Éditions surréalistes (p. 87-96).

JÉSUS (FAMILLE ET COMPLEXES,
FAMILLE DE COMPLEXES.
COMPLEXE DE FAMILLE

Fixé au père et incurablement, à jamais, puisque fils du père éternel, Jésus le femmelin masochiste, qui, après s’être laissé gifler sur une joue tend l’autre, n’était pas de ceux que satisfait un simple petit retour dans le sein maternel.

Il lui fallait remonter jusqu’au plus intime de l’appareil génital du géniteur, en devenir un morceau, mettons le testicule droit, puisque la trinité peut, doit s’interpréter comme l’ensemble tripartite, quant à l’apparence, d’un sexe mâle, une banane et deux mandarines, dirons-nous, le style oriental ne voulant de comparaisons que fruitières.

La Judée de Jésus, la conquête romaine, l’avait, il est vrai, quelque peu désorientalisée. D’où, justement, l’allure juridique du conseil : Rendez à César… Rendez à Dieu… manteau de Noé, mi-or (César), mi-azur (Dieu) qui couvre le désir secret du Christ.

Dieu (on ne saurait trop répéter la définition de Lénine) Dieu, complexe d’idées né de l’assujettissement de l’homme à la nature, Dieu ruche à complexes, ses alvéoles ont beau être enduits de promesses mielleuses, qui s’y laisse prendre, se cogne, se déchire à autant de parois que la Nature , sa nature lui en oppose.

Tous les mâles de cette ruche, sans doute, ne songent point à devenir époux de la reine, mais, depuis la plus haute antiquité, jusqu’à cette très chrétienne année 1932, les idolâtres de Vénus ou de la Vierge Marie , s’ils ne se livrent à propos de pomme ou d’Immaculée Conception à quelque petite guerre[1] entendent, au moins, trouver en eux des champs de bataille moraux. Celui qui n’a point assez de violence pour l’exercer à ses dépens, priera quelque principe céleste et vengeur, de lui accorder la grâce d’une petite torture.

Des dynasties mythologiques à la sainte famille, parricide, yeux crevés, trahisons, péchés, remords, châtiments et martyre des victimes expiatoires, toute cette marmelade glaireuse et sanglante s’est prêtée à mille variations. Le thème central, unique n’a jamais cessé d’être meurtres et mutilations.

Tandis qu’Œdipe, dans le sang de son père, trouve la pourpre de son temps royal, et, dans les bras de sa mère, s’initie à la volupté, Jésus, lui, au contraire, de sa chasteté, de ses supplices, glorifie son père[2].

Or, en véritié, ce dont il meurt, c’est d’amour pour son père.

Lui, petit lambeau de sentimentalités diaphanes, il s’estime assez peu pour accepter de souffrir, en l’honneur du mâle, son principe congestionné d’omnipotence. Manière de voir qui, du reste, coïncidant avec celle du jus Romanum, donc, devait singulièrement aider au triomphe du christianisme, dans une cité, où les pères avaient droit de vie et de mort sur leurs fils.

Épris de ce que le père incarne de brutal, le fils fait tout son possible, pour en arriver, par les méandres évangéliques, à subir les brutalités des exécuteurs de la volonté impériale, cette volonté impériale ayant été, au préalable, reconnue pour la traduction terrestre de la volonté divine.

Avant l’apothéose masochiste, il y a eu, certes, quelques divertissements, ce que les Français nomment bagatelles de la porte : flirt baptismal avec saint Jean-Baptiste, petite toilette intime et parfumée des mains des Saintes femmes, et surtout, la Cène avec le pain (et le pain long, on sait ce qu’il peut représenter et on sait aussi que, jamais, les peintres qui firent de ce repas, tant de tableaux célèbres, n’ont posé, sur la table, des petits pains fendus, symboliques, eux, du sexe féminin).

