Le Clavecin de Diderot/De la volupté coloniale au patriotisme de l’inconscient

Éditions surréalistes (p. 77-83).

DE LA VOLUPTÉ COLONIALE
AU PATRIOTISME DE L’INCONSCIENT

La France coloniale, de saint Louis au duc d’Aumale (lequel, soit dit en passant, a donné ses nom et titre de noblesse à une des trente-deux positions particulièrement honorée dans la géométrie bordelière), du duc d’Aumale à Lyautey, toute la France coloniale, la passée, la présente, la future, avec son cortège de missionnaires-massacreurs, se devait n’est-ce pas, Victor Hugo, de chanter les Orientales :

Sarah belle d’indolence,
se balance ........

La maquerelle, très Européenne et fière de l’être, tape dans ses mains : Sarah, Sarah, allons vite au salon.

Une Africaine, belle d’indolence, dans sa collection quel joyau ! et comme ça vous relève l’avachissement décoloré des autres chairs. Et quel objet de désirs. L’objet de désirs, nous y voici revenus, et plutôt deux fois qu’une, puisque la créature, par définition des objets de désirs, grâce à la mise en scène de l’amour vénal et organisé, a trouvé place dans le cadre des désirs.

La négresse, dans les bordels métropolitains où la confine la toute-puissance du blanc, est à sa place, comme sa sœur de bronze, porteuse d’électricité, à l’orée des escaliers à tapis rouge et tringles d’or, expression si parfaite du contentement de soi que ne cessèrent d’éprouver le XlXe et le XXe naissant.

Et qu’elle n’ait pas le mal du pays !

Là-bas, dans le continent originel, avec ses négrillons frères, des administrateurs, des généraux, et qui sait ? peut-être même ce maréchal qui a si bien mérité sa gloire romaine, ont joué, jouent ou joueront à Je t’encule et tu me suces. Pourquoi la colère secouerait-elle une famille qui a si bien réussi ? Que les touristes continuent donc à se réjouir de leur tourisme. Dès la douane, et à plus forte raison, hors de leur continent, de leur continence, ils sentent tomber l’uniforme des contraintes.

Le Français, il est vrai, si telle ou telle raison l’empêche de quitter son pays, a pris assez de goût à l’exotisme pour que les barnums de ses désirs lui servent quelques-unes de ces curiosités d’importation lointaine, qui le dépaysent et lui donnent ainsi à penser qu’il se renouvelle. D’où, succès des bals martiniquais, des airs cubains, des orchestres de Harlem et de tous les tam-tams de l’Exposition coloniale. Les noirs sont aux blancs des moyens, des occasions de se divertir, comme leurs esclaves, aux riches Romains du bas empire. Plus même besoin d’aller en Afrique. La prostitution, à quoi le capitalisme livide contraint les noirs des deux sexes, aux abords des places Pigalle de toutes les grandes villes, offre ce que les oasis, en levant les interdictions des hontes européennes, vers 1900, révélaient à l’Immoraliste, d’André Gide.

Or, une fois, en tête à tête avec la négresse de bordel, si le petit bourgeois, au lieu d’emplir d’un morceau de sa nauséabonde personne, ce sexe, exquis négatif de celui trop fécond de Mme son épouse, se contentait d’y accoler l’oreille, comme il est coutume de procéder avec les coquillages qui portent, en eux, le bruit de la mer, peut-être, malgré son tympan revêche, entendrait-il une rumeur, confuse encore, mais inexorable et annonciatrice, déjà, de l’effondrement de ses forteresses, de la cathédrale au bordel.

Et pourtant, les idées reçues toutes faites préservent de voir et d’entendre ceux-là mêmes qui font profession de passer aux rayons X, les créatures.

Ainsi, dans un des récents numéros de la Revue française de psychanalyse, le bibliographe écrivait-il d’une analyse qu’elle « tend (sic) à prouver que les conflits sont les mêmes dans la race blanche et la race noire. Le cas n’est d’ailleurs pas probant (se hâtait-il d’ajouter) car il est à peine question de conflits inconscients ».

