Le Désert (1895)
Calmann-Lévy (p. 147-148).
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XXV

Mercredi, 14 mars.

Vers trois heures du matin, un signal de trompettes part de la citadelle turque, — une sonnerie grêle, tremblante, traînante, étrangère, qui s’envole au milieu des fraîches tranquillités nocturnes… Oh ! les trompettes de Stamboul, comme je me les rappelle, en entendant cela !… Je sais ce que c’est, du reste : nous sommes en ramadan, et on prévient les fidèles que l’heure est revenue du jeûne et des prières.

Peu après, un petit tambour, ou un tam-tam de bois sec, commence à battre dans le lointain, puis s’approche de notre camp, dont il fait le tour… Oh ! comme il sonne sauvage, sauvage et triste, dans ce silence des nuits d’ici, aux vibrations prolongées par tout l’environnant désert… Lentement, il frappe ses coups, trois par trois, — plan, plan, plan ! — plan, plan, plan ! — et sa lenteur même cause l’indéfinissable frisson des rythmes inconnus…

Mohammed-Jahl, sans doute, qui arrive ! Avec une telle musique, ce ne peut être que lui. Et je sors de ma tente, demandant aux veilleurs :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Rien, me répondent-ils ; ce n’est qu’une batterie de ramadan, — pour le recommencement des prières, comme tout à l’heure ces trompettes…

Plan, plan, plan ! — plan, plan, plan ! — avec ce son de bois mort, il tourne deux fois autour de nos tentes, et puis s’en va continuer sa ronde dans les sentiers noirs de l’oasis, où bientôt son bruit achève de s’éteindre…

Une heure encore passe. Et alors j’entends nettement des chameaux qui arrivent, des chameaux que l’on fait s’agenouiller en leur criant : « Cs ! Cs ! » ; puis des gens qui descendent, qui s’approchent et avec lesquels nos veilleurs échangent de cérémonieux salamalecs, — tandis qu’une voix prononce avec effarement, tout bas, le nom de Mohammed-Jahl. — Cette fois, c’est bien lui, et je m’attends à voir s’ouvrir la porte de ma tente… Mais, soudain, vaincu par le sommeil, je perds conscience de toutes les choses humaines…