Le Conseiller des femmes/02/06

LES CONTEMPORAINES.

Mme NECKER DE SAUSSURE.

Les grands ouvrages comme les grandes actions donnent seuls l’immortalité.
de Ségur. Pensées et Maximes.

Parmi les contemporaines qui ont enrichi notre siècle d’œuvres vraiment utiles, une surtout, Mme Necker, justifie l’épigraphe que nous avons choisie, et qui convient à ses écrits si purs de sentimens, si riches de pensées. Occupée incessamment du bonheur de l’humanité, c’est à développer les principes nouveaux d’une éducation progressive, qu’elle a consacré la plus grande partie de sa vie.

Religieuse sans fanatisme, elle fait avec justesse la part de chaque condition sociale, pèse avec équité nos biens et nos maux ; apprécie leur cause, leur valeur morale, leur état constant. Des premières, entre toutes les femmes avancées, elle a peint avec vérité le passé, jugé le présent, compris tout l’avenir. Celles de nos lectrices qui n’auraient pas lu son traité sur l’éducation progressive, pourront juger de la valeur de l’ouvrage, et du mérite de son auteur, par le paragraphe suivant que nous en extrayons.

« On élève les enfans pour un temps dont on juge mal, parce qu’on ne l’aperçoit qu’à travers la teinte du moment. Les questions maintenant débattues nous préoccupent, et peut-être ne seront-elles résolues que quand d’autres questions, auxquelles nous ne songeons pas, auront été soulevées. Ce qui rend si souvent nos prédictions fausses, c’est que nous ne savons jamais voir dans l’avenir que le progrès des idées actuelles, ou le renversement de ces idées. Nous ressuscitons le passé ou nous amplifions le présent, tandis qu’il y aura vraisemblablement tout autre chose. L’humanité ne s’est pas encore montrée sous toutes ses faces ; l’avenir a, en réserve, des merveilles inconnues à révéler, et il se prépare en bien et en mal des changemens de scène dont on ne se doute pas. »

De telles pensées n’ont pas besoin d’être appuyées pour être mises en relief. Elles dessinent admirablement leur auteur et son siècle.

Mais laissons lui dire, surtout, sa pensée religieuse : « Tout est symbole dans l’univers, tout y montre le Dieu qui a donné l’être à toutes choses. La terre, elle-même, telle qu’un de ces vieux vases égyptiens tout couverts de figures, d’astres, d’animaux, de plantes, la terre révélerait le secret des choses célestes à celui qui saurait en déchiffrer les hiéroglyphes mystérieux. »

N’est-ce pas ici le plus haut sentiment de Dieu, la plus exacte définition de sa toute puissance ? Ailleurs, et en ce qui touche au progrès, Mme Necker ajoute :

« Les succès rapides, inattendus, prodigieux, ont toujours été réservés à ceux qui se sont élancés dans une direction nouvelle, dont le genre humain avait besoin sans le savoir. »

Maintenant, nous le demandons, Mme Necker ne doit-elle pas servir de guide aux femmes qui se proposent de pousser leur sexe au progrès ? Pour nous, c’est avec bonheur que nous ajoutons un fleuron à sa couronne d’immortalité, comme un hommage rendu à l’un de nos meilleurs modèles !

Ce n’est pas seulement comme auteur que nous voudrions faire connaître Mme Necker à nos lectrices, nous aimerions à les initier dans les secrets de sa vie intime, toute de dévouement et d’abandon ; mais nous ne devons pas faire tourner à notre profit, un récit que la modestie d’une femme veut peut-être laisser ignoré. Ce que nous pouvons ajouter c’est que son ouvrage est le miroir où se réfléchit son ame pure et religieuse ; que celles donc à qui nous aurions pû donner le désir de la connaître, la lisent pour apprendre à l’aimer !

Madame Necker était la cousine et l’amie de Mme de Staël, quelle alliance, quels rapports, quelle amitié !… Progrès d’un siècle tout entier, que ces deux noms soient pour nous une inspiration !… Que les femmes de Suisse et de France soient unies comme le furent mesdames Necker et de Staël ! Que Genève, souffle sur nous le vent de sa science. Que de son étroite cité, où tant de pensées s’élaborent, des voix de femmes se fassent entendre qui répondent à nos voix, et que toutes formant une sainte alliance, nous demandions à l’humanité la place que Dieu nous a marquée.

Eugénie Niboyet.