Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/27

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 762-777).


CHAPITRE XXVII

LES TIRETS



Le Nouveau Larousse illustré définit le moins typographique un « tiret long que l’on emploie soit à séparer des phrases, soit à remplacer des mots inutiles à répéter ». À son tour, le tiret est appelé un « petit trait (—) qu’on place au commencement ou dans le corps d’un alinéa soit pour indiquer un changement d’interlocuteur, soit pour tenir lieu d’un crochet ou d’une parenthèse, soit pour séparer des phrases (les typographes l’appellent moins) ». Et le même dictionnaire ajoute : « autrefois synonyme de trait d’union[1] », ce dont on ne se douterait guère aujourd’hui, car tous les compositeurs et les correcteurs savent que depuis longtemps le « moins typographique » et le « tiret » de Larousse sont synonymes et semblables de forme.

1. Le moins ou tiret est fondu, dans chaque corps, sur l’épaisseur du cadratin de ce corps ; sa longueur, horizontale, est donc variable avec la force du corps.

2. Le tiret prend, avant et après lui, très régulièrement, l’espace forte de la ligne où il se trouve.
xxxx Toutefois, dans un dialogue, lorsque les tirets sont employés, au début de l’alinéa, pour indiquer le changement d’interlocuteur, ils prennent, après eux et avant le premier mot de la phrase, une espace régulière donnant un alignement vertical parfait de la première lettre de chaque alinéa.

3. Lorsque deux tirets, ou moins (—), font, au cours d’une phrase, office de virgules, il y a lieu de supprimer ces ponctuations :

Ce problème — si paradoxal qu’il paraisse au premier abord — peut être résolu par des moyens fort simples.

4. Suivant la méthode anglaise, depuis nombre d’années[2], les phrases incidentes sont souvent placées entre deux moins ou tirets qui, dans ces circonstances, font office ou tiennent lieu de parenthèses :

Si, au contraire, on voulait prendre en considération le chiffre individuel — et c’est bien, je crois, le but principal de la méthode, — les objections se pressent.
xxxx Il est à ma connaissance personnelle que dans certains services d’hôpitaux la mensuration des malades — et spécialement la mensuration de la tête, cette opération si délicate, — a été confiée à des infirmières.
xxxx L’habitude de secouer les casses et de remuer les lettres dans les grands cassetins avec, les doigts, afin de se faire une boîte pleine — ce qui est, sans contredit, à l’avantage du compositeur, — fait des ravages sans remède.

L’emploi des tirets oblige, comme dans les cas où l’on utilise les parenthèses, à la suppression de certaines ponctuations ; mais les auteurs typographiques, bien que signalant, cette nécessité, ne sont pas d’accord à ce sujet sur tous les points.

Dumont[3] dit : « Leur présence [celle des tirets] ne doit pas exclure la ponctuation régulière ; mais, lorsque le sens de la phrase ne l’exige pas, il ne faut pas mettre de ponctuation. »
xxxx Évidemment, la règle aurait pu être plus rigoureuse ou mieux définie : il faut ou il ne faut pas ; Dumont admet, lui, cette autre formule : il faut et il ne faut pas. L’interprétation que l’on on peut donner, d’après les exemples cités par Dumont, est, toutefois, aisée : la présence des tirets « ne doit pas exclure la ponctuation régulière », telle un point-virgule, un point d’exclamation, un point d’interrogation, un deux-points, un point même, non plus que les points de suspension, signes dont l’omission rendrait absolument inintelligible le membre de phrase intéressé ou encore la phrase entière elle-même ; mais, par contre, « lorsque le sens de la phrase ne l’exige pas, il ne faut pas mettre de ponctuation » ; telle une virgule, dont la suppression est fréquemment possible sans risque de porter atteinte à la clarté du texte.

Si Dumont n’est pas assez explicite, par contre Desormes[4] semble trop catégorique, lorsqu’il affirme : « Nulle ponctuation ne doit précéder ou suivre des moins faisant office de parenthèses ou de virgules. » D’ailleurs, Desormes n’envisage ici qu’un côté de la question ; pour en donner la preuve, il suffira de faire une simple remarque : si l’incidente placée entre deux moins faisant office de parenthèses est exclamative ou interrogative, devra-t-on supprimer le point d’interrogation ou d’exclamation ?

Plus simplement, Leclerc[5] écrit : « Le tiret ou moins (qui tient aussi lieu de parenthèse et de virgule) sert à marquer le changement d’interlocuteur dans les dialogues… » S’ils tiennent lieu de parenthèses, tout naturellement les règles qui régissent l’emploi de la ponctuation avant, dans ou après celles-ci doivent être appliquées avec les tirets : c’est la logique même. Si, au contraire, les tirets remplacent la virgule, la difficulté peut paraître résolue avant d’avoir existé.

