Le Clavecin de Diderot/La Vierge et le serpent

Éditions surréalistes (p. 96-102).

LA VIERGE ET LE SERPENT

Or, cette Marie, qui ne s’occupait du principe mâle que pour l’ensevelir, le ranger dans un sépulcre, c’est sous sa protection que les hommes enjuponnés avaient prétendu mettre notre enfance.

Elle avait la meilleure place dans la chapelle, où, sous forme de statue de marbre, elle se tenait droite, plus grande que grandeur nature. Sourires, longs voiles et couronnes, rien n’avait été négligé de ce qui pouvait, aux yeux de l’enfance, la parer d’une douceur que nos curés disaient ineffable.

Mais cette marmoréenne personne avait des pieds, des pieds de flic, des pieds dont la pesée écrasait le serpent, un pauvre serpent qui, dans une ultime convulsion, relevait la tête et dardait, sous forme de langue, une flamme désespérée qui ne saurait être comparée qu’à ce jet de sperme, dont s’accompagne, dit-on, la mort du pendu.

Les années que je dus, pour des prières masochistes, m’agenouiller devant cette parabole pétrifiée, sans doute, n’en pouvais-je saisir, dans son abominable exactitude, tout le sens, mais, puisque diable il y avait (et, bien que je ne comprisse encore ce que, par diable, il s’agissait d’entendre) j’étais pour le diable, ce pauvre diable d’écrasé contre l’écraseuse.

Elle, Notre-Dame du coup de pied dans le bas-ventre, par ce joli geste, elle prétendait venger Adam et Ève, le premier couple, le Couple. Les venger de quoi ? Du serpent jailli de l’homme, du désir qui avait, d’abord, serpenté à l’ombre de l’arbre de la science, puis, soudain, s’était dressé pour se confondre avec le tronc vertical, dont, les racines doublaient, protégeaient, caressaient, enchantaient les veines extasiées du mâle, les artères délirantes de la femelle.

Or, justement, parce que rien, en comparaison de cette minute, ne vaut, ne peut valoir, tout de suite, s’était terni l’or des âges d’or.

La volupté jette des créatures hors du quotidien.

Qu’elles se trouvent remises au beau (ou plutôt vilain) milieu de leur monde, ce sera pour ne plus saisir que les défauts de ce qu’elles avaient, dans l’extase de la vie toute neuve, appelé leur paradis terrestre.

Une compensation est inventée : Dieu qui arrive avec tout un attirail d’interdits.

On veut qu’il soit lumière, parce que la nuit a succédé au jour.

Mais, l’éblouissant, dont, l’homme veut doubler ses ténèbres, cette clarté absolue qu’il invente derrière les heures obscures, cet invisible, par quoi, il entend purifier, remplacer l’univers, dès que le crépuscule se met à en effacer le dessin, les couleurs, toutes ces chimères compensatoires, ces bêtes à bon Dieu qui ne sont pas, hélas, des coccinelles, se vengeront sur les jours et sur les nuits, qu’elles déchireront de leurs griffes, étoufferont de leurs monstrueux membres gothiques, meurtrières à l’intelligence et au cœur de l’homme qui les laisse rôder autour de son âge moyen, tout comme, à son moyen âge, elles assassinèrent, à jamais, le bonheur, les élans du monde chrétien.

L’histoire du paradis perdu…

Ainsi, s’exprime la nostalgie de ce possible que la peur a, peu à peu, métamorphosé en impossible.

Chacun relègue, dans le passé, la préhistoire, l’extase dont il ne peut se consoler de l’avoir manquée, ce prodigieux instant qu’il a vécu, mais sans avoir su le prolonger, se le rappeler pour en illuminer sa vie crasseuse, en faire son temps, le Temps.

Alors, le dépit d’inspirer aux idéalistes ce réalisme terre à terre, contrepoids aux extravagances des édens passés, des paradis futurs. Par peur d’être déçus, ils se refusent à tout espoir de connaissance, se rient de la poésie, de ses recherches et découvertes, dont certaines, déjà, ont permis à l’œil aigu de Dali de prévoir le jour où la culture de l’esprit s’identifiera à la culture du désir.

