Michel Levy Frères (p. 1-44).
Acte II  ►

ACTE PREMIER

Une salle gothique. — Grand vitrage au milieu au fond. — Deux grandes portes au troisième plan, droite et gauche, avec découvertes gothiques. — Portes au premier plan, droite et gauche. — Estrade de deux marches devant le vitrage du fond ; sur cette estrade table et siéges. — Deux pliants à l’avant-scène, droite et gauche. — Deux grandes panoplies aux deuxièmes plans, avec épées d’époques et de tailles différentes.



Scène PREMIÈRE

LE VIEUX SERVITEUR. — Il est assis et pensif, il se lève en entendant une fanfare sonnée par des cors.
C’est le sire de Crécy-Crécy qui chasse dans les grands bois… Jamais sa fanfare n’a été plus joyeuse, et cela se comprend. La haine des Crécy-Crécy est satisfaite, enfin ! le manoir de leurs éternels ennemis, le manoir des seigneurs de La Roche-Trompette va disparaître. (On entend de nouveau le son du cor.) Mais la fanfare se rapproche, serait-ce pour nous narguer ? (Il va regarder au fond par une fenêtre.) Que vois-je ? le baron lui-même avec sa fille Jeanne de Crécy-Crécy. Ils descendent de cheval, ils viennent ici… Un Crécy-Crécy chez un La Roche-Trompette ! il y a mille ans que pareille chose ne s’était vue…

Scène II

CRÉCY-CRÉCY, JEANNE, LE VIEUX SERVITEUR.

Crécy-Crécy en costume de cheval, bottes, culottes, fouet de chasse ; Jeanne en amazone.

LE VIEUX SERVITEUR.

Monsieur le baron.

CRÉCY-CRÉCY, entrant du fond à droite.

V’là un serviteur de c’te maison damnée… (Appelant au fond.) Viens, ma fille ![1]

LE VIEUX SERVITEUR.

Cela n’est pas bien, monsieur le baron…

CRÉCY-CRÉCY.

Qu’est-ce qui n’est pas bien ?

LE VIEUX SERVITEUR.

Vous n’auriez pas dû entrer ici aujourd’hui.

CRÉCY-CRÉCY.

Et pourquoi donc ne serais-je pas entré ici ? Le château n’est-il pas à vendre ?… dis…

LE VIEUX SERVITEUR.

Si fait, hélas !…

CRÉCY-CRÉCY.

Eh bien, alors, n’ai-je pas le droit de le visiter comme tout le monde ; qui sait si je ne veux pas l’acheter ?…

LE VIEUX SERVITEUR.

L’acheter ! vous !

CRÉCY-CRÉCY.

Sans doute, moi !…

LE VIEUX SERVITEUR.

Malheur sur nous si cela est vrai ! car si vous achetez le château des La Roche-Trompette, vous, ce ne doit pas être pour y faire mettre du papier neuf !

CRÉCY-CRÉCY.

As-tu les clefs ?

LE VIEUX SERVITEUR.

Non… je ne les ai pas !…

CRÉCY-CRÉCY.

Va donc les prendre et reviens pour nous conduire… car nous voulons tout voir.

LE VIEUX SERVITEUR, le suppliant.

Monsieur le baron…

CRÉCY-CRÉCY.

Va vite… nous t’attendons ici… J’ai une histoire à raconter à ma fille, et je ne suis pas fâché de la lui raconter ici même, dans cette salle…

LE VIEUX SERVITEUR, se redressant[2].

Restez-y donc dans cette salle… (Montrant les portraits.) Et regardez-les bien, baron de Crécy-Crécy, regardez-les… les fiers seigneurs de La Roche Trompette, mes nobles maîtres ! Il n’y en a pas là un seul dont la main n’ait été fatale à votre maison… Je vais chercher les clefs…

Il sort, premier plan gauche.


Scène III

CRÉCY-CRÉCY, JEANNE.
JEANNE.

Mon bon père !

CRÉCY-CRÉCY.

O ma fille !…

JEANNE.
Cet homme vous a dit de rudes choses.
CRÉCY-CRÉCY.

Cet homme a dit vrai : tous ceux dont les portraits sont là nous ont fait de terribles blessures… (Avec fierté.) et en ont reçu de nous de plus terribles encore ; mais qu’importe à la guerre, il n’y a que le dernier coup qui compte, et ce dernier coup c’est nous qui le donnerons. (Il remonte au fond.)[3] Là-bas, à l’horizon, le manoir de Crécy-Crécy est debout encore… et bientôt le château des La Roche-Trompette vendu à la criée !…

JEANNE.

Mon bon père !…

CRÉCY-CRÉCY.

Embrasse-le, ton bon père…

JEANNE.

Ah ! de tout mon cœur !…

CRÉCY-CRÉCY.

Et écoute-moi. Te rappelles-tu qu’un jour, tu étais une enfant alors, je te surpris en train de jouer avec le maître actuel de ce château, le jeune comte Hector de La Roche-Trompette… T’en souviens-tu, ma fille ?…

JEANNE.

Si je m’en souviens !…

CRÉCY-CRÉCY.

Oui…

JEANNE.
I
––––––Oui, je me souviens, mon bon-père,
––––––Et je me souviendrai toujours,
––––––Il avait la mine si fière
––––––Dans sa jaquette de velours.
––––––Bien qu’il eût ses douze ans à peine,
––––––L’adorable petit gamin,
––––––J’étais fière comme une reine
––––––Quand j’avais ma main dans sa main.
––––––Ah ! papa, cher petit papa,
––––––Le bel enfant que c’était là.
CRÉCY-CRÉCY.
––––––Ma fille, ne dis pas cela.
ENSEMBLE :
Le bel enfant que c’était là. | Ma fille ne dis pas cela.
JEANNE.
II
––––––Dans la forêt, je me rappelle
––––––Qu’un loup se montra devant nous ;
––––––Prise d’une frayeur mortelle,
––––––Je tombai sur mes deux genoux.
––––––Lui, me rassurant d’un sourire,
––––––S’avança d’un air courageux ;
––––––Le loup s’en fut sans nous rien dire,
––––––Ça nous fit plaisir à tous deux.
––––––Ah ! papa, cher petit papa,
––––––Le brave enfant que c’était là.
CRÉCY-CRÉCY.
––––––Ma fille, ne dis pas cela.
REPRISE DE L’ENSEMBLE
Le brave enfant que c’était là. | Ma fille ne dis pas cela.
CRÉCY-CRÉCY.

Comment, ma fille, tu vas te promener dans les bois avec l’ennemi de ta race ; tu y rencontres le loup, et tu ne le dis pas à ton bon père !…

JEANNE.

Le jour où vous nous surprîtes ensemble, il venait justement de me dénicher des oiseaux dont j’avais envie… C’est alors que vous arrivâtes, mon bon père…

CRÉCY-CRÉCY.

Brusquement ; je te pris par la main, et sans prononcer une parole, comme ça m’arrive quelquefois… quand je n’ai rien à dire, je te fis rentrer au manoir. Avec une intelligence au-dessus de ton âge, tu me demandas l’explication de ma conduite… Cette explication, je te répondis que je te la donnerais un jour. Je vais te la donner aujourd’hui.

JEANNE.

Je vous écoute, et je vous embrasse…

CRÉCY-CRÉCY.

Peut-être, pour te la donner, serai-je obligé de te dire des choses étranges, ô ma fille !… Mais n’importe !… ne sais-je pas d’avance que ce que tu ne devras pas comprendre tu ne le comprendras pas… Notre devise à nous autres est : Pur-et-Crécy Toi, ma fille, tu es pure, moi je suis Crécy !

JEANNE.

Parlez ! et ne craignez rien.

