Michel Levy Frères (p. 45-80).
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ACTE DEUXIÈME

Le même décor brillamment éclairé. Au fond une estrade avec une table pour le notaire. Deux banquettes et des siéges sur les côtés.



Scène PREMIÈRE

MASSEPAIN, rangeant des papiers sur l’estrade.

Cette femme qui joue du trombone… je l’ai fait venir chez moi… Elle a un vrai talent. Elle a dû s’exercer beaucoup… Mais, ce qui m’étonne, c’est qu’en s’exerçant elle n’ait pas réveillé son mari… Là, voilà qui est arrangé… je me tiendrai là… A côté de moi, mon clerc ; près de moi, mes musiciens… Voilà mon marteau pour conduire la vente et mon bâton pour conduire les musiciens… chaque chose à sa place : ici le notaire… là le chef de la fanfare… (S’avançant sur le devant de la cène.) Où mettrons-nous l’amoureux ?… car je le suis : la vicomtesse m’a dit : Trouvez un moment, j’ai à vous parler… Et même, en me disant cela, elle m’a pincé.

Entre la vicomtesse.


Scène II

LA VICOMTESSE, MASSEPAIN.
LA VICOMTESSE, entrant du fond gauche.
Pst ! Pst !
MASSEPAIN.

Oh !

LA VICOMTESSE.

Vous êtes seul…

MASSEPAIN.

Madame la vicomtesse…

LA VICOMTESSE.

Je vous demande si vous êtes seul…

MASSEPAIN.

Oui, madame la vicomtesse…

LA VICOMTESSE.

Eh bien, notaire…

MASSEPAIN.

Eh bien, madame…

LA VICOMTESSE.

J’ai un service à vous demander.

MASSEPAIN, avec élan.

Si c’est possible, je le ferai faire par mon clerc ; si c’est impossible je le ferai moi-même !

LA VICOMTESSE.

Alors s’il s’agissait de m’aimer…

MASSEPAIN.

De vous aimer ?…

LA VICOMTESSE.

Vous chargeriez donc votre clerc…

MASSEPAIN.

Non pas…

LA VICOMTESSE.
Et cependant, m’aimer… c’est une chose possible.
MASSEPAIN.

Tiens c’est vrai. On dit comme cela des phrases qui ont l’air d’être superbes… Et puis quand on les creuse… j’aurais dû dire : Si c’est impossible je le ferai faire par un autre…

LA VICOMTESSE.

Ç’eût été mieux, mais laissons cela… On vendra le château tout à l’heure ?

MASSEPAIN.

Oui.

LA VICOMTESSE.

C’est vous qui ferez la vente ?

MASSEPAIN.

Même que je viens d’apporter mon petit marteau, ainsi…

LA VICOMTESSE.

Je connais une personne qui donnerait bien cinq cent elle francs de ce château.

MASSEPAIN.

Il vaut près d’un million…

LA VICOMTESSE.

Qu’est-ce que cela fait ?

MASSEPAIN.

Comment, qu’est-ce que cela fait ?

LA VICOMTESSE.

Puisque c’est vous qui mènerez la vente.

MASSEPAIN.

Eh bien ?…

LA VICOMTESSE.

Avec un peu d’intelligence, notaire…

MASSEPAIN.

Vous me faites peur…

LA VICOMTESSE.

En disant : J’ai marchand à cinq cent mille francs, et, en ajoutant tout de suite : Adjugé… avec un coup de votre petit marteau : toc, toc…

MASSEPAIN, avec horreur.
Toc, toc !…
LA VICOMTESSE.

Adjugé.

MASSEPAIN.

Mais ce que vous me demandez là, madame, c’est…

LA VICOMTESSE.

C’est une chose que je croyais avoir le droit de vous demander…

MASSEPAIN.

Le droit !…

LA VICOMTESSE.

Je le croyais, Ernest !

MASSEPAIN.

Ernest….

LA VICOMTESSE.

Je me suis donc trompée.

MASSEPAIN.

Ernest, comment savez-vous ?

LA VICOMTESSE.

Vous avez peu de mémoire, en vérité…

MASSEPAIN.

Madame, ne me parlez pas ainsi…

LA VICOMTESSE.

Parce que ?…

MASSEPAIN.

Parce que il y a des rêves tellement insensés que d’abord on les repousse, tellement tenaces que lorsqu’on les a repoussés ils reviennent… parce que dans ce moment, je suis en proie à un de ces rêves…

LA VICOMTESSE.

Dis ton rêve, notaire…

MASSEPAIN.

Je rêvais…

LA VICOMTESSE.

Eh bien ?…

MASSEPAIN.

Depuis cinq minutes je vous regarde, et je me demande si je suis la dupe d’une ressemblance surnaturelle…. Il y a dix ans, je n’étais pas notaire alors, j’étais clerc à quelques lieues d’ici… j’aimais déjà les femmes ; je remarquai une jeunesse… tous les jours nous nous rencontrions au coin d’un vallon solitaire…. ce fut là…

LA VICOMTESSE.

Ce fut là que tu lui promis une montre d’argent que jamais tu ne lui as donnée, notaire.

MASSEPAIN.

Comment, cette jeune campagnarde…

LA VICOMTESSE.

Eh bien….

MASSEPAIN.

La Falotte !…

LA VICOMTESSE.

Eh oui…. notaire…, c’est moi, la Falotte…. la petite Falotte….

MASSEPAIN.

