi ce fait que la diminution de la température, à mesure que l’on s’élève, ne continue pas indéfiniment, mais qu’à partir d’une certaine hauteur celle-ci devient presque invariable. Dans l’Europe moyenne la limite se trouve aux environs de 11 000 mètres, en Laponie à 7 000 et à l’équateur vers 15 000 mètres. Plus haut qu’à ces altitudes la température est à peu près constante.

On a désigné sous le nom de « troposphère » la couche inférieure dont nous venons d’indiquer les épaisseurs. La couche qui y est superposée — la stratosphère — commence à la plus grande élévation, dans les régions équatoriales, ce qui a pour conséquence un fait en apparence paradoxal, savoir que la température y est plus basse, tandis que dans les régions polaires, où la stratosphère descend le plus bas, la température est plus élevée que dans nos latitudes. Le nom de cette couche provient de ce qu’elle est formée en quelque sorte de lames superposées d’air, stratifiées, sensiblement parallèles à la surface terrestre, et dont les déplacements sont sensiblement horizontaux, sans aucun déplacement vertical. Dans cette zone les vents ont une direction nettement définie, de l’est à l’ouest. Ils sont de plus en plus violents et rapides à mesure qu’on s’élève. À 83 kilomètres de hauteur leur vitesse est d’environ 100 mètres par seconde. Au contraire, dans toute l’étendue de la troposphère, ce sont les vents d’ouest qui prédominent. Il a été possible de faire des observations sur la direction des courants de la stratosphère par le moyen des nuages appelés nuées lumineuses nocturnes, dont on a pu évaluer la hauteur à 80 kilomètres au-dessus de terre. Il en résulte que ces couches tournent autour de l’axe terrestre plus lentement que le corps de notre planète. À 80 kilomètres d’élévation la stratosphère n’a plus que 65 p. 100 de la vitesse angulaire du globe. Et il y a de bonnes raisons de croire que les couches tout à fait extérieures de cette stratosphère sont complètement en repos, qu’elles ne participent plus à la rotation de la terre autour de son axe. C’est peut-être bien la conséquence de ce que l’espace qui nous environne de partout n’est pas absolument dépourvu de vapeurs, et que notre atmosphère se prolongerait ainsi imperceptiblement dans les masses, infiniment atténuées et gazeuses, de matière remplissant lès espaces interplanétaires.

Jusqu’à la limite de la zone des mélanges, c’est-à-dire de la troposphère, la composition de l’air reste constante, et la même qu’à la surface de la terre. Mais plus haut, au-dessus de cette limite, à 10 000 mètres par exemple, pour parler de l’Europe moyenne, commence une rapide variation de la composition. Les gaz denses disparaissent vite, le pourcentage des gaz légers augmente rapidement. Parmi ces derniers il faut citer en premier lieu l’hydrogène, de densité moitié moindre que celle de l’hélium. Sa présence dans l’atmosphère a déjà été démontrée par Boussingault, et plus récemment Armand Gautier en a mesuré la proportion dans l’air. Elle est d’environ un 3/100e p. 100. Mais cette proportion augmente très vite à mesure qu’on s’élève au-dessus de terre, et on peut dire qu’à 80 kilomètres de hauteur, il y a plus d’hydrogène dans le mélange, que de n’importe quel autre des gaz. Et ce fait reste vrai à mesure qu’on s’élèvera encore.

Nous croyons intéressant de reproduire ici un tableau dû au Dr Wegener, de Marburg, légèrement remanié pour nos besoins. Ce tableau résume les pourcentages des divers gaz à des altitudes croissantes. Il a égard à ce que la composition ne varie pas dans l’étendue de la troposphère, sinon en ce qui concerne la vapeur d’eau. On a supposé à cette partie de l’atmosphère une hauteur de 10 kilomètres. Les proportions indiquées sont, bien entendu, en volume.

ALTITUDES PRESSION HYDROGÈNE
2
HÉLIUM
4
AZOTE
28
AZOTEOXYGÈNE
32

ARGON
39,9
PRESSIONACIDE
CARBONIQUE
44

AZOTEEAU
18

kil. mm.
100 0760 100,0033 0,0005 78,1 20,9 0,937 0,03 1,41
010 0197 100,0033 0,0005 78,1 20.9 0,937 0,03 0,14
030 8,95 100,06 0,006 85 15 0,29 0,0064 0,5
050 0,45 101 0,08 88 10 0,10 0,0014 1,7
070 0,045 113 1 80 6 0,05 0,0005
090 0,0157 168 5 26 1
110 0,0116 194 5 1 0
130 0,0097 196 4 0
210 0,0055 199 1
310 0,0032 100
410 0,0021 100
510 0,0016 100

Nous avons indiqué, sous le nom de chaque gaz, son poids moléculaire parce qu’il donne par sa proportionnalité la mesure de la densité. Comme il a été indiqué, la vapeur d’eau n’a pas été comprise dans le calcul du pourcentage du gaz, car elle varie suivant le lieu et l’heure. Les chiffres du tableau qui s’y rapportent sont des moyennes pour le globe entier, et représentent, à 0 mètre d’altitude, 11gr,4 d’eau par mètre cube, ce qui correspond à un air saturé de vapeur à 16°,5. La majeure partie de cette vapeur d’eau forme une nappe fortement concentrée près de la surface du sol. À raison de la diminution de la température, la proportion diminue jusqu’à un dixième de sa valeur à 10 kilomètres du sol. Mais dans la stratosphère la proportion augmente de nouveau, par suite de la grande légèreté de cette vapeur.

