Texte établi par Société Française d’Édition d’Art L.-H. May (p. 29-42).

Les bords de la Morge.

CHAPITRE III


Le vallon de la Fure. — Devant le Bec de l’Échaillon. – Rives. – La Tolède de France. — Une circulaire du Dauphin Humbert II. – Les « bouts-de-barres » et les « Vaudois ». — Napoléon à Rives. — Un notaire sans enfants et un capitaine de la 32e demi-brigade. — Les sources du Réaumont. — Le « plus beau jardin du gentil pays de France ». – Voiron et la Morge. — Sarmorenc sous Charlemagne. — Des légendes. — Moirans, station romaine. — Une jacquerie. — Le lapin de Lesdiguières. — L’auberge des frères Paris. — Saint-Quentin. — Voreppe. — Le couvent de Chalais. — La retraite du Père Lacordaire. — La naissance de la Chartreuse. — Proveysieux. — De la bonne humeur, des allumelles et du tabac. – En route.


Toujours la même, cette plaine, mais jolie encore, plus jolie, à mesure qu’on la connait et qu’elle se déroule dans le monotone un peu apprêté de ses lignes.

Le vallon de la Fure, Moirans, Tullins — Moirans et ses noyers, Tullins et ses noyers car la noix est tout ici, et seule suffit à faire vivre le paysan… L’Isère, qui court affairée vers le Rhône, l’Isère indomptable, ne voulant rien sur ses eaux grises, ni barques, ni toueurs…

Et plus près de nous, maintenant, vont se fixer les assises de la Grande-Chartreuse, aux gneiss croulants — et la grande Pyramide de Chalais et le Bec de l’Échaillon, à l’échine torse, avec des angles d’une netteté architecturale, silhouette bourrue, mais bourrue bienfaisante. N’ouvre-t-elle point ses flancs pour en laisser prendre sa pierre ? Une merveille de pierre, tendre, brillante — et qui devient rose sous le ciseau du sculpteur.

Au hasard de la marche, autour de l’Échaillon : Rives, la travailleuse. Ce ne sont que biefs, canaux, écluses, engins hydrauliques, usines où l’on étire le fer, l’acier ; usines où l’on tisse la soie, le lin, le coton ; usines où l’on couche le papier…

Vieille ville d’industrie — presque la Tolède de France. Au moyen âge, ses sabres, ses piques, ses dagues sont les préférés des chevaliers. Les fabriques s’établissent dans le quartier de la Liampre — et ces fabriques ne font que se multiplier, lorsque, en 1349, le dernier des dauphins, Humbert II, ayant fondé une Université à Grenoble, publie cette bizarre circulaire, citée par Valbonnays :

« Considérant que le froid est l’ennemi des fonctions de l’intelligence et voulant que professeurs et étudiants puissent se chauffer à bon marché, ordonne, pour conserver les bois qui existent autour de la capitale, de démolir tous les martinets qui se sont établis dans la vallée du Graisivaudan, avec défense d’en construire de nouveaux depuis Barreaux jusqu’à Voreppe. »

Les pauvres taillandiers obéirent — il le fallait bien ! — et trainant leurs enclumes par les routes, ils allèrent enfin s’établir sur les bords de la Fure. Et c’est ainsi que, depuis la réunion de la province à la Couronne, on trouve — au xve et au xvie siècle surtout — de nombreuses ordonnances « fixant droits et devoirs des martinets, forges et aciéries de Rives ».

Être forgeron devint un métier hautement en honneur — sorte de titre de noblesse. Le marteau fut héréditaire dans les familles descendantes des premiers ouvriers. Les compagnons de Renage, il n’y a pas encore cinquante ans, n’employaient comme apprentis que des jeunes gens qu’ils appelaient « des bouts-de-barres et qui n’étaient autres que des fils de forgerons ».

« Si quelque élément étranger venait à se glisser parmi eux, ils le désignaient sous le nom de Vaudois, n’avaient pour lui aucune complaisance. Le malheureux sujet de leurs brimades en était réduit à apprendre seul son état. »

Dans les rues tortueuses, cassées, aux maisons noires, pleines d’ombres à la Rembrandt — et le vieux pont, en dos d’âne, qui franchit le ruisseau. Et puis des quartiers plus propres, bien pavés ce dont tout le monde est fier. Cafés, hôtels — un, entre autres, l’hôtel de la Poste, monument historique. Napoléon s’y arrêta !… pas longtemps, mais s’y arrêta.