O surprise !…

LA VICOMTESSE.
I
––––––Autrefois j’étais villageoise,
––––––––On peut s’en souvenir,
––––––Un peu sauvage, un peu sournoise,
––––––––Pensant à l’avenir !
––––––Parfois on me trouvait songeuse
––––––––Et l’on s’en étonnait,
––––––C’est qu’une voix mystérieuse,
––––––––Tout bas me répétait
––––––––Va-t-en, la Falotte,
––––––A Paris va-t-en, marche, va ton train.
––––––––Petit pied qui trotte,
––––––A Paris souvent fait un grand chemin.
II
––––––Pour te conter mes aventures,
––––––––Il me faudra peu de mois.
––––––J’ai maintenant quatre voitures
––––––––Au lieu de deux sabots.
––––––Autrefois je gardais vingt têtes
––––––––De bétail dans les champs.
––––––Je n’ai fait que changer de bêtes…
––––––––Notaire, tu comprends…
––––––––Va donc, la Falotte,
––––––Paris est à toi, marche, va ton train,
––––––––Petit pied qui trotte,
––––––A Paris souvent fait un grand chemin.
MASSEPAIN[1].

Et alors, vous avez fait un chemin…

LA VICOMTESSE.

Mais… assez gentil, comme vous voyez, puisque maintenant je puis acheter des châteaux…

MASSEPAIN.

Sur vos économies ?…

LA VICOMTESSE.

Justement…

MASSEPAIN.

Ainsi cet acheteur mystérieux ?…

LA VICOMTESSE.

C’est moi ; je puis compter sur vous, n’est-ce pas ?

MASSEPAIN.

Compter sur moi !…

LA VICOMTESSE.
Oui ; à cinq cent mille francs vous direz : J’ai marchand, et vous ferez comme ça : toc, toc…. n’est-ce pas, bon notaire, vous ferez toc, toc, avec le petit marteau ?
MASSEPAIN.

Ecoutez-moi, vicomtesse.

LA VICOMTESSE.

J’écoute….

MASSEPAIN.

Pour ce qui est de la montre en argent… (Il lui offre la grosse montre qu’il porte.)

LA VICOMTESSE, avec fierté.

Qu’est-ce que c’est ?

MASSEPAIN.

Nous n’en parlerons pas, mais, quant à ce que vous me demandez maintenant, permettez moi de vous dire…

LA VICOMTESSE.

Non, ne me dis rien.

MASSEPAIN.

Cependant…

LA VICOMTESSE.

Ne sais-je pas d’avance ce que tu me dirais si je te laissais parler ?… j’aime mieux que tu ne parles pas…. souviens-toi seulement… et songe que si ce château était à moi, nous serions voisins, Ernest…

MASSEPAIN, électrisé.

Oh ! madame…

LA VICOMTESSE.

Songe que dans le refrain de la romance il est dit :

––––––––« Que l’on revient toujours
––––––––» A ses premiers amours !… »
MASSEPAIN, même jeu.

Madame, je vous en prie….

LA VICOMTESSE.

Ne parle pas, te dis-je… souviens-toi… espère. Dans une demi-heure la vente… je serai là. Tu seras là.

MASSEPAIN.
Il faudra bien, puisque c’est moi…
LA VICOMTESSE.

Et alors… rien… moins que rien… un regard, un sourire, un petit coup de marteau. (Faisant le geste.) Toc ? toc ! voilà tout…. Qui s’est douté de quelque chose…. personne…. Encore une fois ne parle pas…. qu’ai-je besoin que tu parles ? penche-toi un peu. (Massepain se penche.) Là, bien… ne te penche pas davantage. (Elle l’embrasse sur le front.) Cela suffit…

MASSEPAIN, étourdi.

Vicomtesse !…

LA VICOMTESSE, s’échappant.

A tout à l’heure…

Elle sort au premier plan droite.


Scène III

MASSEPAIN, restant abasourdi.

Ah ! elle fuit.., et elle ne m’a pas laissé le temps de lui dire que jamais je ne consentirais…. (Avec force.) Mais il y a donc des gens qui font de pareilles choses, puisque cette femme a pu supposer que moi… non-seulement notaire, mais encore… chef de fanfare… Ses lèvres étaient brûlantes. (Mettant sa main sur son front.) Positivement… il y a déjà une bonne demi-minute qu’elle m’a embrassé… et mon front est encore tiède… et mon cœur… qu’on vienne après cela dire que pour aimer il faut estimer… voilà une petite femme, n’est-ce pas… eh bien je ne l’estime pas du tout… et je l’adore… oh ! vicomtesse ! vicomtesse !

Entre Pitou ; il observe pendant quelques instants la pantomime désespérés du notaire.

Scène IV

MASSEPAIN, PITOU, venant du fond droite.
DUO.
PITOU.
––Vous m’ fait’s l’effet d’ souffrir… dit’s quelle est vot’ souffrance.
MASSEPAIN.
––De quoi souffrirait-on si ce n’était d’amour ?
PITOU.
––D’êtr’ soulagé bientôt avez-vous l’espérance ?
MASSEPAIN.
––Non, je veux en souffrir jusqu’à mon dernier jour.
PITOU.
––C’est bêt’ c’ que vous dit’s là, mais j’ vous comprends, notaire…
MASSEPAIN.
––Tu souffres donc aussi, que tu comprends mes pleurs.
PITOU.
––J’aime, et j’ suis en amour plus malheureux qu’un’ pierre.
MASSEPAIN.
––Blessés du même trait, parlons de nos douleurs.
ENSEMBLE.
MASSEPAIN.
Bien que dans la vie ordinaire
Le Code prime le labour,
Le paysan et le notaire
Sont égaux pardevant l’amour.
PITOU.
Bien que dans la vie ordinaire
Le notariat prim’ le labour,
Le paysan et le notaire
Sont égaux pardevant l’amour.
MASSEPAIN[2].
––Quel est l’objet cruel qui te tient sous sa chaîne ?
PITOU.
––C’est la gross’ Catherine et vous le savez bien.
MASSEPAIN.
––A quoi reconnais-tu qu’elle t’est inhumaine ?
PITOU.
––A c’ que quand j’ la rencontre, ell’ me trait’ comme un chien.
MASSEPAIN, enivré.
––La mienne a sur mon front mis sa lèvre brillante.
PITOU.
––La tienne t’a becquoté, mais alors d’ quoi t’ plains-tu ?
MASSEPAIN.
––C’est que de cet amour l’ivresse m’épouvante.
PITOU.
––Moi je n’ me plaindrais pas si j’avais c’ que t’as eu.
REPRISE DE L’ENSEMBLE.
PITOU.
Bien que dans la vie ordinaire
Le notariat prim’ le labour,
Le paysan et le notaire
Sont égaux pardevant l’amour.
MASSEPAIN.
Bien que dans la vie ordinaire
Le Code prime le labour,
Le paysan et le notaire
Sont égaux pardevant l’amour.
MASSEPAIN, se tâtant le front.
––Moins tiède que tout à l’heure… mais tiède encore.

