Le Conte du tonneau/Tome 2/08

Henri Scheurleer (Tome secondp. 243-264).

PREDICTIONS
Pour l’Année M. DCC. VIII.
Où les grands Evenemens ſont raportez ſelon leur ordre, avec les Noms des Perlonnes, & le Jour du Mois ;
Publiéés, pour précautionner la Nation Angloiſe contre les Impoſtures des Faiſeurs d’Almanacs :
PAR
ISAAC BICKEERSTAF, Ecuïer.



A Près avoir long-tems & meurement conſideré l’Abus, qu’on fait de l’Aſtrologie dans ce Roïaume, j’ai vu évidemment, qu’au lieu d’en accuſer l’Art même, il ne faut s’en prendre, qu’à ceux qui le profeſſent. Je ſais, que des perſonnes très-éclairées ont prétendu prouver, que toute cette célébre Science n’eſt qu’une Fourberie complette & qu’il eſt du dernier abſurde de ſe mettre dans l’Eſprit, que les Etoiles puiſſent avoir la moindre influence ſur les Penſées, les Penchans, & les Actions des Hommes.

J’avouë que ce Sentiment eſt très-excuſable dans des perſonnes, qui n’ont pas tourné leurs études de ce côté-là ; ſur-tout quand ils obſervent, comment cet Art ſi noble eſt manié par quelques idiots. Ces miſerables prétendent avoir établi une eſpéce de Négoce dans le Monde Planétaire ; & ils n’en raportent toutes les années, qu’une ample Cargaiſon de Galimathias, de Menſonges, & d’Impertinences, qui, bien loin de venir directement des Aſtres, ont tout l’air de ne deſcendre pas de plus haut, que de leur impertinente Imagination.

J’ai reſolu de publier bientôt une Apologie détaillée de cette célébre Science, où je tire toutes mes preuves des principes inconteſtables de la Raiſon. Tout ce que je dirai à préſent, pour en donner une idée avantageuſe, c’eſt que dans tous les siécles elle a eu pour Partiſans des Savans du premier ordre, parmi leſquels je range Socrate, qui a été indubitablement le plus ſage de tous les hommes non-inſpirez. Si j’y ajoute, que ceux, qui ont condamné cet Art, quoi que d’ailleurs gens d’une habileté inconteſtable, ne s’y ſont jamais apliquez, ou bien n’ont pas réuſſi dans leurs recherches, on verra que leur témoignage ne doit pas être d’un grand poids, puiſqu’ils ont condamné ce qu’ils n’entendoient pas.

D’ailleurs, je ne ſuis pas fort choqué de voir ceux, qui étudient l’Aſtrologie, & qui n’y ont fait que des progrès mediocres, traitez par les gens ſages avec le dernier mépris. Je ſuis bien plus mortifié, en voïant les Gentilshommes Provinciaux dûment qualifiez, par leurs richeſſes, à être un jour Membres du Parlement, creuſer dans l’Almanac de Partrige, pour y trouver les Evenemens de chaque Année, & n’oſer propoſer une partie de Chaſſe, ſi cet habile Homme, ou ſon Compagnon Gadbury, n’ont pas fixé le beau-tems.

Je ſuis prêt à jurer, que ces deux Meſſieurs, & tous leurs Collégues, ne ſont pas ſeulement de grands Aſtrologues, mais encore des Enchanteurs dans les formes, ſi je ne prouve papier ſur table, par mille Paſſages tirez de leurs Almanacs, qu’ils n’ont pas ſeulement une idée ordinaire de la Grammaire & de la Syntaxe ; qu’ils ne ſavent pas épeler un ſeul mot, qui ſorte un peu de la Sphere de la converſation la plus commune ; & que, dans leurs Préfaces, ils ne ſavent, ni parler Anglois, ni penſer Sens-commun.

