Le Désert (1895)
Calmann-Lévy (p. 227-228).
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XXXIV

Mercredi 21 mars.

Comme l’atmosphère est déjà changée ! Ce n’est plus cet air vif et desséchant qui passait, irrespiré, sur un monde sans vie, tout de pierres et de sable. Non, c’est quelque chose de moins âpre peut-être, mais d’infiniment moins pur, où l’on sent comme les lourdeurs du printemps et l’haleine des prairies.

Il est vrai, à part un troupeau de gazelles qui détale le matin sur notre droite, nous ne rencontrons rien de vivant pendant les huit ou dix lieues de l’étape d’aujourd’hui. Ce sont encore des régions inhabitées, mais ce ne sont plus les sonores déserts.

Et c’en est fini des jeux de lumière, des mirages. Fini aussi, des étrangetés géologiques : les collines ont des formes ordinaires, et des nuances connues où le vert bientôt dominera.

Le ciel se ternit de vapeur d’eau, la brise est molle et l’horizon s’embrume. De plus en plus, l’herbe s’étend ; d’heure en heure, nous la trouvons épaissie, et le soir, toutes les collines sont vertes.

Sans doute, ce n’est que momentané, tout cela ; ce n’est qu’un revêtement éphémère jeté par les pluies de mars et que le soleil brûlera bientôt ; mais c’est égal, le renouveau, qui était sans action là-bas sur le désert, travaille profondément la terre d’ici, et nous subissons nous-mêmes son charme inattendu.

Pour la nuit, nous campons dans une vaste prairie, — illimitée encore et sans vestiges humains nulle part, mais fraîche et émaillée de fleurs, de coquelicots et de marguerites.