Il sort rêveur par le fond à droite.


Scène V

PITOU, puis JEANNE.
PITOU.

On m’a dit qu’afin d’êt’ pus belle à c’ bal qui va avoir lieu, elle avait envoyé chercher à la ferme ses plus beaux affiquets… et qu’alors m’sieu le comte lui a donné une chambre pour s’habiller… une belle grande chambre. (Avec un frémissement en montrant la porte du premier plan gauche.) Celle qui est là, sans doute… Si je pouvions voir… (Il regarde par la serrure.) Ah ! oui… c’est elle… elle a mis sa belle robe. (Se redressant et avec enthousiasme.) Ah ! elle est encore plus grosse comme ça !… j’en mourrai. (Il se remet à la serrure.) Comme c’est drôle tout de même, comme c’est drôle que par un trou de serrure qui est si petit… on peuve voir toute entière une femme qu’est si… c’est-y drôle… tout d’même… c’est-y drôle !

Entre une paysanne avec un capuchon qui lui tombe sur les yeux et lui cache presque entièrement le visage.

JEANNE.

Pitou !… hem !… Pitou !…

PITOU.

Qu’est-ce qui m’appelle ?…

JEANNE.

C’est moi…

PITOU.

Je n’ vous connaissons point vous…

JEANNE.

Je viens vous chercher de la part de votre soeur de lait…

PITOU.

De mamzelle Jeanne de Crécy-Crécy…

JEANNE.

OUI… il faut absolument que vous me rendiez un grand service.

PITOU.

Vous rendre ?… (La reconnaissant.) Mamzelle Jeanne !

JEANNE.

Eh bien, oui… c’est moi.

PITOU.

Vous !

JEANNE.

Mon père m’avait enfermée… alors j’ai pris la capeline d’une jeune fille qu’il avait chargée de me garder… et je me suis sauvée.

PITOU.
Vous vous êtes ensauvée ?…
JEANNE.

Parce que j’avais absolument besoin de te parler…

PITOU.

A moi ?

JEANNE.

A toi. Te souviens-tu qu’un jour tu nous as fait bien rire en mettant une des vieilles houppelandes de ton ancien maître, le général Bourgachard.

PITOU.

Oh ! oui !… je me souviens…

JEANNE.

Et en parlant et en marronnant comme lui.

PITOU.

Ah ! oui ! c’ jour là… j’avais le cœur à la joie.

JEANNE.

Eh bien, il faut ?…

PITOU.

Il faut ?…

JEANNE.

Viens avec moi jusqu’au château… je tremble que mon bon père ne s’aperçoive de ma fuite ; viens, je t’expliquerai en marchant…

PITOU.

Un instant encore, je vous en prie…

JEANNE.

Comment…

PITOU.

Le temps de jeter un dernier regard… (Au moment où il se dirige vers la porte de Catherine, cette porte s’ouvre et Catherine parait dans tout son éclat.) Oh !

CATHERINE, surprise.

Qué qu’il a ?

JEANNE, à Pitou.

Vient-tu ?

CATHERINE.
Mais qu’est-ce qu’il a c’t’ imbécile ?
PITOU.

C’t’ imbécile ! Vl’à ce que j’attendais. Maintenant, nous pouvons partir. Oh ! qu’elle est belle ! Oh !

Il part avec Jeanne qui, lorsque Catherine est entrée, a ramené son capuchon sur son visage pour ne pas être reconnue. Tous deux sortent par la porte du fond à droite.


Scène VI

CATHERINE.

L’avez-vous vu avec son petit habit marron et son gilet à fleurs ?… quant au reste de sa toilette… j’aimons mieux n’ point en parler… Et il ose m’aimer, le malheureux ! Il n’ sait donc pas !… Au fait, non.., il n’ peut pas savoir, puisque j’ n’ lai dit à personne… Un jour… j’étais chez le perruquier du village… tout à coup mes regards s’arrêtent sur une image… au haut d’ cette image il y avait écrit : Journal des Modes… L’image elle-même représentait un monsieur… joli… oh ! mais joli… qui était habillé et frisé… il avait des pieds comme ça… tout petits, tout petits… et là une grosse fleur… je l’ai chippée, l’mage… al’ ne me quitte jamais… et j’ai juré que c’ti là qui ferait battre mon cœur serait celui-là qui ressemblerait à ce monsieur…

Elle tire de sa poche une image représentant un monsieur très-bien mis.

COUPLETS.
I
––––––J’ suis ainsi, v’là mon caractère,
––––––J’ sais qu’ chacun voudrait m’épouser,
––––––C’est pas parc’ que j’ai l’humeur fière,
––––––Que j’ prends plaisir à les r’fuser.
–––––––––––––Ah !
––––––C’est parce que jusqu’à présent,
–––––––––––––Ah !
––––––J’ n’ai pas trouvé mon sentiment.
––––––Il s’ra bien mis c’lui qui rendra
––––––Amoureus’ la femme que voilà.
II
––––––Mon rêve à moi c’est l’élégance,
––––––J’aim’ qu’un homm sach’ bien s’habiller,
––––––Aussi les gens d’ ma connaissance
––––––N’ont-ils pas l’ don d’ m’émoustiller.
–––––––––––––Ah !
––––––Si jamais j’ plant’ là ma vertu,
–––––––––––––Ah !
––––––Ça s’ra pour un homm’ bien vêtu.
––––––Il s’ra frisé c’lui qui rendra
––––––Amoureus’ la femme que voilà.

