L'Action sociale (p. 265-271).

XVI

LE SANHÉDRIN


La résurrection de Lazare produisit une commotion extraordinaire à Jérusalem, et dans toute la Judée. Un grand nombre de Juifs crurent en Jésus. Les princes des prêtres furent d’avis qu’il était grand temps d’agir, si l’on voulait empêcher tout le peuple de se laisser endoctriner.

Caïphe convoqua donc une grande assemblée du Sanhédrin. Le Sanhédrin se composait de trois chambres : celle des Prêtres, celle des Scribes, et celle des Anciens. Chacune devait compter vingt-trois membres, mais il arriva souvent, notamment au temps de Jésus-Christ, que la chambre des Prêtres fut plus nombreuse. Deux secrétaires formaient aussi partie du Sanhédrin, et le chiffre total régulier se trouvait être ainsi de soixante-onze.

C’était à la fois une espèce de parlement en certaines matières religieuses, et mêmes civiles, et un tribunal supérieur. La plus large part d’influence dans cette assemblée appartenait aux Prêtres. En réalité, ils en avaient la haute direction.

L’aristocratie sacerdotale appartenait généralement à la secte des sadducéens. Ils prétendaient bien respecter la loi Mosaïque, mais en l’interprétant librement, individuellement, chacun selon sa conscience, sans l’intervention d’aucune autorité enseignante. Cela veut dire qu’ils en étaient arrivés à une espèce de rationalisme. Un grand nombre ne croyaient plus à la vie future.

L’élément populaire sacerdotal se rangeait parmi les pharisiens. Ceux-ci étaient avant tout autoritaires. Dans la pratique ils substituaient leur enseignement à la loi elle-même dont ils connaissaient très bien la lettre, mais dont ils méconnaissaient l’esprit. Ils étaient de ces dévots qui n’ont de religieux que l’extérieur, et qui remplacent la pratique des vertus par de nombreuses pratiques extérieures de religion.

C’est pour cela que Jésus les comparait à ces sépulcres qu’on voit partout en Orient, dont l’extérieur est d’une blancheur immaculée, et dont l’intérieur est plein d’infection et de pourriture.

Le peuple croyait généralement à leur sincérité, et c’est pourquoi ils avaient beaucoup plus d’influence que les sadducéens.

Tout le sacerdoce Juif, sadducéen, ou pharisien, était plein d’orgueil, d’égoïsme, et d’ambition.

Les grandes familles sacerdotales, Anne et ses cinq fils, les descendants de Boëthus, les ben Phabi, les Canthère, les Jean, les Alexandre, se disputaient les emplois et les bénéfices, et pressuraient le peuple pour se créer des revenus.

Le Talmud les représente comme des fléaux. « Ils sont grands-prêtres, dit-il, leurs fils sont trésoriers, leurs gendres commandants, et leurs serviteurs frappent le peuple de leurs bâtons. »

Ils tenaient le peuple dans l’asservissement et la superstition, et ils exploitaient honteusement cette religion de leurs pères qui n’était plus pour eux qu’un formalisme étroit et ridicule.

Ils entassaient dans les greniers du Temple les dîmes qu’ils extorquaient aux fidèles naïfs et asservis, et ils se volaient mutuellement pour accaparer la plus grande part.

Leurs palais étaient somptueux, leurs tables bien servies, et leurs vêtements luxueux. Hypocrites, avares, ambitieux, jouisseurs, ils régnaient et gouvernaient grâce à l’abaissement de la foule et à son ignorance.

Tout ce qui pouvait menacer cette hypocrite exploitation de la religion, et ouvrir les yeux du peuple devait être combattu, prohibé, mis à néant.

La tendance naturelle de tous les pouvoirs humains est l’absolutisme ; et la grande tentation de ceux qui exercent ces pouvoirs est de supprimer ceux qui les gênent.

Or, Jésus devenait trop gênant pour l’autorité du sacerdoce juif, et pour la conservation de ses bénéfices.

