Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/26

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 736-738).


CHAPITRE XXVI

GUILLEMETS



Larousse et Littré définissent le guillemet une sorte de double crochet, très petit, ainsi figuré : « …, que l’on place avant et après des paroles citées textuellement[1] ».

D’après une note dont E. Leclerc[2] n’indique pus l’auteur, le guillemet aurait pour ancêtre l’antilambda ; fréquemment utilisé dans les anciens manuscrits, l’antilambda (lambda Λ renversé horizontalement avec l’ouverture tournée vers la droite Λ) signalait au lecteur les citations des autres auteurs qu’un écrivain insérait dans le texte. Si l’on s’en rapporte au Manuel de Paléographie latine et française de M. Prou[3], la forme de l’antilambda est fort loin d’être régulière, dans les œuvres des copistes qui précédèrent ou suivirent le ve siècle, comme chez les clercs du moyen âge : les dispositions les plus diverses s’y rencontrent, aussi bien celles qui ne rappellent en quoi que ce soit le signe primitif, que celles qui par le redoublement des traits préludent au guillemet actuel.

Il semble dès lors que les Guillemets ou Guillaumets, imprimeurs très réputés du xviie siècle, n’inventèrent nullement le guillemet, comme certains auteurs ont cru pouvoir l’affirmer à tort ; plus simplement ils se bornèrent à la modeste tentative de régulariser la forme de ce signe dans leurs productions et surtout à lui donner… leur nom.

D’ailleurs, suivant, nombre d’écrivains, particulièrement d’après Louis Morin, et aussi d’après le Dictionnaire des Arts et Métiers, au mot Imprimeur, l’apparition du guillemet est signalée pour la première fois en 1546, dans des ouvrages sortant des presses de Guillaume Le Bret, qui exerça la maîtrise d’imprimeur de 1537 à 1549.

À son origine, le guillemet se composait de deux virgules accolées sans espace („ guillemets „)[4]. D’après Dominique Fertel, « il y avoit des imprimeries où les guillemets sont liés ensemble, mais dans celles où ils ne le sont point on se sert de deux virgules renversées » [“]. Certains pays étrangers ont conservé le souvenir de cette disposition en donnant à leur guillemet un aspect qui rappelle plus ou moins cette origine.

a) Les Anglais font usage de deux sortes de guillemets : 1° un guillemet double ayant les mêmes fonctions que notre guillemet et ressemblant, s’il est guillemet ouvert, à deux virgules retournées, et, quand il est guillemet fermé, à deux apostrophes ; 2° un guillemet simple employé pour les textes cités dans une première citation : une virgule retournée simule le guillemet ouvert, et une apostrophe le guillemet fermé.
xxxx Les guillemets se mettent sans espace auprès du mot quand la lettre ou le signe auxquels ils sont accolés comportent un blanc suffisant ; au cas contraire, ils sont espacés à espace moyenne.

b) Le guillemet allemand gothique ressemble à notre signe « nullité » („). Il est fondu sur le bas de la tige et se place dans ce sens („) lorsqu’il commence une phrase ; mais, s’il la termine, il est employé en supérieur (”).
xxxx Dans la composition en caractère romain, on emploie le guillemet français, mais, contrairement à notre usage, le guillemet ouvert doit avoir les pointes tournées vers la gauche ; et le guillemet fermé, les pointes vers la droite[5].

c) Le guillemet russe a le même usage que le nôtre ; comme chez les Anglais, il est remplacé souvent par deux virgules retournées pour le guillemet initial ; par deux apostrophes, pour le guillemet final.
xxxx Le guillemet prend, avant et après lui, un espacement analogue à celui qui lui est donné par le compositeur français.

d) Le guillemet ouvert des Polonais a la forme d’une double virgule („) dans sa position normale ; le guillemet fermé est le guillemet ouvert sens dessus dessous, présentant ainsi la forme d’une double virgule retournée (“).
xxxx Guillemet ouvert et guillemet fermé se collent sans espace à la lettre ou au mot qu’ils précèdent ou suivent.
xxxx Une citation dans un passage déjà guillemeté prend deux guillemets au commencement et deux à la fin.

e) La France et les pays de langue française seuls paraissent avoir adopté le genre tout spécial de guillemet (« ou ), dont il faut peut-être, avons-nous dit, rechercher la forme primitive dans l’antilambda ou lambda (Λ), employé horizontalement (Λ, Λ) dans les anciens manuscrits, pour distinguer les citations.

  1. Larousse, Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, t. VIII, p. 1627. — Littré, Dictionnaire de la Langue française.
  2. Nouveau, Manuel complet de Typographie, p. 198, éd. de 1921.
  3. P. 151 (Alph. Picard, édit., Paris).
  4. Le Dictionnaire de Trévoux (1743) définit le mot : « Guillemet. Terme d’imprimerie. Citationis nota. Ce sont de petites virgules doubles et quelquefois renversées, qu’on met en marge et à côté d’un discours pour marquer qu’il n’est pas de l’auteur. Guillemet a été dit d’un nommé Guillimet qui en fut l’inventeur ; quelques-uns disent Guimets. »
  5. D’après Th. Lefevre.