Pour leurs Obſervations, & leurs Prédictions, ce ſont des ſelles à tous chevaux, & elles peuvent convenir à tous les Siécles, & à tous les Peuples. Dans ce Mois, certaine Perſonne de diſtinction eſt menacée de la Mort, ou d’une dangereuſe Maladie. Ils n’ont qu’à conſulter la Gazette, pour en être perſuadez ; on y voit clairement, à la fin de l’Année, qu’aucun Mois ne s’eſt paſſé, ſans la Mort de quelque Perſonne de marque. Il n’eſt pas poſſible même, que la choſe ſoit autrement, puiſqu’il y a du moins dans ce Roïaume deux mille Perſonnes de diſtinction, parmi leſquelles il faut de neceſſité qu’il y en ait de fort âgées ; &, pour deviner à coup ſur, l’Auteur n’a qu’à fixer ſa Prédiction ſur le Mois de l’Année le plus fécond en Maladies. Ce Mois, un célébre Eccléſiaſtique parviendra aux Dignitez de l’Egliſe. Eh ! qui en doute ? Il y a parmi nous un grand nombre de Prélats, dont pluſieurs ont déja un pied dans la foſſe ; &, s’ils meurent, il n’eſt pas naturel qu’on laiſſe leurs Charges vacantes. Une telle Planete dans une telle Saiſon, fait voir des Complots, & des Conſpirations très-conſiderables, dont on ſouroit bien voir de funeſtes ſuites. Si dans le tems prédit on découvre la moindre Machination, voilà notre Aſtrologue érigé en Prophete du premier rang.

Ils ſe ſervent encore d’un tour admirable, qui d’ordinaire couronne l’œuvre ; Dieu preſerve le Roi Guillaume de tous ſes Ennemis déclarez & ſecrets. Amen. Si après cela ce Monarque meurt, il eſt certain que l’Almanac l’a prognoſtiqué clairement : s’il reſte en vie, cette Phraze ne paſſe que pour une petite Ejaculation d’un fidéle Sujet.

Ce qu’il y a de plaiſant, c’eſt que, dans quelques-uns de nos Almanacs, on a fait cette digne Priere pour le pauvre Roi Guillaume, pluſieurs mois après ſa Mort ; parce que, malheureuſement pour ces pauvres Aſtrologues, il déceda au commencement de l’Année, quand ces belles Piéces étoient déja publiées.

Pour laiſſer-là leurs impertinentes Propheties, je voudrois bien ſavoir, à quoi nous ſervent leurs Avertiſſemens, touchant des Pillules, & des Ptiſannes, pour les maux Vénériens ; & leurs Querelles en Vers & en Profe, ſur les Whigs, & ſur les Thoris ; & d’autres Fadaiſes, dont les Planetes n’ont garde de ſe mêler ?

Aïant long-tems remarqué, avec toute la mortification poſſible, ces indignes Abus de cet Art reſpectable, j’ai reſolu de lui ouvrir une nouvelle Route, & de m’y prendre d’une maniere qui ne ſauroit que plaire généralement à toute la Nation. Je ne donnerai cette Année qu’un Eſſay, parce que j’ai été obligé d’emploïer preſque tout mon tems à revoir & à corriger des Calculs, que j’ai faits autrefois ; réſolu de ne rien donner au Public, dont je ne ſois auſſi perſuadé, que de ma propre exiſtence. Pour ce qui regarde mes Prognoſtics touchant les Evenemens des deux dernieres Années paſſées, je ne me ſuis trompé que dans deux particularitez de peu d’importance. J’ai prédit exactement le mauvais ſuccès du Siege de Toulon, avec toutes ſes circonſtances comme auſſi le naufrage de l’Amiral Shovell. Il eſt vrai que je m’étois mépris de 36. heures par raport au tems fixe de ce triſte accident ; mais, en revoïant mon calcul, j’en ai d’abord découvert l’erreur.

J’ai prédit encore la Bataille d’Almanza, avec les circonſtances du jour, de l’heure, de la perte de côté & d’autre, & des ſuites : &, pour faire voir, que je ne ſuis pas de ces gens, qui devinent après coup, j’ai donné à mes amis des billets ſcélez, qui contenoient ces Prédictions, avec ordre de les ouvrir dans un certain tems fixe, & ils les ont trouvées exactement vraies, à quelques petites minuties près.

Pour ce qui regarde le petit nombre de Prédictions ſuivantes, j’ai differé à les rendre publiques, juſqu’à ce que j’euſſe examiné les Almanacs de l’Année où nous ſommes entrez Je n’y ai trouvé que le tour ordinaire ; & je conjure le Lecteur de comparer leur Méthode avec la mienne, J’oſe bien hazarder tout le credit de mon Art, ſur le ſuccès des Prédictions, que j’offre ici au Public ; & je permets à Partrige, & à tous ceux de ſa bande, de me décrier comme le dernier des Impoſteurs, ſi je me trompe ici, dans la moindre particularité de quelque importance. Je m’imagine que ceux, qui voudront bien lire cette Brochure, me ſuppoſeront pour le moins autant de Lumieres, & de Probité, qu’à un Faiſeur d’Almanacs. Je ne me cache pas : je ſuis un homme de quelque Réputation dans le monde ; & j’ai mis ici mon Nom tout du long, afin qu’il me ſoit une marque éternelle d’Infamie, ſi j’en impoſe au Public.