CRÉCY-CRÉCY, allant s’asseoir sur le grand fauteuil à droite. Jeanne s’assied près de lui sur un pliant.

Il y a quelques milliers d’années… car ils sont le bonne noblesse, les galopins… il y a quelques milliers d’années, les La Roche-Trompette et les Crécy-Crécy étaient amis comme… on ne l’est pas. La route qui part d’ici pour aller à Barentin était aux La Roche-Trompette, celle qui part de chez nous pour aller à Harfleur était aux Crécy-Crécy, et quand un voyageur s’aventurait sur une de ces deux routes, je te donne mon billet qu’il était sûr de son affaire… Le soir on rentrait au manoir. Les La Roche-Trompette rencontraient les Crécy-Crécy, les Crécy-Crécy rencontraient les La Roche-Trompette, et, l’on se demandait de ses nouvelles, et l’on parlait de ses petites affaires. — Eh bien, voisin, avez-vous fait bonne prise ?… — Mais pas mal, et vous ? — Moi, j’ai pillé trois marchands… — Moi, j’ai mis la main sur un gros prieur… il jure qu’il n’a rien, mais je ne le lâcherai pas qu’il n’ait donné rançon… — Et l’on riait ! Ah ! c’était le bon temps… les deux familles alors s’adoraient ce bonheur-là ne pouvait pas durer…

JEANNE.

Continuez, mon bon père…

CRÉCY-CRÉCY.

Il y a un endroit où les deux routes se rencontrent et se croisent… il arriva qu’un jour les La Roche-Trompette et les Crécy-Crécy tombèrent ensemble sur un voyageur au moment même où il traversait cet endroit. Le cas était délicat… il y eut contestation… Les La Roche-Trompette ; qui étaient en force, prétendirent que le gibier était à eux et emportèrent le voyageur… A partir de ce jour, ma fille…

JEANNE.

A partir de ce jour ?…

CRÉCY-CRÉCY, il se lève et passe à droite[4].

La guerre fut déclarée entre les deux famille ; guerre incessante et implacable… Têtes brisées, lances rompues, ferraille cassée !… Cela dura jusqu’au jour où l’homme à la main de fer… j’ai nommé Louis XI… déclara que tout ça l’ennuyait… il se mit à avoir l’oeil sur les deux familles, et quand l’une d’elles bougeait, crac ! la tête d’un Crécy-Crécy, crac ! la tête d’un La Roche-Trompette… Cette façon originale de jouer aux boules ramena un peu de tranquillité… Malheureusement, en 1595, sous le Béarnais…

JEANNE.

Sous le Vert-Galant !

CRÉCY-CRÉCY.

Embrasse ton père… En 1595, il se passa quelque chose qui, raviva les haines… Un des nôtres, Bernard de Crécy-Crécy, se trouvant d’aventure avoir un pourpoint groseille dont il était satisfait, s’avisa de le vouloir faire admirer à la belle Gabrielle. Il s’en alla chez elle et sonna… La bonne accourut et lui dit Madame ne peut pas vous recevoir maintenant, Henri IV est là !… Bernard s’inclina et s’en revint au Louvre. La première personne qu’il rencontra fut justement le roi… — Eh ! quoi, Sire, vous êtes ici… je vous croyais chez la belle Gabrielle !… — Triple fol, lui répondit le roi, c’est aujourd’hui mercredi… Ne sais-tu pas que je ne vais plus chez elle que les mardis, jeudis et samedis ! C’est une concession que j’ai dû faire à Sully… —Je l’avais oublié, Sire, repartit Bernard d’une voix mal assurée… Il s’inclïna, sortit, retourna chez la belle Gabrielle, força, la porte, renversa la bonne, entra dans le boudoir et y trouva…

JEANNE.

Un La Roche-Trompette…

CRÉCY-CRÉCY.

Justement…

JEANNE.

J’en étais sûre : il sont si séduisants dans cette famille…

CRÉCY-CRÉCY.

Qu’as-tu dit ?

JEANNE.

Rien, mon bon père.

CRÉCY-CRÉCY.

A dater de cette rencontre, la guerre entre les deux maisons recommença pour ne plus s’arrêter… mais ce jour, je pense, sera le dernier de cette terrible bataille… Car des Crécy-Crécy il ne reste que toi et moi, ma Jeanne bien-aimée. Des La Roche-Trompette il ne reste que cet enfant avec lequel tu jouais le jour où, brusquement, je te pris par la main pour te faire rentrer au manoir.

JEANNE.

Mais cet enfant ?…

CRÉCY-CRÉCY.
Cet enfant… Ah ! ah ! il a vingt-deux ans maintenant, cet enfant ; à dix-huit ans il pouvait disposer de toute sa fortune et s’en allait à Paris… Ah ! ah ! ma fille bien-aimée… Une fois là-bas, le jeune Toto de La Roche-Trompette… Il s’appelle Hector, mais il paraît que ces dames prononcent Toto… le jeune Toto de La Roche-Trompette s’est mis à mener une vie de polichinelle avec les cocottes les plus huppées de la capitale…
JEANNE.

Avec les cocottes ?…

CRÉCY-CRÉCY.

Je te dis ces mots-là parce que je sais que tu que tu ne peux pas me comprendre… Après quatre ans de cette existence, il est arrivé ce qui devait arriver… Un jour, le bruit s’est répandu que le jeune comte, à bout de ressources, allait être obligé, pour payer ses dettes, de vendre le château de ses pères.

JEANNE.

Pauvre jeune homme !

CRÉCY-CRÉCY.

La nouvelle était vraie. (Il remonte au fond.)[5] Là-bas, à l’horizon, le manoir des Crécy-Crécy est debout encore, et demain, moi, baron de Crécy-Crécy, j’aurai acheté le château de La Roche-Trompette, afin d’en faire une écurie pour mes chevaux et un chenil pour mes chiens.

JEANNE.

Est-ce vraiment votre intention ?

CRÉCY-CRÉCY.

Ah ! ah ! je le crois bien que c’est mon intention.

JEANNE.

Mais cependant… si une autre personne…

CRÉCY-CRÉCY.

Une autre personne…

JEANNE.

Oui… si une autre personne allait acheter…

CRÉCY-CRÉCY.
Et qui donc l’achèterait ?… personne n’a le sou ici. Qui donc pourrait lutter contre un homme de qui la fille, le jour où elle quittera son vieux père pour suivre le polisson qu’elle aimera, pourra dire au polisson : « Regarde, satané polisson, dans chacune de mes mains il y a un million… » O ma fille !… tu ne les as pas perdus les deux millions que ton père t’a donnés…
JEANNE.

Oh ! non, papa…

CRÉCY-CRÉCY.

Montre-les…

JEANNE, tirant un petit portefeuille de sa poche.

En voici un…

CRÉCY-CRÉCY.

Et l’autre ?… Eh bien, eh bien !

JEANNE, tirant un second portefeuille.

Le voici.

CRÉCY-CRÉCY.

A la bonne heure, remets-les dans ta poche, et souviens-toi que notre devise est : Pur-et-Crécy. Toi, tu es pure…

JEANNE.

Et vous, vous êtes Crécy.

CRÉCY-CRÉCY.

C’est cela même. Embrasse ton père…

JEANNE, après avoir embrassé son père.

Pauvre jeune homme !

Rentre le vieux serviteur[6].


Scène IV

Les Mêmes, LE VIEUX SERVITEUR.
LE VIEUX SERVITEUR.

Maintenant j’ai les clefs…

CRÉCY-CRÉCY.

Montre-nous le chemin alors…

Bruit de voix au dehors.

JEANNE.
Quel est ce bruit ?
LE VIEUX SERVITEUR.