Entre Raoul très-bien vêtu et très-bien frisé.


Scène VII

CATHERINE, RAOUL.
CATHERINE, avec surprise.

Oh !

RAOUL.

Tiens ! c’est la grosse mère…

CATHERINE, épanouie.

Oh !

RAOUL.

Bonjour, la grosse mère !

CATHERINE, avec éclat.

Oh ! bonjour, monsieur ! (Elle tire l’image et regarde.) Tout à fait comme l’image ! Oh ! oh !

RAOUL.
Eh bien, qu’est-ce qu’il y a ?
CATHERINE[3].

Rien, monsieur.

RAOUL.

C’est vous qui êtes la fermière à Toto ?

CATHERINE.

A Toto ?

RAOUL.

Eh oui… à Toto… au petit…

CATHERINE.

A monsieur le comte ?

RAOUL.

A mon ami, quoi ?

CATHERINE.

Oui, c’est moi qui suis sa fermière… La forme là-bas, c’est à moi.

RAOUL.

Une bonne ferme…

CATHERINE.

Très-bonne…

RAOUL.

Vous êtes contente… alors.

CATHERINE, avec éclat.

Si je suis contente ?… Non, je ne le suis pas….

RAOUL.

Eh ! pourquoi ?…

CATHERINE.

Pourquoi ?… parce que je trouve que cela n’est pas juste !… Quand on songe qu’il y a des femmes… qui peuvent être aimées par des hommes comme vous…

Elle le prend par la main, le fait tourner devant elle en l’admirant.

RAOUL, étonné et riant.
Comme moi…
CATHERINE.

Et qu’il y en a d’autres… Ah ! ces marquises… je les haïs-t-y…

RAOUL.

Que dites-vous ?

CATHERINE.

J’ai tort sans doute de déborder ainsi !

RAOUL.

Débordez ! ne vous gênez pas !

CATHERINE.

Nais qu’est-ce que vous voulez… c’est plus fort que moi… Voilà avoir vu… et puis se dire que vous allez vous en aller, et que jamais, plus que jamais on ne vous reverra… c’est trop ! c’est trop !

Elle sanglote.

RAOUL.

Voyons, petite…

CATHERINE.

Vous m’avez en mépris… à cet’ heure.

RAOUL.

Mais non… mais non… ne vous gênez pas… Une personne a toujours le droit de se déclarer… quand elle est sincère.

CATHERINE.

Ah ! s’il suffisait d’être sincère.

RAOUL.

Allez-y.

CATHERINE.

Hein ? où ça ?

RAOUL.

Allez-y… j’ vous dis. Continuez à tous déclarer.

CATHERINE.
Et vous me demandiez tout à l’heure si j’étais heureuse, non… je ne le suis point… A quoi qu’ ça m’ sert d’avoir la plus belle ferme du pays… et d’avoir des écus… et des armoires pleines de linge… et des vaches dans l’étable… et des moutons…
RAOUL, avec intérêt.

Vous avez tout cela…

CATHERINE.

Et bien d’autres choses encore…

RAOUL, la contemplant.

Je le vois bien… Viens donc me voir… nous causerons.

CATHERINE.

Mais j’ sais pas si j’ saurons causer avec vous.

RAOUL.

J’ t’apprendrai. En attendant, prends ça.

Il lui donne une croix d’or.

CATHERINE, joyeuse.

Oh ! pour moi ? c’est un souvenir, merci, m’sieu !

RAOUL, à part.

En voilà toujours une de placée !…

CATHERINE, avec éclat.

Ah ! est-ce que je puis être heureuse… maintenant que je vous ai vu… et que je sais que des hommes habillés comme vous… ne sont point faits pour être les maris de femmes comme nous…

RAOUL, allant à elle.

Voyons donc, voyons… comment elle pleure ? (Lui essuyant les yeux avec son mouchoir.) Ne pleure donc pas, grosse bête…

CATHERINE, dolente.

Vous me plaignez…

RAOUL.

Oui ! j’ te plains ! (Bas.) Faudra nous r’voir… nous causerons…

CATHERINE.

Vrai ?…

RAOUL.

Parole… mais tu ne pleureras plus…

CATHERINE, moitié riant.
Mais dame !
RAOUL.

Et tu riras…

CATHERINE, de même.

Dame !…

RAOUL, la poussant.

Ris un peu pour voir… Allons, grosse bête, ris donc…

CATHERINE.

Eh là ! eh là !

Raoul donne quelques bourrades à Catherine, qui finit par rire aux éclats et lui donne un grand coup sur l’épaule.


Scène VIII

Les Mêmes, TOTO[4].
TOTO, entrant du fond gauche.

Eh bien, qu’est-ce qui se passe ?

CATHERINE.

Nous rions, m’sieu le comte, nous rions.

RAOUL.

Il faut bien se distraire un peu à la campagne.

TOTO, à tous deux.

Bons amis, alors ?

CATHERINE et RAOUL.

Ah ! oui, bons amis.

TOTO.

Tant mieux ! dis donc, Raoul… nous nous demandions tout à l’heure ce que nous pourrions faire après la vente finie…

RAOUL.

Eh ! bien ?

TOTO.

Nous pourrions, si tu veux, aller vivre à la ferme.

CATHERINE.

A la ferme ! chez moi ! ah ! mon Dieu !

Elle chancelle.
RAOUL, courant à elle[5].

Allons bon ! elle se trouve mal ! (Il lui fait respirer un flacon.) Ah ! ça va mieux ?

CATHERINE, joyeuse.

