Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/01/04

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 9-13).


IV

FONTE DU CARACTÈRE


Préparée, justifiée comme on l’a vu plus haut, la matrice est prête à être placée, dans la machine à fondre ou dans le creuset, devant le moule qui donnera le corps à la lettre.

Durant de longues années, depuis l’origine de l’imprimerie jusqu’au début du xixe siècle, la fonte des caractères se fit à l’aide du moule à main, que des modifications successives permirent de perfectionner au point de produire en une seule journée, suivant l’habileté de l’ouvrier, la fonte de 2.000 à 2.500 lettres environ.

Tenant à la main le moule dans lequel la matrice avait été convenablement placée, le fondeur, à l’aide d’un pochon[1], puisait dans un creuset la matière en fusion et la versait rapidement dans le moule. Aussitôt la matière figée, l’ouvrier ouvrait le moule et détachait la lettre, qui était ultérieurement reprise pour subir les opérations de la romprie ou séparation du jet de matière, de la frotterie destinée à faire disparaître les bavures en frottant la lettre sur une pierre de grès, du crantage, de la composition, de l’apprêt, etc.

De nos jours, l’emploi de la machine à fondre a modifié et simplifié ces diverses opérations.

Le problème à solutionner par les constructeurs était l’arrivée mécanique d’un jet de plomb dans un moule dont l’ouverture d’avant est fermée par une matrice.

Cette action a été réalisée à l’aide des pièces principales suivantes : Un creuset renfermant l’alliage que fait fondre un fourneau reposant sur un train ;

Un nez par où passe le jet de matière ;

Une plaque joignant le creuset et le moule : ce dernier est formé de parties mobiles : la plaque pour la face arrière, la matrice à l’avant ; les côtés latéraux sont fermés par la pièce du cran et la pièce du moule ; la lame constitue la face du dessous ; enfin le chassoir ferme le dessus.

Le moule est disposé de manière à recevoir, grâce à l’orifice ménagé dans le bloc de fonte appelé nez, le jet de matière en fusion amené du creuset par un piston ; entre le bloc de fonte et le moule, une plaque de fer établit la communication.

La matrice est placée à l’extrémité inférieure du moule et réglée de manière irréprochable, pour obtenir la ligne, la pente et l’approche, dont il a été question plus haut.

Les machines primitives donnaient une lettre qui, telle celle du moule à la main, devait être soumise à nombre d’opérations :

La lettre fondue et figée, le moule s’ouvrait automatiquement ; le jet ou suite, excédent de matière figé à l’orifice du moule, était rompu mécaniquement ; et les bavures, ou barbes, des angles enlevées. La lettre était composée par catégories, ou par sortes, et on la livrait à l’apprêteur pour lui donner la dernière façon : on enlevait les lettres mauvaises ou défectueuses, on pratiquait la gouttière sous le pied de la lettre, et on donnait à celle-ci sa hauteur exacte ; pour faire les talus, on abattait les angles de la face portant l’œil de la lettre ; on ajoutait au rabot les crans supplémentaires ; enfin on procédait à la mise en paquets prêts à être livrés à l’imprimeur.

Les perfectionnements apportés aux machines à fondre permettent à l’heure actuelle d’obtenir une lettre prête à être mise en paquets : la fondeuse exécute sans interruption, par l’intermédiaire de couteaux convenablement disposés, toutes les opérations pour lesquelles il était nécessaire de recourir à la main de l’ouvrier ; elles font ainsi en une fois :

a) La fonderie : sous la pression obtenue par le piston d’une pompe, le métal en fusion est projeté dans le moule à l’extrémité duquel a été placée la matrice ; pour les gros caractères, un deuxième corps de piston comprime énergiquement le métal, empêchant la production, à l’intérieur de la lettre, de trous ou soufflures. Après solidification, le porte-matrice quitte le moule et dégage l’œil de la lettre, en même temps que le chassoir recule, et, à l’aide d’une pince, va prendre le caractère que la lame fait monter. À ce moment le chassoir avance et conduit le caractère dans une filière où il subit les autres préparations ;