Les paysans… commencent à arriver pour la réception de M. le comte, mon jeune maître…

JEANNE.

Ton maître… Il doit venir ici ?

LE VIEUX SERVITEUR.

Oui, mademoiselle.

JEANNE.

Aujourd’hui ?

LE VIEUX SERVITEUR, Il remonte regarder au fond[7].

Tout à l’heure… et les gens de ce pays ont pensé que ça ne lui serait pas désagréable de leur entendre chanter quelque chose… c’est pour cela qu’ils viennent. (Regardant par la fenêtre.) Voici Pitou… le frère de lait de mademoiselle…

CRÉCY-CRÉCY.

Le jeune Pitou…

LE VIEUX SERVITEUR.

Il aide la grosse Catherine à descendre de son âne… et, selon son habitude, la grosse Catherine lui tourne le dos pour le remercier…

JEANNE.

Toujours malheureux dans ses amours, ce pauvre Pitou.

LE VIEUX SERVITEUR.

Autant qu’il peut, mademoiselle…

JEANNE.

Hélas !…

CRÉCY-CRÉCY, avec tendresse[8].

Ma fille !

JEANNE.
Je sais bien que ce ne sont que des paysans… mais que voulez-vous, mon bon père ; maintenant… toutes les fois qu’on raconte devant moi une scène d’amour, ça me fait cet effet-là…
CRÉCY-CRÉCY, à part.

Eh ! eh ! je crois qu’il est temps ! (A Jeanne.) Embrasse-le, ton bon père.

JEANNE, se remettant.

Là, c’est fini, Allons visiter le château.

CRÉCY-CRÉCY.

Marche devant nous, vieux chien fidèle !…

Ils sortent par le premier plan gauche ; la porte du fond à droite s’ouvre dès qu’ils sont sortis. Entrent Catherine et Pitou.


Scène V

PITOU, CATHERINE[9].

Tous deux entrent vivement du fond droite ; Catherine la première, l’air furieux. Pitou la suit paraissant très-ému.

CATHERINE.

Ah ! tu me laisseras…

PITOU.

Non, j’te laisserai point…

CATHERINE.

Il faudra voir…

PITOU.

Ah ! c’est tout vu.

DUO ET STANCES.
CATHERINE, regardant Pitou d’un air irrité.
––––––Toujours, alors.
PITOU.
––––––Toujours, alors. Ah ! oui, toujours.
CATHERINE.
––––––Est-il donc dit, grand imbécile,
––––––Qu’ jamais tu n’me laiss’ras tranquille.
PITOU.
––––––Non jamais, fermière indocile,
––––––Tant qu’tu s’ras l’objet d’mes amours.
ENSEMBLE :
CATHERINE.
–––––––––Ah ! qu’il est crispant.
–––––––––Qu’il est agaçant,
–––––––––Qu’il est irritant.
––––––Quand ça vous s’ra passé, j’espère
––––––Que vous voudrez bien m’ fich’ la paix.
PITOU.
–––––––––Ah ! qu’elle est aimable,
–––––––––Qu’elle est agréable,
–––––––––Qu’elle est désirable.
––––––N’y comptez pas, la grosse fermière,
––––––Quand j’suis pincé, c’est pour jamais
PITOU, après l’ensemble[10].
–––––––––––Tu m’aimeras,
CATHERINE.
–––––––––––Je n’t’aimerai pas !
PITOU.
––––––Je veux qu’tu m’aimes, et tu m’aim’ras
CATHERINE.
––––––Pourquoi t’aimer ?
PITOU.
––––––Pourquoi t’aimer ? Parce que je t’aime.
CATHERINE.
––––––Vraiment, Pitou, moi c’est tout d’même,
––––––Et ma seul’ raison pour t’haïr,
––––––C’est que je ne peux pas t’souffrir.
STANCES.
PITOU.
––––––Je t’aim’ tant, vois-tu, j’te trouv’ si belle,
––––––Enfant, qu’si t’étais tourterelle
––––––J’voudrais être tourtereau.
CATHERINE.
––––––Je t’haïs tant, moi, tant j’tantipathe,
––––––Qu’si t’étais chien, j’voudrais êtr’ chatte ;
––––––Qu’si t’étais l’ feu, j’voudrais êtr’ l’eau.
PITOU.
––––––J’ t’aim’ tant, quoiqu’ta p’tit’ bouche en grogne
––––––Qu’si t’étais l’vin, moi j’serais l’ivrogne ;
––––––Si t’étais rivièr’ j’ serais bateau.
CATHERINE.
––––––Ta face à c’point m’est importune,
––––––Qu’ si t’étais l’soleil, j’ s’rais la lune
––––––Pour ne jamais te rencontrer.
PITOU.
––––––Un dernier mot pour me faire connaître.
––––––Si t’étais la truff’ j’voudrais être
––––––L’animal que j’ n’os’ pas nommer.
CATHERINE.
––––––Je vous sais gré de n’ pas l’nommer.
PITOU.
––––––C’est-y pas ça qu’on appelle aimer.
––––––Mamzelle Catherine, est-y possible
––––––Qu’un compliment si bien tourné
––––––Ne trouv’ pas votre cœur plus sensible.
CATHERINE.
––––––Faut-y donc qu’y soit obstiné.
REPRISE DE L’ENSEMBLE.
Ah ! qu’il est crispant
Etc., etc.
Ah ! qu’elle est aimable,
Etc., etc.
PITOU[11].

Mais pourquoi, enfin, pourquoi

CATHERINE.

Parce que.

PITOU.

C’est à n’y rien comprendre… T’es une nature supérieure cependant.

CATHERINE.

Eh ! ben après.

PITOU.

Tu t’ fiches pas mal des querelles de nos maîtres… et si tu n’ m’aimes pas, ça ne peut pas être parce que tu es, toi, la fermière de M. de La Roche-Trompette et parce que je suis, moi, le frère de lait de mademoiselle de Crécy-Crécy.

CATHERINE.

Non… c’est pas pour ça.

PITOU.

Pourquoi alors… ?

CATHERINE.

Parce que…

PITOU.

Et v’là tout ce que je parviens à obtenir de toi ! C’était bien la peine de renoncer à une position brillante…

CATHERINE.

Qué position !… ?

PITOU.

Fais donc semblant d’oublier qu’il y a deux ans j’étais domestique à dix lieues d’ici… chez le brave général Bourgachard…

CATHERINE.

Ah ! c’est cela.

PITOU.
J’ te vis, j’ t’aimai, et c’est pour me rapprocher de toi que je suis r’venu ici, et que j’ai consenti à m’ refaire paysan…
CATHERINE, entre ses dents, avec un dédain écrasant.

Paysan !

PITOU.

Paysan ! tout de même ! Tu dis ?

CATHERINE.

Rien.

PITOU.

A quoiqu’ça me sert alors d’être l’ plus madré des garçons du pays, et l’ mieux fait pour inspirer l’amour ?

COUPLETS :
PITOU.
I
–––––––Mon humeur n’est-elle pas gaie ?
–––––––Et parmi les autr’s jeunes gens
–––––––En trouveras-tu un qui aie
–––––––Comme moi des p’tits talents ?
CATHERINE.
–––––––Qué talents qu’t’as, imbécile ?
PITOU.
–––––––Plus d’mille ! objet grassouillet.
CATHERINE.
–––––––Fais-en voir un sur les mille.
PITOU.
–––––––Aim’s-tu l’son du flageolet ?

Il imite le flageolet.