Le 9 mars 1815, une petite troupe entrait dans le bourg. C’était lui, accompagné de ses généraux Bertrand, Drouot, Jannin, Martel el Bizannet. On l’acclame, on se presse afin de le mieux voir. Les principaux du pays défilent à la parade. Pour tous, il a des paroles aimables excepté, cependant, pour le notaire et pour sa femme.

— Combien avez-vous d’enfants ? leur demande-t-il à brûle-pourpoint.

— Pas un, Sire.

— Tant pis. Des enfants et quelques actes de moins, tout n’en irait que mieux.

Rives.

Et la procession des notables continue. Même bonne humeur, qu’accompagne souvent le coup de boutoir traditionnel.

Enfin on introduit un officier, vieux débris balafré, couturé. Le grognard, tremblant, n’ose regarder son Empereur.

— Où as-tu fait la première campagne ?

— Au siège de Toulon, à la redoute de Gibraltar.

— À la redoute où fut blessé l’intrépide Dugommier !… Après ?

— Armées d’Italie, d’Égypte. Trente-deuxième demi-brigade, aux Pyramides…

— La trente-deuxième ! et tu n’en parlais pas !… Ta retraite ?

— Six cents francs.

— Six cents francs à un lapin de ma trente-deuxième ! C’est ainsi qu’on traite mes braves ! Quelle horreur ! Drouot, notez ce capitaine pour la croix et six cents francs de plus.

Après le dîner, il y eut réception. Il était rayonnant, les interrogeait tous et répondait à tous. Ce qui ne laissait pas de stupéfier son entourage :

— Mon Dieu, qu’il est commère aujourd’hui, disait le bon Bertrand.

Et Napoléon de continuer en s’adressant à l’adjoint :

— Il n’est point venu, chez vous, d’officiers de l’armée royale ? En vérité, il serait plaisant que le comte d’Artois, ce chevalier par excellence, voulût gagner ses éperons avec moi. Au reste, voici ma plus belle campagne. Le seul Moniteur m’appelle en France, et c’est avec cinq cents de mes soldats que je vais faire, sans brûler une amorce, la conquête du premier empire du monde.

Minuit était sonné. Il fallut partir. La séparation fut touchante. Au moment de monter en poste, un formidable cri de : « Vive Napoléon ! » retentit.

— Est-ce au moins de bon cœur ? demanda-t-il au plus enthousiaste.

— Oui, certes !

— Eh bien, touche là, sacrebleu !

Et il lui tendit la main.

Le bonhomme la toucha, cette main du dieu ; puis il s’évanouit de bonheur.

C’est décidément ici terre de Chanaan.

Partout des eaux. À Réaumont, dans le creux d’un vallon arrondi comme une coquille, on voit les sources jaillir. Elles glougloutent multiples, veinent les prairies, s’écartent sous les saules, pour finir par se rejoindre en un lit de sables blancs.

Diminutifs de gorges, gouffres-joujoux entre les grès à pic, commencement de la haute montagne, premiers vagissements des Chartreuses, série continue des travaux de ballast sur une ligne qui sera, plus loin, la surprise des ingénieurs : viaducs, tunnels, remblais, courbes…

Des cols s’élèvent : on les franchit. Et la vue s’étend à travers les dômes mouvants des bois.

Quand bientôt des tranchées ne laissent voir que le ciel, un nouveau ravin se creuse… Et nous regrimpons encore d’autres et d’autres montées…

Les petits villages, si petits qu’ils semblent tenir dans un sillon, les petits villages s’égrènent à nos pieds…

… Saint-Cassien, chamarré de vignes, des maisons enchifrenées de lierres, des bouts, des coins d’aquarelles aperçus dans l’envolée du train, impressions fugitives et cependant tenaces, qui vous restent comme une formule d’art achevé, car il n’est rien, je crois, de plus adorablement exquis et féminin, il n’est rien de plus nuancé dans ses gammes de verdure et de soleil, que toute cette plaine, aux fertilités toujours accrues, dont Louis XII faisait « le plus beau jardin de son gentil pays de France ».

Voiron. — Vue générale.