Chez moi ?

TOTO.

Eh Oui ! chez toi.

TRIO.
TOTO, à Raoul.
––––––N’es-tu pas las, mon camarade,
––––––De tous les plaisirs de Paris ?
RAOUL.
––––––Si j’en mis las, j’en suis malade !
CATHERINE.
––––––Alors, v’nez chez nous, m’sieur marquis.
COUPLETS.
––––––Si d’venir chez moi tous les deux,
––––––––Vous m’ faites l’honneur extrême,
––––––Je vous recevrai de mon mieux ;
––––––––J’ soigne si bien ceux que j’aime !
––––––N’ayez pas peur d’être indiscrets,
––––––––C’est d’ bon cœur, j’ suis sincère,
––––––Qu’à votre service je mets
––––––––La ferme et la fermière,
RAOUL, à Toto.
Réponds lui donc quelque chose… moi… je suis trop ému[6].
TOTO.
––––––Après avoir mené là-bas
––––––––Un train de tous les diables,
––––––Après tant de bruit, de fracas,
––––––––Tant de plaisirs coupables,
––––––Il est doux de se reposer.
––––––––Nous acceptons, ma chère,
––––––Et j’embrasse dans ce baiser
––––––––La ferme et la fermière.

Il embrasse Catherine.

RAOUL, parlé[7].

Toto, passe-la moi, que je l’embrasse aussi.

Toto fait passer Catherine que Raoul embrasse.

TOTO, à Raoul[8].
––––––Loin, bien loin du fruit défendu,
––––––A la ferme allons nous refaire,
––––––––Nous aurons le nécessaire.
CATHERINE.
––––––Vous aurez mêm’ le superflu.
TOTO, à Raoul.
––––––Et si tu le veux, en vrais paysans,
––––––Tous les deux nous vivrons aux champs !
TOTO.
–––––––––Restons au village,
–––––––––Et tous les matins
–––––––––Buvons du laitage
–––––––––Extrait par nos mains.
–––––––––Plus d’ perdreaux ni d’ bisque,
–––––––––Ni d’ veuve Cliquot,
–––––––––A c’ jeu-là l’on risque
–––––––––D s’éreinter trop tôt…
–––––––––Non, des choses saines
–––––––––Cuit’s sans aucun art,
–––––––––Des assiettes pleines
–––––––––De choux et de lard !
–––––––––Des fruits et le reste
–––––––––Pour notre dessert.
–––––––––Viv’ la vie agreste !
–––––––––Mettons-nous au vert.
RAOUL, allant à Catherine[9].
––––––Et comme il n’est pas sur la terre
––––––De parfait bonheur sans amour,
––––––J’ai mon plan, la grosse fermière,
––––––Et ce plan c’est de vous faire la cour.
CATHERINE, joyeuse.
––––––––Vous m’ ferez la cour ?
RAOUL.
––––––––Je vous ferai la cour !
CATHERINE.
––––––Êtr’ courtisé’ par un marquis !
––––––Et par un homme aussi bien mis !
––––––––––Ah ! quelle fête !
––––––––––J’en perds la tête !
––––––––––Venez chez moi.
RAOUL et TOTO.
––––––Oui, la belle, on ira chez toi !
TOTO.
–––––––––Restons au village, etc.
RAOUL et CATHERINE[10].
–––––––––Restons } au village, etc.
–––––––––Restez
A la fin du trio Raoul et Toto embrassent Catherine. La porte du fond à droite s’ouvre. Crécy-Crécy paraît.

Scène IX

Les Mêmes, CRÉCY-CRÉCY, puis LA VICOMTESSE[11].
CRÉCY-CRÉCY.

Entrerai-je, monsieur ?

TOTO.

Si cela vous est agréable, monsieur.

CRÉCY-CRÉCY.

Mais il est bien entendu, n’est-ce pas, que je viens pour assister à la vente et pas du tout pour vous rendre une visite…

TOTO.

C’est entendu, monsieur.

Entre la vicomtesse, boutonnant l’un de ses gants.

LA VICOMTESSE.

Me voilà, moi.

Elle laisse tomber l’autre gant. Raoul va pour le ramasser. Crécy-Crécy s’élance, met le gant sur son chapeau, s’agenouille et le lui présente.

CRÉCY-CRÉCY.

Madame…

LA VICOMTESSE, touchée.

En vérité, monsieur.

CRÉCY-CRÉCY, se relevant avec fierté, et regagnant sa place.

Fronsac eût fait ainsi !…

TOTO, bas et gouailleur.
Vous présenterai-je, monsieur ?…
CRÉCY-CRÉCY, bas.

Qu’est-ce que vous dites ?…

TOTO, bas.

Je vous demande si vous voulez que je vous présente ?

CRÉCY-CRÉCY, faisant des façons.

Moi, présenté par vous…

TOTO, bas.

Vous en mourez d’envie…

CRÉCY-CRÉCY, enflammé par la beauté de la vicomtesse.

Eh ! mon Dieu !…

TOTO, bas.

Je vais vous présenter à madame la vicomtesse.

CRÉCY-CRÉCY.

Elle est vicomtesse ?

TOTO, à la vicomtesse.

Je vous présente monsieur le baron de Crécy-Crécy.

LA VICOMTESSE, grande révérence.

Monsieur le baron.

TOTO, à Crécy-Crécy.

Madame la vicomtesse de la Farandole…

CRÉCY-CRÉCY, grand salut[12].

Madame la vicomtesse. (Allant à la vicomtesse.) Deux mots, la belle enfant.

LA VICOMTESSE, surprise.

La belle enfant.

CRÉCY-CRÉCY.
Je sais ma noblesse de France sur le bout du doigt… et il n’y a pas plus de Farandole que dans le creux de ma main.
LA VICOMTESSE, blessée.

Monsieur !…

CRÉCY-CRÉCY, bas.