PITOU.
II
–––––––Ça t’déplairait donc, cruelle,
–––––––De voir que ton amoureux
–––––––Avec sa voix naturelle
–––––––Fait la musique qu’ tu veux.
CATHERINE.
–––––––T’en jou’s tout comme not’ aveugle.
PITOU.
–––––––J’suis ben content si ça t’plaît.
CATHERINE.
–––––––Sais-tu faire la vache qui beugle ?
PITOU.
–––––––J’vas t’ refaire le flageolet.

Il imite de nouveau le flageolet.

L’autre jour… avec ma voix naturelle, j’ai imité toute une basse-cour à moi tout seul… Les oies, les dindons, les canards. Tout le monde se tordiont de rire… Toi seule tu n’ te tordions pas… Toutes les bouches ont ri… excepté une !… Oh ! malheur… et celle-là était justement la seule que j’aurais voulu voir rire.

CATHERINE, riant.

C’est pas de chance, ça… Ah ! ah !

PITOU.

V’là qu’ tu ris maintenant…

CATHERINE, riant de plus belle.

Puisque c’est ça qu’ tu veux…

PITOU.

Mais non… quand j’ veux que tu ries, tu n’ ris pas… et quand j’ veux qu’ tu n’ ris pas, tu ris…

CATHERINE.

C’est mon humeur !…

PITOU.

Mais c’est impossible à la fin… T’es trop dure.., tu n’ dois pourtant pas être entièrement bâtie en moellons… Tu serais la seule…

CATHERINE.

Qué qu’il a dit ?

PITOU.

Il doit y avoir quéqu’ moyen de t’attendrir…

CATHERINE.
Certainement, il y en a un…
PITOU.

Et lequel ?…

CATHERINE, le regardant dédaigneusement.

A quoi qu’ ça servirait d’ te l’ dire ; à rien du tout… Alors j’ te l’ dis pas…

PITOU, levant la main.

Ah ! tu m’en f’ras tant que…

CATHERINE, se mettant en garde.

Pour ça, tu sais… quand tu voudras… (Ritournelle.) Pas maintenant pourtant, v’là du monde !


Scène VI

Les Mêmes, Le Chœur, puis MAITRE MASSEPAIN et LE VIEUX SERVITEUR[12].

Les paysans entrent, vivement par les portes du fond.

CHŒUR :
––––––Dépeçons, achetons la terre
–––––––––––Par morceaux,
––––––Et démolissons pierre à pierre
–––––––––––Les châteaux.
––––––De cet antique domaine
––––––Nous aurons chacun un brin,
––––––Dans la montagne ou la plaine
––––––Chacun aura son lopin.
CATHERINE.
––––––Venez donc, monsieur l’ notaire,
––––––Sans vous nous ne pouvons rien faire.
CHŒUR.
––––––V’nez par ici, parlez-nous donc !
MASSEPAIN, tiraillé de droite et de gauche.
––––––Mon Dieu ! j’en perdrai la raison.
I
––––––Ah ! quel tourment d’être notaire
–––––––––Et d’avoir à faire
–––––––Les affaires de ces gens-là.
––––––A droite, à gauche, on me tiraille,
–––––––––Et chacun d’eux piaille.
––––––L’un tire à hue et l’autre à dia.
––––––Pour faire, sans devenir bête,
––––––Ce métier du matin au soir,
–––––––––––Ah ! quelle tête !
–––––––––––Ah ! quelle tête !
––––––Ah ! quelle tête il faut avoir.
CHŒUR.
–––––––––––Ah ! quelle tête, etc.
MASSEPAIN.
II
––––––Joignez à cela que les filles
–––––––––Sont parfois gentille,
––––––Un notaire n’est pas un saint,
––––––On le sait de reste, et plus d’une
–––––––––S’en vient à la brune
––––––Consulter maître Massepain.
––––––Pour faire, sans devenir bête,
––––––Ce métier du matin au soir,
–––––––––––Ah ! quelle tête !
–––––––––––Ah ! quelle tête ?
––––––Ah ! quelle tête il faut avoir !
CHŒUR.
–––––––––––Ah ! quelle tête !
–––––––––––Ah ! quelle tête !
–––––––Ah ! quelle tête il faut avoir !
MASSEPAIN.

Ah ! quelle tête… mais ce n’est pas tout ça… M’écoutez-vous, paisibles habitants du hameau de La Roche-Trompette ?…

PITOU.

Nous vous écoutons…

MASSEPAIN.

Je suis à la fois votre notaire et le chef de votre fanfare, mais c’est comme notaire que je désire d’abord vous parler… Le château de La Roche-Trompette avec ses dépendances sera vendu aujourd’hui même… (On entend un gémissement.) Qu’est-ce que c’est que ça…

CATHERINE.

C’est le vieux serviteur… ; y geint !…

MASSEPAIN.

Pauvre bonhomme !… La vente aura lieu ici-même, ce soir, par le ministère de maître Massepain… C’est moi, mesdames. Monsieur le comte Hector de La Roche-Trompette, dernier du nom et possesseur actuel du domaine, doit, vous le savez sans sans doute, assister à la vente… Il sera ici dans une demi-heure ; nous le recevrons comme il convient. Et, à ce propos, en voilà assez pour le notaire, messieurs de la fanfare, êtes-vous là ?

DES VOIX, dans la foule.

Oui, nous sommes là !

MASSEPAIN.

C’est très-bien… venez… et placez-vous un peu en avant des autres, afin que l’on vous voie… (A la foule). Laissez passer les quatre messieurs de la fanfare…. (Les quatre personnes de la fanfare, parmi lesquelles une femme, viennent se ranger en face de Massepain. — Stupéfait en voyant la femme). Qu’est-ce que cela veut dire, madame ?…

LA FEMME, elle a un trombone.

Mathurin n’a pas pu venir… Alors, moi, sa femme…

MASSEPAIN.

Et vous en jouez ?…

LA FEMME.

Toutes les nuits, pendant que mon mari dort, je m’assieds sur le lit, et je travaille pour apprendre…

Elle joue.

MASSEPAIN, enthousiasmé.

Et l’on dit que les Français ne sont pas musiciens !… Messieurs de la fanfare… (Avec galanterie). Madame et messieurs, veux-je dire, le jeune comte de La Roche-Trompette arrivera ici tout à l’heure… Il amène avec lui une dame du meilleur monde, madame la vicomtesse de la Farandole, et un de nos plus brillants. gentilshommes, le marquis Raoul de la Pépinière… Il nous a paru convenable d’organiser une petite fête pour la réception de ces illustres personnages… La grosse Catherine se placera à la tête des jeunes filles et offrira des fleurs à monsieur le comte. Pitou, lui, se placera à la tête des jeunes gens et offrira des fleurs à madame la vicomtesse… Les bouquets sont-ils prêts, vieux serviteur ?

LE VIEUX SERVITEUR.

Les voici…

Il donne deux bouquets, l’un à Catherine, l’autre à Pilou. On entend le bruit d’un fouet et les grelots des chevaux.

MASSEPAIN.

Qu’est-ce que cela ?… il me semble, que j’entends…

LE VIEUX SERVITEUR, à la fenêtre.

Oui… ce sont les voitures…

Il sort vivement.

MASSEPAIN.

Catherine, Pitou… ne perdez pas une minute, et placez-vous à vos têtes respectives. (Les jeunes fille viennent se ranger autour de Catherine, les jeunes gars autour de Pitou.) Quant à vous, messieurs de la fanfare, madame et messieurs, veux-je dire, mettez-vous là. (Il leur indique leur place.) Vous n’aurez qu’à souffler de toutes vos forces sur l’air que je vous ai fait répéter pour cette cérémonie…

LE VIEUX SERVITEUR, rentrant, et avec joie.

Voici monsieur le comte, il descend de voiture.

MASSEPAIN, s’inclinant devant la femme au trombone.