L’acide carbonique diminue très rapidement avec la hauteur croissante, sa densité étant une fois et demie celle de l’air. Cela se voit du reste par son poids atomique, qui est de 44, tandis que le poids moléculaire moyen de l’air n’est que de 29. Le krypton avec son P.-M, de 83 et le xénon, de 131, diminuent plus vite encore à mesure que nous nous élèverons dans l’atmosphère. Ces gaz n’ont qu’une influence insensible sur les faits et procédés de la nature, tout comme le néon dont le pourcentage augmente d’abord très légèrement avec l’altitude, et l’argon, qui diminue rapidement, comme le montre le tableau. Mais c’est l’inverse qui est vrai de la vapeur d’eau et de l’acide carbonique, qui sont indispensables à la vie végétale, et qui ont pour effet de protéger le sol contre une trop forte radiation et perte de la chaleur vers l’espace. Rappelons-nous (voy. p. 56) combien la température diurne subit de changements brusques dans un climat désertique, tandis que pour un climat tempéré ces variations sont modestes. Cela tient au pouvoir que possède la vapeur d’eau, de réduire la radiation superficielle de la terre. L’acide carbonique est également répandu à la surface du globe, son pouvoir modérateur est un peu moindre dans les parties montagneuses que dans les régions basses. Celui qu’il a de conserver de la chaleur, et de l’égaliser est, par suite de sa répartition très uniforme, beaucoup moins efficace que celui de la vapeur humide. Il a fallu des études très précises pour le reconnaître.

Le tableau complet de Wegener, donné en partie ci-dessus, comprend un gaz encore inconnu, dont l’existence dans l’air n’a pas été directement prouvée : le Geocoronium. On sait que les rayons de l’aurore boréale, qui sont produits à de très grandes altitudes, présentent une couleur verte. Cette couleur n’appartient, pour autant que nous le sachions, à aucun des éléments constitutifs de notre atmosphère. Il faut reconnaître que la ligne principale du spectre qui lui correspond (la ligne 557 µµ) est très voisine d’une autre ligne produite parle krypton[3]. Seulement celui-ci est un gaz lourd qui ne peut se trouver, au moins en quantité suffisante pour être appréciable, aux hauteurs où apparaissent parfois les aurores boréales, c’est-à-dire à 300 kilomètres au-dessus du globe. Leur hauteur la plus fréquente est d’après Störmer, de 120 kilomètres. C’est par suite de ce fait que Wegener conclut à l’existence d’une substance qui nous est encore inconnue, le Geocoronium, dont la densité devrait être cinq fois moins grande que celle de l’hydrogène. Mais des recherches récentes ont fait connaître de grandes objections à une semblable hypothèse, et nous ne croyons pas utile de nous y arrêter. Disons seulement que d’après Wegener ce gaz serait prédominant dans toutes les régions plus élevées que 210 kilomètres. Si au contraire il n’existe pas, c’est l’hydrogène qui s’y trouverait presque exclusivement, à partir de l’altitude de 85 kilomètres. Par suite de la grande légèreté de l’hydrogène, la densité de l’air, si la pression barométrique est inférieure à 0mm,2, varie avec une lenteur extrême, à mesure qu’on s’éloigne du sol. Cette région supérieure de l’atmosphère mérite de porter le nom de la zone d’hydrogène. Même à cette altitude extrême, les « étoiles filantes » rencontrent une résistance suffisante pour s’échauffer et devenir incandescentes et se résoudre en poussière. Cette hauteur est aux environs de 120 kilomètres en général, et l’extinction des poussières a souvent lieu aux environs de 85 kilomètres.

M. E. C. Pickering a reconnu par le spectre, la présence de l’hydrogène dans la lumière des météores passant à une très grande hauteur ; c’est un fait qui milite en faveur de la prépondérance de ce gaz dans les hautes altitudes. Dans des régions moins élevées les météores font apercevoir le spectre de l’azote. Ce gaz prend de l’importance à partir de la hauteur de 85 kilomètres, et à partir de 75 kilomètres, il devient de beaucoup le plus abondant de tous. La pression atmosphérique augmente en conséquence rapidement à mesure que l’on approche de cette hauteur. C’est dans cette même région allant jusqu’à 80 kilomètres que flottent les nuées lumineuses les plus élevées qui aient été observées par M. Jesse. Elles semblent indiquer que c’est bien là que commence une nouvelle zone, celle de l’azote. Les seules météorites d’un certain poids peuvent pénétrer dans cette zone, à la densité plus grande, qui retarde leur mouvement, et les fait éclater. Les débris en tombent avec une vitesse dépendant de la résistance de l’air rencontré.