b) La romprie, ou rompure, qui détache du pied de la lettre figée le jet ou suite, appendice nécessaire pour la fonte, mais qui ne doit pas être, conservé ;

c) La frotterie, opération qui fait disparaître les barbes ou bavures adhérant après la fonte aux angles des lettres ;

d) La crénerie, ou crénage, destinée à évider la partie débordant le corps dans certaines lettres, tout en maintenant l’épaulement nécessaire au soutien de la fraction excédente :

f, É, Q, j.

e) Le cran, ou signature, ordinairement situé vers le tiers inférieur, est fixe, c’est-à-dire fondu, pour toutes les lettres d’un même caractère, à une place rigoureusement constante ; mais, au moyen de couteaux supplémentaires adaptés sur la machine, on peut obtenir la formation sur la lettre de tous autres crans : cran dessus, c’est-à-dire cran placé sur la face supportant la partie supérieure de la lettre ; cran dessous, exécuté sur la face portant la partie inférieure ; cran haut, situé au tiers supérieur de la tige ; cran bas, creusé à la partie inférieure ; et toutes autres combinaisons : deux crans hauts, un cran bas ; deux crans bas, un cran haut ; etc. ;

f) La gouttière en pied, pour faire disparaître les aspérités qui restent après la romprie et seraient, pour la hauteur, cause de variations regrettables rendant impropre à un travail convenable toute lettre présentant ce défaut ;

g) L’apprêt, travail ultime qui donne à la lettre la hauteur rigoureusement exigée ;

h) Enfin, la composition sur de longs composteurs en bois qui reçoivent la lettre au sortir de la machine, et sur lesquels la lettre est l’objet d’un examen sérieux.

Les sortes livrées par les Fonderies sont, de manière générale, vendues en paquets compacts, ou interlignés pour éviter la brisure des lettres accentuées. La justification des lignes est de 24 douzes de longueur, et le poids d’une ligne s’établit, en moyenne, de la façon suivante :

Corps 0
 040 grammes
Cpso 6 
 045 xxxxxx
Cpso 7 
 055 xxxxxx
Cpso 8 
 060 xxxxxx
Cpso 9 
 070 xxxxxx
Cps 10 
 075 xxxxxx
Cps 11 
 085 xxxxxx
Cps 12 
 090 xxxxxx
Cps 14 
 105 xxxxxx
Cps 16 
 120 xxxxxx

Sur cette même justification de 24 douzes, 1 kilogramme de caractère contient :

Corps 0
 26 lignes
Cpso 6 
 23 xxxx
Cpso 7 
 19 xxxx
Cpso 8 
 16 x1/2xx
Cpso 9 
 15 xxxx
Cps 10 
 13 xxxx
Cps 11 
 12 xxxx
Cps 12 
 11 x1/2xx
Cps 14 
  9 x1/2xx
Cps 16 
  8 xxxx

La hauteur des paquets varie, suivant la force de corps, de 43 à 46 douzes ; leur poids moyen est de 4 kilogrammes.

Au moyen de lames, de matrices rentrantes et de noyaux, les mêmes machines à fondre exécutent également les blancs, espaces ou cadrats pleins ou creux, complètement terminés.

Certaines machines, utilisant deux côtés d’une seule matrice portant des frappes d’œils différents, fournissent simultanément deux lettres de corps et d’œils différents. Toutefois, les constructeurs ont jusqu’ici borné leurs efforts de production intense et d’amélioration mécanique aux séries de corps 5 à 14 ; les caractères de forces au-dessus de ces corps continuent à être fondus sur les machines exigeant encore l’opération de l’apprêt.



  1. Cuiller en fer de forme un peu spéciale, munie d’un manche en bois.