Dès que cela vous plaira, madame, nous commencerons.

La femme lance une note, les trois autres musiciens la suivent.

Fanfare et chœur.


Scène VII

Les Mêmes, TOTO, MADAME DE LA FARANDOLE, RAOUL.
CHŒUR[13] :
–––––––En cette heureuse journée,
–––––––Par nos transports et nos cris
–––––––Fêtons gaîment l’arrivée
–––––––Du seigneur de ce pays.

Pendant ce chœur, entrent Toto avec la vicomtesse et le marquis.

TOTO.
–––––––Nous voici donc, vicomtesse,
–––––––Nous voici donc, cher marquis,
–––––––Arrivés dans ce pays
–––––––Où s’écoula ma jeunesse.
MASSEPAIN, à part.
–––––––Qu’elle est belle, la vicomtesse !
PITOU, à part.
––––––Ah ! comme il est bien, le marquis !
PITOU, à part.
––––––Elle a remarqué le marquis !…
CHŒUR :
––––––Vive madam’ la vicomtesse !
––––––Et vive aussi monsieur le marquis ?
TOTO.
I
––––––Regardez ces vieilles murailles
––––––Devant lesquelles recula
––––––La fureur de tant de batailles ;
––––––Regardez ci, regardez là,
––––––Tours, créneaux et mâchicoulis,
––––––Oubliettes et ponts-levis,
––––––Vieux murs, vieux portraits, vieux lambris ;
––––––Tout ça, mes bons, c’est mon château,
––––––––––Le vieux château,
––––––––––Le beau château
–––––––––––A Toto.
CHŒUR.
–––––––Il date de loin le château,
––––––––––Le vieux château,
––––––––––Le beau château
–––––––––––A Toto.
TOTO.
II
––––––Autrefois quand à cette porte
––––––Quelqu’un frappait, venant de loin,
––––––Pages, varlets de toute sorte,
––––––Allaient, et de lui prenaient soin.
––––––Et mon aïeul à l’inconnu
––––––Disait : Fussiez-vous pauvre et nu,
––––––Soyez ici le bienvenu.
––––––On vivait bien dans mon château,
––––––––––Dans le château,
––––––––––Le beau château
–––––––––––A Toto.
CHŒUR.
––––––On vivait bien dans le château,
––––––––––Le vieux château,
––––––––––Le beau château
–––––––––––A Toto.
TOTO, prenant le bras de la vicomtesse, et s’appuyant sur l’épaule de Raoul.
III
––––––Honneur aux coutumes anciennes,
––––––Elles ont du bon, et je veux
––––––Vous recevoir dans mes domaines,
––––––Sinon bien, du moins de mon mieux !
––––––Soyez les bienvenus céans,
––––––Mais songez-y, mes chers enfants,
––––––Nous n’en avons pas pour longtemps.
––––––Car on le vend notre château,
––––––––––Le vieux château,
––––––––––Le beau château
–––––––––––A Toto.
CHŒUR.
––––––On va le vendre le château,
––––––––––Le vieux château,
––––––––––Le beau château
–––––––––––A Toto.
LA FOULE.

Vive monsieur le comte !…

LE VIEUX SERVITEUR, s’approchant de Toto.

Mon bon maître…

TOTO.

Mon vieux Raymond…

LA FOULE.

Vive monsieur le comte… !

RAOUL.

Plus que ça de féodalité ! Excusez du peu !

Il gagne la gauche.

TOTO[14].

Mes amis, je ne sais vraiment comment m’y prendre pour…

MASSEPAIN.

Pas maintenant, monsieur le comte !…

TOTO.

Comment, pas maintenant…

MASSEPAIN.

Non, tout à l’heure… Il y a encore quelque chose, on doit vous offrir des fleurs…

TOTO.

Vraiment !…

MASSEPAIN.

Catherine à la tête des jeunesses… Avancez, Catherine, et Pitou à la tête des jeunes gars… Avancez, Pitou.

Catherine et Pitou s’avancent tenant chacun un bouquet. Catherine dévore le marquis des yeux. Toto et la vicomtesse remontent un peu[15].

PITOU, à Catherine.

V’là encore que tu l’guignes…

CATHERINE, bas.
Et qui donc ?
PITOU, bas.

M’sieu le marquis…

CATHERINE, bas.

Eh ! oui dà, je l’guignes, et puis après ?

PITOU, à part

Oh !

TOTO.

Donne ton bouquet, mon garçon. (Il prend le bouquet de Pitou.) Madame la vicomtesse voudra bien l’accepter. (La vicomtesse prend le bouquet.) Donne aussi le tien, la fermière. (Il prend le bouquet de Catherine.) Et voici pour te remercier… (Il embrasse Catherine.)

MASSEPAIN.

Oh ! oh ! monsieur le comte… monsieur le comte…

TOTO.

Qu’est-ce qu’il y a…

MASSEPAIN.

N’embrassez pas encore !… Attendez la symphonie avec chœurs !

TOTO et LA VICOMTESSE.

Une symphonie ?

MASSEPAIN.

Composée par moi… et, après la symphonie j’espérais avoir l’honneur d’embrasser madame la vicomtesse.

TOTO.

Eh bien… mais, notaire… commencez toujours par embrasser… Madame la vicomtesse voudra bien permettre…

LA VICOMTESSE.

Mais sans doute.

LE NOTAIRE, il passe près de la vicomtesse[16].

Ah ! vicomtesse…

Il l’embrasse.

CATHERINE.

Ma foi, puisqu’on s’embrasse…

Elle saute au cou du marquis et l’embrasse avec violence.

PITOU, à part, désespéré.

Elle l’a embrassé ! elle l’a embrassé !…

TOTO.

Et, quant à la symphonie avec chœurs, si vous désirez m’être agréable, nous la remplacerons par un air que l’on chantait ici autrefois, que l’on chante encore sans doute… et que je me rappelle… Rondelinon…

MASSEPAIN.

Rondelinette…

TOTO.

C’est cela qu’il faut chanter. (A Raoul) Pas vrai, marquis ?…

RAOUL.

Si on chante autre chose, je m’en vais…

MASSEPAIN, avec expression.

Madame la vicomtesse aurait préféré la symphonie avec chœurs, peut-être ?

LA VICOMTESSE.

Moi, pas du tout.

MASSEPAIN[17].

Non. Ah ! je croyais… La chanson du pays, en avant Catherine et Pitou !…

RONDE
PITOU.
I
–––––––––Un jour courait Jeannette
–––––––––Sa cruche sous le bras,
–––––––––Un monsieur qui la guette
–––––––––Se trouve sur ses pas.
CATHERINE, parlé.
Ah ! mon Dieu, monsieur, vous m’avez fait peur.
PITOU.
–––––––––––Arrêtez là,
–––––––––––Brunette,
––––––––Faut pas courir comm’ ça,
TOTO.
––––––––––Rondelinon,
CATHERINE.
––––––––––Rondelinon.
TOTO et CATHERINE.
––––––Rondelinon, rondelinette,
––––––Faut pas, faut pas courir comm’ ça.
CHŒUR GÉNÉRAL.
––––––Rondelinon, rondelinette,
––––––Faut pas, faut pas courir comm’ ça.
PITOU.
II
––––––––Il accoste Jeannette
––––––––Et la prend dans ses bras,
––––––––Et tenant la fillette,
––––––––Il lui parle tout bas.

Il parle bas à l’oreille de Catherine.

CATHERINE, parlé.