Fournier, dont l’ouvrage fait mention des tirets, passe sous silence le cas tout spécial de l’emploi simultané des différents signes de ponctuation dont il s’agit.

Mais Tassis[6] édicté une règle en opposition avec toutes les idées acceptées à l’heure actuelle : « Quelques auteurs se servent de tirets au lieu de parenthèses ; dans ce cas-là, les virgules ne doivent pas être supprimées. » Depuis cinquante ans, non seulement les idées ont évolué, mais certaines règles aussi ont passé : ce qui était un principe immuable à l’époque de Tassis n’est aujourd’hui qu’exception[7].

À l’exemple de Tassis, Daupeley-Gouverneur[8] accepte l’emploi simultané du tiret et de la virgule : « Un usage assez moderne fait servir les tirets, dans certains cas, à remplir les fonctions de parenthèses. La ponctuation doit se placer, pour chaque membre de phrase, comme si les tirets n’existaient pas. » Et, à titre d’exemple, l’auteur cite le texte suivant :

« Adiatomos, roi des Sôtiates, — c’est une peuplade celtique, — avait auprès de lui six cents hommes choisis. »

5. Par une sorte de réminiscence de ces habitudes déjà un peu lointaines, certains auteurs, à l’encontre de toutes les règles et de toutes les prescriptions grammaticales, exigent encore simultanément avec l’emploi du tiret l’usage de la virgule ; bien plus même, ils placent la ponctuation qui accompagne le tiret final après et non avant celui-ci. Cette manière de faire ne saurait être acceptée lorsque le moins, en raison des exigences de la composition, se trouve obligatoirement rejeté au début d’une ligne :

Les énergumènes, — on ne peut donner un autre nom à cette foule hurlante —, pour ne point encourir les risques…

De toute nécessité, la ponctuation doit être reportée à la ligne précédente, après le mot hurlante.

6. Employé isolément, un tiret fait parfois office de ponctuation, soit virgule, soit deux-points, indifféremment :

La conclusion à laquelle Washington était arrivé était celle qui s’était imposée à M. de Vergennes et celle que lui avait dictée la politique de son gouvernement au commencement de la guerre — à savoir que, si la France faisait la conquête du Canada, il fallait que ce fût pour elle-même, et non pour une autre nation.

Mais, plus fréquemment, un tiret employé isolément sert à renforcer la ponctuation qui le précède :

La question était des plus délicates, d’autant plus que Washington soupçonnait le Cabinet français de vouloir rendre le Canada au roi, — et qu’il était impossible de discuter l’affaire, alors que…
xxxx Je n’ai pas songé à quitter l’armée tant qu’on a pu espérer une campagne active ; — je profite à présent d’un intervalle de tranquillité pour venir présenter ma demande.

7. Le tiret employé seul est encore utilisé, tout en renforçant la ponctuation, à accentuer les diverses parties d’une proposition :

Quelle parole : Je ne crois que ce que je vois !… C’est une sottise qui outrage la raison, — c’est un prétexte pour affranchir la conscience, — c’est un danger qui menace les âmes et les peuples et les met sur le chemin de toutes les décadences.

8. Placée entre deux tirets faisant office de ponctuation ou de parenthèses, une phrase incidente exclamative ou interrogative prend la ponctuation nécessitée par le sens :

La guerre terrible que nous subissons a eu — il faut l’avouer ! — ce bon côté de stimuler certaines initiatives un peu assoupies.
xxxx Sept de ces péniches, dont l’une — pourquoi ne pas le dire ? — a servi longtemps de bureau au capitaine, sont actuellement amarrées en face de l’écluse de Charenton.
xxxx — Je vous demande pardon, Nil-Paulovitch, le mot médecine — à votre santé ! — provient du mot latin… attendez…

9. Un point et virgule, un deux-points nécessités par le texte qui précède ou qui suit une phrase incidente placée entre deux tirets faisant office de ponctuation ou de parenthèses, se placent avant le deuxième tiret :

La mélodie est exactement semblable dans les parties qui se répondent — sauf Angelorum qui répond à cœlorum, deux brèves pour une longue ; — paroles et chant sont donc dans une conformité parfaite.

