Plon (3p. 160-161).


XXV


Pour qu’il fût plus aise, Morgane avait fait planter sous ses fenêtres un beau verger. Lorsque Pâques furent passées pour la seconde fois, les arbres se couvrirent de feuilles et se chargèrent de fleurs, et à voir la rose qui chaque jour fleurissait, fraîche et nouvelle, Lancelot sentait son cœur se réjouir, car il pensait au visage de sa dame, qu’elle avait si clair et vermeil qu’il ne savait lequel l’était davantage, de la rose ou de lui.

Un dimanche qu’il s’était levé au chant des oisillons, il s’assit au bord de sa fenêtre grillée et demeura là jusqu’à ce que le soleil fût répandu sur le jardin. Au rosier s’épanouissait une fleur cent fois plus belle que les autres, et il lui ressouvint plus que jamais de la reine qui, de même, l’était cent fois plus que toutes les femmes.

— Puisque je ne puis avoir ma dame, s’écria-t-il, au moins me faut-il cette rose !

Ce disant, il allongeait le bras, mais sans pouvoir atteindre la fleur. À la fin, courroucé, il secoua les barreaux avec tant de rage, qu’il les arracha et les jeta au milieu de sa chambre, non sans se blesser les mains, certes, et si profondément que son sang coulait jusqu’à terre ; mais peu lui souciait. Il saute dans le verger, cueille la rose vermeille, la baise pour l’amour de sa dame, en touche ses yeux et sa bouche, la place dans son sein, sur sa propre chair ; puis, voyant une porte ouverte, il entre dans le logis, revêt des armes qu’il trouve dans un coffre et, ne craignant plus rien, il gagne l’écurie, selle et bride le meilleur destrier, et l’enfourche sans être vu, car il était encore si matin que nul n’était levé, hormis le portier qui gardait l’entrée. Et certes celui-ci s’étonna bien quand il vit venir un chevalier qu’il ne connaissait point. Mais, par crainte d’être occis, il ouvrit, et Lancelot s’éloigna, non sans avoir hésité à retourner au logis pour tuer Morgane la déloyale ; mais il se résolut à la laisser pour l’amour du roi Artus dont elle était la sœur, et aussi parce qu’elle était femme.