Plait-il, monsieur ? Non, monsieur, non, certainement non…

PITOU.
––––––––––Arrêtez là,
––––––––––Brunette,
––––––––Faut pas rougir comme ça,
––––––––––Rondelinon.
TOTO.
––––––––Rondelinon,
TOTO et CATHERINE.
––––––Rondelinon, rondelinette,
––––––Faut pas, faut pas rougir comme ça.
CHŒUR GÉNÉRAL.
––––––Rondelinon, rondelinette,
––––––Faut pas, faut pas rougir comme ça.
PITOU.
III
––––––––Ce qu’il dit à Jeannette,
––––––––Je n’vous l’dirons pas ;
––––––––De frayeur la pauvrette
––––––––Cassa sa cruche, hélas !
CATHERINE, parlé.

Ah ! mon Dieu, monsieur, qu’est-ce que ma mère va dire. Oh ! les vilains hommes !

PITOU.
––––––––––Arrêtez là,
––––––––––Brunette,
––––––––Faut pas pleurer pour ça.
CATHERINE.
––––––––––Rondelinon.
TOTO.
––––––––––Rondelinon,
TOTO et CATHERINE.
––––––Rondelinon, rondelinette,
––––––Faut pas, faut pas pleurer pour ça.
CHŒUR GÉNÉRAL.
––––––Ronielinon, rondelinette,
––––––Faut pas, faut pas pleurer pour ça[18].
TOTO.

Puis-je remercier maintenant…

MASSEPAIN.

Si monsieur le comte croit devoir…

TOTO.

Merci donc, mes amis. Je veux, tant que je serai le maître ici, que vous n’ayez pas à vous plaindre de mon hospitalité. Conduis les hommes, vieux serviteur, et s’il y a encore des tonneaux dans la cave, ne craignez pas de les défoncer. J’entends, monsieur le notaire, qu’en venant ici, ce soir, pour la vente, vous ameniez avec vous votre fanfare…

MASSEPAIN.

Une vente en musique !

TOTO.

Ce sera plus gai. Et, après l’adjudication, nous organiserons un petit bal pour ces dames et ces demoiselles… Comme cela tout le monde aura sa part. Aux hommes, le vin ; aux femmes, la danse.

CATHERINE.

La danse. Quel bonheur ! (Elle donne une petite bourrade à Raoul.)

PITOU, à part, la regardant d’un air furieux.

Oh ! oui la danse !

TOTO.

Allez, mes amis, allez.

LA FOULE.

Vive monsieur le comte !

LA VICOMTESSE, bas à Massepain.

Trouvez-vous dans un moment ici, j’ai à vous parler.

MASSEPAIN.

Vicomtesse…

TOTO.

A tout à l’heure, mes amis, à tout à l’heure, pour la vente et pour le bal. Ce soir pour la dernière fois :

––––––On va danser dans mon château,
––––––––––Dans le château,
––––––––––Le beau château
–––––––––––A Toto.
LE CHŒUR.
––––––On dansera dans le château,
––––––––––Le beau château,
––––––––––Le vieux château
–––––––––––A Toto.

À la fin du chœur tout le monde sort. Pendant la sortie, Pitou gagne la gauche et vient près de Catherine.

PITOU, à Catherine[19].

Pourquoi qu’ tu restes là ?

CATHERINE.

Parc’que ça m’plaît.

PITOU.

Moi, ça n’ me plaît point…

CATHERINE.

C’est dommage…

PITOU.

Et tu vas filer…

CATHERINE.

Répète ça un peu…

PITOU.

Oui, tu vas filer…

CATHERINE.

V’lan ! (Elle donne un soufflet à Pitou. Celui-ci fait un tour sur lui-même.)

PITOU.

Elle a obéi, tout d’même ! (Ils sortent.)

Tout le monde est sorti, excepté Toto, la vicomtesse et Raoul.

Scène VIII

RAOUL, TOTO, LA VICOMTESSE.

Raoul se débarrasse de son pardessus, etc. La vicomtesse s’assied sur le fauteuil à droite, tire de sa poche une petite glace à main, une petite pomme d’api et, se met de la poudre de riz. Toto en se promenant allume et fume une cigarette.

RAOUL.

Lâchons le moyen âge et revenons au dix-neuvième siècle… (A la vicomtesse.) Après vous la poudre de riz, s’il en reste.

LA VICOMTESSE, lui passant la pomme.

Voilà ! (A Toto.) Eh bien, Toto ?…

TOTO.

Eh bien, ma chère ?

LA VICOMTESSE.

Comment trouves-tu que j’ai joué mon rôle de vicomtesse ?

TOTO.

Très-bien, ma chère…

LA VICOMTESSE.

Avoue que personne n’aurait pu reconnaître en moi la célèbre, l’incomparable Blanche Taupier… et pourtant parmi les gens qui étaient là tout à l’heure… il y en a plus d’un qui autrefois m’a vue toute petite.

RAOUL.

Vous êtes d’ici, vous ?

LA VICOMTESSE.

A dix lieues d’ici… moi je suis née… c’est de ce pays que je suis partie… j’en suis partie pauvre et j’y reviens…

TOTO.

A ton aise.

LA VICOMTESSE.
Dame ! Tu sais…
TOTO.

Absolument comme moi… à cela près que c’est tout le contraire… j’en suis parti riche et j’y reviens…

RAOUL.

Compris !

LA VICOMTESSE.

Comme c’est drôle tout de même… Il y a des gens qui… et puis il y en a d’autres… C’est très-drôle…

TOTO.

Tu trouves ça drôle, toi ?

LA VICOMTESSE.

Mais oui !

TOTO.

C’est pourtant bien facile à comprendre… Tu vas voir… As-tu ton étui à cigarettes ?

LA VICOMTESSE.

Oui…

TOTO.

Et, des cigarettes dedans ?

LA VICOMTESSE, tirant son étui de sa poche.

Oui…

TOTO.

Donne un peu ! (La vicomtesse lui passe l’étui. Toto l’ouvre, en retire les cigarettes et le lui rend vide.) Là, tu vois… maintenant j’en ai… et toi… tu n’en as plus… Voilà comment il se fait que je n’ai plus rien… O mon amour ! (Il l’embrasse.)

RAOUL.

Parfait l’apologue ! seulement il ne fallait pas rendre l’étui… La vicomtesse ne l’aurait pas rendu… elle… Pas vrai, vicomtesse ?

LA VICOMTESSE, sèchement.

Vous… faudra tâcher de trouver d’autres farces que celle-là… ou bien je dirai à Toto de prendre un autre ami.

RAOUL.
Il en est incapable ! n’est-ce pas, Toto ?
TOTO, riant.

Tout à fait incapable.

RAOUL.

A la bonne heure ! Eh bien ! là, voyons, maintenant que les cigarettes sont fumées, qu’il ne te reste plus que l’étui et que tu vas le vendre… car tu vas le vendre ?…

TOTO.

Il le faut bien !

RAOUL.

Quand tu l’auras vendu, que comptes-tu faire ?

TOTO.

Ah ! quant à ça, par exemple !…

RAOUL.

Veux-tu que je te donne un conseil.

TOTO.

Donne toujours…

RAOUL.

Quand tu n’auras plus le sou, ne te fais jamais l’ami de gandins ayant de l’argent…

TOTO.

Comment !…

RAOUL.

Voilà dix ans que je fais ce métier-là, et je sais ce que c’est !… J’ai été l’ami d’un tas de gens… voilà dix ans que je soupe avec eux, que je vais dans leurs loges, que je promène leurs chevaux, que je fais rire leurs maîtresses…

LA VICOMTESSE.

Oh ! ça, pas toujours.

RAOUL.

S’il vous plaît ! Et ça ne m’a pas seulement rapporte trois mille livres de rentes ! — On me disait : Vous vous en tirerez par un mariage… va te promener ! j’en ai manqué quatre. Aussi j’en ai assez — je donne ma démission[20]. Tu auras été mon vingt-septième et dernier ami. Tu n’as pas à te plaindre. Je ne t’ai pas lâché, je t’ai conduit… là où j’avais conduit les autres, jusqu’à ton dernier sou…

TOTO, assis à, gauche.