C’est intentionnellement qu’on a dit : « Avant le deuxième tiret ». Régulièrement, et par analogie avec les règles données pour le guillemet, la ponctuation devrait être placée après le deuxième tiret, celui-ci appartenant toujours à la phrase ou au membre de phrase incidente qui précède, alors que la ponctuation est appelée par l’ensemble de la phrase générale. Mais la plupart des manuels typographiques donnent la règle suivie ici, parce que le rejet de ponctuation après le deuxième tiret produit à l’œil un aspect désagréable, comme on peut en juger par l’exemple ci-dessous :

C’est dans ce but que j’ai déposé ma proposition de loi, basée sur deux principes : 1° le droit pour les mutilés de se rééduquer — par ce droit, j’entendais l’obligation de créer les moyens nécessaires pour qu’il puisse être exercé — ; 2° l’assurance que la pension restera intangible, quel que soit leur nouveau salaire.

10. Toutefois, il paraît indispensable de reporter après le tiret un deux-points accompagné d’un guillemet initial, précédant une citation[9] :

Paul aurait pu dire — comme le Maurice de l’Automne d’une Femme — : « Mon âme est infirme ! »

Dans ce cas, un deux-points suivant un tiret ne peut se tolérer au début d’une ligne.

11. Les points de suspension ne sauraient, en aucun cas, être affectés par l’emploi des tirets à titre de ponctuation ou de parenthèses ; ils conservent donc la place que leur assigne le sens de la phrase, ou principale ou incidente, avant ou après les tirets :

— Pardieu ! c’est un diplomate, un poète, un archiviste bouclé du Ministère des Affaires étrangères. Tout poète a une muse — le moyen d’avoir l’inspiration sans muse ?… — Celle du nôtre est la princesse Flora…
xxxx — C’est, en vérité, une chose très curieuse. Imaginez-vous qu’un jour — par ma foi, il n’y a pas longtemps de cela ! — … un célèbre médecin russe, en anatomisant le cadavre d’un matelot, avait trouvé en lui, ou plutôt, n’avait pas trouvé en lui de rate…

12. Les points d’interrogation et d’exclamation appartenant au membre de phrase qui précède l’incidente mise entre deux tirets, sont placés avant le premier tiret ; le rejet de ces ponctuations avant le deuxième tiret attribuerait en effet à l’incidente un caractère exclamatif ou interrogatif, à l’encontre de toute raison :

Donc, je me résume, Flogiston-Hippocratovitch : en énumérant les différentes espèces de folie, n’as-tu pas omis la principale ? — l’amour. — Et veux-tu que je te dise quel est le malade empesté de cette maladie ?

13. Après une phrase incidente entre tirets la présence d’un point d’exclamation nécessité par le sens interdit l’emploi, avant ou après le deuxième tiret, d’un point et virgule ou d’un deux-points appartenant à la phrase principale :

J’entre ; je fais un salut — je devais avoir l’air d’un boulet rouge ! — je me tourne à droite plus maladroitement qu’un vaisseau perdu ; en un mot, je me sens aussi parfaitement à mon aise qu’une baleine échouée sur le sable.

14. Les incidentes peuvent parfois être composées d’une phrase indépendante :

Nous nous y trouvons même si bien qu’après l’arrivée, à neuf heures, du capitaine de L… et des attardés qu’il amène, — dans quel état d’épuisement ! Ils sont en route depuis quinze heures ! — peu à peu notre garde se relâche…

15. Dans les dialogues, le tiret indique le changement d’interlocuteur :

À la place d’honneur une belle photographie de Luc Delmege. Je m’approchai.
xxxx — C’est mon ancien maître, dit Mary.
xxxx — C’est bien lui. Vous l’avez mis en bonne compagnie, Mary.
xxxx — Rien n’est trop bon pour lui. Il les valait tous.
xxxx Je ne sais ce que signifiait ce mot ; mais, quand je quittai Mary…

Le tiret donne de la rapidité au dialogue, en le dégageant des mots parasites qui gênent l’écrivain et le lecteur, tels que dit-il, ajouta-t-il, reprit-il, répondit-il, etc.