Pas un mot de plus : nous nous reverrons, et bien que ma devise soit : Pur et Crécy, n’ayez pas peur… c’est ma fille qui est pure… moi je suis…

LA VICOMTESSE.

Vous êtes !…

CRÉCY-CRÉCY, avec violence.

A la bisque, vicomtesse, à la bisque !

Il gagne l’extrême gauche.


Scène X

Les Mêmes, MASSEPAIN, son clerc, La fanfare, LE VIEUX SERVITEUR, Les paysans et paysannes[13].
LE VIEUX SERVITEUR, entrant.

Voilà tout le monde pour la vente.

CHŒUR DES PAYSANS.
––––––––La vente va commencer
––––––––Et nos écus vont danser ;
––––––––Quand ils auront dansé, nous
––––––––Danserons comme des fous.
TOTO, au notaire.
––Aujourd’hui vous avez une double importance,
––Vous conduirez la vente, et conduirez la danse.
MASSEPAIN.
–––––––Pour la vente voici mon clerc,
––––––––Et voici pour la danse
––Des gens qui vous feront un tapage d’enfer.

Il montre la fanfare. Trois musiciens et un petit garçon de dix ans portant le trombone, qui, à la première entrée de la fanfare, était dans les mains d’une femme.

TOTO.

Un enfant.

MASSEPAIN.

Cette dame n’a pas pu venir, et elle a envoyé son aîné.

TOTO, à l’enfant.

Et tu en joues ?

L’ENFANT.

Toutes les nuits, pendant que papa et maman dorment, je m’asseois sur le lit et je m’exerce.

Il joue du trombone et remonte au fond.

REPRISE DU CHŒUR.

La vente va commencer, etc.

Pendant le chœur, on avance la table du notaire et des siéges pour tout le monde.

MASSEPAIN, installé à sa table[14].

Et maintenant, commençons tout de suite… afin de pouvoir danser plus tôt… Le château de La Roche-Trompette avec ses dépendances.

RAOUL, gaiement.

Cent écus.

Tout le monde éclate de rite.

MASSEPAIN, très-ému.
Cent écus ! comme vous me feriez rire, monsieur le marquis, si en ce moment je n’étais pas en proie à un sentiment.
CATHERINE.

Qué sentiment ?

MASSEPAIN.

Je vais vous dire… (Après un moment d’hésitation) Messieurs, j’ai une communication à vous faire… j’ai marchand à cinq cent mille francs.

LA VICOMTESSE, à part.

Là, et puis toc, toc… adjugé… Eh bien ! pourquoi n’adjuge- t-il pas ?

MASSEPAIN, à part.

Je le vois ton regard, et je le comprends, mais…

LE CLERC, à haute voix.

Cinq cent mille francs.

LA VICOMTESSE, très-agitée.

Eh bien ?…

CRÉCY-CRÉCY.

Qu’avez-vous, vicomtesse ?

LA VICOMTESSE.

Moi ? mais rien ! (À part) Qu’est-ce qu’il attend ?

MASSEPAIN, très-ému.

A cinq cent mille francs… personne ne dit mot… une fois !…

CRÉCY-CRÉCY, se levant.

Il faut en finir.

MASSEPAIN.

Deux fois !…

CRÉCY-CRÉCY.

A six cent mille francs, alors !

LA VICOMTESSE, à part.

L’imbécile.

MASSEPAIN, se levant et descendant la scène, à part.

Je le vois, ton regard, et je le comprends, mais…

––Les siècles à venir apprendront qu’un notaire
––Se trouva comme Hercule entre un double chemin,
––Et que, fuyant Vénus qui cherchait à lui plaire,
––Il suivit la vertu qui lui tendait la main !
TOUS.

Eh ! bien ! monsieur le notaire ?

MASSEPAIN.

Voilà, messieurs. (Il retourne à sa table, reprenant son ton ordinaire.) A six cent mille francs, messieurs.

On entend le bruit d’une canne résonnant fortement au dehors.

RAOUL, se méprenant sur le bruit.

Adjugé !

MASSEPAIN, vivement.

Mais non ! mais non ! ce n’est pas moi…

TOUS, surpris du bruit gai continue.

Qu’est-ce que c’est qu’ça ?

TOTO, vivement et appelant.

Raymond ! quel est ce bruit ?

LE VIEUX SERVITEUR, entrant.

C’est un vieux général qui monte.

CRÉCY-CRÉCY.

Qu’est-ce qu’il vient faire ici ?

LE VIEUX SERVITEUR.

Mais je pense qu’il vient, lui aussi, pour assister à la vente du château.


Scène XI.

Les Mêmes, PITOU, en vieux général de fantaisie.
PITOU, entrant vivement du fond gauche ; à Massepain.

Arrêtez ! arrêtez ! la vente est-elle finie ?

MASSEPAIN.

Mais non, général,

PITOU.
A la bonne heure ! J’avais peur d’arriver en retard… aussi.
COUPLETS :
I
––––––Je me suis hâté de monter
––––––Sur mon noble cheval de guerre,
––––––Et j’ lui disais pour l’exciter
––––––Ces mots qu’il entendait naguère :
––––––En avant, marrrrche ! mon cheval,
––––––––––Noble animal !
––––––En avant marche ! mon cheval.
–––––Ah ! ce cheval, qu’il aimait la guerre
––––––Et la musique militaire :

Accompagné par le chœur.

––––Ra ta ta ta ta, ring, zing, zing, zing, zing
––––––Zing balaboum ! zing balaboum !
CRÉCY-CRÉCY, à part.

Vais qu’est-ce que c’est que ce général

PITOU.
II
––––––Je dois vous dir’ que ce cheval
––––––Est un’ jument et qu’elle est vieille,
––––––Mais elle galope encor pas mal
––––––Quand elle entend à son oreille :
––––––––––En avant marche.
–––––––––––––Etc.
CRÉCY-CRÉCY.