Oh ! mon dernier…

RAOUL.

Qu’est ce qu’il pourra te rester… Dix à douze mille livres de rentes ?…

TOTO.

Peut-être bien.

LA VICOMTESSE.

Encore ?

RAOUL.

Sais-tu ce que nous ferions, si tu avais le sens commun ?…

TOTO, se levant.

Et quoi donc ?

RAOUL.

Nous resterions à la campagne tous les deux et nous y viverions tout bêtement… de tes rentes…

LA VICOMTESSE.

Eh bien !… Et moi ?

RAOUL.

Vous ?

LA VICOMTESSE.

Oui, moi…

RAOUL.

Vous resteriez si ça vous faisait plaisir… Mais là franchement — dans notre nouvelle situation, vous n’êtes pas notre affaire.

LA VICOMTESSE.

Vraiment.

RAOUL.
Oh ! non… ce qu’il nous faut maintenant, ce sont des villageoises naïves… pas besoin de leur donner des colliers de quatre-vingt-mille francs, à celles-là… avec une croix d’or en n’importe quoi… A tout hasard, moi je suis allé faire un tour à l’Ombre du vrai.
TOTO.

A l’Ombre du vrai ?

RAOUL, ouvrant une petite cassette

Un magasin… où, pour une cinquantaine de francs, on a des rivières de diamants de vingt-cinq mille francs. J’ai acheté une petite pacotille… (Il étale ses achats) Tiens, regarde… une croix d’or… avec brillants… Trois francs cinquante… Très-gentil ça, pour se faire adorer d’une villageoise naïve. (A la vicomtesse.) En voulez-vous ?

LA VICOMTESSE.

Je ne suis pas villageoise.

RAOUL.

Et naïve…

LE VIEUX SERVITEUR, entrant du premier plan gauche[21].

Les chambres sont prêtes. On a porté les cinquante-deux malles dans la chambre de madame…

LA VICOMTESSE.

Allons faire un bout de toilette alors… un bout de toilette pour la fête que donnera Toto… Venez-vous, Pépinière ?

RAOUL.

Encore s’habiller…

LA VICOMTESSE, à Raoul[22].

C’est vrai, ces projets de retraite.

RAOUL, resserrant ses bijoux.

Dame !…

LA VICOMTESSE.

T’es bête… reviens donc avec moi à Paris. Je te présenterai à Brazileïro, un Brésilien, il a vingt-deux ans et il ne connaît personne, ce Rasta-quaire !… Il a besoin d’un ami !

RAOUL.

Ah ! un Brésilien !… (Au vieux serviteur.) Mathusalem, tiens, emporte tout ça.

Il sort avec la vicomtesse au premier plan gauche, le vieux serviteur les suit.

Scène IX

TOTO.

Et nous aussi, il va falloir aller nous habiller pour assister à la vente du château à Toto !… Pauvre château ! Si ceux qui t’ont bâti pouvaient y assister, à cette vente, il est bien probable… (Regardant les portraits.) Pas vrai, vous autres, que si au lieu d’être là en peinture, vous y étiez en chair et en os, vous feriez une drôle de grimace… et franchement vous n’auriez pas tort.

RONDEAU.
––––––Mes aïeux, c’était bien la peine,
––––––Lances aux poings, casques aux fronts,
––––––De vous en aller par la plaine,
––––––De vous en aller par les monts,
––––––De tenir droit votre bannière
––––––Et d’entrer comme des lions,
––––––En jetant votre cri de guerre,
––––––Au plus épais des bataillons !
––––––De tout supporter sans vous plaindre,
––––––Chaleur torride et froid cruel,
––––––Et de rire, et de ne rien craindre,
––––––Si ce n’est la chute du ciel !
––––––Et d’écrire à force de gloire
––––––Et de coups d’estoc triomphants,
––––––Votre nom, le mien dans l’histoire
––––––Qu’on fait lire aux petits enfants !
––––––D’ajouter de nouvelles pierres
––––––En vous disant : C’est pour nos
––––––À ce vieux château que vos pères
––––––Pour vous avaient bâtis jadis !
––––––De joindre le mont à la plaine,
––––––La ferme au manoir du seigneur,
––––––Afin de rendre le domaine
––––––Plus digne de votre grandeur !
––––––Mes aïeux, c’était bien la peine
––––––Pour qu’un jour un petit crevé,
––––––Un jour qu’il était en déveine
––––––Un jour qu’il était décavé,
––––––Vendit la plaine et la montagne,
––––––La ferme et le manoir altier,
––––––Pour avoir trop bu de champagne
––––––Avec des filles de portier ! …

Il se dispose à sortir au premier plan droite, lorsque entre Jeanne de Crécy-Crécy.


Scène X

JEANNE, TOTO.
JEANNE, venant de gauche au fond.

Monsieur… monsieur…

TOTO.

Hein… Qu’est-ce que c’est ?… mademoiselle… mais… je ne me trompe pas… mademoiselle Jeanne ?…

JEANNE.

Oui, c’est moi…

TOTO.

La petite Jeanne avec qui j’ai joué autrefois…

JEANNE.

La petite Jeanne a grandi, monsieur…

TOTO.

Pardon !

JEANNE.

Et en grandissant, elle a appris l’histoire de sa famille… et l’histoire de la vôtre…

TOTO.

Nous nous détestons alors ?

JEANNE.

Ce n’est pas de cela qu’il s’agit !

TOTO.

De quoi s’agit-il dont ?

JEANNE.

Ici, comme chez nous, il doit y avoir des cachots si habilement dissimulés, que, pour les découvrir, il faudrait démolir le château pierre à pierre.

TOTO.

Sans doute, mais…

JEANNE.

Prenez-moi par la main, monsieur, conduisez-moi et enfermez-moi dans un de ces cachots.

TOTO.

Je ne comprends pas bien.

JEANNE.

Mon père est riche, monsieur…

TOTO.

Je le sais bien… (A part, en la regardant.) Et c’est vraiment dommage…

JEANNE.

Il est riche, mon bon père, et il m’adore…

TOTO.

Je continue à ne pas comprendre…

JEANNE.

Vous ne comprenez pas… mais je sais tout, monsieur, je sais que vous êtes ruiné, que vous allez être forcé de vendre ce château.

TOTO.

Eh bien ?

JEANNE.

Eh bien, vous ne comprenez pas que, lorsque vous direz à mon père : Ta fille est en mon pouvoir, et je ne te la rendrai que contre une riche rançon… Il s’arrachera les cheveux, mon bon père, et il criera autant qu’il pourra crier… mais il finira par donner tout ce que vous voudrez, car il m’adore…

TOTO.
Oh ! Jeanne… petite Jeanne !…
JEANNE.

Eh bien, quoi… Que voyez-vous d’étonnant à cela ? Ne sont ce pas façons d’agir en usage entre nos deux familles ?… Nous nous en sommes fait bien d’autres à ce que l’on m’a dit… Allons vite.., nous perdons du temps… Prenez-moi par la main et conduisez-moi.

Jeanne remonte vers le fond à droite, Toto hésite à la suivre. La porte s’ouvre. Crécy-Crécy parait.