16. Toutefois, un certain nombre d’imprimeries emploient, dans les dialogues, concurremment, et le tiret et le guillemet : un guillemet initial annonce le début du dialogue ; par la suite, le changement d’interlocuteur est indiqué exclusivement, à chaque alinéa, par un tiret ; un guillemet final apprend au lecteur que la conversation est terminée :

« … Si bien que la folie, comme j’avais l’honneur de vous le dire, est de plusieurs genres : 1° le vertige ; 2° l’hypocondrie ; 3° la manie ; 4° enfin, la frénésie.
xxxx — Et la magnésie, docteur, vous l’oubliez ?
xxxx — Comment, la magnésie ? Oh ! la bonne naïveté ! Mais la magnésie n’est pas une maladie : c’est une chose aigre et acidulée, tandis qu’au contraire la frénésie…
xxxx — Tenez, charmant docteur, il y a une chose dont vous parlez souvent, que vous guérissez rarement et que vous ne comprendrez jamais.
xxxx — La vérité est au fond du verre, Nil-Paulovitch, dit le docteur.
xxxx — Voilà pourquoi, répliqua le lieutenant, la vérité se paie avec la lie. »

Au dire de ses protagonistes, cette méthode présente deux avantages : 1° clarté : on sait exactement où s’arrête le dialogue ; le guillemet final supprime toute cause de confusion : on saisit immédiatement, que telle phrase, tel mot n’appartiennent pas à la conversation, même lorsque l’auteur accompagne celle-ci de réflexions ou de remarques isolées par une simple virgule ; — 2° uniformité : que le dialogue comprenne plusieurs alinéas ou un seul alinéa, même seulement quelques paroles au milieu d’un texte, il y a uniformité, pour indiquer la conversation, par l’emploi, dans tous les cas, du guillemet initial et du guillemet final.
xxxx À l’encontre de ces observations, les partisans des tirets objectent non sans raison : par le roman-feuilleton, l’emploi du moins pour indiquer les changements d’interlocuteurs est autant, sinon plus, vulgarisé que l’usage du guillemet ; — le tiret évite de guillemeter au long, si elle se rencontre au cours du discours, une citation, pour laquelle, dès lors, un guillemet final et un guillemet initial suffisent ; — enfin, si le dialogue est interrompu par la marche de l’action ou par une réflexion de l’auteur, une règle presque invariable s’est établie de rejeter en alinéa cette réflexion, évitant ainsi toute hésitation au lecteur.
xxxx Quel que puisse être le bien-fondé de cette argumentation, il faut reconnaître que le tiret s’est généralisé au point de paraître désormais le signe presque exclusif du changement d’interlocuteurs, alors que le guillemet est réservé plus spécialement aux citations. D’ailleurs, la généralité, pour ne pas dire la totalité des manuels typographiques acceptent et même recommandent aujourd’hui cette distinction.

17. Dans les dialogues faisant partie d’une citation, si chaque changenent d’interlocuteur fait l’objet d’un alinéa, le tiret se place après le guillemet de la citation :

Tout à coup, à trois pas de moi, retentit un coup de canon isolé, et, aussitôt après, ce cri se fit entendre :
xxxx « — Un homme à la mer ! »
xxxx Puis d’autres cris :
xxxx « — Il disparaît !… Il s’enfonce ! Il est perdu !… »
xxxx En ce moment, l’officier, mon voisin, se penchant derrière moi, du côté du diplomate, lui dit à demi-voix, en français :
xxxx « — Mais, écoutez donc, je crois que notre lion désire faire de l’esprit.
xxxx « — Oui-da, répondit le diplomate dans la même langue.
xxxx « — Eh bien ! décidément, fit dédaigneusement l’officier en reprenant son centre de gravité, il n’est pas si bête qu’il en a l’air. »

18. Si le dialogue entier ne forme qu’un seul alinéa, le changement d’interlocuteur est indiqué exclusivement par un tiret :

— Le beau-frère de Benoît s’appelait…, s’appelait… — Bernard, pardienne, mon vieux ! — Non, mon fils, ce n’était pas Bernard… — Mais si… — Que nenni ! que nenni ! Je n’ai pas la berlue ! — Est-il entêté, ce vieux baudet ! — Bon, te voilà parti…

D’après Dumont[10], « dans le corps d’un alinéa, le tiret remplaçant un interlocuteur ne peut être mis à la fin d’une ligne, alors que le texte qu’il précède commence à la ligne suivante ».

Cependant aucun auteur typographique ne mentionne une telle règle ; tout au contraire, Tassis donne un exemple dans lequel le tiret remplaçant l’interlocuteur est placé eu fin de justification, alors que les paroles de cet interlocuteur commencent à la ligne suivante[11]. Dumont a, sans doute, formulé cette règle en songeant à celle qui, dans la poésie, oblige à placer le tiret indiquant un changement d’interlocuteur au début du vers, si les paroles de cet interlocuteur commencent avec le vers (§ 22).

