L'Action sociale (p. 193-195).

VI

AVIS PATERNEL


Pendant les jours qui suivirent, Camilla fut très préoccupée de son avenir, et la belle parole de Ruth absorba son esprit. Elle lui sembla la vraie solution du problème de sa future destinée.

Non seulement Onkelos et Gamaliel n’étaient pas de sa race ; mais ils étaient les ennemis déclarés de sa patrie. Donc elle ne pouvait accepter ni l’un ni l’autre pour époux.

Elle voulut cependant consulter son père à ce sujet, et elle lui cita la parole de la Moabite qu’il ignorait. Il en admira la sagesse, et il approuva entièrement la décision qu’elle avait prise.

— Évidemment, ajouta-t-il, la question de race a une grande importance quand il s’agit de former l’union indissoluble du mariage. Mais la question religieuse est plus importante encore, et j’espère, Camilla, que tu la résoudrais avec la même sagesse, si l’occasion s’en présentait.

J’ai cru m’apercevoir que le centurion Caïus a quelque admiration pour toi. Ne t’a-t-il pas manifesté ses sentiments ?

— Non, mon père. Il paraît se plaire en ma compagnie, et je suis flattée de ses attentions. J’admire sa belle intelligence et son noble caractère. Mais il ne m’a jamais témoigné qu’une aimable amitié.

— C’est un officier distingué, qui a un bel avenir, et qui me plaît beaucoup. Il est vrai qu’il n’a plus foi dans le polythéisme, et je le regrette. Ce scepticisme est d’ailleurs partagé malheureusement par un grand nombre d’esprits très cultivés de Rome. Mais j’espère qu’il en restera là, et qu’il ne poussera pas ses sympathies pour Jésus de Nazareth jusqu’à le prendre pour un Dieu, et à lui décerner un culte.

Ce serait une aberration que je ne tolérerais pas, et qui m’empêcherait de l’agréer pour gendre.

— Mais, mon père…

— C’est une simple hypothèse. Si par impossible, elle devenait un fait, je suis bien sûr que tu serais la première à lui dire que son Dieu ne sera pas ton Dieu.

Camilla salua son père, et ne répondit rien. Elle avait tout compris, surtout ce que son père n’avait pas dit. Elle resta longtemps songeuse, et pressentit que quelque malheur la menaçait.

Caïus Oppius l’aimait-il vraiment ? Son père le croyait apparemment. Mais qu’en savait-il ? Et si Caïus l’aimait, pourquoi ne lui avait-il pas déclaré son amour ? Peut-être avait-il d’autres liens, formés pendant son séjour en Galilée. Elle crut se rappeler que Gamaliel avait un jour, en présence de Caïus, fait allusion à une belle Galiléenne dont le centurion de Magdala se serait épris.

Enfin le sage Salomon l’a dit :

« Il est un temps fixé pour tout…
Un temps pour se taire et un temps pour parler.
… La sagesse dispose de tout avec douceur…

Ces réflexions mirent fin à la rêverie de Camilla.