La psychanalyse ne perd point son temps à lire, étudier le menu divin. Jésus-Christ, avec sa Pâque et ses apôtres, me rappelle un vieux couple de pédérastes qui se léchaient, pourléchaient les babines, à la pensée de manger des croque-monsieur, et, dans un genre hétérosexuel, ce curieux plat intitulé caprice de Madame à l’indienne, composé de rognons de lapins (on n’échappera point à certaine association) posés sur un plat de riz, le riz fournissant lui-même l’image d’un tapis de dents.

Qui ne se laisse prendre à la glu des mythes et symboles ?

Pour moi, la nuit qui suivit le dîner où m’avaient été servis les caprices de Madame à l’indienne, je luttai, afin d’éviter les pièges d’un complexe de castration, dont, mon sommeil, soudain, s’était rappelé, que, jadis, un psychanalyste m’avait dit que j’étais sinon affecté, du moins menacé.

Ainsi, en arrivai-je à vouloir me venger sainement de ces couilles, mes couilles couchées sur un lit d’incisives et de canines : une femme échevelée courait de par les rues, à la main, un objet qui était à la fois un sexe d’homme en état d’érection et un revolver. Cette femme, la dame des caprices à l’indienne, relevait ses jupes, introduisait l’arme dans la forêt pubique, l’y enfonçait, appuyait sur la gâchette. Un coup sourd et secret. Elle tombait morte, et moi qui n’allais pouvoir jamais me consoler de ce qu’un objet à faire la vie, en elle, eût fait la mort, et quoique rien ne pût racheter l’abominable méprise, je voulais quand même, victime des préjugés familiaux, qu’elle eût au moins un très bel enterrement. Mais un enterrement pas trop triste. Aussi, fut-ce une grande joie que de voir venir à ma rencontre, une chanteuse qui, spécialisée dans le Satie, allait savoir animer de sa verve la musique funèbre.

— Et beaucoup mieux que tu ne peux imaginer, mon petit, s’écria-t-elle, devinant ma pensée.

Alors, pour me prouver qu’elle était bien du temps des valses et des Rose-Croix, de relever ses jupes et me montrer des poils taillés en moustaches et barbiche, à la mode des ténors de la fin du XlXe.

De ses doigts potelés, elle épila ce bouc jusqu’à ce qu’il n’en restât plus qu’une impériale. Par cette taille de style Napoléon III, elle entendait me signifier que Gounod allait redevenir de mode.

Et de fait, elle se mit à chanter, à tue-con, un Ave Maria, qui me valut de revivre certain matin de mon enfance, dans une chapelle, où, pour en revenir à Jésus, se trouvait un chemin de croix, au sujet duquel, il est grand temps, aujourd’hui, de m’expliquer.

Des centurions très beaux gosses, les mollets serrés dans des guêtres d’or, en paraissaient d’autant plus et mieux nus, à l’instant que le genou saillait. Sous la peau brune, dès la rotule, montaient des muscles de fantassins, ombragés, juste, au sommet des cuisses, par des petits jupons de couleurs tendres, eux-mêmes, échappés de cuirasses dont le métal moulait pectoraux torses et hanches, mais s’échancrait, avec on ne peut plus de complaisance, pour dégager les épaules, le cou.

Vêtu d’une très élégante robe blanche, courbé sous la croix, au départ, Jésus offrait l’échine. De la minute où Ponce Pilate s’en était lavé les mains, le symbolisme sexuel avait été précisant. Jésus tombait, se relevait, c’est-à-dire avait joui, se retrouvait prêt à jouir, avait rejoui sous le fouet des athlètes aux costumes suggestifs.

Or, de même que la jeune épouse crie « maman » dans son effroi de la volupté, lui ne cessait d’appeler son père.

Au jardin des Oliviers, sa solitude en rut avait eu soif de boire le calice jusqu’à la lie, entendez, sucer jusqu’à l’ultime goutte de leur sperme, tous ces membres virils que, dans la claire lumière de son dernier dimanche, il avait imaginés tendres rameaux, mais que l’orage du Golgotha devait métamorphoser en rugueuses, inexorables verges.