Au reſte, j’eſpere, qu’on ne trouvera pas mauvais, que je parle avec menagement des Affaires Domeſtiques de la Nation. Il eſt indiſcret & imprudent de dévoiler les Miſteres d’Etat ; & il y a du danger pour ceux, qui ſont aſſez étourdis, pour vouloir ſe ſignaler par-là : mais, je me donnerai carriere ſur des particularitez, qui n’ont rien de commun avec le Gouvernement ; & la ſureté de mon Art paroîtra, avec tout autant d’éclat à l’égard de ces Evenemens ordinaires, qu’à l’égard des Revolutions de la plus grande conſequence. Pour ce qui doit ſe paſſer de plus remarquable hors de la Patrie, comme en France, en Flandre, en Italie, & en Eſpagne, je ne me ferai pas le moindre ſcrupule d’en parler ouvertement, & en termes clairs ; & je me fais fort de ne me jamais tromper ſur les Dates. Afin que le Lecteur puiſſe me rendre juſtice là-deſſus, je l’avertis, que je me ſervirai par-tout du Vieux Stile ; & je prie le public de s’en ſouvenir, en voïant dans les Gazettes les Evénemens, que je pronoſtique ici.

Je ſai, qu’on peut me faire une Objection, qui n’eſt pas ſans fondement, & qui merite toute mon attention. Une Perſonne, dit-on, peut-être diſpoſée, par la force d’une Planete dominante, à la Volupté, à la Colere, ou à l’Avarice ; & vaincre par ſa Raiſon ces mauvaiſes Influences, comme fit autrefois Socrate. Les Aſtres inclinent, mais ne forcent point, la volonté des hommes ; &, par conſéquent, on a beau ſuivre les Regles les plus certaines de l’Aſtrologie, il eſt impoſſible d’être parfaitement ſur que les Evenemens répondront juſte aux Prédictions, J’avoue que cette Objection eſt très ſolide par raport à tel, ou à tel individu humain ; mais, comme les grandes révolutions dépendent d’ordinaire des diſpoſitions d’un grand nombre de perſonnes, il eſt impoſſible de croire, qu’elles s’acorderont toutes à s’opoſer à leurs penchans, & à les détourner d’un deſſein général, qui eſt conforme à leurs inclinations. D’ailleurs, l’influence des Etoiles s’étend à un grand nombre d’Evenemens, qui ſont indépendans de la Raiſon, comme les Maladies, la Mort, & en un mot tout ce qu’on apelle dans le monde Accidens.

J’ai commencé mes Prédictions par le tems que le Soleil entre dans le Belier, ce que je prends pour le veritable commencement de l’Année naturelle ; & je les ai pouſſées un peu plus loin que le tems, auquel il entre dans le ſigne de la Balance : c’eſt-là préciſement la Saiſon des grandes Affaires. Je n’ai pas encore arangé ce qui regarde le reſte de l’Année ; parce que j’en ai été détourné par pluſieurs occupations, qui n’ont rien de commun avec le Public. D’ailleurs, j’ai déja inſinué, que ce n’eſt ici qu’un Echantillon d’un grand nombre de Pronoſtics, que je prépare pour les Années ſuivantes, ſi l’on veut bien me le permettre, & m’encourager à l’éxécution d’un ſi grand deſſein.

Ma prémiere Prédiction n’eſt qu’une Bagatelle, & je ne la donne ici, que pour faire voir l’Ignorance des prétendus Aſtrologues, dans les choſes qui les regardent directement eux-mêmes. Elle a pour objet Partrige, le Faïſeur d’Almanacs. J’ai fait ſon Horoſcope ſelon ma méthode particuliere ; & je trouve qu’il mourra infailliblement d’une Fiévre chaude le 29. de mars environ à onze heures de nuit. Je le prie d’y ſonger, & de mettre ordre à ſes affaires.

