Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/02/01

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 14-18).


CHAPITRE II

NOTIONS PRÉLIMINAIRES



I

LA LETTRE


On appelle lettre un parallélipipède, ou mieux un hexaèdre, de fonte, offrant à son extrémité supérieure la représentation en relief, renversée de la tête au pied, d’une figure de l’alphabet ou d’un signe nécessaires à la composition et destinés à être reproduits sur le papier.

Le mot « lettre » ne doit pas être confondu avec le terme caractère, sous lequel on comprend l’ensemble des lettres ou des signes employés en imprimerie.

D’une manière générale, on dit que le typographe manque de lettre, ou n’a pas de lettre, pour composer ; il demande de la lettre pour distribuer ; il lève la lettre, quand il compose.

Classée par catégories semblables, par mêmes espèces, la lettre prend le nom de sortes.

Si, lorsque le compositeur fait sa casse, quelques cassetins débordent, il est nécessaire de les survider avant de composer ; l’ouvrier enlève les sortes surabondantes ; si, au contraire, d’autres cassetins ne sont pas suffisamment remplis, le typographe demande les sortes manquantes.

Dans la lettre on remarque :

a) La hauteur en papier : la lettre étant placée dans le composteur dans sa position normale, la hauteur en papier s’entend du pied jusqu’à la surface de l’œil : la hauteur est forte, si elle excède, en mesures anciennes, 10 lignes 1/2 géométriques, soit en mesures métriques 23mm,6 où 62 points 3/4 ; à l’impression, le foulage produit une lettre noire, parfois encrassée, qui se détériore rapidement ; au contraire, la hauteur est faible, si elle est inférieure à 23mm,6 : alors la lettre manque de foulage, elle marque imparfaitement au tirage.

b) La force de corps, distance totale occupée par la tige de la lettre placée dans le sens vertical de l’œil : cette distance s’exprime en points typographiques et sert à classer chaque lettre par catégorie de corps. On dit :

Ce b est du 8 ;
Ce t est du 11 ;
C’est du 9.

La force de corps se définit aussi de la manière suivante : avec une composition interlignée, la lettre étant placée en position normale dans le composteur, sa force de corps est égale à la distance qui sépare l’interligne inférieure de l’interligne immédiatement supérieure.

Toutes les lettres d’un même corps doivent posséder une force de corps rigoureusement identique : composant dans un ordre régulier un certain nombre d’alphabets (lettres bas de casse, grandes capitales, petites capitales, chiffres, etc.) et les superposant, aucune lettre ne doit dépasser les autres, si leur force de corps est analogue ; à l’impression, l’alignement horizontal ne laisse rien à désirer, ainsi que le montre l’exemple ci-dessous :

c) L’épaisseur : c’est le rapport qui existe entre une ou plusieurs lettres considérées par rapport aux autres, dans un même corps, au point de vue de la place que respectivement elles occupent de gauche à droite, dans le sens horizontal.

L’épaisseur des lettres est très variable : minime pour l, i, t, elle est moyenne pour n, p, b, etc., et forte pour m.

Pour une même lettre considérée isolément dans des corps différents, l’épaisseur diffère suivant la force de corps, la grosseur d’œil, et selon que cette lettre est petite capitale, grande capitale, bas de casse de caractère romain, italique ou gras.

Toutefois, dans nombre de travaux, tableaux, opérations, alignements, tables, etc., pour obtenir un alignement vertical parfait, les chiffres, certains signes de ponctuation, quelques lettres abréviatives ou signes courants sont fondus, dans chaque corps, sur une épaisseur constante et régulière, le demi-cadratin.

d) Le pied, partie sur laquelle la lettre repose : c’est l’opposé de l’œil ; le pied est muni d’une « gouttière » produite mécaniquement lors de la fonte et provenant de la romprie du jet.

e) L’œil : c’est la partie en relief, le sommet — à l’opposé du pied — de la lettre ; cette partie porte le type, la figure proprement dite du signe alphabétique, et doit, seule, marquer à l’impression. Généralement, l’œil est proportionné à la force de corps ; il peut cependant se trouver ou plus faible ou plus fort, comparativement aux proportions ordinaires : le caractère est alors, suivant les cas, appelé petit œil, gros œil. On dit :

8 Virey n° 25 gros œil ;
8 Turlot n°  9 petit œil.

f) Le talus, partie coupée en biseau tout autour de l’œil qu’elle dégage (talus de tête, talus de pied, talus de côté), est dû à la nécessité d’abattre les angles de la lettre qui, sans cette précaution, marqueraient au tirage. Suivant la qualité de la fonte, la matière étant faible ou forte, le talus est plus ou moins prononcé, l’œil ayant plus ou moins besoin de soutien.

