Le Désert (1895)
Calmann-Lévy (p. 53-55).
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XII

Et Dieu dit : N’approche point d’ici ; déchausse tes souliers de tes pieds, car le lieu où tu es arrêté est une terre sainte.
(Exode, III, 5.)


Derrière le tabernacle est le lieu sacré par excellence, la crypte du « Buisson ardent », où l’un des moines nous conduit par des petites portes encore plus basses, au milieu d’une pénombre de caverne. Dans une sorte de vestibule où les vieux tapis d’Orient ont des épaisseurs de velours, il nous arrête, avant de nous laisser entrer, pour nous faire quitter nos babouches : par obéissance au commandement de l’Exode, on ne pénètre que pieds nus dans ce sanctuaire profond. Et enfin, le seuil franchi, nous nous trouvons en plein vie siècle, dans les naïves merveilles des vieux temps morts.

Le lieu est sombre, entièrement revêtu de faïences antiques d’un bleu vert ou de mosaïques d’or, lesquelles disparaissent sous les icônes d’or et de pierreries accrochées au mur, sous la profusion des lampes d’argent et d’or qui descendent du plafond bas. Des Saintes rigides, en robes de vermeil, dont le visage reste dans un effacement sombre sous leurs barbares couronnes étincelantes, nous regardent entrer. Nous avions prévu leurs regards, sans doute, et c’était pour elles nos recherches de costume oriental ; vraiment nous nous serions sentis profanateurs envers les artistes enfantins et splendides d’autrefois, peintres, émailleurs ou orfèvres, si nous étions venus ici dans les vêtements de notre siècle mesquin et impie. Jamais, nulle part, nous n’avions eu si complète encore l’impression d’un recul dans l’antérieur des âges. Les générations, les peuples et les empires ont coulé comme des fleuves, depuis que ces petites choses précieuses sont là, tranquilles aux mêmes places, brillant d’un éclat pareil, très lentement terni. Même ce moine qui nous accompagne, avec ses longs cheveux roux couvrant ses épaules, et sa pâle beauté d’ascète, doit être en tout semblable aux illuminés des époques premières, et ses conceptions doivent s’éloigner infiniment des nôtres. Même ce vague reflet de soleil, qui arrive par l’unique petite fenêtre, amoindri dans l’épaisseur du mur, et qui dessine comme un cercle spectral sur les icônes et les faïences, a l’air d’être quelque lueur des jours anciens, quelque lueur d’il y a mille ans…

Une sorte de loge, qui est pavée d’argent ciselé et où des lampes brûlent, occupe le fond de la crypte : c’est là que, d’après la tradition vénérée, l’ange de l’Éternel apparut à Moïse, du milieu du buisson en flamme.