Meuh ! meuh !… la grosse voix des bonnes vaches lentes, et les petits faussets des veaux bien gras ; des hue et des dia, et des jurons lancés dans notre patois, le vrai, le seul patois, celui qui ouvre les a comme des portes cochères et ferme les e comme des trébuchets ; les maquignons aux trognes luisantes et les vieilles assises qui tiennent des chapelets de poules par les pattes ; et les cafés largement ouverts, à l’ombre des laurettes, l’arbuste national de l’aubergiste dauphinois… Un flot de vin coule, macule les tables de gros bleu, des bouteilles vides titubent, — moins cependant que l’ivrogne qui s’efforce à détailler, la bouche pâteuse, les quatorze ou quinze couplets d’une chanson patriotique, ainsi finissant :

Soldats que la victoire abrite sous son aile,
Malgré tous nos revers et malgré vos succès,
Non, vous ne boirez pas le vin de la Moselle,
Envers et contre tous je resterai Français…

Nous sommes à Voiron, au marché.

Le soir, dans les routes, c’est une forêt de cornes qui marche, de gros yeux vous regardent, ahuris, des mufles humides vous frôlent au passage, les meuh !… se suivent, se répondent de troupeaux à troupeaux, et le bruit des sonnailles couvre d’un murmure très doux la campagne enténébrée…

Voiron, sur un coteau dominé par la Vouyse ; Voiron, au bord d’une faille étroite, au fond de laquelle coule la Morge.

Voiron, protégée par la Grande-Sure et les rochers de Chalves, qui se haussent derrière elle en paravents. Voiron, largement ouverte sur le Midi, retenant d’un seul regard toute la vallée de l’Isère.

Voiron, tête de ligne du chemin de fer de Saint-Béron, aux portes de Chartreuse, à travers l’ensauvagement des gorges du Crossey et de Chailles.

Voiron, où vinrent au monde l’historien Claude Expilly, le général Rambeaud, tué au siège de Saint-Jean-d’Acre, le maréchal Dode de la Brunerie…

Voiron grandit chaque jour. Ses toiles, ses tissus de soie, ses fers, ses papiers et ses liqueurs lui assurent la première place.

Elle a des fabriques se succédant à presque se toucher, et c’est par plusieurs millions qu’il faut chiffrer sa main-d’œuvre. Elle a des avenues, des promenades et des places spacieuses. Elle a voulu aussi avoir un monument et n’y a guère réussi avec son église dédiée à saint Bruno, réminiscence vague du xiiie siècle, gothique anglais, froid, triste, criardement neuf… Çà et là pourtant quelques jolis détails, une chaire assez finement sculptée, un autel à bas-reliefs… Mais quelle horreur de voûtes peinturlurées de vert tendre ! Et ces piliers, de même peinturlurės !… Et si on tordait un peu le col aux architectes qui badigeonnent de la sorte nos cathédrales !

La Morge, en face, traverse toute la ville. Quand elle est de bonne humeur : — Parfait… Allez la voir quand les pluies la tourmentent : elle vous enlève un pont comme fétu et passe à travers murailles plus facilement qu’un clown dans un cerceau de carton !

L’année dernière, certain grand escalier la gênait : elle le balaya d’un seul bloc ; un bazar lui montrait une façade d’une insuffisance esthétique sans doute trop accusée : elle l’éventra d’un seul coup de vague. Elle a empierré les chemins, déraciné les arbres, raviné les maisons…

Et la gueuse est maintenant satisfaite. Elle chemine assagie entre ses berges hautes, cependant que des équipes d’ouvriers tâchent encore à réparer les dégâts causés par son irascible caractère.

Il faut dire que cette dure Morge ne s’est jamais bien entendue avec sa voisine. Pourquoi ? On peut se le demander, car enfin Voiron est de bonne souche. Voiron date de Charlemagne, et il n’est pas souvent donné à un cours d’eau d’avoir l’honneur d’arroser une cité remontant si loin dans les âges.

Sait-on qu’en 800 il y avait déjà, au pied de la Vouyse, une habitation rurale qu’on appelait Sarmorenc ?

Sarmorenc vécut jusqu’au xie siècle. Il vécut petitement, chétivement, mais fier, sans jamais rien demander à personne. Et il aurait pu vivre longtemps encore, si la lutte ne s’était ouverte entre l’archevêque de Vienne et l’évêque de Grenoble. Le bourg fut détruit. Ses habitants vinrent alors se grouper autour du château de Voronum. Et Voiron devait naître de là.

