Le Désert (1895)
Calmann-Lévy (p. 216-218).
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XXXII

Lundi 19 mars.

Le camp levé, pour sortir du cirque où nous avons dormi, nous montons sur une de ces choses en forme de tente surhumaine qui nous entouraient. Alors, comme dans un panorama glacé, des désolations nouvelles apparaissent encore, à l’infini, tandis que le soleil matinal étire nos ombres minces sur le semis des cailloux noirs.

Çà et là, posées sur ces nouvelles plaines, il y a encore de ces mêmes choses aux aspects de tentes ; mais des tentes isolées maintenant ; les unes s’élèvent comme de simples cônes très pointus ; les autres ont des cornes extravagantes, comme si l’étoffe en était soulevée et distendue par des piquets intérieurs ; et, toujours, elles sont ornées de ces rayures brunes à la manière des tissus bédouins.

Lentement, elles s’éloignent derrière nous, les étranges collines et, de nouveau, les plaines se simplifient, en reviennent à n’être plus que de l’espace où les yeux ne rencontrent rien.

Dix heures, l’heure où commencent les mirages. Et d’abord apparaît une fraîche petite rivière, qui semble nous appeler, mystérieuse, tentante, avec des reflets d’arbres dans ses eaux légères. Puis, auprès ou au loin, commencent à jouer, se replier ou s’étendre, les gentils lacs trompeurs. — Mais, c’est fini, nous ne nous y prenons plus.



Vers midi, nous passons devant un grand campement de nomades. Un peu dans le lointain, sur le flanc de notre caravane, nous laissons leurs tentes ; en plus petites, elles sont pareilles à ces collines de ce matin, qui achèvent de s’évanouir à l’horizon derrière nous : mêmes formes, mêmes nuances et mêmes dessins rayés. À cette heure accablante, personne ne se montre aux abords mais des chameaux en troupe nombreuse paissent alentour et des chiens de garde nous signalent par de longs aboiements.



Au grand éclairage de trois heures, c’est ensuite une région de genêts qui passe ; des genêts entièrement couverts de leurs fleurs qui sont d’un blanc gris, d’un blanc luisant et presque métallique.

Dans cette sorte de petit bocage tout argenté, le jeune cheik de Pétra prend les devants, parce qu’il a des démêlés avec son dromadaire rétif ; la bête, nerveuse et jeune, se défend, saute comme une chèvre folle, tord son cou de cygne, se retourne les dents dégainées pour mordre en hurlant, — et enfin est maîtrisée par son cavalier : alors ils partent au galop de gazelle dans les genêts, balayant ces broussailles d’argent avec la profusion de leurs franges, pendeloques et glands noirs ; silhouettes élégantes et grêles, en fuite sur l’horizon du désert…



Nous campons le soir en un lieu appelé l’Ouady-Loussein, où il y a quelques herbages.

Et nous y recevons l’horrible visite d’une pléiade de chenilles grises, à longs poils, qui arrivent en files serrées, lentes et inépuisables.