Je ne sais pas pourquoi, je me méfie de ce général.

MASSEPAIN, retournant à sa table, très-calme.
Maintenant reprenons la vente.
PITOU, allant s’asseoir près de Catherine et bas.

Pense à Pitou ! (Haut au notaire.) Où en est-on ?

MASSEPAIN.

A six cent mille francs.

PITOU.

J’ajoute cinquante centimes !

Tout le monde rit.

MASSEPAIN.

Ah ! général… je n’accepte pas des enchères de cinquante centimes… mettez au moins cent sous…

PITOU.

Je mets cent sous.

CRÉCY-CRÉCY.

Sept cent mille.

PITOU, s’animant.

Cent sous de plus !

CRÉCY-CRÉCY, s’animant.

Huit cent mille !

PITOU.

Cent sous !

CRÉCY-CRÉCY.

Neuf cent mille !

PITOU.

Cent sous !

CRÉCY-CRÉCY, se levant[15].

Un million !

Mouvement général d’étonnement. Crécy-Crécy se rasseoit.

PITOU, avec éclat.

Cent sous !

RAOUL.

J’ai compté… ça fait vingt-cinq francs qu’il a mis, l’homme à la canne.

CRÉCY-CRÉCY, à part.
Je ne sais pas pourquoi… il me fait l’effet de n’avoir pas le sou… c’t’ homme-là.
LA VICOMTESSE, regardant Crécy-Crécy avec intérêt.

Un million… il a dit un million !

MASSEPAIN.

Allons, messieurs, nous sommes à un million et cent sous !

CRÉCY-CRÉCY, à Massepain.

Pardon, monsieur le notaire.., vous savez que la vente est expressément au comptant… et je vois qu’on pousse… on pousse…

MASSEPAIN.

C’est juste. (A Pitou.) Pardon, général ?

PITOU, occupé de Catherine.

Hein ! qu’est-ce que c’est ?

MASSEPAIN.

Vous poussez… vous poussez… Vous savez, la vente est expressément au comptant… (Avec hésitation.) Vous… vous avez de l’argent alors ?…

PITOU, surpris.

De l’argent ?

CRÉCY-CRÉCY.

Il se trouble… il n’en a pas.

Tout le monde fait un mouvement.

PITOU, tirant des papiers de sa poche.

De l’argent ! de l’argent !… j’ai ça… (Il montre les papiers à Massepain.) C’est-y bon ca ?

MASSEPAIN, les examinant.

Oh ! c’est excellent ! c’est excellent ! Pardon, général… C’est excellent !

Il fait un signe affirmatif à Crécy-Créey.

CRÉCY-CRÉCY.

Il a de l’argent ! onze cent mille francs alors !

PITOU, vivement.

Cent sous !

TOUS, riant.

Ah ! ah !

PITOU, se reprenant.
Douze cent mille francs !
CRÉCY-CRÉCY.

Treize cent mille !…

PITOU, se levant et frappant sur la table.

Quatorze !

CRÉCY-CRÉCY, passant devant Toto et frappant sur la table.

Quinze !

PITOU, bas à Catherine.

Pense à Pitou ! (Haut.) Seize !

CRÉCY-CRÉCY, frappant sur la table.

Dix-sept !

PITOU, bas à Catherine.

Pense à Pitou ! (Haut et frappant sur la table.) Dix-huit !

CRÉCY-CRÉCY, avec force.

Dix-neuf !

PITOU, après un temps et avec force.

Vingt !

Grand mouvement d’étonnement dans la foule.

TOUS.

Deux millions !

CRÉCY-CRÉCY, avec désespoir.

Ma vengeance m’échappe !

MASSEPAIN, à Crécy-Crécy.

Monsieur le baron ?…

CRÉCY-CRÉCY, après avoir hésité et se résignant.

J’abandonne !

FINALE.
CHŒUR.
–––––––Deux millions ! tout nets, tout ronds !
–––––––C’est un chiffre qui n’est pas mal !
–––––––Deux millions ! tout nets, tout ronds !
–––––––Ça n’ se trouv’ pas sous l’ pas d’un cheval !
MASSEPAIN.
–––Personne ne dit mot, j’adjuge sans retard,
––––Et j’adjuge au général Bourgachard.
CHŒUR.
–––––Vive le général Bourgachard
CRÉCY-CRÉCY, furieux.
––––––Mais quel est donc cet étranger
––––––Qui m’empêche de me venger ?

Les paysans et le clerc enlèvent la table et les sièges.

MASSEPAIN, à Toto.
––––––Monsieur le comte est-il content ?
LA VICOMTESSE, à Toto.
––––––Te voilà riche maintenant
RAOUL, à Toto.
––––––Un joli coup qui te ramiche.
TOTO.
––––––En effet, me voilà riche,
––––––Mais je sens au fond de mon cœur
––Que l’argent quelquefois ne fait pas le bonheur.
PITOU.
––––Ce qui ferait mon bonheur avant tout,
––––Vu que j’ meurs de soif, ça s’rait d’ boire un coup,
TOTO.
––––––On va vous servir, mes amis,
––Les rafraîchissements que je vous ai promis.

Il parle bas au vieux serviteur qui sort. Deux paysans entrent portant sur un brancard un tonneau garni de rubans et de fleurs.

TOTO et CHŒUR.
––––––––C’est du vin, oui, du vin,
––––––––Et quel vin, du vin fin.
–––––––––––Ils tremblaient
–––––––––––Ils craignaient
–––––––––––Qu’on portât
–––––––––––De l’orgeat.
–––––––––––Car l’orgeat
–––––––––––On sait ça,
–––––––––––Fait mal à
–––––––––––L’estomac.
–––––––––––Le vin vieux
–––––––––––Vaut bien mieux
–––––––––––Et nous rend
–––––––––––Bien portant.
–––––––––––Boire trop
–––––––––––De sirop
–––––––––––Affadit,
–––––––––––Refroidit,
–––––––––––Mais on peut
–––––––––––Tant qu’on veut,
–––––––––––Sans danger,
–––––––––––Se gorger
–––––––––––De bon vin ;
–––––––––––C’est très-sain.
–––––––––––Et ça fait
–––––––––––Que l’on est
–––––––––––Tout à fait
–––––––––––Guilleret.
––––––––C’est du vin, oui, du vin.
–––––––––––––Etc.

