Le Centurion/61
IV
LE TOMBEAU VIDE
Lundi matin, 3ème heure (9 a. m.)
Oui, mère, il est vide, ce tombeau sombre que des soldats gardaient, et dont la porte avait été scellée ! La pierre énorme, qui en fermait l’entrée, paraît avoir été mystérieusement renversée hier matin, dès avant l’aurore ; et sur la table de marbre où Jésus de Nazareth dormait son dernier sommeil, on n’a trouvé que le linceul, le suaire qui couvrait sa tête, et les bandelettes qui enveloppaient son corps embaumé.
Qu’est-il devenu ? Et quel est ce nouveau mystère ? La prédiction de sa vénérable mère est-elle réalisée, et son glorieux fils est-il vraiment ressuscité ? C’est la question qui agite maintenant le peuple, et qu’on discute fiévreusement sous les portiques du Temple.
Les prêtres racontent que les soldats qui gardaient le tombeau se sont endormis, et que pendant ce sommeil les apôtres sont allés au sépulcre, et ont enlevé le corps de leur maître.
Mais les apôtres nient énergiquement cette histoire, et affirment par serment que Jésus de Nazareth est ressuscité, qu’il s’est montré vivant à plusieurs d’entre eux, et aux saintes femmes.
L’émotion publique est intense ; et l’on a dépêché un courrier à Pilatus pour l’informer de cet événement qui pourrait causer de nouveaux troubles. On croit que le gouverneur devra faire une enquête pour découvrir de quel côté est la vérité. Car si la version des prêtres est vraie, les soldats doivent être punis pour avoir manqué à la discipline, et les disciples emprisonnés pour violation de sépulture et vol de cadavre.
Claudia et moi croyons que Pilatus et Caïus reviendront de Césarée dès demain soir, ou mercredi. En attendant, j’ai voulu recueillir moi-même des renseignements.
Je me suis rendue d’abord chez notre décurion, Joseph d’Arimathie, et nous sommes allés ensemble au sépulcre, que cet excellent homme avait fait construire pour lui-même, et qu’il a donné pour la sépulture du Prophète. On y arrive à travers son jardin par une allée bordée d’aloès, de tiges d’hysope, et d’anémones écarlates.
Il est creusé dans un rocher qui forme l’extrémité nord-ouest du Golgotha, et qui est inclus dans le jardin du décurion, notre vieil ami. Le lieu du crucifiement est à 150 ou 200 pieds au sud-est.
Nous avons trouvé les lieux tels qu’on nous les avait décrits : la pierre renversée, mais intacte, sans aucune trace de violence, et le tombeau vide.
Joseph d’Arimathie est entré dans le tombeau, et quand il en est sorti il m’a dit : « Je ferai creuser sous le même rocher un autre sépulcre pour mes restes mortels. Celui-ci est désormais sacré : il sera le temple de la religion nouvelle, du nouveau royaume d’Israël, et de l’Homme-Dieu ressuscité. »
Est-ce une prophétie ? Je l’ignore. Mais d’Arimathie n’a pas l’ombre d’un doute que Jésus est ressuscité.
Et maintenant, je vais à Béthanie interroger Myriam ; car on dit que Jésus lui est apparu.
À peine avais-je franchi le seuil de la maison de Lazare, que Myriam est venue se jeter dans mes bras, toute palpitante de bonheur, et m’a dit :
— Ô Camilla ! Que d’événements et que d’émotions, depuis que je vous ai vue ! Celui qui était mort est vivant ! Je l’ai revu plein de vie, comme je vous vois, et il m’a parlé !
— Calmez-vous, Myriam, lui ai-je dit, et racontez-moi tout.
Alors nous nous sommes assises sur un divan, et Myriam m’a fait le récit suivant :
— « Hier matin, dès l’aube, après deux jours de larmes et deux nuits sans sommeil, Marie, mère de Jacques, Salomé et moi, sommes parties d’ici pour nous rendre au sépulcre, où reposait notre Maître, à Jérusalem. Nous emportions des aromates que nous avions achetés samedi soir, après le sabbat, et nous allions embaumer son corps.
« Nous ne savions pas alors que le sépulcre était gardé depuis la veille par des soldats ; et nous n’avions à l’esprit qu’une seule inquiétude : Qui nous ôterait la pierre qui fermait le tombeau ? Mais nous allions toujours, tout spontanément, où nos cœurs et notre amour nous conduisaient.
« À mesure que nous approchions, mon âme tressaillait d’impatience, et comme je trouvais mes compagnes trop lentes, je pris les devants.