19. Pour montrer que ces dialogues sont des citations, on emploie seulement un guillemet au début de l’alinéa, et un guillemet en fin de conversation :

Le roi pensa : « Ce sorcier allemand aurait pu naître en Normandie — Avez-vous connaissance de ce que j’attends de vous ? interrogea-t-il tout haut. — Oui, sire. — Qui vous l’a dit ? — Le bruit public ! — Maie peste, dit le souverain… »

Il en serait autrement si le tiret séparait seulement des passages cités, n’ayant point le caractère de conversation et n’offrant entre eux d’autre rapport que celui présenté par le sujet traité.
xxxx Dans ce cas, chaque citation, doit posséder le guillemet initial et le guillemet final ; le tiret est placé ainsi entre un guillemet fermé et un guillemet ouvert.

20. « Lorsque les dialogues, au lieu d’être en alinéas détachés, n’en forment qu’un seul, on doit, pour éviter toute confusion, aller à la ligne, chaque fois que le dialogue est interrompu pour laisser place aux observations de l’auteur » :

À sa droite parut le Jersiâs, grand homme louche, idiot ; à sa gauche, le nain Fier-à-Bras.
xxxx — Pitié, mes jolis enfants ! s’écria le vieux Rémy ; vous ne savez pas tout le malheur que j’ai ! — Quel malheur as-tu, bonhomme Rémy ? — Las ! las ! mes jolis enfants, je suis ruiné d’honneur et de finances !
xxxx L’émotion lui coupa la parole…

21. Le tiret s’emploie également, au cours d’une conversation, d’un discours, pour indiquer une diversion, un changement d’idée ou une apostrophe à un interlocuteur autre que le premier :

Puis, se retournant vers l’avant :
xxxx — L’ancre a-t-elle pris ? demanda-t-il.
xxxx — L’ancre a pris, répondirent les matelots.
xxxx — Dieu merci !… Master, est-ce que la chaîne de la seconde ancre est prête ?…
xxxx Puis, à l’enseigne :
xxxx — Monsieur, lui dit-il, vous répondrez sur vos épaulettes si on lâche le serre-bosse avant le temps… Tirez, tirez les galhaubans au plus près !… — Et vous, là-haut, qui êtes sur les hunes, est-ce que tout est bien chez vous ? Ah ! ah ! les petits huniers craquent et se brisent à leur aise… — Monsieur le quartier-maître, examinez les paquets à boulets, afin que les boulets n’en sortent pas ; ce n’est pas le moment de jouer aux quilles. — Les mantelets des sabords sont-ils bien fermés ? — Pilote, combien de pieds nous donne la sonde ?
xxxx — Cent vingt, capitaine.

22. Dans la poésie, le tiret qui indique le changement d’interlocuteur ne doit pas rester isolé à la fin d’un vers, mais se reporter au début du vers suivant, si les paroles de l’interlocuteur commencent elles-mêmes au début de ce vers :

Est-ce assez, dites-moi ? N’y suis-je point encore ?
xxxx — Nenni ! — M’y voici donc ? — Point du tout ! — M’y voilà ?
xxxx — Vous n’en approcher point !…

23. Dans le cours d’un alinéa, entre deux phrases complètes terminées par un point, le tiret employé pour indiquer une transition, un changement d’idée, séparer plusieurs citations, ne supprime point la ponctuation régulière.
xxxx Il est des compositeurs — et aussi des correcteurs — qui ne portent aucune attention à cet emploi du tiret et le suppriment, à tort, lorsqu’ils le rencontrent au cours de la composition ou de la lecture.

24. Dans les sommaires placés en tête des paragraphes, des sections, des chapitres, des parties, des livres, etc., le tiret sépare d’une manière bien nette chaque énoncé d’alinéa figurant au cours de ces divisions :

I. Facteurs essentiels de l’évolution politique. — II. Le mandat de droit public. Droit romain et ancien droit français. — III. Le mandat de droit public. Droit moderne français. — IV. Théorie juridique de l’organe. — V. Son application à l’État. Divers organes de l’État. — VI. Caractère artificiel de ces théories.

Afin d’éviter toute confusion, le tiret ne doit pas, dans ces circonstances, être employé après la numération en grandes capitales.