Le vieux serviteur et deux paysans apportent des bouteilles et des gobelets qu’ils distribuent à tout le monde.

TOTO.
––––––Bons villageois tendez vos verres
––––––Et buvez le vin de mes pères.
TOUS.
––––––Bon villageois, tendons nos verres, etc. etc.…
TOTO.
––––––Buvons, buvons, mes chers amis,
––––––Buvons, et ceux qui seront gris
––––––Dans des voitures seront mis,
––––––Et chez eux seront reconduits ;
––––––Dans leurs lits on les couchera,
––––––Toute la nuit on dormira,
––––––Et quand le jour reparaîtra,
––––––Qui voudra se regrisera

S’adressant aux bouteilles.

––––––N’ayez pas peur, mes bonnes vieilles,
––––––Avec respect on vous boira ?
––––––Jeunes filles, vieilles bouteilles.
––––––La vie est douce avec cela.
––––––Buvons mes chers amis, etc.

A part.

––––––J’ai donc cessé d’être le maître,
––––––Et mon château n’est plus à moi ;
––––––Que je le laisse ou non paraître,
––––––Au fond j’en ressens quelqu’ émoi.
––––––Je ris, mais malgré ma grimace,
––––––J’ai vraiment quelque chose là,
––––––On dit qu’avec le vin tout passe,
––––––Voyons si cela passera.
––––––Buvons, buvons, mes chers amis, etc.

Les paysans et le vieux serviteur débarrassent de leurs gobelets tous les personnages.

CATHERINE, gaiement.
–––––––Après avoir bu dansons.
MASSEPAIN.
–––––––En avant filles et garçons !
PITOU.
––––––Oui, mais pas d’ vos dans’ s de salon ;
––––––––Au lieu de vot’ cotillon
––––––Nous allons danser la bourrée !
TOUS.
––––––Nous allons danser la bourrée.
–––––––Pendant toute la soirée
–––––––Dansons, dansons la bourrée.
PITOU.
BOURRÉE.
–––––––De tout’s les dans’s que l’on vante,
–––––––La bourrée est, selon moi,
–––––––La danse la plus charmante,
–––––––R’gardez, vous saurez pourquoi.
–––––––Allons, sautons, qu’on commence
–––––––Tout doucettement d’abord
–––––––Et tant plus ira la danse
–––––––Tant plus la danse ira fort.
MASSEPAIN.
–––––––On va vous dir’ la manière
–––––––D’ la danser avec succès
TOTO.
–––––––On lève un’ jamb’ la première’,
–––––––L’aut’ jamb’ on la lève après.
TOUS.
–––––––Allons, dansons, qu’on commence, etc.
LA VICOMTESSE.
–––––––C’est toujours la même chose,
–––––––Ça n’a rien d’ bien compliqué.
CRÉCY-CRÉCY.
–––––––Mais faut pas qu’on se repose,
–––––––Si l’on se repos’ c’est manqué.
TOUS.
–––––––Allons, dansons, qu’on commence, etc.
RAOUL.
–––––––On s’ démène, on se trémousse,
–––––––On s’ fait des noirs et des bleus.
CATHERINE.
–––––––On crie, on s’excite, on s’ pousse
–––––––Et l’on s’en va deux à deux.
TOUS.
–––––––Allons, dansons, qu’on commence
–––––––Tout doucettement d’abord
–––––––Et tant plus ira la danse
–––––––Tant plus la danse ira fort.

La danse s’est animée, Pitou, qui saute comme un fou, perd en dansant ses moustaches, sa perruque, ses habits ; tout le monde reste stupéfait en le voyant.

CHŒUR GÉNÉRAL.
–––––––––––Oh ! la la !
––––––––Qu’est qu’ c’est qu’ ça,
––––––Le général perd ses moustaches.
–––––––––––Oh ! la la !
––––––––Qu’est qu’ c’est qu’ ça
––––––Le général perd sa perruque.
–––––––––––Oh ! la la !
––––––––Qu’est qu’ c’est qu’ ça,
––––––Le général perd tout c’ qu’il a.
–––––––––––Oh ! la la !
–––––––––––Oh ! la la !

Pitou, au moment de la chute du rideau, s’aperçoit qu’il a perdu son costume et qu’on l’a reconnu. Il veut s’enfuir. On le retient. Tableau.



  1. Massepain, la vicomtesse.
  2. Pitou, Massepain.
  3. Raoul, Catherine.
  4. Raoul, Toto, Catherine.
  5. Toto, Raoul, Catherine.
  6. Raoul Catherine, Toto.
  7. Raoul, Toto, Catherine.
  8. Toto, Raoul, Catherine.
  9. Toto. Raoul, Catherine.
  10. Raoul, Toto, Catherine.
  11. Raoul, la vicomtesse, Toto, Crécy-Crécy, Catherine.
  12. Raoul, la vicomtesse, Crécy-Crécy, Toto un peu remonté, Catherine.
  13. Crécy-Crécy, la vicomtesse, Toto, l’enfant, Massepain, Catherine, Raoul, le vieux serviteur près de la porte du fond à gauche.
  14. Crécy-Crécy assis, la vicomtesse, id., Toto, Massepain à la table, le clerc Raoul, Catherine, le vieux serviteur au fond, le chœur assis à droite et gauche.
  15. Crécy-Crécy, la vicomtesse, Toto, Massepain, le clerc, Pitou, Catherine, Raoul.