Le Mois d’avril ſera remarquable par la mort de pluſieurs perſonnes du premier rang. Le Cardinal de Noailles mourra le 4 ; & le 11. le Prince des Aſturies, Fils du Roi Philippe. Le 14. un des premiers Pairs de ce Roïaume mourra à ſa maiſon de Campagne. Le 19. l’Angleterre perdra un vieux Laïque diſtingué par ſa grande Erudition ; & le 23. on verra mourir un fameux Banquier demeurant dans la Ruë du Lombard. j’en pourois nommer un plus grand nombre de ce Païs, & d’autres, ſi je ne croïois pas ces ſortes de cas particuliers peu intereſſans pour le Lecteur. Pour ce qui regarde les Affaires publiques, il y aura le 7. une Emeute dans le Dauphiné, cauſée par l’Oppreſſion du Peuple ; & cette Affaire ne ſera pas apaiſée de pluſieurs mois.

Le 15. Il y aura une violente Tempête, ſur les Côtes de France, qui regardent le Sud-Eſt. Elle détruira beaucoup de Vaiſſeaux dans les Ports mêmes.

Le 19. fera célébre par la Révolte de tout un Roïaume, à l’exception d’une ſeule Ville ; ce qui donnera un tour très-avantageux aux Affaires d’un des Princes Alliez.

Le Mois de may ſera contre toutes les aparences fort ſtérile en grand événemens : il ne ſera remarquable que par la mort du Dauphin, qui arrivera le 7, après une courte maladie, & de violentes douleurs cauſées par une Retention d’Urine. Il meurt plus regreté par le Roïaume, que par la Cour.

Le 9. Un Maréchal de France ſe caſſera la jambe, en tombant de ſon Cheval. Il m’a été impoſſibie de découvrir s’il en mourra, ou non.

Le 11. On commencera un Siége de grande importance, qui attirera les yeux de toute l’Europe. Je n’en prédirai point les Particularitez. Pluſieurs Raiſons, qu’on devinera aiſément, m’obligent à ne pas n’étendre beaucoup ſur des Affaires, qui touchent de ſi près les Hauts-Alliez, & par conſéquent ce Roïaume.

Le 15. On recevra la Nouvelle d’un Evénement le plus ſurprenant, & le moins attendu, qu’on puiſſe s’imaginer.

Le 16. Trois grandes Dames de ce Roïaume ſe trouveront enceintes contre leur attente, à la grande ſatisfaction de leurs Epoux.

Le 23. Un fameux Boufon de la Comédie mourra d’une Mort comique, très-bien aſſortie à ſa Profeſſion.

juin. Ce Mois ſera illuſtre par la Déroute de certains Enthouſiaſtes ridicules connus ſous le nom de Petits Prophetes. Elle ſera cauſée, par l’arrivée du Tems où leurs Prédictions devroient être vérifiées, & par la découverte de leur Sottiſe, ou de leur Fourberie. C’eſt une choſe admirable, qu’il y ait des Impoſteurs aſſez extravagans, pour prédire des choſes, qui doivent arriver en peu de tems, & pour s’expoſer à être ſiflez par tout le monde, dans l’eſpace de quelques mois. Ces gens-là ſont moins prudens encore, que les Faiſeurs d’Almanacs, qui ont la fineſſe de s’enveloper d’épaiſſes ténébres, & de ne parler que par Enigmes, en laiſſant au Lecteur le ſoin de l’Intreprétation.

Le premier de ce Mois, un Général François ſera tué d’un coup de Canon tiré à tout hazard.

Le 6. il y aura dans un des Faux-bourgs de Paris un grand Incendie, qui conſumera plus de mille Maiſons, & qu’on pourra conſiderer comme l’avant-coureur d’une Nouvelle, qui étonnera toute l’Europe, vers la fin du mois ſuivant.

Le 10. il ſe donnera une grande Bataille, qui commencera à quatre heures après diner, & durera juſqu’à 9. heures du ſoir, avec beaucoup d’opiniâtreté, ſans que la fin en ſoit fort déciſive pour toute la Guerre. Pour les Raiſons déja dites, je ne nommerai pas l’Endroit qui ſera le Champ de Bataille ; mais je dirai que, de côté & d’autre, ceux qui commanderont l’Aile gauche ſeront tuez. Je vois des feux de joye, & j’entends des coups de canon, qui annonçent une Victoire.

Le 14. Il ſe répandra un faux bruit de la mort du Roi de France.

