Le Clavecin de Diderot/Dieu et ses murs

Éditions surréalistes (p. 64-69).

DIEU ET SES MURS

Pas une école, mais un mouvement, ni musée, ni anthologie, mais, au contraire, dès sa première phrase, courant d’air qui balaie les musées, éparpille les anthologies, le surréalisme qui entendait ne sacrifier ni le rêve à l’action, ni l’action au rêve, a, d’essence dialectique, travaillé à leur synthèse.

Bouquet de forces et d’idées, les plus et les mieux subversives, s’il a commencé par crever les trop faciles écrans des neutralités poétiques et intellectuelles, il ne va pas s’arrêter en chemin. Il s’attaque aux murs, à tous les murs, et qu’on m’entende, les au propre et au figuré, murs de pierres idéales, d’idées pétrifiées, obstacles à la marche de l’homme, contraintes à son corps, outrages à son regard, défis à sa pensée.

Les murs, mais ceux des casernes, des prisons, des Églises n’osent-ils point porter, en toutes lettres, les trois admirables mots que tant d’injustices faites monuments, semblent avoir voulu rendre à jamais dérisoires : Liberté, Égalité, Fraternité.

Il est donc de bonne tradition que le ciel, ce couvercle souillé par tant d’infâmes symboles divins, prête ses étoiles à M. Citroën pour qu’il les accroche à la tour Eiffel, ainsi métamorphosée en suppositoire à publicité. Joli spectacle pour distraire les nuits des sans-abri. Le pain et les jeux, on connaît le programme du grossier et sinistre empire romain au temps de sa décadence. Des croûtons et Dieu (cf. le reportage de S. Georges dans L’Humanité, déc. 1931) voilà ce que de nos jours une dérisoire charité d’inspiration religieuse, offre aux chômeurs. Chaque miette se paie d’un cantique, et cela, au nom de Dieu, « ce complexe d’idées nées de l’assujettissement de l’homme à la nature affermissant cette oppression, assoupissant la lutte de classes » (Lénine).

Et ici, sans nous perdre dans des subtilités, constatons que le monde n’est devenu une telle cochonnerie que parce qu’il a été si bien, si totalement, empli de Dieu. Mais laissons la parole à André Breton :

« Parler de Dieu, penser à Dieu, c’est à tous égards, donner sa mesure. Et quand je dis cela, il est bien certain que cette idée, je ne la fais pas mienne, même pour la combattre. J’ai toujours parié contre Dieu et le peu que j’ai gagné au monde n’est, pour moi, que le résultat de ce pari, si dérisoire qu’en ait été l’enjeu (ma vie). J’ai conscience d’avoir pleinement gagné. Tout ce qu’il y a de chancelant, de louche, d’infâme, de souillant, de grotesque passe, pour moi, dans ce seul mot de Dieu. Dieu, chacun a vu un papillon, une grappe de raisin, une de ces écailles de fer-blanc, en forme de rectangle curviligne, comme les chaos des rues mal pavées en font tomber, le soir, de certains camions et qui ressemblent à des hosties retournées, retournées contre elles-mêmes. Il a vu aussi des ovales de Braque et des pages comme celles que j’écris et qui ne sont damnantes, ni pour lui, ni pour moi on peut en être sûr.

« Quelqu’un se proposait dernièrement de décrire Dieu comme un arbre, et moi, une fois de plus, je voyais la chenille, je ne voyais pas l’arbre. Je passais, sans rien apercevoir, entre les racines de l’arbre comme sur une route des environs de Ceylan. Du reste on ne décrit pas l’informe, on décrit un porc et c’est tout. Dieu qu’on ne décrit pas est un porc. »

Or ce porc, on l’a, il ne se pouvait mieux, logé.

Aujourd’hui, ceux qui ne veulent plus de la bête demandent pitié pour l’étable, pour les trésors dont on l’a meublée. Mais, conserver les témoins d’une servitude, c’est encore se complaire au souvenir de cette servitude, donc, fatalement y retomber. Les appels du libéralisme au sentiment du pittoresque, les pétitions en faveur des monuments historiques, les lois pour la conservation desdits monuments – pour la conservation tout court, sans plus, faudrait-il dire – on sait ce qui se cache sous ces précautions oratoires, et, comment, dans la tanière préservée, reviendront rôder « ces êtres en dehors du temps et de l’espace créés par les clergés et nourris par l’imagination des foules ignorantes et opprimées », dont, Engels déclare qu’ils ne sont que « les produits d’une fantaisie maladive, les subterfuges de l’idéalisme philosophique, les mauvais produits d’un mauvais régime social ».

Ce sont d’ailleurs les privilégiés, les maîtres du mauvais régime social qui sollicitent, invoquent le goût de l’antiquaille. Ces messieurs veulent que soit considéré de sang-froid ce qu’un sang, tant soit peu chaud ne saurait se rappeler sans flamber.

Au reste, le désir de l’homme de replonger dans son passé, dans du passé indéfini, ne peut naître que de cette obsession de la mort à quoi ont su le contraindre les Églises, et surtout la catholique, en lui escamotant son devenir (le sien propre et celui de son espèce) pour le sempiternel rappel de son périr.

Homme pitoyable, homme entre les murs, toi dont l’enfance, par peur de la nuit, de l’inconnu, se cachait sous les draps, il y a de tels fouillis, entassements, juxtapositions autour de toi, que tu cognes, t’endoloris dans les mesquines venelles laissées à tes désirs.

Mais, parce que, depuis Pascal, les petits analytiques, dans leurs tortures, toujours invoquent l’esprit de finesse, tu te réjouis des impasses, au fond desquelles, les intelligences courbées en deux, en quatre, en douze, en mille ( mais à quoi bon des chiffres, leurs contorsions sont infinies) se crachotent morceau par morceau. L’asthme de Proust quel symbole !