Lorsque les lettres n’ont aucun prolongement, ou queue, ni inférieur, ni supérieur (e, o, m, r), le talus existe de tous côtés ; là où il y a un prolongement (b, p, t, g), le talus est entièrement, ou en partie, supprimé de ce côté ; les lettres pleines (j) ne comportent presque pas de talus de tête et de pied.

g) Le cran est une entaille demi-circulaire faite mécaniquement, lors de la fonte, dans le tiers inférieur de la lettre. Le cran, placé en France et en Belgique du côté des accents, indique au compositeur le sens dans lequel la lettre doit être placée : lorsque, dans le composteur, la lettre est dans sa position normale, le cran ne peut être vu, il apparaît seulement à la distribution. En Angleterre, en Amérique et en Allemagne, le cran, à l’opposé des accents, est visible dans le composteur, mais il n’apparaît pas à la distribution.

Le cran sert encore à différencier, pour une même force de corps, les divers genres de caractères que peut posséder une imprimerie, et aussi, afin d’éviter un mélange regrettable, à distinguer une fonte neuve d’une fonte usagée. Dans ces cas, au cran initial de fonte le fondeur ajoute, mécaniquement ou à la main avec le rabot, un ou deux crans supplémentaires, ou même davantage, situés à côté du cran initial ou dans le tiers supérieur. On dit :

9 Didot n° 75, 1 cran bas, 1 cran haut ; 10 Turlot n" 9, 2 crans bas ; 8 Turlot n" 9, 2 crans bas, 1 cran haut ; 7 Turlot n" 9, 1 cran bas, 2 crans hauts.

Afin d’éviter entre certaines lettres, petites capitales et bas de casse, o, v, s, x, une confusion possible :

les petites capitales reçoivent, dans le tiers supérieur de la lettre et du côté opposé au cran initial, conséquemment aux accents, un cran secondaire.

Les parties verticales de la lettre, appelées jambages ou hastes, sont toujours plus fortes, plus grasses : ce sont les pleins. Les parties horizontales, circulaires ou contournées, plus maigres, sont les déliés ou terminaisons.

Les lettres b, d, h, i, k, m, n, p, r, l, u, portent à leur partie supérieure, et vers la gauche, un léger trait nommé obit ou empattement de tête :

les lettres f, h, i, k, l, m, n, p, q, r, ont, à droite et à gauche de leur prolongement ou partie verticale inférieure, un mince filet d’égale longueur, appelé empattement de pied :

l’obit est double, c’est-à-dire gravé à droite et à gauche, dans les lettres v, x, y :

dans la lettre u l’empattement de pied est placé vers la droite :

Les lettres sont classées en plusieurs catégories : les longues sont celles dont les jambages débordent au delà de la ligne, soit à la partie supérieure, soit à la partie inférieure :

b, d, f, g, h, i, k, l, p, q, t, y  et la plupart des grandes capitales ;

les courtes constituent la ligne proprement dite, occupant seulement la partie médiane de la ligne :

a, c, e, m, n, o, r, s, u, v, x, z  et les petites capitales ;

les pleines s’étendent de chaque côté au delà de la ligne, d’une quantité régulière pour les unes, d’une fraction inégale pour d’autres :

Les lettres de caractère italique ne suivent pas obligatoirement la classification des lettres romaines. Ainsi les lettres


sont pleines, et non pas longues ; différentes lettres italiques d’elzévir s’écartent, elles aussi, de la catégorie dans laquelle est classée leur correspondante romaine, telle la lettre


qui également est pleine. — Aucune règle ne peut être indiquée sur ce point, chaque genre de caractère possédant des signes particuliers dont le choix varie suivant le goût et les idées des maîtres fondeurs et des dessinateurs.