Le 20. Le Cardinal Porto-Carrero finira ſes jours par une Dyſſenterie non ſans ſoupçon d’être empoiſonné : mais, on trouvera, que tout ce qu’on aura débité de ſon Deſſein de prendre le Parti du Roi Charles eſt abſolument faux.

juillet. Le 6. de ce Mois, un certain Général recouvrera, par une Action des plus glorieuſes, la Réputation qu’il avoit perdue par quelques mauvais ſuccès.

Le 12. Un Chef d’Armée mourra Priſonier parmi ſes Ennemis.

Le 14. On découvrira le Deſſein infame d’un Jéſuite François d’empoiſonner un Général étranger ; &, quand il ſera apliqué à la Queſtion, il déclarera les choſes les plus ſurprenantes.

En un mot, ce Mois ſera fecond en grands Evénemens, dont il ne m’eſt pas permis de détailler toutes les particularitez.

Dans le Roïaume, un vieux Senateur de grande Réputation mourra à ſa Maiſon de Campagne, extenué par l’âge, & par les maladies.

Mais, ce qui doit rendre ce Mois à jamais fameux, c’eſt la Mort du Roi de France, Louis quatorze, qui finira ſa vie à Marli, le 26, environ à ſix heures du ſoir, après une Maladie d’une Semaine. Ce ſera, ſelon tout ce que j’en puis découvrir, d’une Goutte remontée, ſuive d’un Flux de Sang. Trois jours après, M. de Chamillard ſuivra ſon Maître, en mourant d’Apoplexie.

Dans le même Mois, un Ambaſſadeur mourra à Londres ; mais, je n’en ſaurois dire préciſement le jour.

août. Les Affaires de France paroîtront pendant quelque tems ne pas ſoufrir la moindre altération, ſous le Régne du Duc de Bourgogne ; mais, le Génie, qui animoit toute la Machine, étant diſparu, elles ſeront ſujettes à des Révolutions extraordinaires l’Année ſuivante. Juſqu’ici le jeune Roi laiſſe à peu près tout ſur le même pied, dans le Miniſtere, & dans les Troupes ; mais, les Libelles & les Satyres, qui ſe répandent contre ſon Grand-Pere, & qui volent, pour ainſi dire autour de ſon Palais même, mortifient cruellement le nouveau Monarque.

Je vois un Courier fort empreſſé, & les yeux pleins de vivacité & de joye, arriver au point du jour le 28. de ce Mois, aïant fait un Voïage prodigieux, par Mer & par Terre, en trois jours de tems. Vers le ſoir j’entends les Cloches, & les coups de Canon ; les illuminations, & les feux de joye, font paroître la Ville en feu.

Un jeune Admiral, d’une très-noble extraction, acquiert ce même Mois une Gloire immortelle, par une Action des plus héroïques.

Les Affaires de Pologne ſont entiérement reglées. Auguſte renonce à ſes Prétentions, qu’il avoit voulu pendant quelque tems faire valoir de nouveau, Staniſlas eſt paiſible Poſſeſſeur de la Couronne, & le Roi de Suede ſe déclare pour l’Empereur.

Je ne ſaurois paſſer ſous ſilence un Accident particulier, qui doit arriver dans ce Mois à Londres ; c’eſt qu’à la Foire de St. Barthelemy, un grand déſaſtre ſera cauſé par la chûte d’une Tente.

septembre. Ce Mois commencera par une Gelée extraordinaire dans cette ſaiſon : elle durera près de 12. jours.

Après que le Pape aura langui longtems, le Mois paſſé, les enflures de ſes jambes creveront, la Gangrene s’y mettra, & il finira ſes jours le 11. Trois ſemaines après ſa mort, il ſera ſuccédé, par le moïen des Brigues les plus violentes, par un Cardinal de la Faction Impériale, né en Toſcane, & âgé à préſent de 61. ans.

L’Armée des François ſe tient à préſent entierement ſur la défenſive, & elle ſe retranche juſqu’aux dents. Le jeune Roi envoïe des ouvertures pour }a Paix, par le moïen du Duc de Mantoüe ; mais, comme c’eſt-là une Affaire d’Etat, qui touche de près notre Gouvernement, je n’en dirai pas d’avantage.

Je n’ajouterai encore qu’une Prédiction, en termes miſtérieux. Elle eſt compriſe dans ce Paſſage de Virgile :

Alter erit tun Tiphys, & altera quæ vehat Argo

Delectos Heroas.

Le 25. de ce Mois, tout le monde verra cette Prédiction, parfaitement accomplie.