Ville étrange, en ces temps, bien elle-même et pleine de l’esprit moyen âgeux.

Reconstituer ce passé sera besogne simple. Nous avons affaire à des

Croquis original de Bastet.
isolés ; tous agriculteurs et rien qu’agriculteurs, ils n’ont de relations avec

ceux qui les entourent que quatre fois l’an, aux jours de marché.

Aussi, dans un besoin d’expansion, ont-ils peuplé leur solitude de légendes : des follets, des ombres qui se mêlent aux hommes, les tourmentent ou les protègent. Ils ont rétabli le culte des nymphes ; les naïades veillent aux fontaines, et le 1er janvier, pour se les rendre favorables, chacun leur consacre un bouquet. Les vieilles maisons restent hantées. La nuit, des lueurs apparaissent aux fenêtres ; derrière les lourds auvents, des formes glissent. On s’approche pour les mieux voir et l’on ne voit plus rien qu’une fumée légère… Les fantômes regagnent leurs tombes…

Voiron. — L’église Saint-Bruno.

Près de Tolvon, encore la Morge à nos côtés, les roches s’écartent, des jets calcaires montent si haut qu’ils font du ciel une bande bleue, étroite comme un sentier. Et toujours la Morge, qui va son train. Les usines lèvent leurs murs de briques sur des rangées d’arbres ; les eaux conquises forment cascades. Tout autour, il n’est que nappes de trèfle bordées de vernes, coteaux aux pentes molles.

Voici Moirans et son église romane et son donjon en tuf, derniers restes du château.

Moirans, bien plus vieux certes que Voiron, puisqu’il a été station de la route romaine, conduisant du mont Genèvre à Vienne, par la vallée de l’Oisans.

On a trouvé en ses terres des preuves irrécusables d’antiquité : débris d’armes, petites amphores lacrymatoires, monnaies aux effigies impériales et, pièce plus précieuse, des fragments de poésie grecque gravés sur une table de marbre blanc.

Page tragique que son histoire datant des guerres religieuses. Incendie, pillage par les chefs des deux partis : Les Adrets et Maugiron ; et vers 1580, une sorte de Jacquerie qui éclate.

Moirans.

Le mouvement part des environs de Valence, gagne la Valloire, la Côte-Saint-André. Les paysans se multiplient pour défendre ce qu’ils appellent la cause commune. En avant, au nombre de quatre mille, ils se ruent de domaine en domaine, toujours vaincus et toujours redoutables, farouches, masques de la faim, armés on ne sait comme…

Ils arrivent devant Moirans, se répandent au pied de la forteresse, vont la prendre, lorsque Mandelot, lieutenant-général du roi, dans une charge furieuse, les arrête. Tous passent au fil de l’épée.

Et ce massacre doit marquer la fin des révoltes populaires jusqu’en 1789.

Et avec ces révoltes, finit aussi le grand rôle de Moirans, devenu seigneurie de vingtième ordre, lorsque Lesdiguières s’en assure la propriété, moyennant une rente annuelle de six bichets de froment, cinq benates d’avoine, un lapin, une poule, cinq poulets, une once de girofle et un petit poisson.

Arrêtons-nous en face de cette longue bâtisse irrégulière, dans l’intérieur même du village. Là naquirent d’un aubergiste les célèbres financiers Paris. « Leur faveur devint telle, dit Saint-Simon, qu’ils gouvernèrent à découvert sous M. le Duc et qu’après de courtes éclipses ils sont redevenus les maitres des finances et des contrôleurs généraux et ont acquis des biens immenses, fait et défait des ministères et d’autres fortunes, et ont vu la Cour à leurs pieds, la ville et les provinces. »

Ils réalisèrent de grandes œuvres, les frères Paris.

Et œuvre plus extraordinaire encore, ces parvenus n’oublièrent jamais leurs humbles commencements.

On raconte qu’un jour certain jeune fat, voulant les humilier, s’écria devant eux, en plein Versailles :

— Je viens de voyager en Dauphiné, les hôtelleries y sont détestables, surtout celles des environs de Grenoble.

— Vous m’étonnez, répondit froidement Paris-Duverney, il n’en était pas ainsi du temps de notre père.