25. Comme dans les sommaires, le tiret indique, dans une table des matières, les différentes divisions des alinéas ou des paragraphes :

  Pages.
Vomissements de sang. — Vomissements chroniques. — Toux nerveuse 
  
201
Bouffissures. — Palpitations. — Étouffements. — Migraines. — Prolapsus. — Contusions 
  
202

26. Dans les catalogues, dans les tables des matières, dans les index et ouvrages de nomenclature ou de classification, dans les tableaux, les alignements, les tarifs, le tiret évite la répétition des mêmes mots, du même texte, de chiffres semblables :

Code civil 
  
250
—   commercial 
  
365
Gauthier, abbé de Paris 
  
850
  comte de Brienne 
  
455
  fils d’Erard 
  
580

27. Dans les divers cas où le tiret remplace les noms à répéter en des lignes successives, il est d’usage dans nombre d’imprimeries, s’il y a des lignes doublantes, de découvrir tout le mot remplacé par le tiret, ainsi que la ponctuation et l’espace qui l’accompagnent, le cas échéant, plus 1 cadratin :

Garnier, seigneur de Froideville, de Menant, de Vierzois,
xxxxxx512.
xxxxGauthier, comte de Brienne, en Champagne, 173, 179, 209,
xxxxxxxxxxxxxxxx276.
xxxxxxxxxxxabbé de Montiéramey, 280.
xxxxxxxxxxxfils d’Erard, comte de Brienne, 247.
xxxxGédoine (Artus), chevalier, 315.

Ainsi qu’on l’a vu au paragraphe 30 du chapitre xxiii, Alignements[12], les auteurs ne sont pas d’accord sur ce point du découvert à observer : les uns exigent que le texte de la ligne doublante soit renfoncé de 1 cadratin seulement sur la justification (il ne peut y avoir, dès lors, emploi du tiret pour remplacer le terme initial de la ligne qui suit) ; les autres conseillent la disposition donnée en l’exemple de ce paragraphe et se bornent à renfoncer de 1 cadratin sur la justification seulement la ligne doublante du texte comportant le dernier tiret (voir ci-dessous).

28. On peut indifféremment, après le dernier tiret remplaçant, donner, à la ligne qui doublerait, la rentrée de 1 cadratin du sommaire ordinaire ou lui conserver l’alignement des autres lignes doublantes :

Garnier, seigneur de Froideville, de Menant, de Vierzois,
xxxxxx512.
xxxxGauthier, comte de Brienne, en Champagne, 173, 179, 209,
xxxxxxxxxxxxxxxx276.
xxxxxxxxxxxabbé de Montiéramey, 280.
xxxxxxxxxxxfils d’Erard, comte de Brienne, en Champagne,
xxxxxx247, 276.
xxxxGédoine (Artus), chevalier, 315.
xxxxHennequinet (Alexandre), 224, 225, 271.
xxxxxxxxxxxxxx(Anne), seigneur de la Ferté-sous-Perrière, 421,
xxxxxx458, 460, 495.
xxxxHoudedot (Jean-Baptiste), 215.

Le renfoncement de 1 cadratin sur la justification (composition en sommaire) est certes plus normal.

29. Dans ces différents cas, le tiret occupe, on le voit, plusieurs places.

Il peut :
xxxx 1° Remplacer un mot ou un chiffre seul : le tiret se place exactement sous le milieu du mot ou du chiffre de la ligne précédente qu’il supplée :

Appareils pour chasseurs 
  
124
xxxxxxxxde gymnastique 
  
190
xxxxxxxxà eaux gazeuses 
  
170

2° Suppléer un groupe de mots ayant le même sens ou formant un seul sujet : on compose dans ce cas le tiret sous le milieu des mots figurant à la ligne supérieure :

Ampoules électriques pour photos 
  
450
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxvélos 
  
452
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxbecs ronds 
  
453
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxavertisseurs 
  
455

3° Éviter la répétition successive d’un certain nombre de mots : le tiret est employé, sous chacun de ces mots ou, au moins, sous les principaux :

Ampoules électriques pour photos 
  
450
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx vélos 
  
452
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx becs ronds 
  
453
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx avertisseurs 
  
455
Ampoules électriques pour photos 
  
450
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxvélos 
  
452
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxbecs ronds 
  
453
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxavertisseurs 
  
455

Il est, toutefois, préférable d’éviter, autant qu’on le peut, la multiplicité des tirets, en se bornant à leur emploi sous les termes principaux.
xxxx 4° Remplacer un nom d’auteur ou tout autre terme, dans un index, dans un catalogue où il s’agit de gagner de la place ; le nom propre ou le mot général est composé, suivant les conventions, soit en alinéa, soit en sommaire, en une ligne isolée ; chaque titre ou nom qui est sous sa dépendance fait l’objet d’une ligne, spéciale, au début de laquelle figure un tiret : 1° si le texte est en sommaire, ce tiret est précédé et suivi de 1 cadratin ou de 1 demi-cadratin ; puis le texte est composé sans tenir compte du mot ou du nombre de mots suppléés, non plus que de l’espace qu’ils occupent :


Boileau-Despréaux :

xxxxSatires 
  
490
xxxxLutrin 
  
495
xxxxÉpîtres 
  
499
xxxxArt poétique 
  
505
2° mais, si la composition est en alinéa, nécessairement le tiret est placé au début de la ligne sans être précédé d’aucun blanc ; par contre, le nom propre ou mot général est renfoncé de 1 cadratin :


Fournier (E.) :

xxxxTraité de la Typographie (2e édition] 
  
550
xxxxTraité de la Typographie (3e édition) 
  
570

Dans l’un comme dans l’autre cas, si le texte qui suit le tiret exige deux lignes de composition, obligatoirement la deuxième ligne est rentrée de 1 cadratin au delà du mot initial de la ligne précédente.

