L'Action sociale (p. 225-230).

XI

LA FÊTE DES TABERNACLES


On se fait difficilement une idée de ces grandes solennités religieuses qui réunissaient à Jérusalem des foules immenses, et qui créaient une impression profonde sur les fidèles croyants de Jéhovah. Les deux plus grandes fêtes de l’année étaient la Pâque, fête du printemps, et celle des Tabernacles, fête de l’automne. La première rappelait la sortie d’Égypte, et la seconde, le voyage de 40 ans à travers le désert.

Les Tabernacles n’étaient pas des tentes en toile. Suivant les prescriptions du Lévitique, ils devaient être en feuillage, construits avec des branches de palmier, d’olivier sauvage, de myrte, et d’autres arbres touffus. De fortes et longues branches plantées dans le sol sur deux lignes parallèles, et se rejoignant au sommet, solidement attachées, et recouvertes de rameaux, de feuilles et même de gazon : telle était leur forme ordinaire.

Les grands tabernacles étaient divisés en trois parties par des rideaux. Celle du fond était réservée aux femmes ; celle du milieu aux hommes, membres de la famille ; et les serviteurs occupaient l’antichambre.

À la porte de la tente, dans un triangle formé par trois pierres, brûlait un feu qui servait à la cuisson des aliments, et autour duquel on se réunissait le soir, pour causer, pour raconter des légendes, ou pour lire les vieux récits des Écritures.

Les pèlerins venus de la même ville, ou du même village, se groupaient ensemble, et leurs tentes étaient rangées en cercle, sur les hauteurs. Au centre se trouvait celle du chef de la caravane, ordinairement plus grande que les autres. Tant pour les sacrifices à offrir, que pour la nourriture des pèlerins, chaque caravane avait son troupeau de moutons, de veaux, et même de bœufs, dont quelques bergers prenaient soin.

Dès avant la fête, les caravanes arrivaient de toutes les directions, des villes de la Judée, de la Galilée, de la Pérée, des bords de la mer et du Liban. C’était une invasion pacifique et joyeuse, qui s’emparait de tous les environs de Jérusalem, et surtout des hauteurs. Car la grande allégresse des pèlerins était d’apercevoir du haut de leurs campements les vastes portiques et la coupole de leur Temple tant aimé ; c’était de voir monter en tourbillons au-dessus des murailles la fumée des sacrifices, s’élevant jour et nuit de l’autel des Holocaustes ; c’était d’entendre les fanfares éclatantes des trompettes sacrées appelant le peuple aux cérémonies.

Jérusalem se trouvait ainsi enveloppée par toute une immense ville de tentes de feuillage groupées sur les hauteurs du mont des Oliviers, de Bézétha, et du Scopus, dans la partie supérieure de la vallée de Josaphat, sur les pentes de l’Ophel et sur les cimes du mont Sion.

Dans l’enceinte même de la cité, tous les enfants d’Israël étaient tenus par le Lévitique de célébrer la fête, en habitant pendant sept jours des tabernacles de feuillage. Ils les construisaient sur les terrasses de leurs maisons, dans les cours, sur les places publiques, et surtout à la porte de l’Eau et à la porte d’Éphraïm.

Cette grande fête, à laquelle prenaient part plus d’un million de Juifs, avait été instituée en mémoire des années que les Israélites avaient passées sous la tente, dans le désert arabique, après leur sortie d’Égypte. Pendant huit jours le Temple était encombré de pèlerins, et les plus solennelles cérémonies religieuses y rappelaient les merveilles accomplies par Jéhovah en faveur de son peuple.

Chaque matin, vingt et une sonneries de trompettes retentissaient au sommet des terrassements crénelés et des portiques. Alors une procession de prêtres, de lévites et de fidèles se formait, descendait la pente de l’Ophel jusqu’à la fontaine de Siloé, et remontait en chantant des hymnes, avec une aiguière d’or remplie d’eau vive, qui était répandue par le pontife officiant sur l’autel des holocaustes.

Puis, il y avait lecture de la Loi, et prédication. De temps en temps, la prédication était interrompue par diverses cérémonies, dont il serait trop long de faire la description. Qu’il suffise de dire qu’elles formaient toutes ensemble une sorte de mémorial des faveurs de Jéhovah.

L’eau apportée de Siloé rappelait la source jaillie d’un rocher, au désert, à la parole de Moïse. L’illumination du temple était faite en mémoire de la colonne de feu qui éclairait la marche d’Israël vers la Terre Promise, et le Messie qu’on attendait devait être la vraie colonne de feu qui dissiperait les ténèbres de l’humanité, et la guiderait à travers le désert de cette vie vers la Terre des Vivants.

Tout le jour, et même la nuit, l’autel des holocaustes fumait. Le feu devait y être constamment entretenu, et l’on y offrait de continuels sacrifices.

On y égorgeait de jeunes taureaux, des agneaux, des chèvres, des pigeons et des tourterelles. Les prêtres faisaient l’offrande à Jéhovah du sang des victimes, qu’ils répandaient tout autour sur l’autel. Puis les corps des animaux étaient découpés en morceaux, dont une partie était placée sur le feu et consumée.

On y faisait aussi des oblations de farine, arrosée d’huile, et une poignée était jetée sur le feu avec de l’encens.

Le reste de cette fleur de farine, et les restes des victimes appartenaient aux prêtres.

Telle était cette grande fête que les Juifs célébraient chaque année à Jérusalem, au milieu du mois de Thisri, qui comprenait une partie de septembre et une partie d’octobre.

Mais, en l’an de Rome 782, la fête prit des proportions plus grandioses, et agita plus profondément tout le peuple d’Israël. Car les temps messianiques semblaient venus, et un grand prophète accomplissait des merveilles dans toute l’étendue de l’ancien royaume. On pouvait douter encore qu’il fût le Messie attendu ; mais on ne pouvait plus nier qu’il accomplissait des prodiges, comme on n’en avait pas vu depuis les temps d’Élie et d’Élisée.

Sa parole était tellement éloquente que ceux qui l’avaient entendu disaient : jamais homme n’a parlé comme lui ! Les foules le suivaient et l’admiraient. Mais il portait ombrage aux princes des prêtres et aux scribes, qui manifestaient ouvertement leur hostilité.

Viendrait-il à Jérusalem, et se ferait-il entendre dans le Temple pendant cette fête des Tabernacles qui commençait ? La foule des pèlerins plus nombreuse que jamais l’attendait et le désirait.

Mais les pharisiens l’avaient fait épier en Galilée ; ils avaient cherché des motifs d’accusation de toutes sortes contre lui. Ils préparaient de nouveaux pièges auxquels, croyaient-ils, il ne saurait pas échapper ; et leurs agents de police étaient chargés de l’arrêter pendant la fête, s’il osait se montrer.

—Mais il n’osera pas venir, disaient-ils. Là-bas, en Galilée, il est dans son élément, parmi des gens sans instruction qui ne savent rien des Écritures. Il leur raconte des paraboles et des récits aussi simples qu’eux-mêmes, et ces braves gens l’admirent. Mais ici, dans le Temple, à côté de la Rotonde où siège le Sanhédrin, en présence d’un auditoire où se trouveraient mêlés à la foule les maîtres de la science religieuse, et les plus illustres docteurs en Israël, il perdrait de son assurance, et il n’oserait plus afficher ses prétentions messianiques.

Le centurion, Camilla et Claudia Procla étaient de ceux qui croyaient que le prophète de Galilée viendrait, et chaque jour ils se rendaient au Temple pour le voir et l’entendre ; mais trois jours étaient déjà passés, et Jésus de Nazareth n’avait pas paru.