Gagnons Saint-Quentin par les bois, frênes et châtaigniers que les

Voreppe.
bûcherons coupent et chargent sur des radeaux, suivant l’Isère jusqu’au Rhône.

Et de Moirans à Coublevie, à Beauregard, à la Buisse, au fond de ces fameuses grottes où les premiers hommes cachèrent leurs armes de silex.

À Voreppe enfin, près de la Roise claire et froide, au lit creusé dans de titaniques escarpements, des poudingues en convulsions. Partout les rocs éventrés, les puissantes masses néocomiennes gisant détachées des contreforts chartreux. On dirait « d’une avalanche arrêtée dans sa chute ».

Au-dessus de ce chaos, le couvent de Chalais — et plus au-dessus, le pic de l’Aiguille, qui s’élance svelte comme un geyser.

Le couvent, maison neuve, modeste. Rien à y retenir, sinon la chapelle aux transepts et au chœur xiie siècle, voûte martelée de nervures, reposant sur d’énormes têtes grimaçantes.

Aujourd’hui bien seul, bien nu, bien vide, pauvre Chalais, autrefois retraite préférée du Père Lacordaire.

Proveysieux. — L’église et l’aiguille de Quaix.

« Chalais est pour moi le centre de ma vie, écrit-il à un ami ; c’est là que j’espère mourir. Tout ce qui peut y rassembler des souvenirs précieux pour moi augmente l’affection déjà si profonde que je lui porte. »

On me montre le chemin où le grand catholique aimait se promener — un chemin à crochets, rapide vers les cimes étroites.

L’Isère se déroule en une abondance de vignes, de peupliers et de villas étagées. Le panorama grandit, devient cette immensité qu’on ne mesure plus : le Villard-de-Lans, le Moucherotte, le Pas-de-l’Ours, Chamrousse, les neiges de l’Obiou, de Taillefer et de Belledonne.

Nous sommes en pleines déchirures géologiques ; les montagnes nous pressent, nous heurtent…

Nous longeons le Casque de Néron, énorme calotte noire, cabossée de redans.

Un peu plus loin, c’est le Charmant-Som qui s’achève en deux pointes : le Cône de Quaix et la Pinéa aux pentes couvertes de sapins. Plus loin encore, Chamechaude, le sommet géant de Chartreuse.

Proveysieux. — L’hôtel des Grands Gousiers.

Et nous y voilà bien maintenant dans cette Grande-Chartreuse, dans la prairie, dans la forêt, la Chartreuse riante, parfumée de lavande, qui vous attire, qui vous retient…

Ce délicieux petit coin du vallon de la Vence ! Proveysieux, tout de charme intime, un vert un peu pâle, des ruisseaux discrets, et des noyers aux panaches retombants, alourdis à l’entrée des habitations, au bord des fossés.

De Voiron à Saint-Béron.

Et la prairie, et la prairie encore… El les forêts, et les forêts toujours — prairies et forêts, forêts et prairies, et du ciel et de l’eau.

Le chemin de fer de Saint-Béron.

Et c’est tout. Et c’est merveille !

Certes, oui, il faut la voir, ou plutôt la revoir, pour la quatrième, pour la cinquième fois, la Chartreuse !

Mais par où ? quel itinéraire ? Trente-six routes y mènent : le col des Charmettes, le col des Ayes, le col de la Cochette, le col du Frêne, le…

Quel itinéraire ?… Saint-Laurent-du-Pont, la route classique — très simplement.

Des culs-de-jatte pourraient la suivre, grommelle un alpiniste non loin de moi.

Je me garde bien de le contredire. Il a raison, ce successeur de Whymper : des culs-de-jatte pourraient nous suivre.

Pas de gymnastique : ni piolets, ni cordes, ni crampons — une bonne pipe de bruyère, du tabac passable dans cette pipe, des allumettes qui s’enflamment facilement, une gourde pleine, un compagnon pas trop bavard, « beaucoup de curiosité pour trouver partout des spectacles, beaucoup de bonne humeur pour ne rencontrer que de bonnes gens… »

Allons, en marche, à cinq heures. Le soleil se lève ; les oiseaux chantent. Un petit vent gaillard nous force à relever le collet du pardessus. Et l’on marche mieux et plus vite, en cet air matinal, qui vous fouette…

Les gorges du Crossey.