Je n’ai pas pouſſé plus loin mes Calculs pour l’Année préſente. Je ne prétends pas, que ce ſoient-là tous les grands Evenemens, que nous verrons ; mais, je prétends que ceux, dont je viens de parler, arriveront infailliblement. Peut-être m’accuſera-t-on encore, malgré les raiſons que j’ai alleguées avant que d’en venir à mes Pronoſtics, de ne m’être pas plus étendu ſur nos Affaires Domeſtiques, & ſur le Succès de nos Armes. Je conviens que j’étois le Maitre de donner là-deſſus des Lumieres fort ſures ; mais, notre Miniſtere éclairé ne trouve pas à propos, qu’on entre dans les Miſteres d’Etat ; & je ne ſuis pas homme à lui donner le moindre mécontentement.

Tout ce que j’ôſe prendre la hardieſſe de dire, c’eſt que cette Campagne ſera très-glorieuſe pour les Alliez, & que les Forces Britanniques par Mer, & par Terre, auront une bonne part dans les Lauriers, dont la Victoire couronnera la grande Alliance ; que la Reine Anne continuera de vivre en ſanté, & en proſpérité ; & qu’il n’arrivera aucun deſaſtre aux prémieres têtes du Roïaume.

Pour ce qui concerne les Evénemens dont j’ai fait mention, le Public verra par leur Accompliſſement, ſi je dois être mis de niveau avec les Aſtrologues ordinaires, qui, par leur pitoïable Jargon, & par certaines Figures tracées à tout hazard, ſe ſont trop long-tems jouez de la Crédulité du Vulgaire. Mais, il ne faut pas mépriſer un habile & ſage Médecin, parce qu’il y a des Charlatans dans le Monde.

Peut-être croira-t-on, que je ne ſonge ici qu’à me divertir, aux depends des Sots ; mais, on me fera tort. J’ai quelque eſpece de Reputation dans le Monde, que je ne hazarderois pas volontiers, uniquement pour ſatisfaire à un caprice de cette nature. J’oſe me flatter encore, que tout homme ſenſé, qui lira cet Ecrit, n’aura garde de le confondre avec les miſerables Brochures qui font les Délices du petit Peuple. Heureuſement pour moi, je ſuis au-deſſus du ſort de ces miſerables Ecrivains, qui ſont obligez d’inſulter le Bon-Sens, pour ſe procurer dequoi vivre. Ma Fortune fait que je n’ai pas beſoin d’un gain ſi mince, & mon naturel me le fait mépriſer.

Que des gens éclairez ne condamnent pas, avec trop de précipitation, cet Eſſai deſtiné à rendre ſon ancienne Réputation à un Art, qui n’eſt tombé en diſgrace, que par l’Ignorance, & par la Fourberie, de ceux qui le profeſſent. Un court eſpace de tems décidera, ſi je me ſuis trompé moi-même, ou ſi j’ai voulu tromper les autres ; & ce n’est pas, ce me ſemble, exiger quelque choſe de fort déraiſonnable, que de prier le Public de vouloir bien ſuſpendre ſon Jugement, pendant un petit nombre de Mois.

Autrefois, je me ſuis vû confondu avec les habiles gens, qui mépriſent toutes les Prédictions fondées ſur les Etoiles ; & j’étois encore de leur Opinion l’An 1686, quand un Homme de Qualité me fit voir dans ſon Album une Déclaration du très-éclairé Aſtronome le Capitaine H…, par laquelle ce grand Home aſſuroit, qu’il ne croiroit jamais rien des Influences des Aſtres, s’il n’arrivoit pas en Angleterre une très-célébre Révolution l’An 1688. Depuis l’Accompliſſement de ces Pronoſtics je me ſuis tiré de mon Erreur : &, après une Etude aſſiduë de dix-huit ans, j’ai trouvé la veritable Méthode de parvenir à cette Science ; &, par-là, je me crois païé avec uſure d’une Application ſi longue, & ſi penible. Pour n’arrêter pas le Lecteur plus long-tems, je finirai, en l’aſſeurant, que les Predictions, que j’ai deſſein de lui communiquer, pour les Années ſuivantes, comprendront les principales Affaires de toute l’Europe ; &, ſi l’on ne me veut pas permettre de les rendre publiques dans ma Patrie, j’apellerai de cette rude Sentence au Monde Savant, en les donnant en Latin, & en les faiſant imprimer en Hollande.