C’est aussi jusqu’à cette hauteur que descendent les rayons les moins élevés des Aurores boréales ; ce sont ceux qu’on désigne sous le nom de draperies. Störmer en a observé dans quelques rares cas, qui n’étaient pas plus élevées que de 37 kilomètres au-dessus de terre.

Enfin, en descendant toujours, on trouve la vapeur d’eau, en quantité appréciable, à la hauteur d’environ 10 kilomètres où commence la troposphère dont il a été question plus haut. Là, nous rencontrons les nuages terrestres les plus élevés, les cirrus. Les seules qui fassent exception et qui se rencontrent plus haut que ce niveau, ce sont les « nuées lumineuses nocturnes » vues seulement dans l’intervalle de 1883 à 1892, après l’éruption du Krakatoa. C’est jusqu’à ces 10 kilomètres d’altitude que parviennent les courants d’air verticaux, indispensables à la formation des nuages. Les nuages très légers seuls peuvent s’élever aussi haut. Les nuages lourds, les altocumulus, ne s’élèvent pas à plus de 4 ou 5 000 mètres ; les nuages à pluie (cumulus) ne se trouvent pas à plus de 2 000 mètres d’altitude au-dessus du sol. Ces faits sont la conséquence de l’augmentation progressive de la proportion de la vapeur d’eau à mesure que l’on descend.

Si la force de gravitation pouvait diminuer, l’effet serait le même que si tous les gaz étaient plus légers dans la même proportion. Or, à la surface de Vénus, la gravité n’est que les huit dixièmes de celle à la surface de la terre. La différence est peu importante. Si toutes les autres conditions de la planète étaient les mêmes que sur la terre, les différentes zones atmosphériques s’élèveraient 25 p. 100 plus haut que chez nous. Mais il y a une différence essentielle chez notre voisine ; c’est la température si considérablement plus élevée. Elle a pour conséquence que la proportion de vapeur d’eau est bien plus considérable que dans notre atmosphère. Les nuages lourds s’élèvent à des hauteurs bien plus grandes que sur la terre. Si, par exemple, l’air y contient 10 fois plus de vapeur d’eau que chez nous, — ce qui peut fort bien être la réalité, — les nuages à pluie lourds peuvent facilement atteindre 10 kilomètres d’altitude. La force de gravitation relativement faible contribuerait naturellement à augmenter leur force ascensionnelle. Les nuages légers, les cirrus doivent pouvoir exister encore à 30 kilomètres d’élévation. Si ces conditions sont réalisées, nous ne pouvons pas nous attendre à autre chose sinon à ce que le corps de la planète nous soit entièrement caché, et que les rayons solaires ne puissent jamais pénétrer directement jusqu’à lui.

Or à la surface de Mars, l’intensité de la pesanteur est 2,68 fois plus faible qu’à la surface de la terre. La pression barométrique diminue par conséquent 2,68 fois moins vite que chez nous à mesure qu’on s’élève en s’éloignant de la surface. La pression, la température de l’air, sa teneur en vapeur d’eau diminuent dans la même proportion, par rapport aux nôtres. Mais le froid intense qui y règne ne permet la production que de quantités insignifiantes de vapeur d’eau. L’atmosphère de Mars semble devoir être très analogue à celle de la terre dans la région des cirrus et au-dessus. Les nuages qui y existent sont non seulement extrêmement minces et légers, — on sait que les cirrus ne portent point d’ombre, — mais encore ils n’occupent que des portions extrêmement restreintes du ciel de la planète. Ils semblent n’exister qu’à l’état de brouillards infiniment légers. — Nous reviendrons, plus loin, sur ces particularités.

Disons ici que le spectroscope nous a permis de constater que dans le soleil, les gaz sont aussi, au moins en gros, distribués par couches suivant leurs densités. Les plus légers d’entre eux se trouvent aux couches les plus éloignées du centre. Rappelons enfin que des conditions analogues paraissent devoir exister dans les couches extérieures des étoiles (conf. p. 76).

  1. Récemment, M. H. N. Russell, de Princeton, a publié des études sur l’albedo des satellites. Ses observations semblent établir que les satellites I, II et III de Jupiter, et Titan, le plus grand satellite de Saturne, auraient d’assez fortes enveloppes gazeuses.
  2. Voy. Russell. Proceedings Nat. Acad. of Sciences, 1916.
  3. M. Berthelot a le premier émis l’idée que la ligne principale du spectrë anomal était identique à une forte raie due au krypton. Des déterminations récentes (mars 1919) dues à M. Slipher démontrent l’erreur de cette hypothèse, en lui donnant la valeur λ = 5 578,05. L’hypothèse due à M. Stark que cette ligne serait identique aux deux raies de l’azote 5 560 et 5 565 est encore plus inadmissible.