Chasser les vendeurs du Temple, c’était ruiner du coup une des principales sources des revenus que le Temple assurait aux prêtres.

Prêcher une religion nouvelle, un culte nouveau qui abolissait les sacrifices de l’ancienne loi, et les profitables hécatombes des autels, qui enseignait à prier Dieu en esprit, partout, en Galilée aussi bien qu’à Jérusalem, qui allait instituer un nouveau sacerdoce, c’était bien menaçant pour le prestige et pour le bien-être matériel du sacerdoce ancien.

Dès lors, le novateur galiléen, c’était l’ennemi.

Les principaux membres de la chambre des Prêtres, au temps de Jésus-Christ, étaient Anne et ses cinq fils : Éleazar, Jonathas, Théophile, Mathias et Ananus, qui fit lapider saint Jacques ; Caïphe, Grand-Prêtre, et président du Sanhédrin ; les deux fils de Boëthus, Joazar et Éleazar, qui avaient été successivement Grands-Prêtres ; Simon Canthère, troisième fils de Boëthus, qui devint Grand-Prêtre, quelques années après Jésus-Christ ; Israël ben Phabi, Simon ben Camite, Helkias, qui était le trésorier du temple, Jean et Scéva qui sont nommés aux actes des apôtres.

Après les prêtres, venaient les scribes. Leur nom signifiait écrivains, et leurs fonctions principales étaient la conservation, la reproduction et l’interprétation des Saintes Écritures. Mais l’autorité qu’ils possédaient dans l’interprétation des Écritures, était relative et n’avait aucun des caractères de l’infaillibilité. On pouvait ne pas s’y soumettre sans être accusé d’hérésie. Eux-mêmes le reconnaissaient, et se montraient même assez modestes à l’origine.

Chaque fois qu’un prophète apparaissait et donnait des preuves de sa mission, ils reconnaissaient sa suprématie, et acceptaient ses enseignements.

Mais quand l’ère des prophètes fut passée, leur autorité s’accrut. Leur enseignement prit peu à peu le caractère de l’absolutisme.

Les uns étaient des lévites et les autres des laïques. On les appelait docteurs en Israël, et ils en formaient le corps savant, le plus influent après la chambre des prêtres.

Les plus célèbres parmi ceux qui étaient membres du Sanhédrin au temps de la passion de Jésus-Christ se nommaient Gamaliel l’Ancien, petit-fils du fameux Hillel, et dont l’école avait une grande renommée ; Siméon, son fils ; Onkelos, l’un de ses plus illustres disciples ; Jonathas ben Uziel, Ismaël ben Eliza, Rabbi Zadok, et Iochanan ben Zachaï, qu’on surnommait la « Splendeur de la Sagesse », à cause de sa science.

La chambre des Anciens se composait d’hommes que leur position dans le monde des affaires et leurs richesses plaçaient au-dessus du peuple. Leur influence dans le Sanhédrin n’avait guère de poids, parce que la plupart n’avaient ni la science ni l’éloquence nécessaires pour faire prévaloir leurs opinions.

Les membres les plus remarquables de cette chambre étaient : Simon, dont l’historien Josèphe fait un grand éloge, Joseph d’Arimathie et Nicodème que nos lecteurs connaissent déjà. Ces trois hommes éclipsaient leurs collègues par leur savoir, et par leur réputation d’honnêteté. Telles étaient les trois chambres que Caïphe avait réunies dans la rotonde qui était jointe au temple, et qui y communiquait par le portique royal.

Les circonstances étaient graves et solennelles, et tous savaient que l’objet de la réunion était de décider quelle conduite il fallait tenir à l’égard du prophète de Galilée. Aussi la réunion était-elle très nombreuse. Le Sanhédrin était presque au complet.

Caïphe présidait. Étrange coïncidence, son nom en hébreu — Caiaphas ou Képhas — signifie Pierre ; et ce fut ce même nom que Jésus-Christ voulut donner au chef des apôtres, de sorte qu’après Jésus-Christ, le chef de la nouvelle religion et celui de l’ancienne s’appelèrent tous deux Pierre !