Plon (3p. 100-101).


VIII


Au temps où l’évêque Josephé vint au pays de Camaaloth, on n’y voyait que des païens. Mais, par la volonté de Notre Seigneur, les habitants se convertirent si rapidement que leur roi Agreste crut prudent de feindre qu’il se soumettait lui-même à la loi de Jésus-Christ, et reçut le baptême au grand détriment de son âme. Pourtant, à peine Josephé fut-il parti, il réunit tous ceux de ses barons qui n’étaient que des faux chrétiens comme lui, et ils firent périr les autres et tournèrent le menu peuple à sa première foi.

Or Josephé avait laissé dans le royaume douze de ses parents les plus sages, afin de défendre chaque jour la fragilité des nouveaux fidèles contre l’Ennemi. Le roi Agreste fit prendre les douze compagnons et, quand ils eurent refusé de renier Dieu, il commanda de les traîner par la ville à la queue des chevaux, puis de les mener devant une croix que Josephé avait élevée : l’un après l’autre, ils y furent attachés et ils eurent la tête écrasée à coups de maillets, de manière que, du sang et de la cervelle qui jaillit, la croix devint toute vermeille.

Ensuite, le roi ordonna de brûler une autre croix de bois qui se dressait à l’entrée d’un cimetière. Mais, à peine eut-il dit cela, il parut hors de lui-même et se mit à se dévorer les mains. Ayant rencontré l’un de ses enfants, il l’étrangla de ses poings à demi rongés. Enfin il courut comme un forcené par la maîtresse rue de la cité et se jeta dans un grand four qu’il vit ouvert, où il brûla tout entier.

Ceux du pays furent épouvantés de cette aventure, et tellement qu’ils rappelèrent Josephé. Il fit enterrer les corps des douze martyrs et laver la croix, qui était devenue toute noire, car le sang rouge s’obscurcit à la longue. Mais Notre Sire voulut que ce bois ne changeât plus de couleur. Et c’est en souvenir de ce miracle qu’on nomma cette croix la Croix Noire.