Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/01/03

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 7-9).


III

ALLIAGE MÉTALLIQUE DES CARACTÈRES


Cette étude préliminaire terminée, il est bon de dire un mot de la composition de l’alliage, de l’amalgame des divers métaux qui, après leur constitution en un corps nouveau, serviront à la fonte de la lettre.

L’alliage métallique employé pour la fonte varie légèrement suivant les fondeurs et le genre de caractères.

De manière générale, cependant, on peut indiquer la composition suivante :

Plomb 
 70 parties
Régule d’antimoine[1] 
 25xxxxx 
Étain 
 05xxxxx 

Parfois on ajoute, mais en petites quantités, du cuivre, du zinc et même du fer[2].

Fréquemment, on utilise aussi l’alliage suivant :

Plomb 
 60 parties
Régule d’antimoine 
 30xxxxx 
Étain 
 10xxxxx 

Les blancs, c’est-à-dire les espaces, les cadrats, les interlignes et les garnitures ont une composition de fonte différente, spécialement désignée sous le nom de fonte blanche.

Selon les modifications apportées à l’alliage, la fonte est dite : fonte (ou matière) faible, molle ; fonte forte, dure ; fonte extra-dure.

En dehors des indications générales données plus haut, le fondeur prépare en effet sa matière comme il l’entend et de manière à donner satisfaction aux désidérata exprimés par sa clientèle.

La qualité de l’alliage employé pour la fonte doit être, de la part de l’imprimeur, l’objet d’un sérieux examen : la durée d’un caractère, par conséquent son prix plus ou moins élevé, est en effet fonction directe de cette qualité.

On peut se rendre compte grosso modo de la qualité de la matière utilisée pour la fonte d’un caractère :

Si on brise quelques lettres, la rupture est nette, d’un grain brillant et très fin, lorsque la fonte est de bonne qualité. En appuyant les doigts, doucement, sur les extrémités de la lettre, afin de la faire faiblir sous la pression sans la casser, la matière a du corps, suivant l’expression employée en fonderie, si elle ploie seulement, sans se fausser. Lorsque le compositeur distribue une fonte neuve, une bonne matière doit, en tombant dans le cassetin, rendre un son métallique[3].

Au contraire, les fontes de qualité inférieure donnent un son mat, sourd. Entre les doigts, la lettre de ces fontes, se déformant, ploie à angle droit sans risque de rupture ; la lame d’un canif y pénètre grassement, et on détache facilement de longs copeaux sans que la matière fasse entendre le grincement métallique qui indique dans l’alliage la présence d’un corps dur.

  1. Le régule d’antimoine n’est pas autre chose que le métal antimoine dans son plus grand état de pureté commerciale.

    Lorsque les fondeurs n’emploient que du plomb doux ou pur et de l’antimoine de belle qualité, les caractères se couvrent plus ou moins vite d’une couche superficielle terne, noirâtre, qui est un oxyde d’antimoine ou de plomb et qui a pour effet de protéger les caractères d’une oxydation plus profonde.

    Ce phénomène est analogue à celui produit sur le zinc employé comme couverture de bâtiments : la première couche d’oxyde protège le métal contre toute oxydation nouvelle.

    Tout au contraire, l’oxydation, lorsqu’il s’agit du fer, de l’acier, de la fonte, pénètre de plus en plus et ronge le métal.

    Il arrive parfois qu’une oxydation analogue à celle du fer se remarque sur des caractères ; ceux-ci sont en fort peu de temps rongés et hors de service. Si on les regarde à la loupe ou au microscope, on voit qu’ils sont marqués d’une infinité de petits trous. D’où provient cette oxydation préjudiciable aux imprimeurs et dont ils doivent se préoccuper à juste titre ? Elle serait due à l’emploi de plomb arsénieux et d’antimoine impur.

    Les vieux plombs qui ont été longtemps exposés à l’humidité et aux intempéries ne renferment aucune trace d’arsenic ; aussi sont-ils d’un bien meilleur emploi pour les fondeurs et n’ont-ils jamais donné lieu à l’inconvénient de l’oxydation signalé ci-dessus.

    Le mélange, à l’alliage d’imprimerie, d’une petite quantité d’étain lui donne plus de coulée ; mais ce serait une erreur de croire que les caractères y gagnent en résistance ; la quantité qu’on emploie est du reste fort minime, ainsi que l’indiquent les tableaux de proportions rappelés ici.

  2. En l’année 1900, on fabriquait en Allemagne des caractères d’imprimerie en un alliage d’aluminium, ayant à la fois la dureté nécessaire pour supporter les efforts de la presse et une grande légèreté : ces caractères pèsent en effet cinq fois moins que l’alliage ordinaire et donnent des tirages plus nets. Une notable économie dans la fabrication des presses, ainsi que dans la dépense d’encre, devait résulter de l’emploi de cet alliage. Nous ignorons ce que sont devenus ces essais ; il ne nous semble pas qu’en France des recherches aient été entreprises dans cette voie.
  3. Le Règlement du 8 Février 1723, en son article LX, obligeait les fondeurs à fournir « de bonnes matières fortes et cassantes » : « Les Caractères d’Imprimerie, et tous les Ornemens de Fonte en dépendans, seront faits de bonnes matières fortes et cassantes. Les Fondeurs à qui les Imprimeurs fourniront de vieilles matières, seront tenus de les renforcer ensorte qu’elles soient de même fortes et cassantes. »