« Je contournais la colline du Golgotha lorsque tout à coup la terre trembla violemment sous mes pieds. Je m’arrêtai un instant, épouvantée, et je vis des soldats effrayés passer en courant auprès de moi. Mais je repris ma course vers le sépulcre, et, quand j’y arrivai, je vis que la pierre qui en fermait l’entrée avait été renversée, et qu’il était vide.
« Jugez de ma douleur, Camilla, et de celle de mes compagnes qui arrivèrent après moi, et qui tout attristées pénétrèrent dans le sépulcre. Je les laissai là, et je courus aussi vite que possible à la demeure de Jean, sur le mont Sion. Pierre était là, et je leur dis qu’on avait enlevé le corps du divin Maître. Tous deux partirent alors en courant pour se rendre au sépulcre, et je les suivis d’assez près.
Mais dès qu’ils eurent constaté que le tombeau était vide, ils s’en retournèrent tout affligés et préoccupés, pour raconter la chose aux autres disciples.
Je restai seule à pleurer, et je m’agenouillai dans la porte du sépulcre, les yeux fixés sur l’intérieur sombre où mon Maître avait dormi son dernier sommeil. Soudainement j’y aperçus deux anges vêtus de blanc et assis.
— Femme, pourquoi pleures-tu ? me dirent-ils.
— Ils ont enlevé mon Seigneur, répondis-je, et je ne sais où ils l’ont mis.
Mais voilà qu’en me retournant je vis un homme qui se tenait debout, près de moi. Je crus que c’était le jardinier de Joseph d’Arimathie, et je lui dis : « Si c’est vous qui l’avez enlevé, dites-moi où vous l’avez mis, et je l’emporterai. »
Alors l’inconnu changea de visage, et de sa voix douce qui m’était familière il me dit : Myriam !
— Ô Rabbi ! m’écriai-je en me précipitant à ses pieds. Car c’était Lui, mon Jésus bien-aimé, qui était là, vivant, près de moi ! Je voulus baiser ses pieds, mais il me dit : Ne me touche pas, je ne suis pas encore retourné vers mon Père.
— Va porter à mes frères ce message : Je monte vers mon Père, et votre Père, vers mon Dieu, et votre Dieu. »
Et il disparut.
Jugez de mon émotion, Camilla. Je fondais en larmes de joie et d’amour, et je me sentais défaillir. Je ne pouvais m’arracher de ce lieu béni où je venais de revoir mon Bien-aimé vivant. Mais je me rappelai tout à coup son message, et, pour le remplir, je repris ma course vers le Cénacle, où je présumais que les disciples étaient réunis. Pierre et Jean n’y étaient pas encore, mais les autres s’y trouvaient. Je leur racontai tout, et leur délivrai le message du Maître. Ils ne me crurent pas.
J’en étais désolée, et j’allais me retirer, lorsque Joanna, femme de Chusa, et quelques autres femmes arrivèrent, et racontèrent que Jésus leur était apparu, et les avait chargées de cet autre message : « Allez dire à mes frères qu’ils se rendent en Galilée ; c’est là qu’ils me verront. »
Les disciples sont restés incrédules ; mais ils ne le seront plus, quand ils l’auront vu comme je l’ai vu, Camilla, plein de vie, me regardant, me parlant comme autrefois, avant le jour terrible de sa mort. »
Myriam se remit à pleurer.
— Mais pourquoi pleurez-vous ? lui dis-je.
— « C’est la joie et le bonheur ! Mon cœur en est gonflé à mourir, et mes larmes le soulagent. »
Ô ma mère, je suis sûre que Myriam a dit vrai, et qu’elle ne s’est pas illusionnée. Jésus de Nazareth est vraiment ressuscité, comme il l’avait promis.
Nicodème sort du Palais. Il m’a confirmé la nouvelle incroyable, mais vraie, de la résurrection de ce Jésus auquel je ne sais plus quel titre donner.
Il n’est plus possible d’en douter. Car dans la journée d’hier, il s’est montré vivant à Myriam, à Joanna et à d’autres femmes, à Simon, à deux disciples, qui ont causé longtemps et soupé avec lui à Emmaüs, et enfin dans la soirée aux apôtres réunis.
Il leur a parlé, il leur a montré ses mains et ses pieds percés, qu’ils ont touchés. Il a mangé avec eux. Et, après leur avoir conféré des pouvoirs extraordinaires, et une mission que Nicodème n’a pu m’expliquer bien clairement, il leur a dit : « Pax vobis », et il a disparu.
Quels événements ! chère mère, quels événements ! Notre poète s’est bien trompé quand il a écrit : novum sub sole ! Voilà, certes, des merveilles que le soleil n’a jamais vues auparavant. Et quelles autres verrons-nous encore ?…