Le Collectivisme, Tome I/Chapitre IV

Imprimerie Louis Roman (Tome Ip. 17-20).

IV

Quels sont les avantages de la concentration, tant capitaliste que coopérative ou publique, des industries humaines ?

La concentration capitaliste a pour premier effet de supprimer la concurrence et d’éviter ainsi un gaspillage effrayant et désastreux de ressources et d’efforts, gaspillage dont il est difficile de se faire une idée exacte. Un seul exemple : les cinq manufactures de tabacs qui se coalisèrent en 1894 en Amérique, dépensaient par an avant leur entente, rien que pour s’enlever mutuellement leur clientèle, une somme de trois millions de dollars, de quinze millions de francs !

Que dépensent nos marchands de savon et nos fabricants de cacao, dont les affiches et les annonces envahissent nos murs et nos gazettes ?

Possibilité donc de restreindre les frais généraux et de maintenir de formidables bénéfices sans augmenter le prix des produits.

La concentration permet à tous les coalisés de profiter des perfectionnements du machinisme, alors que précédemment chacun d’eux cherchait à s’assurer le monopole d’une invention nouvelle, pour mieux vaincre ses compétiteurs.

Enfin les achats des matières premières peuvent s’organiser d’une manière beaucoup moins onéreuse et les livraisons des marchandises ouvrées se répartir entre les usines, de manière à permettre une réduction énorme des frais de transport et de manutention.

La concentration coopérative, par la suppression des intermédiaires et des revendeurs, par la limitation des bénéfices à un taux infime, par l’achat en gros fait directement au producteur, par la facilité de soumettre les produits achetés à l’examen d’experts compétents, assure aux coopérateurs les avantages d’un bon marché exceptionnel, joints à la certitude d’obtenir des objets d’une qualité supérieure.

Par l’obligation pour les participants de payer comptant, elle supprime encore la lourde charge que la vente à crédit a fait poser jusqu’à ce jour sur presque tous les budgets ouvriers.

Quant à la concentration publique, elle permet aux gouvernements de dégrever les contribuables ou tout au moins met obstacle à l’établissement d’impôts nouveaux. Il est certain que si les chemins de fer belges n’étaient pas exploités au profit de la collectivité, le gouvernement devrait réclamer aux citoyens, sous la forme de contributions directes ou indirectes, les dix millions de profits que cette exploitation lui fait encaisser bon an mal an.

Il est de la dernière évidence que si la collectivité possédait d’autres exploitations lucratives, comme celle des charbonnages, par exemple, ou de la rectification des alcools, il lui serait loisible de diminuer ou de supprimer certains impôts, particulièrement lourds et incommodes à percevoir, comme les accises et les douanes. Sans compter qu’une large part des bénéfices serait consacrée à améliorer le sort du personnel, à lui fournir un salaire normal convenable, à lui garantir une assurance contre tous les risques de la vie.

Il est bon de faire remarquer ici la différence essentielle qui existe entre la concentration capitaliste, la concentration coopérative et la concentration publique, au point de vue de la rémunération des travailleurs.

Autant la concentration publique ou collective permet une augmentation des salaires, autant la concentration capitaliste ou privée en provoque l’affaissement.

En effet, par les simplifications et les améliorations qu’une concentration amène toujours avec elle, les patrons sont conduits à licencier une partie de leur personnel et l’automatisme de plus en plus grand des appareils permet précisément, le plus souvent, de licencier les travailleurs dont les salaires sont les plus élevés. Il en résulte que la masse ouvrière dispose de ressources de plus en plus restreintes et que le nombre, chaque année croissant, des ouvriers sans travail déprime encore les salaires.

Il se produit, au surplus, un autre phénomène : c’est que la concentration capitaliste permet aux producteurs de majorer quelque peu le prix de leurs produits, puisqu’ils n’ont plus de concurrents à redouter, et de diminuer ainsi la force d’achat des salaires, ce qui assure par surcroît une rentrée plus rapide dans leurs caisses des sommes qui en étaient sorties.

Quant à la concentration coopérative, elle augmente, au rebours de la concentration capitaliste, la force d’achat des salaires. Il est vrai que les gérants et les administrateurs des entreprises privées profitent souvent de cette circonstance pour offrir à leurs ouvriers un salaire réduit, les travailleurs, en effet, pouvant avec un tel salaire satisfaire leurs besoins comme ils les satisfaisaient auparavant avec un salaire supérieur.

Seulement les miséreux, qui ont pu se nourrir mieux pendant quelques jours, qui ont accumulé du superflu et entrevu la possibilité de vivre une vie plus aisée, ne renoncent plus à cet espoir et à ce désir. L’obligation où ils se sont trouvés de se grouper, de se réunir, de délibérer, la conscience qu’ils ont acquise de leurs facultés administratives, la certitude dont ils sont imbus désormais qu’ils sont aussi capables que leurs patrons de gérer de vastes entreprises avec ordre, avec économie, avec discipline, les a transformés, les a convaincus, les a enthousiasmés.

Ils ont compris que la concentration publique, sous la forme d’une concentration coopérative, assurera à la collectivité des travailleurs tous les avantages et tous les bénéfices de la concentration capitaliste.

Tout le collectivisme est en germe dans cette simple idée.