Scène XI

Les Mêmes, CRÉCY-CRÉCY[23].
TRIO.
CRÉCY-CRÉCY, arrêtant Jeanne du geste.
––––––––O ma fille !
JEANNE.
––––––––O ma fille ! Mon bon père…
CRÉCY-CRÉCY.
––Je te cherchais là-bas et je te trouve ici,
–––––––O ma fille ! que viens-tu faire
––––––––Près de notre ennemi ?
JEANNE.
––––––Ne vous mettez pas en colère.
––––––––––Papa, je l’aime.
CRÉCY-CRÉCY, la repoussant.
–––––––––––Qu’as-tu dit ?
JEANNE, s’approchant de Toto.
––––––––––Oui, je vous aime.
CRÉCY-CRÉCY, avec éclat.
––––––––––O jour maudit !
––––––––O fureur ! ô blasphème !
ENSEMBLE.
CRÉCY-CRÉCY, à Jeanne.
––––––Sortons d’ici, sortons, ma fille,
––––––Ne restons pas dans ce château,
––––––Pense à nos haines de famille,
––––––Tu ne dois pas aimer Toto.
JEANNE, à son père.
––––––Ayez pitié de votre fille,
––––––Restons, mon père, en ce château,
––––––Malgré les haines de famille,
––––––Je serai la femme à Toto.
TOTO, à Crécy-Crécy.
––––––Comme je te prendrais ta fille,
––––––Si j’avais encor mon château,
––––––Et qu’elle aurait été gentille
––––––La petite femme à Toto.
CRÉCY-CRÉCY.
––––Vérone vit jadis deux familles rivales,
––––––Les Montaigus, les Capulets,
––––De leurs guerres sans fin, à toutes deux fatales,
––––––Ensanglanter le seuil de leurs palais.
––––Penses-tu rajeunir cette anecdote ancienne ?
––––Je rendrais d’un seul mot tes efforts superflus !
––––Souviens-toi, Roméo… Toto, qu’il te souvienne,
––––Que Juliette est riche et que tu ne l’es plus.
TOTO, à Crécy-Crécy.
––––Oui, vous avez raison, vieillard impitoyable !
––Dussé-je en vous parlant m’exposer au mépris,
––Je me ferai connaître, apprenez qui je suis.
TOTO.
I
––––––Entre nous, je suis ce qu’on nomme
––––––Un horrible petit bonhomme.
––––––J’ai vingt ans à peine, et déjà
CRÉCY-CRÉCY.
JEANNE.
Oh ! ma fille, écoute cela. Qu’il est gentil quand il dit ça.
TOTO.
––––––Chez les blondes et chez les brunes,
––––––J’ai dévoré quatre fortunes.
––––––Toto par ci, Toto par là.
JEANNE et CRÉCY-CRÉCY.
––––––Toto par ci, Toto par là.
TOTO.
––––––J’ai lancé Polkette et Clara,
––––––Margot, Niquette et Troulala,
––––––––––Et cætera !
––––––Bref, à Paris, mademoiselle,
––––––J’ai fait tant et tant d’horreurs,
––––––Que dans le grand monde on m’appelle
––––––Le roi des gobichonneurs.

Sur le refrain, Toto, Crécy et Jeanne font une espèce d’avant-deux et changent de place[24].

TOTO.
II
––––––Maintenant pour payer ma dette,
––––––Il me faudrait une fillette
––––––Dont les parents seraient douillards.
CRÉCY-CRÉCY, indigné.
––––––Ah ! douillards ! Il a dit : douillards.
JEANNE, étonné.
––––––Qu’est-ce que c’est que ça : douillards ?
TOTO.
––––––Je pourrais ainsi me refaire
––––––Et remettre en style vulgaire
––––––Du beurre dans mes épinards.
JEANNE et CRÉCY-CRÉCY.
––––––Du beurre dans ses épinards !
TOTO.
––––––Si l’on m’accorde votre main
––––––Je la prends, mais il est certain
––––––––––Que dès demain,
––––––Je me remets, mademoiselle,
––––––A faire tant et tant d’horreurs
––––––Qu’on m’appellera de plus belle
––––––Le roi des gobichonneurs.

Crécy-Crécy, exaspéré, esquisse un pas un peu risqué et, entraînant sa fille, passe devant Toto.

CRÉCY-CRÉCY, à Jeanne[25].
––––––Tu vois, je ne lui fais pas dire
–––Son langage sans doute a calmé ton délire.
JEANNE.
––––––Ah ! papa, cher petit papa,
––Je l’aime cent fois plus, après qu’il m’a dit ça.
––Oui, mon Toto, je t’aime ! je t’aime ! je t’aime !
TOTO.
––––––––Ah ! cher enfant ! je t’aime !

Crécy-Crécy veut entraîner Jeanne. Celle-ci résiste, et, tout en résistant, envoie des baisers à Toto.

CRÉCY-CRÉCY, exaspéré[26].
––Ah c’en est trop, il faut clore cette épopée !
––L’un de nous va périr ici dans un tournoi !
––N’en ayant pas sur moi, je t’emprunte une épée !

Il saute sur une panoplie et y prend une petite épée qu’il jette aux pieds de Toto ; puis s’armant d’une grande épée à deux mains :

––Défends-toi, Roméo, Roméo, défends-toi
JEANNE, effrayée, courant au fond.

(Parlé.) Ils vont se battre ! Ils vont se battre !

RAOUL, entrant à demi-habillé[27].

Eh bien ! Qu’est-ce qui se passe… On ne peut donc pas s’habiller tranquille ? (Voyant le baron armé.) Oh ! au secours ! à la garde !

MASSEPAIN et les PAYSANS, paraissant au fond.
––––––Quoi ! l’on se bat dans le château,
––––––––––Le beau château,
––––––––Le superbe château
–––––––––––A Toto.

Le baron cherche à frapper Toto. Massepain le saisit à bras le corps pour l’éloigner, et pendant ce temps Toto tient Jeanne dans ses bras et l’embrasse. Les paysans sont stupéfaits.



  1. Le vieux serviteur, Crécy-Crécy, Jeanne.
  2. Crécy-Crécy, le vieux serviteur, Jeanne.
  3. Jeanne, Crécy-Crécy.
  4. Crécy-Crécy, Jeanne.
  5. Jeanne, Crécy-Crécy.
  6. Le vieux serviteur, Crécy-Crécy, Jeanne.
  7. Crécy-Crécy, le vieux serviteur, Jeanne.
  8. Le vieux serviteur, Crécy-Crécy, Jeanne.
  9. Catherine, Pitou.
  10. Pitou, Catherine.
  11. Catherine,Pitou.
  12. Catherine, Massepain, Pitou, le vieux serviteur, chœur à gauche et à droite.
  13. Catherine, Massepain, Raoul, Toto, la vicomtesse, Pitou, le viens serviteur, chœur au fond.
  14. Raoul, Catherine, Massepain, Toto, la vicomtesse, Pitou, le vieux serviteur.
  15. Raoul, Massepain, Toto, la vicomtesse, Catherine, Pitou.
  16. Raoul, Catherine, Toto, Massepain, la vicomtesse, Pitou, le vieux serviteur.
  17. Le vieux serviteur, Raoul, Toto, Catherine, PItou, la vicomtesse, Massepain.
  18. Raoul, Catherine, le vieux serviteur, Toto, la vicomtesse, Massepain, Pitou.
  19. Raoul, Pilou, Catherine, Toto, la vicomtesse.
  20. Toto, Raoul, la vicomtesse.
  21. Toto, le vieux serviteur, Raoul, la vicomtesse.
  22. Le vieux serviteur, la vicomtesse, Raoul, Toto, au fond.
  23. Jeanne, Crécy-Crécy, Toto.
  24. Jeanne, Crécy-Créey, Toto.
  25. Toto, Crécy-Crécy, Jeanne.
  26. Toto, Jeanne, Crécy-Crécy.
  27. Toto, Jeanne, Raoul, Crécy-Crécy, Massepain, chœur au fond.