H.-L. Delloye (1p. 151-154).

XIII.

Poppo.

Viola :
N’es-tu pas le fol de la dame Olivia ?
(La douzième nuit, scène V, acte III.)


De son côté la marquise sonna Finette pour qu’on lui apportât Poppo.

— Il faut, reprit-elle, que les choses se passent dans les règles !

Un grand vilain nègre, à la livrée de la marquise, survint bientôt apportant monseigneur Poppo entre ses bras. Deux clous étaient fichés au plafond de cette chambre ; il y suspendit un hamac de fibres de latanier, dans lequel il coucha voluptueusement Poppo. Cela fait, il donna le branle à cette balançoire, puis il étendit sous elle une natte d’une finesse miraculeuse, zébrée de charmans dessins et travaillée comme le serait le rochet d’un cardinal.

Après l’avoir arrosée d’eau de senteur, il sortit.

Finette déposa M. Maurice, qu’elle portait entre ses bras, sur cette natte, ainsi qu’elle eût fait d’un fils de mandarin dans le royaume de Canton.

L’enfant regarda le jeune mulâtre d’un air d’étonnement profond ; Poppo poussa un cri enroué, guttural, un cri de mauvaise humeur.

— Seriez-vous déjà mécontent de votre valet de chambre, Poppo ? dit la marquise à l’horrible singe ; il est cependant fort convenable…

— Comment donc ! il est charmant ! reprit la baronne… Des dents d’une blancheur de perle, et les cheveux du plus beau noir !… Ah ! il est excellent teint !

— Et il a, Dieu me pardonne ! apporté son violon, murmura à l’oreille de la baronne Mme de Langey.

— M. Platon possède un élève accompli, continua la baronne.

— Je vous le livre, mesdames, pour un garçon qui mérite vos bontés.

— Son âge ?

— Douze ans et demi.

— C’est dommage qu’il se nomme Saint-Georges, j’eusse autant aimé Jupiter, ou Scipion, Narcisse, Acajou !

Saint-Georges n’est point mal, ma chère ; c’est un nom français, un nom de roman. Voyez Saint-Preux, Saint-Phar et tant d’autres saints ! J’aime Saint-Georges.

— Pour mon début dans la colonie, je ne veux pas, baronne, me montrer trop difficile. Tu garderas ton nom, mon page jaune ; je te promets de t’avancer si tu plais à Maurice et si tu amuses Poppo !

— Je réponds de lui, madame la marquise. Vous l’avez vu, c’est un chasseur décidé…

— Oh ! nous vous le laisserons de temps en temps, monsieur Joseph, nous ne prétendons pas éteindre chez lui ce noble instinct… Vous demeurerez son instituteur… À propos, je veux m’entendre avec vous sur l’habit qu’il va porter. Oui, je veux un turban orné de perles avec une veste de damas lilas rayé d’argent… Cela fera fort bien quand j’irai visiter en chaise quelque voisine… Avec mon parasol et mon singe, ce sera miraculeux !

— Madame la marquise sera satisfaite. Du reste, le gaillard n’est ni voleur ni gourmand, deux vices chers à la race des noirs créoles. Moyennant quelques coups de gaule que je lui ai donnés par-ci, par-là, afin de mûrir son éducation, c’est un garçon accompli…

— Allons, Saint-Georges, reprit-il, ouvrez proprement cette orange pour la présenter à Poppo sans qu’il vous morde.

Saint-Georges ouvrit le fruit et le présenta fort élégamment à Poppo, qui ne lui fît pas mauvais accueil.

— À présent, Saint-Georges, une chanson pour amuser M. le marquis Maurice !

Saint-Georges se leva de l’air calme et modeste d’un petit page brun de Velasquez et chanta l’air créole qui suit :

 
Aza ! guetté com z’ami toüé,
Visag’li fondi semblé cire !
Temps la ! toüé ! tant loigné de moüé !
Jourdi la guetté moüé sourire !

La gentillesse et la naïveté de l’air ravirent Mme l’intendante. Elle tira de sa poche de côté sa boîte à la bergamote et jeta sur la natte quelques pastilles au mulâtre.

— Décidément, dit la baronne d’Esparbac, il a toute la douceur de Médor. Est-il tatoué ?

— Pour peu que ce soit agréable à madame la marquise…

— Inutile, monsieur Platon. N’oubliez pas seulement de lui faire confectionner sous peu un harnois à sa taille pour lui faire traîner Poppo dans sa berline.

L’annonce du dîner de la marquise mit seule une fin à cette indécente conversation. Platon salua et laissa son élève enchanté de la compagnie de Poppo et des pastilles de Mme l’intendante.

Cette pauvre denrée humaine se réjouissait de la promesse d’un turban de perles et de l’honneur insigne d’appartenir à Mme la marquise de Langey.