Avant qu’il en soit ainsi, sans doute, faudra-t-il, du sceptique léger au religieux obtus, imposer silence à tous ces agnosticismes, qui, d’une souriante soumission au fait ou d’un rauque impitoyable renoncement, espèrent payer, fléchir les puissances, dont, ils se croient menacés.

Ils veulent charmer ce à quoi ils n’ont pas le courage de s’attaquer.

Du fruit défendu (la pomme), au fruit béni (le fruit des entrailles de Marie), il n’y a que le sacrifice, dont le christianisme a entendu faire sa plus haute idée.

Or, on ne sacrifie pas dans le vide. S’il y a sacrifice, toujours c’est d’une chose à une autre, d’une moins bonne à une meilleure, d’un monde temporel à un monde éternel.

« Les païens, écrit Feuerbach, offraient à leurs dieux des sacrifices humains, sanglants. Mais combien de sacrifices humains, la foi catholique, la foi protestante n’ont-elles pas offerts au Dieu des chrétiens ? »

Et ici, Feuerbach devançant Freud, ajoute : « Mais quel sacrifice est plus grand pour l’homme naturel que le sacrifice du penchant du sexe ? »

Le sacrifice le plus grand témoigne de la volonté d’atteindre, coûte que coûte, au plus grand bonheur, à la plus grande paix.

Tous ne vont certes pas jusqu’à cet extrémisme émasculateur, où en arrivent, de gaieté de cœur, certaines sectes fanatiques.

L’homme réfléchit, calcule, transige, décide de couper la poire en deux, de garder, pour soi, la plus belle moitié. Donc, au lieu d’abandonner le tout sexuel, il en prélèvera une dîme prépuciale. D’où la circoncision, à propos de quoi, le Dr Allendy me signalait le danger, pour qui l’avait subie, de se trouver, par la suite, en proie au complexe de castration.

Il serait légitime, au nom de la loi d’universelle réciprocité, de retourner cette explication causale. Il se pourrait que la circoncision ne fût qu’un effet du complexe de castration et, peut-être même, à son endroit, une thérapeutique[1].

L’individu a offert à la divinité un petit morceau, pour pouvoir, impunément, disposer de l’ensemble. Il a triché sur le poids, essayé de rouler Dieu. C’est, d’ailleurs, le propre de l’homme religieux que de vouloir rouler l’omnipotent dont l’omnipotence, à ses dépens s’exerce. Piètre revanche des bigots, lorsqu’ils ont dû finir par constater, comme ce héros d’André Gide, (le père Lapérouse dans Les Faux-Monnayeurs) : Dieu m’a roulé.

Il est, d’autre part, on ne peut plus clair, que le diable symbolise l’érection, l’érection, le diable. Pour n’en point douter, il me suffit de me rappeler ce diable-qui-sort-d’une-boîte, jouet à la mode au temps de mon enfance. Un personnage velu, cylindrique et à ressorts, d’une poussée, soulevait son couvercle. L’andrinople dont il était vêtu, quand, d’un soubresaut, il l’avait tendue, lui valait de ressembler à un membre de cheval hors de sa gaine.

L’expression répugnante du visage, et, çà et là, des poils poisseux de sécotine faisaient de sa personne un objet de dégoût, réplique, avant la lettre, mais dans le genre abominable, à ces objets de désir qu’on devait, plus tard, servir vidés de toute moelle humaine à ma fringale lycéenne.

  1. Ainsi, au fait d’avoir eu quelques côtes coupées et aux douleurs qui suivirent cette opération, dois-je d’avoir été à jamais débarrassé d’un cauchemar qui lancina si grand nombre de mes nuits. J’étais entre des planches. On appuyait sur ces planches. Tout mon thorax craquait, or, une fois le thorax partiellement mais pour de vrai craqué, c’est-à-dire la partie sacrifiée au tout, je perdis, quant au tout, mon obsession.