30. Parfois, dans une énumération, on dans une conclusion précédée d’un deux-points, chaque partie, mise en alinéa, est précédée d’un tiret :


Conclusion :
xxxx — Le crâne, dans son ensemble, se développe dans la proportion de 12 0/0 de quatre à huit ans ;
xxxx — La face se développe, pendant la même période, de 24 0/0 ;
xxxx — Une seule région de la face, la distance ophryo-sous-nasale, a un développement plus considérable, 39 0/0 ;
xxxx — La vitesse de l’accroissement n’est pas normale…

31. Dans les alignements, les opérations ou tableaux sans filets, mais comportant cependant une tête, le moins ou tiret remplace le filet sous les têtes :

taxe à payer
Pour un revenu net de :
Par les
célibataires.

Par les
mariés.

5.100 francs 
  
0,40 néant
5.500xxxx 
  
2  »
6.000xxxx 
  
4  »

32. Dans les traductions en prose française de poésies de langues étrangères, et réciproquement, un tiret sépare le texte de chaque vers :

En août 1914, les ultramontains de Catalogne chantaient, sur l’air du Deutschland über Alles :

Viva Espana y Alemania !
Que juntas mirando a Dios :
Nadie vencerlas pudiera,
Si unidas fueran las dos.

Vivent Espagne et Allemagne ! — Qu’ensemble elles regardent Dieu ; — Personne ne pourrait les vaincre. — Si elles étaient unies toutes deux.

33. Dans les titres en vedette ou en sommaire, après la numération, en chiffres romains ou arabes, des livres, des chapitres, des paragraphes, des sections, etc., et avant l’énoncé du titre, on emploie un tiret à la suite du point, si le numéro n’est pas accompagné d’une parenthèse :

§1. — GÉNÉRALITÉS
Article premier. — Des Lois
Section II. — opportunité

De même, si la numération est indiquée par une grande capitale ou par une lettre bas de casse romaine, italique ou grasse, non suivie d’une parenthèse, cette énumération est accompagnée d’un point ou d’un tiret :

V. — Conclusion
a. — Sa vie privée

34. Au contraire, si les nombres, chiffres romains ou arabes, sont suivis d’une parenthèse ou d’une lettre o supérieure (o), si les lettres grandes capitales ou bas de casse sont accompagnées d’une parenthèse, on n’emploie pas le point et le tiret :

A) DOMMAGES EXTÉRIEURS
a) Sa vie politique
Son entrée an Parlement.

35. Un titre soit italique, soit petites capitales, soit caractères gras, placé au commencement d’un alinéa, est séparé de son texte par un point et un tiret :

Carrière dramatique (1014-1677). — C’est à cette époque, avons-nous dit…
xxxx Les avions de chasse anglais. — De tous les peuples d’Europe, ce sont les Anglais qui font le plus gros effort pour l’aviation de chasse…

36. Lorsqu’une numération, soit romaine, soit arabe, soit grande capitale ou lettre bas de casse quelconque, précède ce titré d’alinéa, on n’emploie jamais le tiret entre elle et le titre :

II. Forme. — Certains critiques qui peuvent avoir d’autres raisons pour exalter…
xxxx La garde du canal de Panama. — Le canal de Panama, d’une importance capitale pour les États-Unis,…

37. Si la numération est employée seule, à l’exclusion de tout titre, au début de l’alinéa, on la fait suivre à volonté d’une parenthèse, d’une lettre o supérieure (o) ou d’un point et d’un tiret ; mais, de préférence, on emploie le point seul avec les grandes capitales, et la lettre o supérieure (o) avec les chiffres arabes :

1° Il est bon de se souvenir qu’en cette matière les hommes…
xxxx I. — l’Iliade nous présentait Andromaque comme un modèle d’amour conjugal et maternel…
xxxx II. Si Corneille est le poète le plus sublime, Racine est le…

