Le Chant du Réveil

Rapsodieschez tous les libraires (p. 98-100).

LE CHANT DU RÉVEIL.

DÉCEMBRE 1830



Avanzad compagneros,
Mas bravos que le Cid !

Marche de Riego.


À nos flancs s’est usé l’éperon homicide,
Qui, sanglant, résonnait sur le talon royal ;
Le coursier populaire a, d’un pied régicide,
Écrasé le bandeau sur le front déloyal ;
Brisant de son poitrail la caduque barrière
Qu’en vain l’épée esclave essaya d’étayer ;
Mais, libre, à peine entré dans la libre carrière,
Que déjà sur ses reins pèse un autre écuyer !

En avant, compagnons ! plus terribles, plus braves
                         Que Bayard et Roland ;
Vous serez libres, rois, et vous êtes esclaves !
                         Compagnons, en avant !…


Nous savons ce que peut notre main si puissante ;
Nous savons qu’en trois jours un roi s’anéantit ;
Mais, ivres des trois jours, nous dormions sous la tente
Quand un sceptre de plomb sur nous s’appesantit.
Oui ! trop tôt nous avons déserté la mêlée,
Rengainé notre fer et suspendu nos coups.
Déjà la liberté, loin de nous exilée,
Pleure en nous évoquant ! Gaulois, éveillons-nous…

En avant, compagnons ! plus terribles, plus braves
                         Que Bayard et Roland ;
Vous serez libres, rois, et vous êtes esclaves !
                         Compagnons, en avant !

Ils ont dans leurs réseaux pris l’Homme Séculaire,
Et couvert son front pur de baisers mensongers ;
S’ombrageant d’un manteau, qu’ils savaient populaire,
Pour s’ouvrir dans nos rangs un chemin sans dangers.
Reprenons notre idole, et frappons ses faux prêtres
Qui couvent leurs desseins sous des masques amis.
Ceux qui sont contre nous, Gaulois, ce sont des traîtres !
Ceux qui ne suivront point, ce sont des ennemis !

En avant, compagnons ! plus terribles, plus braves
                         Que Bayard et Roland ;
Vous serez libres, rois, et vous êtes esclaves !
                         Compagnons, en avant !


A nos sanglants appels se leva la Belgique,
La Belgique à son tour a trouvé de l’écho ;
Car la vieille Pologne, en une nuit magique,
A broyé son cercueil : victoire à Kosciusko !
A deux rois négriers la cargaison échappe :
Belges et Polonais, recevez nos serments !…
Mais notre roi bourgeois frissonne dans sa cape,
Quand l’autocrate en pleurs jette des hurlements.

En avant, compagnons ! plus terribles, plus braves
                         Que Bayard et Roland ;
Vous serez libres, rois, et vous êtes esclaves !
                         Compagnons, en avant !

Toujours briserons-nous notre infâme servage,
Pour nous revendre encore aux bouchers plus offrants ?
Notre cœur est de cire, et notre voix sauvage,
Et le sabre à la main nous gémissons souffrants.
Levons-nous ! et formons un socle granitique
Pour une Liberté que nous fondrons d’airain !
Que jusqu’aux cieux troublés monte la République
Et les cris de bonheur du Peuple Souverain !

En avant, compagnons ! plus terribles, plus braves
                         Que Bayard et Roland ;
Vous serez libres, rois, et vous êtes esclaves !
                         Compagnons, en avant  !!!