Le Conseiller des femmes/07/02

PREMIER AGE.
2e Article.
Allaitement.

Dans notre avant dernier numéro, nous avons fait quelques réflexions sur les causes de maladie et de mort des enfans du premier âge, nous reviendrons aujourd’hui sur ce sujet, qui nous semble de la plus haute importance.

En général, les mères ne sont pas assez attentives aux soins à donner à l’allaitement des enfans ; et beaucoup, sur de vains et futiles prétextes, confient à des mains étrangères, le dépôt que la nature commet à leur garde. Nous savons qu’il vaut mieux pour l’enfant né d’une femme délicate et chétive qu’un lait étranger lui soit donné, mais ce cas est rare et lorsqu’il se présente il faut, comme le dit Spurzheim, « Que la nourrice choisie soit bien portante et autant que possible ressemble à la mère par l’âge et par l’époque de la délivrance. Si cette dernière circonstance ne se rencontrait pas avec d’autres bonnes qualités chez une nourrice on pourrait employer quelques moyens artificiels, faire prendre à l’enfant un peu de sirop de rhubarbe et de chicorée pour le faire évacuer. On donnerait aussi à la nourrice, pendant quelque temps, une nourriture légère et moins substantielle, afin de rendre son lait plus clair et moins nutritif.

« Le lait d’une nourrice varie d’après son âge, sa constitution, les alimens qu’elle prend, et d’après sa manière de vivre. Elle doit éviter toutes les substances qui troublent sa digestion, surtout les crudités et les liqueurs fortes. Les affections désagréables de l’ame lui sont également nuisibles, ainsi qu’à l’enfant. Celui-ci se ressent toujours des désagrémens qu’elle éprouve : il est exposé à vomir, à avoir le hoquet ; il l’est aussi aux coliques, à la diarrhée, aux convulsions et à bien d’autres désordres. » Toutes ces causes de perturbation et de trouble dont parle Spurzheim, sont grandes et de nature à faire réfléchir les mères. Comment en effet compteraient-elles sur la régularité de régime de la nourrice, quand elles-mêmes ne savent pas toujours s’y soumettre dans l’intérêt de leur propre enfant ? En général, il est à remarquer que, sauf quelques exceptions, les mères qui allaitent elles-mêmes leurs enfans se soustraissent à une infinité de maladies auxquelles sont exposées celles qui renoncent à la lâche la plus importante de leur vie. En effet, si nous en exceptons le moment des couches, on voit beaucoup moins de femmes mourir du temps de l’allaitement que dans tout autre période de la vie. Leur esprit semble être plus gai, plus uniforme, leur humeur plus agréable et leurs sentimens plus développés. Tandis que celle qui renonce à nourrir son enfant, non-seulement faillit au vœu de la nature, mais s’expose en outre à mille accidens fâcheux. Ainsi la fièvre de lait, les crevasses, les tumeurs glanduleuses, les douleurs aiguës, sont presque toujours la conséquence de l’oubli de ses devoirs.

Un fait à remarquer, parce qu’il repose mathématiquement sur une démonstration de chiffres, c’est que dans les rangs les plus élevés de la société, l’instinct de la jeune mère se dénature bien plus souvent. Entraînée par l’attrait du plaisir elle craint l’esclavage de l’allaitement et confie à des mains payées un soin que Dieu lui avait réservé. Cependant à celle-là toutes choses sont rendues faciles par les avantages de la fortune, et elle est d’autant plus coupable, que placée à un rang élevé de l’échelle sociale, elle sert de terme de comparaison aux classes inférieures. Or, pourquoi craindrions-nous de le dire, pourquoi craindrions-nous d’exprimer toute la douleur qu’un pareil ordre de chose jette dans nos cœurs ? Notre but est de remédier autant que possible aux imperfections de notre sexe, nous devons donc avoir le courage de l’attaquer de front, lorsqu’il nous semble si gravement compromettre ses intérêts.

La mère que des raisons insurmontables n’empêchent pas de nourrir son enfant, se prive, en le confiant à des mains mercenaires, des sensations les plus douces pour un cœur de femme. On dirait que dépourvue de toute tendresse, sa nature est étrangère aux sentimens généreux d’amour et de dévouement dont Dieu semble avoir doté la femme pour le bonheur du genre humain ! En effet, comment la mère qui, libre de tous maux, renonce volontairement à soigner son enfant pour le confier à une nourrice, peut-elle espérer que celle-ci dont le propre enfant réclame toute l’attention, aura pour le fils d’une étrangère les soins qu’elle même semble refuser de lui donner ? Dans plusieurs parties du monde, les nourrices gagées sont tout-à-fait inconnues. En Chine, par exemple, une femme se croirait déshonorée, et le serait en effet dans l’opinion publique, si elle n’allaitait pas son enfant. Dans les temps les plus purs de la Grèce et de Rome, le sentiment maternel prévalait partout ; et, de nos jours, chez les nations barbares, on n’a pas d’exemple d’un enfant commis à des soins étrangers. Chez les peuplades du Nord, dans le Groënland, parmi les Esquimaux, on attachait une si grande importance à ce que le nouveau né fût nourri du lait de sa mère, que lorsque celle-ci venait à mourir avant d’avoir sevré, son nourrisson était enterré avec elle ou jeté à la mer. Étrange humanité, mais qui témoigne de l’importance des devoirs de la mère ! Est-ce donc que nous, femmes des peuples civilisés, nous aurions au cœur moins d’amour pour nos enfans que n’en ont les sauvages ? Un pareil fait ne peut se supposer. Notre prudence a souvent dicté des actes improuvés par le cœur, et certes toutes les mères qui se privent de nourrir, n’ont pas mis en question la raison de plaisir de bal ou de parure. Une défiance de soi-même, des devoirs sociaux, des conseils de médecin, auxquels s’allie la crainte de se charger à ses risques et périls d’une existence bien chère. La peur qu’on a de ses émotions, de ses nerfs, de son impressionnabilité fixent souvent la détermination des mères. Elles souffrent à se séparer de leurs enfans, mais elles comptent sur l’air pur de la campagne, sur l’impassibilité de la nourrice, sur sa vie uniforme et réglée pour sauver à un être chéri le retentissement des douleurs de sa mère. En effet c’est une grave question que celle de savoir si la femme, qu’une grande impressionnabilité domine doit nourrir son enfant ? Nous pensons qu’il en est qui doivent s’abstenir, mais c’est là une trop infinie minorité pour que nous y arrêtions notre pensée. Dans l’ordre naturel l’enfant doit être nourri par sa mère ; les animaux les plus féroces élèvent d’abord leurs petits, pourquoi la femme, être intelligent et bon, négligerait-elle les siens ?

Louise Amon.

(La suite à un autre numéro.)


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