L’auteur de ce petit résumé, ni chair ni poisson, vise, sans nul doute, à l’objectivité scientifique. Il signale un travail de collègues et, parce qu’il demeure dans le vague, l’atténué, il croit avoir donné des preuves suffisantes d’impartialité. Il tomberait de haut, ce très subtil, à s’entendre dire, que son imprécision n’est qu’un bigoudi, ajouté à tous les bigoudis de faux-semblants, une hypocrisie pour empapilloter le classique dégueulis, quant à l’inégalité des races.

Voilà comment la psychanalyse tenue, bon nombre d’années, en suspicion par le corps médical français, dès que les soigneurs de l’âme ne peuvent plus l’ignorer, au lieu de les contraindre à réviser l’idée qu’ils se font de leurs individus, de l’état et du rôle plus ou moins officiel qu’ils entendent y jouer, devient, au contraire, un prétexte nouveau, dans l’ensemble sophistiqué, dont ils s’autorisent, pour se dorloter, eux et leurs préjugés avantageux. Par ce phénomène de détournement, une découverte récente, en l’occurrence celle de Freud, vient au secours de tout ce dont il eût été naturel de penser qu’elle allait le réduire en poudre.

Au contact de certains doigts, les rares occasions de bonds révolutionnaires tournent donc en eau de boudin.

À cette sauce, politiciens et intellectuels assaisonnent les extravagances qu’ils ont mission de faire gober à ceux qu’ils administrent ou instruisent.

On connaît cette cuisine de petits et grands mensonges bien mijotés. Que les experts plus ou moins assermentés s’y entendent, et ils auront l’oreille des juridictions (affaire Almazian) qu’ils s’y refusent, au contraire (affaire Bougrat) et les tribunaux passeront outre.

Un faux témoignage de plus ou de moins, qu’importe.

Tout s’arrangera, finira par des chansons, tant que la bonne vieille gauloiserie tiendra la queue de la poêle.

Et elle connaît l’art d’accommoder les restes.

Est-il question d’instinct sexuel ? vite elle fait l’entendue, la grosse maligne, la femme au courant, et, d’un sourire salace, épice les déchets, carcasses, abattis sucés et resucés de la vieille bique réactionnaire.

Elle sait suivre son temps, aussi, le plat du jour, sera-t-il, d’ici peu, le patriotisme de l’inconscient. Elle en vendra très cher la recette aux hostelleries régionalistes, aux wagons-restaurants Pullman, où tant de niaiseries dromomanes s’entassent.

On pensera au brouet des spartiates, à un brouet relevé de sel attique, vrai régal pour nos jeunesses, quand elles sortiront des écoles, facultés, lycées où les maîtres du libéralisme cauteleux et satisfait, leur auront ouvert l’appétit par un de ces petits coups de culture générale, qui, en une seule gorgée, savent condenser l’art des ruses oratoires.

Mais que le monsieur bien élevé du XXe, digne héritier de l’honnête homme du XVIIe, se lèche, pourlèche les babines, il n’en garde pas moins sa mesure, même aux instants de délectation suprême, car il y a l’harmonie française et sa sœur siamoise, l’éloquence française, et leur cousin, l’humour anglais et encore le charme slave, leur ancien béguin et le mensonge allemand, leur ennemi héréditaire.

Or, que la géographie des qualités bonnes ou mauvaises, présente, dans l’espace, somme toute réduit, d’un petit continent, nombre de différences et contradictions, toutes les haines qui résultent de ce morcellement, dès qu’elles se reconnaissent un intérêt commun, se coalisent, sous prétexte de civilisation à sauver.

Ainsi, le patriotisme de l’inconscient serait-il un patriotisme large, mettons européen, pour plaire à la S. D. N. avec alliance américaine, mais d’Américains à visages pâles, et non de couleur, puisque si certaine analyse « tend à montrer que les conflits sont les mêmes dans la race blanche et la race noire, le cas n’est d’ailleurs pas probant, car il est à peine question de conflits inconscients ».