Pour le fils de Marie, de cette pauvre fille qui s’était crue vierge, toujours vierge, enceinte du Saint-Esprit parce que son imbécile de mari n’avait su la faire jouir, pour celui dont la vie prénatale, elle-même, s’était trouvée castrée, quelle revanche, lorsque le sexe de l’homme, de son semblable, de son père, d’instrument de fustigation, devint instrument de supplice plus précis, devint la croix, cette croix dont l’érection, au sommet d’une colline, déjà, faisait prévoir la nostalgie phallique, qui, de ses clochers, allait durant des millénaires, encombrer ce monde, qu’un abominable malentendu avait osé prétendre désexuer.

La croix-squelette de pénis-vampire.

Et ces clous qui pénètrent pieds et mains.

Et ces épines dont les pointes ont déjà traversé le crâne, hymen osseux qui ne peut, ne veut plus défendre le cerveau dont la molle masse, d’ailleurs, entend être possédée.

Mais alors, il y eut l’éponge de vinaigre, c’est-à-dire le mépris du plus beau des soudards, pour cette guenille qui voulait être sa guenille. Ce légionnaire qui, parmi les putains entassées au pied de la croix, ne pouvait manquer de reconnaître la croupe experte de Marie-Magdeleine, ainsi ne fera point à Jésus, l’hommage de la moindre petite sécrétion prostatique. Il se contente de lui pisser dans la bouche.

Alors, s’achève la triouse. Entre les deux larrons, les deux marrons[3], le Christ n’est plus que l’ombre d’un misérable bigoudi.

Marie et ses compagnons, de soigner, dorloter, la pauvre chose.

À feindre cette tendresse posthume, la femme se venge de ce par quoi, l’homme en vie, en vit, l’asservit, prétendit l’asservir, au moins la cloua sur sa paillasse.

Ce bâton de maréchal, dont la grande Catherine disait que chacun de ses soldats le portait dans sa braguette, les créatures frigides ou peureuses attendent qu’il ne soit plus qu’une petite loque morte, pour lui accorder une pitié chrétienne, qui, à la fois, se targuera de son renoncement et de sa fidélité.

À ces pouilleuses, nous opposerons Ophélie qui, avant d’aller se noyer, choisit pour s’en couronner, ces longues fleurs pourpres que, selon Shakespeare, « les jeunes filles réservées appellent doigts d’homme mort, tandis que les bergers licencieux leur donnent un autre nom ».

  1. La religion, toutes les religions (sans excepter celle du droit, telle que l’impérialisme capitaliste en a élaboré la doctrine) beaux prétextes à tueries. Le choix du berger Pâris suscita contre Troie les colères de Minerve et Junon, déesses pourtant de tout repos. La Saint-Barthélémy , réaction type du catholicisme impitoyable à toute réforme, n’a certes pas à être commentée. De la découverte de l’Amérique à nos jours, la politique coloniale, à travers sa longue théorie de massacres, a toujours argué de fins confessionnelles. Mais, comme les indigènes n’avaient nulle raison de se laisser domestiquer, asservir au nom de la croix, la croix devint l’arme contondante, la massue dont les assommer.
  2. Cette réciproque passive du complexe d’Œdipe, depuis que Dali a ressuscité Guillaume Tell, tout comme Freud ressuscita Îdipe, pourrait s’appeler complexe de Guillaume Tell. Le sylvestre personnage conserve tout son sang-froid, pour jouer avec une pomme sur la tête (autant dire avec la tête) de son fils. Et ce fils se prête à ce petit jeu, d’aussi bonne grâce qu’Isaac suivit son père Abraham au bûcher et Jésus consentit à la crucifixion. Par ailleurs, en épilogue au complexe d’Œdipe, Antigone ne se sacrifie-t-elle point à son père aveugle. Elle n’a plus d’yeux que pour cet aveugle.
  3. Les juteuses oranges divines se sont racornies, desséchées jusqu’à n’être plus que de pauvres châtaignes.