38. Les diverses parties d’un titre, ou, pour mieux dire, les textes divers d’un titre annonçant les sujets traités dans le chapitre, la division, le paragraphe, etc., se séparent par un tiret précédé d’un point :

CHAPITRE II
LE DRAME. — LA VENGEANCE

39. Les chiffres arabes ou romains, indiquant en tête de la page le numéro de cette page, et placés au milieu de la justification, sans aucun texte de titre courant, sont composés entre deux tirets :

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40. Dans une numération de sources ou de références d’ouvrages à consulter placées au cours du texte ou renvoyées en note, on sépare chaque source ou référence par un point et virgule suivi d’un tiret :

1. Labaud, Staatsrecht, 4e éd., 1901, t. I, p. 403 et suiv. ; éd. franc., 1901, t. II, p. 100 et suiv. ; — Jellinek, System, 1892, p. 129 et suiv. ; — Nézard, Théorie juridique de la fonction publique, p. 191 ; — Dareste, Contentieux administratif, p.372, 2e éd. ; — etc.

41. Dans les dictionnaires, le tiret remplace, au cours d’un exemple, le mot dont la définition est donnée :

Fausseté, f. Absence de vérité ou de justesse. Ma patience montrera la — de ses allégations.

42. Au début d’un alinéa, le tiret indique que le nom est étudié et défini sous un aspect différent de celui envisagé dans l’alinéa précédent :

Retenue, n. f. Modération, modestie.
xxxx — Dans les établissements scolaires, punition qui consiste à garder un élève…
xxxx — Action de ne pas payer une somme d’argent : Retenues sur salaires
xxxx — Admin. Somme que retient une administration sur le traitement…
xxxx — Charpent. Assujettissement des extrémités d’une poutre dans un mur…
xxxx — Dr. anc. Faculté, accordée par quelques coutumes…

43. Dans les généalogies résumées, le tiret indique la filiation ou la descendance :

LOUIS d’Orléans
frère de Charles VI,
assassiné en 1407
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
  Charles d’Orléans
prisonnier à Azincourt
1415
  Jean d’Angoulême

 
Charles d’Angoulême
Louis XII
1498-1515

François Ier
1515-1547

Henri II
1547-1559

44. Dans les développements on les restitutions d’inscriptions anciennes donnés à la suite de la reproduction du texte, plus ou moins tronqué, de l’inscription, on a coutume d’indiquer par un tiret ou moins debout la fin ou la coupure de chacune des lignes gravées sur la pierre ou tracées sur le parchemin ou le papyrus :

[Pro salu]te et re[ditu | et vi]ctori[a | imp(eratoris)]
Cæ[s(aris)] M(arci) Au[re|li An]tonin[i | Aug(usti) Ger]
manici | [Sarmati]ci, p(atri) p(atriæ), | [d(ono)] d(ato) |…
xxxx Pour le salut, le retour et la victoire de l’empereur César…

Les lettres italiques sont les restitutions proposées par les savants ; les parenthèses indiquent, au contraire, les mots ou lettres volontairement omis par l’auteur de l’inscription ou par le graveur.

  1. Dans le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle (t. XV. p. 228) se rencontre cette définition, dont on s’explique mal les raisons : « Petit trait horizontal dont on se sert dans l’écriture, et que les grammairiens appellent trait d’union, et les typographes division. »
  2. En 1876, le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, disait : « On a, depuis trente à quarante ans, étendu l’emploi du tiret, et on en a fait un véritable abus. C’est à Alphonse Karr que cet abus est dû en grande partie. »
  3. Vade-Mecum du Typographe, p. 103.
  4. Notions de Typographie, p. 280.
  5. Nouveau Manuel complet de Typographie, p. 195 (éd. 1921).
  6. Traité pratique de la Ponctuation, p. 125, 4e éd. (1882).
  7. Ce Traité pratique de la Ponctuation gagnerait à être revisé avec soin : depuis longtemps l’Académie a supprimé la division qui unissait l’adverbe très à l’adjectif ou au deuxième adverbe dont il modifie le sens ; la cinquième édition tiendra sans doute compte de cette réforme… comme de certaines autres.
  8. Le Compositeur et le Correcteur typographes fut édité en 1880, date contemporaine de colle à laquelle Tassis fit paraître la 4e édition de son Traité pratique de fa Ponctuation.
  9. Une raison toute spéciale justifie cette exception : le tiret placé après le deux-points indiquerait une conversation rapportée.
  10. Vade-Mecum du Typographe, p. 103.
  11. Traité pratique de la Ponctuation, p. 124, ligne 6.
  12. Voir, plus haut p. 696.